La plupart des embryons passent les premiers mois de leur existence dans le ventre de leur mère, entourés par leur chaleur et protégés par leur amour inconditionnel. Mais ce ne fut pas ton cas, Min-Ji, c’est dans un chaudron que tu as grandi, en attendant de naître et tu ne t’es jamais éloigné des ateliers de potions depuis. Ta mère est connue dans l’entièreté du monde magique pour sa marque de cosmétique Kumiho. Elle faisait une thèse en cosmétologie magique sur le vieillissement et a trouvé pendant ses études une formule révolutionnaire qu’elle s’est empressée de breveter. Elle a monté une entreprise florissante et de fil en aiguille, elle s’est retrouvée à la tête d’un empire centré sur la jeunesse éternelle. C’est à ce moment-là qu’elle a décidé de t’avoir, Min-Ji, pour perpétuer son œuvre, pour que tout ce qu’elle a construit lui survive. Une envie de maternité subite, dans le but d’avoir une mini-elle dont elle serait fière. Mais Hye-Jin ne faisait pas les choses n’importe comment, elle voulait que son enfant soit parfait. Elle n’avait pas besoin d’un homme dans sa vie, elle ne souhaitait pas s’en encombrer et elle ne voulait pas prendre le premier venu pour créer sa plus belle œuvre. Alors elle éplucha ses contacts, cherchant dans ses connaissances quelqu’un d’aussi brillant qu’elle, d’aussi beau, avec des antécédents familiaux impeccables et qui accepterait de lui donner du matériel génétique avant de sortir définitivement de sa vie. Une fois la perle rare trouvée, elle fit le choix de te faire grandir dans un chaudron plutôt que dans son ventre. Elle ne voulait pas déformer son corps et gâcher sa beauté. Mais elle n’était jamais loin de toi, vu qu’elle passait son temps dans son atelier, là où tu grandissais.

Tu sortis le nez de ton chaudron début janvier 2007, mais ce n’est pas pour autant que tu quittas l’atelier de potions. Ta mère ne voulait pas te lâcher, mais elle ne voulait pas non plus délaisser son travail. D’abord dans un porte-bébé, puis accroché à sa jambe, tu grandissais entourée de chaudrons bouillonnant et d’effluves de potions. Tu appris rapidement à lire, intriguée par les énormes ouvrages qui avaient l’air de la passionner. En voyant la fierté dans ses yeux lorsque tu réussis à lire ta première phrase, tu voulus instantanément faire mieux pour que ce regard ne disparaisse jamais. Tu appris à faire ta première potion avant même de connaître tes tables de multiplication. Certaines mères apprennent à leurs enfants à cuisiner des gâteaux avec elles le dimanche après-midi, mais toi, Hye-Jin préféra t’apprendre comment couper correctement une racine de mandragore ou les propriétés de la bave de crapaud. Étais-tu naturellement douée en potions ou ton talent vient-il du fait que tu aies grandi dans un atelier ? Tu ne le sauras sûrement jamais.

Vers tes six ans, ta mère voulut te scolariser dans une école primaire magique pour que tu évolues au milieu d’autres enfants et qu’elle puisse avoir plus de temps pour s’occuper de son entreprise. Ce fut une véritable catastrophe. Tu ne supportas pas la séparation, passer huit heures sans elle te semblait insupportable. Ce fut tes premières grosses crises de larmes et tes premiers caprices. Tu ne voulais pas aller à l’école. Puis quand tu y étais, tu t’y ennuyais à mourir. Les cours étaient trop simples, les autres élèves trop bêtes, tu ne t’entendais pas avec eux… Cela te semblait être une horrible perte de temps. Rapidement, tes compétences se mirent à stagner car l’école te prenait un temps monstre qui aurait pu te servir à apprendre des choses que tu ne savais pas déjà. Ta mère le remarqua assez vite, décida de te retirer de l’école et fit venir des précepteurs à la maison pour les matières qu’elle n’avait pas l’envie de t’enseigner elle-même. À moins que ce ne soit les crises de larmes, les difficultés à t’endormir, la perte d’appétit et le manque de joie de vivre qui lui ait fait comprendre que l’école, ce n’était vraiment pas pour toi. Mais c’est à cette époque qu’elle commença à ne plus t’emmener partout avec elle, pour couper le cordon. Avant, tu venais avec elle quand elle réseautait, quand elle était en réunion, quand elle donnait des conférences… Enfin, tu l’accompagnais toujours quand elle ne trouvait personne pour te garder, mais c’était plus anecdotique. Tu adorais ces moments pourtant, surtout les conférences. Tu voyais ta mère distiller son savoir et une foule de gens l’admirer, l’applaudir même, ou lui poser des questions. Mais personne n’était plus en adoration que toi devant le génie de ta mère. Tu voulais être aussi brillante plus tard. Tu voulais que la foule se masse pour écouter tes futures grandes découvertes, et tu voulais que ta mère te regarde comme tu la regardais à chacune de ses conférences.

Ta première manifestation magique arriva peu de temps après ton arrêt de l’école. Elle n’était pas spectaculaire, Min-Ji, elle était pratique. Tu t'entrainais à faire une potion qui ne demandait pas de sorts pour être réalisée, sous la supervision de ta mère. Tu avais mal géré ton temps, tes deux mains étaient occupées à écraser les œufs de grenouille alors que ta potion demandait à être remuée pour ne pas brûler. D’instinct, tu avais levé ta tête vers le chaudron, regardant fixement la cuillère avant de faire un signe de tête pour lui indiquer dans quel sens touiller la mixture. Et la cuillère obéit, alors tu te remis au reste de la recette comme si de rien n’était. Tu ne t'étais même pas rendu compte de ce qu’il venait de se passer tellement c’était naturel à tes yeux. Combien de fois avais-tu vu ta mère utiliser la magie pour remuer ses potions ? Tu ne les comptais même plus.

Ta mère aborda rapidement un sujet qui fâche après ta première manifestation magique, l’école. Certes, tu n’étais pas obligée d’aller en primaire avec d’autres sorciers, mais à partir de tes onze ans, tu allais devoir poursuivre une scolarité dans l’une des grandes écoles de magie. Ilvermorny ou Ilukaan dans ton cas, vu que tu étais née aux États-Unis. Elle te prépara très tôt à cette idée, car contrairement à la primaire tu n’aurais pas la possibilité de rentrer si ça se passait mal. Elle étudia avec toi les deux écoles, les cours qu’elles proposaient, les grands sorciers qui en étaient sortis diplômés, les enseignants… Tu devais faire le bon choix du premier coup, car tu n’aurais pas la chance de changer plus tard, tu allais devoir passer au moins 7 ans dans l’établissement que tu choisirais. Le choix final fut fait bien avant la rentrée de tes onze ans. Ilukaan étant une école internationale, des professeurs de renom s’y trouvaient. Puis tu avais aussi moins de chance de te faire embêter par les autres élèves à cause de tes origines vu qu’ils venaient tous du monde entier.

Tu continuas d’ailleurs de te documenter sur l’école même après ton choix fait, pour essayer de te sentir plus familière avec elle. Tu ne voulais pas débarquer en terrain inconnu et prendre le risque de gâcher ta première année à cause de la peur et des crises de larmes. Tu n’avais pas le temps de chouiner, tu avais des Optimal à obtenir si tu voulais rendre ta mère fière en lui montrant tes devoirs à chaque vacances. La rentrée fut quand même difficile pour toi, ce fut énormément de changements d’un coup. Tu perdais le calme de la vie avec ta mère, des après-midis dans son atelier, pour être propulsée dans une école immense grouillante d’élèves. Rapidement, la bibliothèque fut ton refuge. Beaucoup plus calme que le reste de l’école, elle débordait de connaissances que tu n’avais pas chez toi, sur des domaines qui n’intéressaient pas ta mère. Puis avec la rentrée, le début des cours et la rencontre avec les autres élèves, tu te rendis rapidement compte que tu n’étais pas aussi exceptionnelle que tu pensais l’être. Certes, il y avait toujours des matières où tu avais une longueur d’avance mais… Certains des autres élèves étaient très bons, aussi bons que toi. Bon, il y avait des gens bêtes aussi, mais à ceux-là, tu n’accordais même pas un regard. Tu n’en avais pas le temps de toute façon, vu qu’il fallait que tu travailles pour prendre ou conserver des longueurs d’avance sur les autres graines de génie.

Ta scolarité fut une ligne droite, une fois que tu fus habituée à l’école, aucun pépin ne se mit au travers de ton chemin. Tu avais peu d’amis, les élèves de ta maison étaient bruyants, mais ça ne t’empêchait pas de faire de ton mieux pour être une élève excellente. Tu aurais pu être la meilleure de ta promotion, si dans ton année la concurrence n’était pas terriblement rude, mais tu touchais la perfection du bout des doigts. C’était ton but à atteindre. Les BUSES furent une promenade de santé pour toi, tu avais eu des notes excellentes même si le stress d’avant l’examen avait failli te provoquer un malaise. Et maintenant, en septembre, tu allais attaquer ta septième année, une année décisive pour le reste de ton existence. Tu allais passer tes ASPICS et devoir choisir un cursus, tu n’avais pas le droit à l’erreur. Tu ne sais pas si c’était une coïncidence ou un coup calculé de la part de ta mère, mais c’est aussi pour cette rentrée cruciale que Hye-Jin postula à Ilukaan pour devenir professeur de potions. Elle t’avait confié vouloir enseigner, une fois que son entreprise tournerait bien, parce que la recherche et la transmission de savoir étaient quand même ses premières passions. Mais tu ne t’attendais pas à ce que ça soit cette année, dans l’école où tu faisais tes études. Tu ne savais pas si cette nouvelle devait te réjouir ou t’affoler. Tu étais heureuse d’avoir ta mère à l’école, de pouvoir être aussi proche d’elle qu’avant ton entrée à Ilukaan. Mais tu avais aussi peur de ne pas être à la hauteur, de la décevoir, qu’elle se rende compte que tu n’étais pas aussi excellente que tu devrais l’être. Tu avais peur qu’en rencontrant certains de tes camarades, elle les préfère à toi, il y avait plein d’élèves doués à Ilukaan, plein d’élèves qui avaient sûrement moins besoin de travailler que toi pour être bon. Tu allais devoir être encore meilleure cette année.

(c) Ilukaan