Rendez-vous du 15 Janvier 2024.
Trois mois après l’événement.
Patient : Alizée Moreau. Fille de la victime.- Mademoiselle Moreau. Comme vous le savez déjà, mon nom est Éléonore Deschamps. Je suis psychologue, vous vous souvenez ?
- Oui. J’aurais pas pu oublier, de toutes façons. Vu comment on me l’a rappelé.
- Je vois. Bien. Vous savez pourquoi vous êtes ici ?
- Parce que j’ai pas le choix ? Vous vouliez que je vous raconte ce qui s’est passé.
- C’est ça, oui. Votre mère pensait que ça vous aiderait.
- J’en suis pas sûre.
- Il vaut mieux en profiter maintenant que vous êtes là, n’est-ce pas ? Mais vous n’êtes pas obligée de commencer directement par ça. Vous pouvez tout me raconter, si vous le voulez.
- Tout ? Vraiment ?
- Absolument tout ce que vous voulez.
- Eh bah. Vous devez vous faire chier, pour vouloir qu’on vous raconte toute notre vie.
- C’est mon métier. Les séances durent habituellement une heure, mais je prendrai le temps qu’il faut pour vous. Ce que vous avez vécu est un cas particulier, après tout.
- Bah. Comme vous voudrez.
On l’entend soupirer. Par contre, vous êtes obligée d’enregistrer ?
- Oui, malheureusement.
Soupir. Je n’ai pas le choix. On pense que votre témoignage pourrait aider.
- Évidemment. Bon, ben j’ai qu’à commencer, j’imagine ?
———
Du coup, si je peux tout vous raconter… Je pense que c’est pas mal de vous raconter l’histoire de mon père avant. Il s’appelait… Alexandre Moreau. Enfin, c’était le nom qu’il avait aujourd’hui, après avoir épousé ma mère. Son nom de naissance, c’était Langlois. Alexandre Langlois, ouais. Il vient d’une famille de Sorciers Sang-Purs, qui sont en France depuis un sacré bout de temps, en fait. Tous des hommes politiques, et certains ont même fait partie du Ministère de la Magie Française, vous captez ? C’est dingue, quand même ! Ça veut dire que j’ai du sang de gens puissants, il paraît. Elle ricane. Mais bon. En vrai, je les connais pas trop. Mon père leur parlait plus depuis longtemps.
Je crois que c’est à cause d’un truc qui s’est passé quand il était à Beauxbâtons. Il faisait partie de l’équipe de Quidditch là-bas, et de ce que j’ai compris, ses parents kiffaient pas trop. Ils voulaient qu’il soit, ben, un homme politique, comme eux avant. Je sais pas trop pourquoi – mon père a jamais vraiment voulu me dire, et ma mère non plus – ils ont juste fini par couper les ponts. J’aurais bien voulu vous en raconter plus sur mon père, mais il a jamais rien voulu me dire de plus. Je crois que c’est un des seuls sujets dont il parlait pas trop… Mais, genre, ça me dérange pas. C’est pas comme si c’était important, de toutes façons.
- Vous dites que votre père n’était pas proche de sa famille ?Ouais. C’est un problème ? On s’entend pas tous avec sa famille !
- Non, ça ne pose aucun souci. Je me demandais juste si vous en saviez plus.Ben, je vous ai dit que non. Enfin bref. Je sais qu’il a eu un accident à ce moment-là, et que c’était sûrement lié à sa famille. Ça l’a rendu handicapé, et il pouvait plus marcher sans canne. Au début, même, il devait utiliser un fauteuil roulant, mais avec de la rééducation, il a pu marcher à nouveau. Mais bon… Qu’il puisse marcher ou non, c’était fini pour le sport. Donc plus de Quidditch pour lui. Il a dû abandonner ses rêves, à cause d’un bête accident ! C’était vraiment pas cool pour lui.
Après avoir fini Beauxbâtons, et du coup se retrouver un peu seul dans le monde, il a rencontré ma mère. C’était une moldue, vous savez. Elle s’appelait Aurélie Moreau. Il en est tombé fou amoureux, et je crois qu’il aurait été prêt à jeter par la fenêtre toute la magie du monde pour elle. Ils m’ont raconté tellement de fois comment ils se sont rencontrés, c’était adorable ! À ce moment-là, elle était encore en études supp, et ils se sont rencontrés dans un bar. Ça a été le coup de foudre direct. Ils sont rentrés ensemble le soir même, si vous voyez ce que je veux dire ! Bref, adorable.
- …Oui, adorable, donc…Ils sont restés ensemble plusieurs années avant de se marier. Ils avaient tous les deux 23 ans quand ils se sont rencontrés, et ils en avaient 28 quand ils se sont mariés. Et moi, je suis née à peu près à ce moment. En 2003, donc. Y a 20 ans, maintenant, ouais.
Ils ont emménagé dans une grande maison dans la campagne, qu’ils avaient pu se payer grâce à leurs boulots. Ah, ouais, mon père a pu devenir comptable, et elle, elle bossait aux impôts. Donc ça va, on réussissait pas mal à vivre. Pardon, je m’embrouille, non ?
- Non, non, allez-y.Je reprends un peu quand même. Donc en gros, avant que je naisse, ils ont réussi à rassembler assez d’argent pour acheter une maison dans la campagne, avec un assez grand terrain. Un truc franchement cool, où j’ai eu pas mal de place pour grandir, et où, avec mon père, on pouvait faire plein de trucs. Faut savoir que c’est grâce à lui que je suis fan de sport, aujourd’hui ! C’est lui qui m’a transmis sa passion. Il m’a montré plein de trucs, même quand j’étais plus jeune. Et ma mère, elle était toujours là, elle me chérissait de ouf aussi. En gros, j’ai pas eu une enfance à plaindre, vraiment.
La seule chose qui m’était interdite, en fait, c’était d’aller dans l’étude de mon père. Il avait, genre, un petit cabanon un peu éloigné, fermé par une serrure et il était le seul à avoir la clé. J’ai jamais eu le droit d’aller là-bas, et j’ai aucune idée de ce qu’il y a derrière, encore aujourd’hui. Et… Je crois bien que je saurai jamais.
D’ailleurs, mon père a toujours su que j’étais une Sorcière. Parce que, ben, lui aussi en était un. Donc même quand j’étais petite, il essayait de me montrer deux ou trois trucs. J’ai jamais réussi à faire grand-chose, parce que j’étais nulle. Je le suis toujours, en fait. Genre, vraiment nulle. Je m’en sors bien mieux avec mes mains qu’avec la magie, hein ! Heureusement que j’ai pas eu des soucis physiques avec tout ça, hein.
- Très bien. Continuez.Vous notez absolument tout ce que je raconte ?
- Non, vous êtes enregistrée. Je prends simplement des notes pour moi-même, si nous devions êtes amenées à nous revoir.Ah, ben, ouais. J’avais pas pensé à ça. Bon, du coup… J’ai grandi avec ma mère et mon père, et j’étais fille unique. Quand j’ai eu onze ans, il a été question de m’envoyer dans une école magique, parce que forcément, il fallait que j’aie une éducation normale, comme les autres sorciers. Au début, ça paraissait logique que je sois envoyée à Beauxbâtons, mais mon père a refusé. Il disait que c’était parce que, là-bas, y avait que des « bobos droitards ».
- J’ai fait l’école à Beauxbâtons…Oups. Bah… C’était ce qu’il disait ! Pas la vérité. J’en sais rien, en fait. Mais je pense que c’était par rapport à sa famille là-bas ! Mais du coup, il a voulu m’envoyer dans une autre école. Par chance, Ilukaan avait été ouverte à l’international, alors c’est là-bas que j’ai fait ma scolarité ! J’ai été envoyée au Canada, où je vis depuis pas mal de temps maintenant. J’ai rejoint la Maison des Strixyst, et je me suis fait pas mal d’amis là-bas. Évidemment, dès que j’ai pu, j’ai rejoint l’équipe de Quidditch de ma maison. J’ai réussi à devenir capitaine, au bout d’un moment. Mais…
- Mais ?Ben j’ai déjà manqué presque un mois de cours. Je suis pas sûr d’encore avoir la place à mon retour…
- Il faudra simplement faire en sorte de la récupérer. Vous l’avez déjà eue, après tout. Rien ne vous empêche de la récupérer.Ouais… Je suppose. Je sais pas si j’y arriverai, cette fois. Vous savez… Avec mon problème, en fait.
- Vous savez, votre condition ne vous empêche pas de vivre.Vous dites ça parce que c’est pas vous qui êtes devenue un monstre.
Sa voix s’est crispée, et elle se fait plus sèche. Elle finit par soupirer.Bref. J’ai eu une vie normale de collégienne et lycéenne quasi normale. Après tout, on est des sorciers, on est pas aussi normaux qu’on voudrait l’être. J’ai réussi toutes mes années, un peu par miracle (faut croire que j’ai réussi à m’améliorer avec la magie, avec le temps) et j’ai fini par, évidemment, rejoindre le cursus de Jeux et Sports Magiques. Pour devenir joueuse de Quidditch professionnelle.
- Je suis sûre que vous serez une très grande joueuse.Ouais, si vous le dites. Et du coup, là, y a quelques mois, je suis devenue Capitaine d’équipe. Poste que j’ai sûrement perdu maintenant, mais je le suis devenue. Et, aussi, mon anniversaire approchait. Alors forcément, mon père a voulu que je rentre pour fêter ça, ce qui était logique. Ce qui mène à… Ce dont vous êtes déjà au courant.
- Oui. Cette fameuse nuit.Croyez-moi, elle était pas fameuse. Elle a rien eu de génial, rien de fameux. C’était juste de la merde, et j’aimerais bien l’oublier.
- Je vous comprends.Non. Vous pouvez pas comprendre.
- Mademoiselle. Je vous en prie.Elle rage, mais finit par hocher la tête. Ouais, comme vous voulez. Donc c’était y a exactement une semaine. Ce soir-là, on avait un peu tous bu. On était que tous les trois, mais on s’amusait, on riait bien. On se racontait des conneries, je leur disais ce que j’avais fait en cours… Ce qui s’était passé pendant mon été…
Sa voix est de plus en plus tremblante. Ce qui s’est passé, quoi. Ce que j’ai fait avant de venir. On a parlé, on a ri, on a bu. On a fait des jeux de société. C’était une soirée normale, en fait. Une soirée géniale…
Mais c’était la Pleine Lune.
- La Pleine Lune ?Ouais. Mon anniversaire est tombé le soir de la pleine lune. Ce qui était un détail dont je me foutais… Jusqu’à maintenant. Et dont je me foutrai probablement plus jamais.
- Alizée…N’allez pas avoir pitié de moi. Vraiment. Je continue.
Après cette soirée, on est tous allés se coucher. Mon père a tenu pour pas qu’on se couche tard, ce qui était un peu bizarre. Mais bon, pourquoi pas, hein ! Il avait prévu un truc le lendemain soi-disant, un truc qu’on ferait ensemble. Aujourd’hui, je saurai jamais ce qu’il voulait faire… Enfin, je vais pas trop me lamenter non plus.
Je suis allée me coucher, et j’ai pas eu de mal à m’endormir. J’ai pas rêvé, cette nuit-là, si vous voulez tout savoir. C’était un sommeil calme, et un peu lourd. Mais qui a duré pas très longtemps. Il faisait encore un peu chaud, alors j’avais laissé la fenêtre grande ouverte dans ma chambre, à l’étage de la maison. Je dormais, dans mon lit, profondément. Jusqu’à ce que…
- Jusqu’à ce que ?Laissez-moi parler. Arrêtez de m’interrompre.
Je reprends.
Jusqu’à ce que j’entende un gros bruit dehors. Un genre de coup de feu, qui m’a réveillée en sursaut. Normalement, ça me réveille pas – on vivait dans la campagne, vous savez. Alors on était un peu habitués à en entendre, surtout avec la chasse. Mais cette fois, il était vraiment proche. Comme si on avait tiré sur un truc pas trop loin. Et là, c’est le pire qui est venu.
Un hurlement. Pas un hurlement humain. Un hurlement de loup. Je l’ai entendu comme s’il était juste à côté de moi, dans ma chambre. C’était terrifiant, vraiment. Au début, je suis restée planquée dans mon lit. J’ai regardé la fenêtre, flippée comme jamais. Puis j’ai entendu un autre coup de feu. Je me suis alors levée, et j’ai été voir. J’ai regardé par la fenêtre. Et je l’ai vu.
Il est entré dans notre terrain en furie, sur ses quatre pattes. Je le voyais pas très bien, de là où j’étais, mais je savais ce que c’était. C’était un Loup-Garou.
Et il me terrifiait.
J’ai entendu ma mère crier. Elle appelait mon père, par la fenêtre. Et j’ai vu le monstre s’approcher petit à petit de la maison. J’ai pas réfléchi, j’ai couru.
J’ai descendu les escaliers en trombe, et je suis sortie dehors, pour voir ma mère juste en face de lui. Il la regardait avec un air malsain, comme s’il était prêt à lui sauter dessus. J’ai pas tout à fait compris, mais elle lui disait quelque chose.
- Que lui disait-elle ?J’en sais rien. J’ai pas compris. Mais il était là, devant elle. Il faisait plus du double de sa taille, et il était prêt à lui sauter dessus.
- Qu’avez-vous fait ?J’ai pas réfléchi. J’ai crié, attrapé une batte de baseball qui traînait par terre, et j’ai couru pour lui mettre un coup. Autrement dit, j’ai fait une connerie.
Je l’ai frappé, ouais. Mais il m’a regardée avec un air si violent juste après, c’était terrifiant. Mais il a fini par se barrer, et il a laissé derrière lui une odeur que j’aimais pas. Une odeur de sang. Je me suis retourné vers ma mère, et je lui ai demandé ce qu’elle foutait dehors.
- Et que faisait-elle ?Elle cherchait mon père.
- Comment ça, elle cherchait votre père ?Bah… Je sais pas, en fait. Apparemment, il était sorti pendant la nuit. J’ai pas tout compris, mais elle m’a dit d’aller voir dans son étude, qui était à l’autre bout du terrain. Et évidemment…
- Vous l’avez fait.Ben ouais. Je lui ai dit d’aller se planquer et que j’allais aller voir là-bas pour elle. Alors j’y suis allée, armée de ma fidèle batte de baseball, au cas où.
Croyez-moi, c’était hyper flippant. Il faisait nuit noire, la seule lumière c’était la lune. J’entendais des bruits partout autour de moi, et je savais, je savais très bien que le monstre était autour de moi et attendait qu’un moment pour me sauter dessus. Au bout d’un petit moment (parce que je marchais lentement, hein) j’ai commencé à voir l’étude. C’était flippant. Vraiment flippant.
Je l’ai entendu hurler. Il était juste à côté, il m’a fait sursauter. J’ai entendu du bruit autour de moi, dans les buissons. Des grognements, ce genre de conneries. Et d’un coup, je me suis retrouvée au sol.
Il m’a sauté dessus. Littéralement. On a roulé par terre et il a fini par se retrouver au dessus de moi, et moi, j’étais plaquée par terre. Il m’a regardé, droit dans les yeux. Il bavait. J’ai des gouttes qui me sont tombées dessus. J’ai jamais, jamais été aussi flippée de ma vie.
Quand il était là, au dessus de moi, j’ai vu ma vie défiler sous mes yeux. Vraiment. J’arrivais pas à me lever, et même si j’avais pu me débattre, j’aurais pas réussi à me libérer. Je le savais. Enfin, de toutes façons, j’arrivais pas à bouger. On entend sa voix trembler.
- Vous n’êtes pas obligée de tout décrire, vous savez.Si. C’est mieux.
J’étais allongée par terre, et il était au dessus de moi. Il grognait. Et au bout d’un moment un truc a changé. Je sais pas trop quoi, mais j’ai pu reprendre l’avantage. J’ai aucune idée de pourquoi, j’ai senti qu’il a lâché prise. J’en ai profité pour me sortir de là, mais il…
- Il… ?Il s’est agrippé à moi. Avec ce qu’il a pu, en fait. Il m’a mordue. C’est là que ça s’est passé.
- À cet instant que vous avez été transformée…Ouais. Là que j’ai été mordue, et que j’ai changé. Au début, ça m’a fait hyper mal. Normal, vous direz. Ses crocs se sont plantés dans mon mollet. Mais je sais pas trop comment, sûrement l’adrénaline, j’ai réussi à me relever. Il m’a relâchée direct après m’avoir mordue, en fait. Et il est rentré, en courant…
- Dans l’étude de votre père.Ouais. C’est ça. Et je l’ai suivi ! Je voulais pas qu’il fasse de mal à papa. Mais… C’était trop tard. Quand je suis rentré, y avait du sang partout. Ça puait le sang, et il était allongé, là, par terre. J’ai essayé de le réveiller.
Sa voix tremble un peu plus. J’ai vraiment essayé ! Mais… Mais il voulait pas… Il voulait pas se réveiller…
- Alizée…Désolée. Je… Je vais me ressaisir.
Elle renifle. Il était là, allongé par terre. Il se réveillait pas, il bougeait pas. Sa canne était cassée, et y avait du sang partout sur lui. Je comprenais rien. J’avais juste pas envie que ça soit la vérité. J’entendais plus le loup, en tous cas. Il était parti, je crois.
- Parti ?La fenêtre était cassée. C’est par là qu’il a dû sortir avant que je rentre, j’pense. J’en sais rien, j’étais trop focalisée sur mon père, comme je vous ai dit. C’était… Vraiment flippant.
- Je vois… Et comment vous vous sentez, aujourd’hui ?Honnêtement, misérable. Ça fait des mois que ma mère pleure tous les jours, et que moi aussi. Elle veut même plus me parler. Je m’enferme dans ma chambre tous les jours… Toute la journée. Je sais que mes potes me veulent que du bien, mais je leur réponds même plus. J’ai juste pas envie de parler, de voir des gens. J’ai juste envie de…
- De ? De quoi avez-vous envie ?De mourir, des fois. Ouais. J’y ai pensé, plusieurs fois. De crever. Parce que je savais que j’allais devenir un monstre, le même qui avait tué mon père. Et en fait… Je me suis déjà transformée. Plusieurs fois, depuis ça. Ouais, y a eu plusieurs pleine lune, depuis.
- Et là ? Comment vous sentez-vous ? La prochaine arrive bientôt, après tout.Ouais, dans… Dix jours, je crois ? J’y fais super gaffe, maintenant. Avec ma mère, on a réussi à contacter des vendeurs de potions, pour qu’ils me fassent une potion Tue Loup. J’ai commencé à la boire, mais… Je sens, au fond de moi, que je déteste ça. Le goût est dégueulasse, et le boire… Bah ! Ça brûle. Et au fond de moi, le monstre hurle et me supplie de pas la boire.
- Il vous supplie ?C’est une façon de parler. Je dis juste que… Je sens qu’il aime pas ça. Et j’aime pas ça non plus. Mais c’est mieux… La première fois que je me suis transformée, j’ai réussi à plus ou moins garder le contrôle. Je suis partie loin de la maison, au cas où, et j’ai passé la nuit dehors. Les autres fois, j’ai fait pareil. C’était… Incroyablement douloureux. J’ai senti mon corps changer, ma peau brûler. Mon visage a changé de forme, ma gorge était serrée. C’était horrible, je voulais qu’une seule chose. Que ça s’arrête. J’ai hurlé à la lune, une fois transformée. Je me suis toujours pas vue, comme ça. Et je veux pas que ça change.
- Je vois…C’est pas vivable. C’est horrible, je déteste ça. Être un monstre…
- Mademoiselle Moreau…Nan, nan, vous en faites pas. Je vais finir par m’habituer. Elle soupire. Je crois que j’ai besoin de prendre l’air. Je peux sortir ?
- Oui, bien sûr. Merci beaucoup pour votre témoignage.———
Complément de témoignage.
Nom : Aurélie Moreau. Mère de la jeune fille, et épouse de la victime.
- Madame Moreau ? Que faites-vous là ?
- Je suis venue vous raconter la vérité.
- La vérité ?
- Il est des choses qu’Alizée ignore. Qu’elle n’a pu vous raconter, et qu’il faut que vous sachiez afin de pouvoir au mieux traiter son dossier.
- Que voulez-vous dire par là ?
- Son père était le loup-garou qui l’a mordu.
- Pardon ?
- Vous m’avez bien entendu. Lorsqu’il était plus jeune, l’accident qui l’a blessé à vie l’a également changé, en loup-garou. Depuis cet âge-là, oui, il se transforme tous les soirs de pleine lune. Mais il prenait une potion Tue Loup. Il n’y avait aucune raison que…
- Je vois… Vous étiez au courant ?
- Bien sûr. Depuis le début. Il me l’a dit directement. Et il tenait à ce que notre fille l’ignore.
- Pourquoi donc ?
- Sa famille lui a tourné le dos pour ça. Quand il en a fondé une, vous croyez vraiment qu’il voulait qu’elle le sache ? Qu’elle risque de lui tourner le dos aussi ?
- Non, bien évidemment…
- Ce soir-là, lorsque je suis sortie, c’était pour le chercher, oui. Mais c’était parce que je savais qu’il s’était transformé, et que je ne comprenais pas pourquoi on l’entendait si près de la maison. Et puis surtout…
- Ces fameux coups de feu, c’est ça ?
- Oui. Quelqu’un lui a tiré dessus. C’est ce que je voulais voir. Mais je n’ai pas pu. Alizée est arrivée avant et… Elle l’a frappé. Si elle savait…
- Vous ne pouvez pas lui en vouloir ! Elle pensait vous sauver la vie.
- Non, je ne lui en veux pas. C’est juste… Elle ne doit pas le savoir.
- Avez-vous une idée de la provenance du coup de feu ? Qui aurait pu tirer sur votre mari ?
- Je l’ignore. Peut-être sa famille ? Peut-être quelqu’un d’autre ? Il y a des chasseurs de loup-garou partout, après tout. Vous savez, dans son étude, il écrivait des livres sous le pseudo « Hunter ». C’étaient des livres pour accuser les chasseurs de loup-garous et pour les acculer. C’étaient des livres de militant.
- Il militait pour les loups-garous ? Êtes-vous sérieuse ?
- C’est exact. Il écrivait des livres, mais militait sur les réseaux également. Il faisait tout pour qu’ils soient mieux vus, qu’ils ne soient pas détestés. Qu’ils soient considérés comme des sorciers à part entière. Mais… Il faut croire que ça s’est retourné contre lui.
- Ce serait donc une attaque liée à ça ?
- Probablement, qui sait. Aujourd’hui, il ne pourra plus nous le dire…
- Très bien, Madame Moreau. Merci de votre précision.
- Je vous en prie. Oh, et une dernière chose…
- Je vous écoute ?
- Il ne faut absolument pas qu’Alizée découvre la vérité. Elle ne doit pas perdre l’image qu’elle avait de son père. Elle ne doit pas savoir qu’il était un loup-garou.
- Très bien…