Lorsqu'elle est née, il neigeait. Très vite, elle fut enveloppée dans une couverture brodée et on la déposa dans les bras de sa mère. Cerydwen devint vite le centre du monde de Lilwenn. La réciproque ne fut pas vraie. Elle ne vécut cependant pas seule, ni vraiment malheureuse. Elle était même plutôt choyée par les femmes du couvent de sorcières dans lequel elle se retrouva dès ses premiers jours.
Cet établissement avait vu le jour bien des siècles auparavant, lorsque les exécutions commencèrent à être un peu trop nombreuses au goût de certaines sorcières. Tout un groupe de femmes s'étaient réunies dans un coin de Rhyl, au nord du Pays de Galles, et les protections et barrières magiques qui encerclèrent l'endroit en firent l'un des premiers lieux exclusivement sorciers. Rapidement, autour du couvent se forma un petit village, qui s'agrandissait d'années en années, accueillant des sorciers et d'autres créatures magiques venues de tout horizon. Ce village garda l'ancien nom de la ville qu'il quittaient alors : Ryhull.

La lignée dont venait Lilwenn était bien évidemment celle de la première Grande Sorcière. Le rôle se transmettait de mère en fille, et dès ses trois ans, Lilwenn commença à apprendre les prières et les chansons rituelles. Dès qu'elle sut lire, elle commença à déchiffrer tous les livres qui lui passaient sous la main. Ses « nounous » lui trouvèrent de nouveaux livres plus adaptés à son âge, très rapidement : les contes de fées, puis les romans de chevalerie.
En parallèle de ses études occultes, elle étudia certains arts : la musique, la danse, le dessin. Si elle se révéla désastreuse en ce qui concernait la musique et le dessin, la danse fut comme une évidence. Elle testa plusieurs genre, avant de finalement trouver celui qui lui convenait le mieux : la danse classique. Elle passait des journées entières à regarder des ballets et à danser, à rêver des histoires qui se déroulaient devant ses yeux, s'imaginant à la place des ballerines.

Plus le temps avançait, et plus elle apprenait à se comporter comme la descendante de la Grande Sorcière, celle qui était destinée à reprendre la place un jour : les bonnes manières, les formules rituelles, les mythes et anciennes histoires dont les morales étaient toujours des préceptes à retenir. Mais plus le temps avançait, et plus Lilwenn se rendait compte que ce rôle qu'on lui donnait d'avance ne lui inspirait pas vraiment d'envie… A huit ans, elle avait déjà décidé qu'elle choisirait son destin – mais plus tard, quand elle serait grande et qu'elle aurait le pouvoir de décider pour elle-même sans craindre qu'on ne l'empêche de poursuivre ses rêves. Vivre toute sa vie avec des femmes, ne jamais connaître l'Amour comme dans ses romans et ses contes de fées, ne jamais rencontrer le Prince de sa vie, ne lui paraissaient pas être un sort enviable. Elle savait que bien d'autres auraient aimé être à sa place, et elle leur aurait volontiers donné cette position et les responsabilités qui venaient avec si l'ombre de sa mère ne planait pas au-dessus d'elle.

Lilwenn redoutait ce fantôme dont elle cherchait pourtant toujours la présence. Elle aurait aimé voir plus souvent sa mère, apprendre avec elle, et lorsqu'elle jouait avec les autres enfants du village, elle avait la nette impression qu'ils passaient plus de temps avec leurs parents qu'elle n'en passait avec sa mère. Mais Cerydwen était toujours occupée – régler les affaires du Couvent, préparer les festivités des jours importants, le temps était une ressource dont elle ne disposait pas vraiment. Mais elle ne cherchait pas de moyens de se rapprocher de sa fille non plus. Bien sûr, elle lui faisait souvent porter de nouvelles robes, des peluches, des boîtes à musique parfois. Mais ce n'était pas ce dont Lilwenn avait besoin.

Et un jour, un jour bien proche de celui de ses onze ans, il fut temps pour elle de voler de ses propres ailes – du moins, commencer à réfléchir à cette prise d'indépendance, en décidant quelle école de magie l'accueillerait. Ses pouvoirs, Lilwenn les avait révélé très tôt, alors qu'elle avait à peine cinq ans. Petite mais déjà capricieuse, on avait voulu l'habiller avec une robe dont elle n'aimait pas la couleur ; après avoir crié, pleuré, puis boudé de longues secondes, elle constata que le bleu de la robe avait laissé place à du rose et du vert, ses couleurs favorites. D'autres phénomènes autour d'elle ne laissaient guère de doute sur sa nature de sorcière.
On envisagea de l'envoyer à Poudlard, ce qui était bien le plus simple, mais aussi à Beauxbâtons, pour une raison qui lui échappait – peut-être une éducation qui semblait plus raffinée. Mais ce fut Lilwenn qui eut le dernier mot, lorsqu'elle choisit Ilukaan. Elle ne souhaitait pas vraiment s'éloigner, mais avait la sensation que partir à l'étranger lui permettrait de réfléchir davantage à elle-même. Quant au fait que l'école soit internationale, cela lui permettrait d'apprendre des autres cultures, et peut-être trouver de nouvelles choses à instaurer lorsqu'elle serait à la tête du Couvent.

Cependant, ses premières années à Ilukaan furent l'occasion de se rendre compte qu'elle avait des envies bien différentes du chemin que l'on traçait pour elle – pourquoi reprendre le Couvent quand elle voulait devenir danseuse ? Toujours est-il qu'elle reste une élève attentive : à son âge, les envies changent, après tout.

(c) Ilukaan