Province de Yunmeng, Lotus Pier, domaine ancestral de la famille Jiang

Le petit garçon, les mains sur les hanches et l’air fâché, fixe sa grande sœur, de deux ans son aînée. « Tu m’avais dit que tu allais me donner des lotus ! » Il s’exclame avec cette voix plaintive qu’ont les petits enfants quand ils boudent. « C’est pas juste ! J’en voulais moi ! » Il croise les bras et se laisse tomber assis sur le sol, mécontent. La petite fille face à lui reste très calme, assurée, en grignotant son lotus confit, et finit par lui tapoter la tête, les doigts pleins de sucre, avant de filer rejoindre leur mère qui discute avec d’autres femmes du clan, un peu plus loin.

Pourquoi il n’a pas le droit à autant de bonbons qu’elle d’abord ? C’est pas juste. Pourtant, il sait lire, et écrire, et compter, comme son papa le veut. Les récompenses ne viennent jamais de son père, plutôt de sa mère, et seulement après des réclamations ou des promesses de bien se comporter. C’est comme s’il ne faisait jamais assez, mais ça, ça commencera à vraiment lui peser au début de son adolescence, quand on commencera à attendre encore plus de lui. Pour le moment, il ressent juste la gêne des enfants dans une situation qu’ils ne maîtrisent pas et qui les rend perplexe, échappe à leur logique simple.

Pourtant, malgré ses jérémiades régulières, il reste un enfant très calme, au caractère tranchant mais capable d’écouter et de se calmer, tant qu’on lui explique les choses. Il déteste ne pas comprendre et se révèle très studieux dans ses cours particuliers et l’apprentissage des règles. Bien sûr, il n’échappe pas aux bêtises faites avec sa sœur, mais rien de bien fou ou de particulièrement… excentrique. Les choses simples d’enfants comme l’encre sur les murs ou le chien jeté dans l’eau d’un petit coup de pied. Pourtant, je précise, il adore ses trois chiens qu’il respectivement nommés : Jasmine, Princesse et Amour. Oui. Personne ne fait de commentaires. Ça reste le fils héritier du Chef de Secte… Mais tout le monde a tiqué quand il a annoncé son choix de nom. De l’avis de beaucoup c’est symptomatique de deux choses, possiblement : un petit coeur tout mou sous une carapace en court de construction, ou un sérieux souci en terme de goût pour les noms. Nul ne saura jamais.

D’autant que ces chiens qu’il adore – au point de leur ouvrir sa chambre la nuit pour dormir avec malgré les interdictions parentales – durent s’en aller un jour de l’année de ses sept ans. Son père revient en effet un jour de ce que le garçon pensait être une inspection avec un autre enfant, de son âge. Froncement de sourcils et analyse de l’autre. Il semble en mauvais état. Mais la chose qui choque le plus l’enfant, c’est la main bienveillante de son père sur son épaule et même l’esquisse de sourire qu’il offre au petit brun à côté de lui, qui leur est présenté comme Ying, fils d’un de ses amis décédés quelques années auparavant. C’est bon, le jeune Cheng est jaloux. Il boude, et ne se montre pas très accueillant envers le nouveau qui vient prendre une place qu’il a l’impression de ne pas réussir à occuper depuis toujours.

Pour en revenir à ses chiens, ses meilleurs amis d’avant, il se trouve que Cheng, apprenant que la présence de Ying allait en plus lui retirer ses compagnons poilus, est allé argumenter avec son père. Sans succès… tandis que les dit animaux coursaient l’autre enfant jusqu’à un arbre. Cheng, sans vraiment comprendre cette peur qui lui paraît absurde, comprend qu’il ne pourra pas faire changer d’avis à Fengmian, son père. Il sort donc de là en colère, du haut de sa petite taille… pour trouver un endroit vide de chien, de sa sœur et de Ying. Enfant frustré et dégoûté de se faire arracher ses animaux ou pas, il est aussi responsable et se met à chercher les autres. Il finit par trouver le garçon sur le dos de sa sœur à lui… Hum. Et des chiens arrêtés autour d’un arbre, l’air penaud de ceux qui se sont fait réprimandé. Il comprend, ce gamin intelligent, ce qu’il s’est passé. Après ça il ne râlera plus jamais sur son père pour la disparition de ses amis canins, et se jura de protéger Ying de tout représentant de cette espèce.

Cela pose les bases de leur relation. Même si le garçon ne peut pas effacer la claire différence de comportement qu’a son père vis à vis de l’un et l’autre… et de sa mère aussi par écho. Ça le met mal à l’aise mais l’amitié qui se forge petit à petit entre eux compense. Ils forment un sacré trio avec Shijie, sa sœur. Sous l’impulsion un peu chaotique de Ying, il s’est d’ailleurs découvert un goût pour l’aventure et les escapades non autorisées. L’esprit libre de son compagnon lui apporte un bol d’air frais dont il n’avait pas réalisé avoir besoin auparavant.

Leur lien se renforce au fil des mois, des années qu’il passent ensemble, à se suivre partout, quasiment collés à chaque heure du jour, parfois de la nuit quand ils finissent par s’endormir ensemble dans la chambre de l’un ou de l’autre en pleine étude ou à parler jusqu’à plus d’heures. Ils suivent en parallèle beaucoup de cours et d’apprentissages liés à la cultivation de la secte, afin de former Cheng en tant que futur héritier, et Ying en tant qu’aide ou bras droit, ce qu’ils se sont d’ailleurs promis.

Choisir Ilukaan, pour éviter Mahoutokoro et avoir une option de cursus plus spécialisée a été assez simple. D’autant qu’il ne part pas seul, que sa sœur y est déjà, et que ses parents s’assurent qu’ils aient des bases correctes en anglais avant de les y envoyer. Il appréhende un peu d’aller si loin de chez lui, et en même temps sortir du cadre dans lequel il a toujours grandi, entouré de cultivateur, d’épées, de rigidité… ça l’enthousiasme un peu. Il se considère chanceux d’avoir été réparti dans la même maison que Ying, ce qu’il a pris comme une preuve supplémentaire de leur complémentarité et cohésion amicale et fraternelle. D’autant que la maison est confortable est les autres élèves sympathiques. S’y intégrer demande un peu plus d’efforts à Cheng qu’à son compagnon, mais il finit par s’y créer des amitiés et des connaissances.

Suivre les cours n’est pas un grand défi pour lui. De nature studieuse, le nouveau rythme scolaire qu’il découvre sur les terres canadiennes ne le perturbent pas et il s’adapte très vite. Il s’efforce de rester sérieux, mais ça n’est pas quelque chose de simple quand on est proche d’un chaos sur pieds comme son frère. Heureusement, il le connaît et admet lui-même trouver amusant la plupart de ses bêtises.

L’été de leur quinze ans se révèle être celui où ils sont envoyé au Gusu Lan Clan, autre secte de cultivation liée à celle de son père, qui sert de sorte de camp d’étude. Il s’y montre plus rigide qu’à Ilukaan, par peur de décevoir son père plus directement. Il y sent bien plus la pression liée à son statut, tandis qu’il regarde avec désarroi les chahuts de son ami. Il espère que ça n’aura pas d’impact négatif sur leur clan, mais les membres du Gusu Lan semblent plus agacés et confus que vraiment en colère au point de faire un rapport destructeur auprès de Fengmian. Ce qui rassure Cheng – qui aurait pourtant été prêt à couvrir son ami.

Après les ASPICs, alors qu’il a toujours été clair pour lui que Ying le suivrait dans le cursus qui leur a été désigné – c’est à dire « Auror et défense magique » -  il se révèle que son ami avait décidé de bifurquer. Cela mène à de grandes discussions, Cheng ne comprenant pas cette défection qu’il vit sur le moment comme une trahison. Il en voulu quelques semaines à son frère… mais finit par comprendre et lui pardonner, le temps d’intégrer la nouvelle et ses conséquences pour leur avenir mutuel. Et protéger Ying de l’ire des conservateurs qui n’apprécient pas ses choix, aussi.

(c) Ilukaan