Si Penny devait lui demander des informations supplémentaires sur son passé, Armand pourrait répondre avec les bases. Il est né dans la capitale japonaise un 28 Février, avec un père et une mère tous deux sang-mêlés, aimant. Il a un grand frère et une grande sœur, des jumeaux plus vieux d’un an, et il est allé à Ilukaan à l’âge de ses onze ans pour commencer ses études magiques, où il a été placé dans la maison Strixyst, sûrement pour son appréciation de l’esthétique.

Si Penny lui demandait plus de détails encore, il réfléchirait un instant avant d’essayer de combler sa réponse, comme lorsque l’on souhaite une bonne note à un examen. Il dirait que son don de Mialect lui vient de sa mère, mais qu’il est le portrait craché de son père. Il dirait que ses pouvoirs se sont réveillés quelques semaines après le jour de ses sept ans, qu’il était en train de mettre la table quand il a fait tomber un couteau, et que celui-ci a lévité en plein air plutôt que de s’écraser au sol dans un grand bruit. Après ceci, et le temps que l’arrivée de ses pouvoirs se régule, la famille dut endurer quelques jours de coupure d’électricité chez eux, car Armand ne contrôlait encore rien. Il pourrait dire aussi qu’il était amusant d’avoir reçu une baguette en cœur d’oiseau tonnerre, vu ces petits incidents électriques.

Si les questions devenaient plus spécifiques, il se tournait parfois vers son frère ou sa sœur, silencieux, pour les laisser répondre. « Oh, vous êtes déjà allé en France ? C’était comment ? » Une tête tournée vers sa sœur. « Comment tu as réagi en arrivant à Ilukaan pour la première fois ? » Une tête tournée vers son frère.

Et à la question « Tu ne te souviens plus ? », il pouvait répondre avec des « selon Haruka » ou « selon maman », « selon papa », « selon Kasumi ».

Selon papa, il faisait beau ce jour-là et ils étaient partis en famille visiter une réserve de créatures magiques, une sorte d’immense ferme d’élevage qui acceptaient les visiteurs. Selon Kasumi, Haruka était en plein « âge con » et n’en était jamais réellement sorti : il avait seize ans et Armand en avait quinze. Selon Haruka, il y avait un enclos à hyppogriffe dans la réserve, et il voulait vraiment aller le voir malgré les interdictions des guides. Selon maman, la famille était trop occupée avec un enclos à veaudelune pour réaliser que deux des leurs étaient partis.

Haruka et Armand avaient réussi à disparaître dans la foule pour pouvoir accomplir leur infiltration dans l’enclos de l’hyppogriffe. On leur avait déjà appris durant les cours à apprivoiser la bête : tout irait bien, sûrement.

Armand ne se souvient même pas de l’attaque. Pour lui, c’est comme si sa vie avait commencé dans ce lit d’hôpital tout blanc, ces visages inconnus leur regardant avec inquiétude. Il était resté dans le coma le temps d’un peu moins d’une semaine, et n’arrivait plus à reconnaître quoi que ce soit. Sa famille, ses amis, même les noms des objets l’entourant. Il gardait quelques réflexes. Il prit une journée pour réapprendre à se servir d’un simple stylo. Une semaine pour comprendre qu’il n’était pas dans une maison, mais dans un hôpital, et comprendre ce qu’était un docteur. Il fallait répéter, encore, encore, jusqu’à ce que tout puisse rentrer différemment. Sa personnalité était totalement effacée, et bien qu’elle revenait petit à petit, on disait de lui encore aujourd’hui qu’il n’était pas tout à fait comme avant.

Il avait gagné pour réflexe de dire « d’accord » à tout, parce que c’était plus facile. « C’est quoi cet objet. » « C’est… Je sais plus. » « Ça, c’est une brosse. » « Ah, d’accord. » « On vous l’a déjà dit hier. » « D’accord. » Il le disait bien moins désormais, bien sûr, mais ce simple mot restait une solution de facilité selon lui. Un moyen de passer à autre chose quand tout est trop difficile, ou quand il se moque royalement d’une information… Ou tout simplement pour mettre fin à une conversation qui n’a plus lieu d’être.

Et à l’époque, tout était difficile. Se lever était difficile. Parler était difficile. Mettre des mots sur ses émotions était difficile. Même les ressentir était difficile. Il avait des sentiments envers certaines personnes qu’il n’arrivait pas à placer. Cette dame qui s’appelait « maman » avait une aura douce et il l’aimait, mais était bien incapable de comprendre pourquoi. Il adorait regarder les vêtements et leurs couleurs, leurs textiles, mais était incapable de se souvenir comment il était tombé amoureux de cette passion. C’était comme reprendre la vie de quelqu’un d’autres et ses envies, sans jamais en connaître la source. Alors on lui expliquait tout, et c’était comme entendre des histoires sans être capable de les visualiser.

Au cours des années bien sûr, des flashs, par-ci par-là, lui étaient revenus. Il se souvient de certains souvenirs avec clarté, tandis que d’autres sont toujours coincés au tréfonds de son cerveau abîmé. Il se remémore ce petit déjeuné qu’il avait dégusté à ses dix ans, ce qu’il a mangé précisément, et la conversation à table, un jeudi matin tout à fait banal. Il est incapable de se rappeler de l’anniversaire de ses quinze ans, de qui était invité et des cadeaux qu’il avait reçu. Il n’y a pas de raison précise à pourquoi certaines choses lui reviennent et d’autres non. Il n’y a aucune méthode pour les faire ressortir plus vite non plus. Pas de grandes révélations non plus, lors de maux de crâne impressionnants et dramatique : juste un vague souvenir lui remontant alors qu’il écrit une leçon sur son cahier, et qui repart aussi vite qu’il est venu.

Depuis, Armand a cette crainte de tout reperdre. Il s’attache beaucoup à chacun de ses proches, et collectionne les souvenirs de chacun de ses voyages. Il doit régulièrement dépenser de l’argent pour des extensions de cloud, afin d’y stocker les nombreuses photos qu’il prend, de lui et de ses camarades ou bien de sa famille. Il n’y a pas que la peur qui l’habite, bien sûr. Il est aussi très heureux de pouvoir reformer sa propre vie désormais, et est poussé par la même caractéristique qu’il avait depuis tout jeune : son ambition et son assurance. Car Armand est quelqu’un qui ne manque pas de confiance en lui, et qui compte bien marquer cette école et le monde sorcier.

(c) Ilukaan