La famille dont Ernest provient, la famille Albrecht, était à une époque connue en Allemagne comme étant le berceau de plusieurs innovateurs du monde magique. Dans leur lignée se trouvaient de grands sorciers, de grands politiques et quelques businessman riches. Pourtant, énormément de corruption et des désormais anciennes rumeurs de magie noire leur ont coûté leur statut de sang-pur : les autres familles aristocratiques du monde magique ont commencé à être récalcitrantes à s’associer à eux. Bien que son père vient d’une famille à l’importance historique et au statut socio-économique élevé, l’identité d’Ernest a tout autant été forgée par sa descendance maternelle. En effet, sa génitrice, demi-vampire, a passé à ses enfants ces gènes hors du commun. Cette dernière est née d’une famille sang-mêlée, les Blythe. Leur arbre généalogique n’a rien d’extraordinaire mis à part le fait qu’un vampire s’y soit immiscé - tout cela à cause d’une aventure d’une nuit que la mère d’Helena a eu dans sa jeunesse. Médecin, elle a tout de même un certain prestige - qui est entièrement sien et non pas hérité.
À l’époque, la famille Albrecht n’accueillit pas le mariage entre Helena et Benedict avec le sourire, mais ils fermèrent les yeux. Bien que leurs mœurs n’aient pas vraiment évolué, leur statut dégringolait continuellement depuis des décennies. La rigueur à laquelle les membres de la famille étaient tenus diminuait aussi, même si leur jugement envers tout ce qui n’était pas traditionnel restait acéré.
Le couple s’installa dans la partie magique de Londres, au cœur de son quartier le plus huppé. C’est dans cette ville qu’ils s’étaient rencontrés, lorsque le sorcier s’était fracturé la jambe lors d’un voyage et qu’Helena, qui était dans le coin, lui a prodigué des premiers soins et accompagné jusqu’à l’hôpital le plus près. Elle ne voulait pas changer de pays, et Benedict ne voulait pas que ses enfants grandissent dans un manoir froid entouré d’une famille que lui-même trouvait encore plus froide ; voilà pourquoi ils élurent domicile ici.
Trois enfants naquirent de leur union. La première fut nommée Othelia. Quatre ans après, ce fut Ernest qui vint au monde, le deuxième. Cinq ans plus tard, Helena donna naissance à son troisième et dernier enfant, Athanasia. Ce fut deux ans après la naissance de la dernière que Benedict et Helena divorcèrent. Ernest et Athanasia restèrent avec leur mère en Angleterre, alors qu’Othelia accompagna son père en Allemagne lorsqu’il partit. Quelques mois plus tard, Helena se fit un nouveau conjoint, un sorcier du nom de Christoph, qui emménagea éventuellement dans leur foyer.
Personne dans la famille ne fut spécialement surpris lorsque le jeune garçon, âgé de six ans, transforma les brocolis dans son assiette en chocolat lors d’un repas tout à fait ordinaire. Ils célébrèrent quand même, car l'apparition de la magie était un événement digne d'être souligné selon Helena et son conjoint.
À ses 11 ans, sa lettre d’inscription pour Poudlard arriva et il prépara sa première rentrée. Helena ayant elle-même été Serdaigle et le garçon étant doté d’une curiosité insatiable, tout le monde s’attendait à ce que le Choixpeau lui attribue la maison du corbeau. Pourtant, l’objet magique s’écria « SERPENTARD ! » peu après avoir été posé sur sa petite tête.
L’attribution de sa maison faite, il partit s’asseoir à sa table, où des élèves plus vieux avaient décidé de jouer un tour aux nouveaux en cachant des serpents sous les chaises. Ces derniers devaient s’enrouler autour de leurs jambes et leur donner une petite frayeur. Ernest, qui était phobique de cet animal depuis toujours, hurla plus fort que n’importe qui d’autre, et se fit ainsi la réputation de trouillard dès la première journée de sa scolarité.
Les années qui suivirent furent pénibles. La première impression qu’il s’était faite salit sa réputation à long terme, faisant de lui la risée de ses camarades de maison. Ces derniers trouvèrent drôle de cacher des serpents en caoutchouc dans son lit, dans ses manuels de cours ou dans ses projets de botanique. Bref, ses camarades de classe ne s’associaient pas beaucoup à lui, à l’exception de quelques uns : ceux qui étaient tout autant abusés et insultés qu’Ernest. Son groupe d’amis était composé d’une jeune née-moldue, d’un garçon portant de grosses lunettes, passionné par l’architecture magique, et de lui-même. Ils se gardèrent comme unique compagnie jusqu’à leur cinquième année. Chez lui, tout n’était pas mieux. Ses relations avec son beau-père se prouvaient tumultueuses. L’homme s’exaspérait de plus en plus du fait qu’Ernest refuse de dénoncer ses harceleurs. De son côté, le jeune Serpentard ne se sentait pas écouté par Christoph. Par-dessus cela, sa famille paternelle commençait à lui parler de l’université lors de leurs repas de Noël, et lui laissa savoir que les attentes envers lui n’étaient pas plus basses parce qu’il ne vivait pas en Allemagne. La pression exercée par ses deux environnements familiaux le poussèrent à s’isoler dans sa chambre tout au long de ses séjours à la maison.
Un travail d’astronomie où le professeur forma au hasard les équipes lia le destin d’Ernest avec celui de Florian Atkins, un Gryffondor qu’il avait croisé maintes fois dans les corridors sans jamais qu’ils n’aient discuté. Les nuits passées dans l’observatoire pour prendre des notes sur les constellations firent éclore de longues discussions entre les deux à propos de leur vie, de leurs intérêts, de leurs passions, de leurs rêves. C’est lors de la troisième nuit qu’Ernest apprit que Florian était le fils de fonctionnaires au ministère de la magie, et que ses parents n’approuvaient pas son rêve de devenir acteur. Pour sa part, Ernest lui parla de la séparation de ses parents, des attentes irréalistes de sa famille paternelle qu’il voyait tout au plus une fois l’an, et de sa relation parfois difficile avec son beau-père. Puis, la quatrième nuit, ils oublièrent leur travail et s’embrassèrent sous le regard protecteur des étoiles.
À ce moment, Ernest commença à passer moins de temps avec ses amis de longue date et privilégia Florian jusqu’à leur graduation de l’école de magie.
Ce fut seulement quelques mois après qu’ils eurent loué leur propre appartement dans le quartier magique de Londres qu’Ernest laissa Florian savoir qu’il descendait de vampires. Cela se produisit lorsque le couple passait du temps ensemble ; Ernest mordilla la base du cou de son amoureux, et finit par briser son épiderme avec ses crocs acérés. Le goût du sang dans sa bouche le ravit. Ça prit plusieurs heures avant de séparer ses lèvres de la blessure pour de bon, et quelques unes de plus pour qu’il s’explique.
Problème étant, Florian n’était pas foncièrement intolérant des vampires, mais sa famille oui. Ses parents, faisant partie du ministère, étaient très conservateurs et abhorraient l’idée que les vampires, loup-garous et toutes autres entités magiques aient la liberté de vivre parmi les sorciers. Cet avis était encore à l’époque partagé par nombre de Britanniques aux moeurs traditionnelles. Donc, si l’information atteignait les magazines de rumeurs, sa carrière serait en danger. Ernest, prit de désespoir et apeuré à l’idée de se faire abandonner, promis à sa moitié que personne au grand jamais ne saurait à propos de son ascendance unique.
Pendant quelques mois, Florian enchaîna les rôles secondaires, alors qu’Ernest travaillait plusieurs petits boulots pour financer leur vie. Cela changea lorsque l’ancien Gryffondor fut choisi pour interpréter le roi Arthur dans une nouvelle série télévisée à propos de la fameuse légende de Merlin, « L’Enchanteur ». Le rôle venait avec un salaire suffisant pour qu’ils puissent vivre et cela ouvrit une nouvelle porte à Ernest : il avait désormais le temps de se consacrer à son propre épanouissement, soit, ses études.
Ses études en littérature le menèrent à un stage dans la maison d’édition Hammond-Willis, où il commença à travailler à temps plein une fois son baccalauréat obtenu. Ayant désormais 23 ans, une carrière bourgeonnante, un conjoint de plus en plus populaire dans l’industrie cinématographique depuis son premier gros rôle et une jolie maison dans un rare coin paisible de Londres, Ernest avait presque tout pour être heureux.
Presque. Sauf que le succès de Florian vint à un prix : celui de sa présence dans leur foyer. Désormais acteur reconnu, des fois même abordé dans la rue par ses fans, les réalisateurs s’arrachaient son temps. Il passait des fois des mois de l’autre côté de l’océan à filmer des long-métrages ou une nouvelle saison de l’Enchanteur. Pour occuper son temps libre, Ernest se trouva un nouveau hobby. Inspiré par l’histoire raconté par sa voisine selon laquelle une jeune femme provinciale aurait été tuée et placée dans un cimetière de façon à ce que son corps ait l’air de s’échapper d'une tombe, il imagina ce qui avait bien pu mener à ce scénario, probablement inventé de toute manière, et écrit. Encore et encore, jusqu’au jour où il regarda le document sur son ordinateur et réalisa qu’il avait achevé un manuscrit.
La semaine suivante, il présenta son travail à son supérieur, Mr.Willis, et ce dernier fut agréablement surpris. Ainsi commença un long procédé où Ernest continua son boulot en tant qu’éditeur de jour et corrigea son œuvre en devenir de soir, qui mena à la publication de son premier roman, « The Murder of the Living Dead ».
Quelques semaines après le dernier événement publicitaire pour son livre (une petite célébration dans une librairie de Londres pour le faire connaître), Ernest fut convoqué dans le bureau de son patron au plein milieu de sa journée de travail. Ce dernier lui apprit que son livre avait déjà vendu plusieurs milliers de copies. Mieux encore, il allait être imprimé en Amérique dans quelques mois !
Bien que ce succès professionnel ait été marquant, il se souvient aussi de cette année-là pour autre chose : ses premiers contacts avec son cousin bâtard de huit ans, Aster. Le petit avait écrit à chaque membre de la famille Albrecht sur les réseaux sociaux avec l’espoir mal placé qu’un d’eux l’accueille et l’aime. De toute évidence, le père de l’enfant, ses oncles, tantes et les cousins des cousins ne répondirent pas. Les sœurs d’Ernest non plus, car Athanasia était à l’école pour devenir Auror et Othelia s’était volatilisée pour vivre sa plus belle vie de jeune adulte. Mal aimé lui aussi, il voyait en ce gamin quelqu’un qu’il voulait aider et est donc devenu son ami, même si leurs contacts se limitaient pour l’instant à l’échange de messages électroniques.
À 25 ans, le jeune sorcier quitta la maison d’édition en tant qu’éditeur et devint auteur à temps plein. Même si la vie d’artiste était difficile, la carrière de Florian florissait. Il venait de recevoir un contrat qui le mènerait directement aux portes d’Hollywood, ce qui promettait un confort considérable à Ernest malgré l’incertitude de ses futurs revenus. Leur compte de banque partagé lui permettait aussi de sortir au bar, ce qu’il faisait assez souvent en l’absence de son conjoint. Il se tenait dans les endroits un peu huppés, loin des boîtes de nuit ou endroits prompts aux erreurs conjugales irréparables. Là-bas, il se fit plusieurs amis, et réalisa qu’il n’aimait pas la vie qu’il menait.
Personne pleine d’empathie et privilégiant le bonheur des autres au sien, il se tut au sujet de l’absence de Florian pendant des lunes, même si il en souffrait. Il se concentra plutôt sur l’écriture de son deuxième livre. Au bout de quelques mois naquit « The Silent Music Box », un roman appartenant au genre du mystère comme le précédant. Cette seconde publication dépassa les ventes de la première. Voyant en Ernest une poule aux œufs d’or, la maison d’édition lui demanda de rédiger un nouveau livre, ce qu’il accepta malgré le retour de Florian à la maison. Même s’il était là, les deux étaient encore assez distants l’un avec l’autre, et cela se ressentit dans sa troisième œuvre, publiée quand le sorcier eut 27 ans, « Love Game ». Le livre parlait de la misère amoureuse d’un vieux couple marié. Leur malheur de cinq décennies les mena à s’entretuer de façon à ce que leur mort paraisse comme étant un double suicide.
Après avoir lu le manuscrit qu’Ernest avait laissé sur son bureau, empli de marques de stylo rouge et de demandes de l’éditeur, Florian réalisa enfin que quelque chose clochait avec son amoureux. Enfin, ils parlèrent de ce qu’ils ressentaient à propos de leur relation. À partir de ce moment-là, quelque chose changea entre les deux. L’acteur proposa à Ernest de déménager aux États-Unis pour rester près de lui, et, au refus catégorique de ce dernier de quitter sa contrée natale, concéda une pause de quelques mois dans sa carrière pour considérer leur avenir ensemble. À l’issue de cette lune de miel improvisée, Florian invita Ernest au Ritz et demanda sa main en mariage. (Le mariage gay venait d’être légalisé en Angleterre, quelques mois auparavant. Quand Ernest lui demanda pourquoi lui avoir demandé sa main sans qu’ils en aient parlé avant, il lui répondit juste que c’était normal que des personnes en amour se marient, et qu’il l’aurait marié il y a 10 ans s’il aurait pu.)
La cérémonie eut lieu l’été-même. (Aucun membre de sa famille paternelle ne s’y présenta. Othelia vint, mais partit avant qu'il ait le temps de prendre de ses nouvelles. Ernest apprit via une lettre de son père reçue quelques mois plus tard que sa famille ne s’était pas déplacée parce que leur vision du mariage n’englobait pas « son genre d’union ». Le genre d’union qui ne produirait pas d’héritiers, déduit-il. Il se comptait déjà chanceux qu’on ne lui ait pas demandé de se trouver une femme, alors il se résigna à accepter leur « tolérance » minimale.)
Puis, l’acteur repartit aux États-Unis une semaine plus tard.
28 ans, marié, auteur à succès, et son amour encore en cavale à Hollywood pour la dernière saison de « L’enchanteur », l’Anglais considéra tout de même s’en être bien sorti. Il relativisa sa situation malgré l’insistance de ses amis que son conjoint cherchait seulement à mettre un pansement sur une plaie infectée avec cette bague et cette promesse d’amour éternel. Prêt à tout pour garder le peu qu’il avait malgré son insatisfaction encore pesante, il nia ne pas être pleinement heureux de sa relation et de sa vie, et se mit à écrire un nouveau livre, en plus de se lancer dans la poésie dans ses temps libres. Ce livre fut baptisé « A Wedding in Red », et rompit avec son genre de prédilection pour se pencher vers la romance bourgeonnante entre un vampire et une sorcière qui se sont rencontrés au mariage d’une de leurs amies.
Son éditeur eut un soi-disant coup de génie. Un jour, il convoqua Ernest dans son bureau et lui fit part de l’idée qu’il comptait proposer à l’équipe de marketing : révéler le vampirisme partiel de l’auteur pour vendre le livre comme étant authentique. L’auteur refusa, fâché que son éditeur ait fouillé dans son historique familial sans son consentement, mais aussi parce qu’il ne voulait pas trahir la promesse qu’il avait faite à Florian il y a de cela quelques années. De plus, il tenait vraiment à garder certaines parties de sa vie privée - il n’avait pas honte d’être partiellement vampire, mais… Bien que les mentalités évoluent, il n’avait pas nécessairement envie de s’exposer aux commentaires dégradants. Heureusement, cette histoire en finit là. Mais il en parla à Florian. Et ce dernier lui rappela sa promesse, faite il y a plusieurs années. (Ce qui blessa Ernest. Est-ce que son époux avait honte de lui ? Il savait objectivement que c'était pour sa réputation et pour éviter que ses parents ne s'interposent, mais... Bref. Ernest se fâcha. Cette première dispute ouvrit la porte à quelques autres, portant sur ce même sujet. Ernest ne voulait même pas dire au monde qu'il était vampire. Il avait même dit non à son éditeur ! Non, il voulait juste que Florian décide s'il préférait plaire à ses parents et à ses fans, ou lui, le supposé amour de sa vie.)
L'an suivant, au printemps, Ernest reçut une lettre. Il avait remporté un prix pour sa dernière publication, son premier recueil de poésie. Certes, un prix. Tout le monde peut donner un prix ; mais ça n'était pas une médaille en chocolat, c'était une des distinctions littéraires sorcières majeures : le prix Cavendish. Recevoir cet honneur le consacrerait comme étant un Auteur, A majuscule, dont on parlerait probablement dans les écoles un jour. Bien qu'un peu ambivalent, il invita toute sa famille - son père et sa grande sœur inclus - à assister à la remise du prix et à la fête qui suivrait. C'était l'idée de Florian. Ernest y réfléchit, et conclut que c'était probablement sage de leur proposer, et qu'ils feraient ce qu'ils voudraient. Alors qu'il s'attendait seulement à être ignoré, il reçut une réponse de son père, un billet succinct :
« Nous en sommes navrés, mais ni moi ni tes sœurs ne pourront assister à la remise de ton prix. Mes plus sincères félicitations tout de même,
B. Albrecht »
Pourtant, il y a deux semaines à peine, Athanasia lui avait téléphoné, et avait affirmé qu’elle serait présente. Il décida d’aller visiter le manoir pour discuter avec son père. Il n'avait pas une fois visité la demeure depuis qu’il avait gradué de l’université, alors il était terrifié, mais devait aller au bout de cette histoire. Devant une tasse de thé et des petits gâteaux, son père lui apprit qu’il y a quelques mois, il avait conclu une entente avec une autre famille de la haute société, la famille Ehrenfeld. Les deux familles avaient décidé de marier un de leurs membres ensemble, concluant une alliance. Vu le déclin du nom Albrecht, ce contrat, bien que pas spécialement profitable, était leur dernier recours, leur dernière chance de remonter la pente et de redevenir influents. En effet, en échange de cette alliance, ils devraient confier à leurs nouveaux associés leur héritage le plus précieux, une bague magique datant des années 1400.
« Et ? », répondit Ernest. « Pourquoi ne pas assister à la remise de mon prix ? »
« Parce que c’est Athanasia qui se mariera, cet été », affirma-t-il, « et que tout le monde sera trop occupé avec les préparatifs. »
Ernest se retint de sortir sa baguette au quart de tour et de provoquer son propre père en duel. Ce dernier continua, affirmant que c’était de sa faute, qu’il n’avait prévenu personne, même pas encore sa fille, de peur que celle-ci se fâche contre lui. Mais Ernest n’écoutait déjà plus. Il était arrêté sur la partie où sa petite sœur, qui montait rapidement les grades parmi les Aurors, serait privée de sa liberté au profit d’une famille qui l’avait à peine considérée comme l’une des leurs jusqu’à maintenant. Car être un sang-mêlé, avoir un sang sale,
des gènes de suceur de sang ça n’était plus grave pour eux désormais ? Quels hypocrites.
« Et comment est-ce que tu comptes la forcer à t'écouter ? Elle ne vit même pas dans ce pays ! »
Gêné, son père toussota et lui dit qu'ils avaient des amis chez les Aurors britanniques. Soit, que sa carrière était leur otage. Ernest savait qu'il ne pouvait rien faire contre leur argent et leurs connections louches. Cela l'emmerda tout de même.
« Elle a quoi de si important, cette bague ? »
Benedict raconta longuement à Ernest comment personne n'avait le droit de le savoir à l'exception de la personne qui la possédait. En effet, la famille Albrecht ayant déjà eu beaucoup de vendus parmi leurs rangs, il a été décidé il y a des siècles que la seule façon de garder le secret était de laisser planer le mystère pour tout le monde, eux-mêmes y compris. Son propre père avait toujours cru qu'elle contenait une cure à la lycanthropie ou un secret d'un tel calibre, mais sa femme avait toujours refusé de lui révéler quoi que ce soit.
Le discours explicatif de son père, supposé lui faire comprendre son absence à un des plus grands événements de sa vie, donna plutôt à Ernest une idée qui ne quitta pas sa tête pour le restant de la soirée. En ce moment, la bague appartenait à sa grand-mère, qui commençait à se faire extrêmement vieille, et qui la portait pratiquement toujours sur son index droit. Peut-être bien qu’elle ne penserait pas qu’Ernest…
Cette nuit-là, il rentra à Londres avec un anneau différent à l’annulaire gauche.
(Il avait profité d’un moment à la salle de bain pour transmuter son alliance en « héritage de famille ». Lors des embrassades d’au-revoir avec sa grand-mère, il échangea l’objet magique contre celui qui ne l’était pas, le transforma à son tour pour qu’il soit identique à son alliance, et le glissa à son doigt. Ainsi, ils auraient du mal à associer le vol du bijou à lui - le pot aux roses serait sûrement découvert dans plusieurs jours, et même avec sa bague originale comme indice, ils ne la reconnaitraient probablement pas, car ils n'étaient pas venus à son mariage. Peut-être pas un plan parfait, mais les habitants du manoir seraient trop occupés à s'entre-déchirer pour que leur regard se tourne immédiatement vers Ernest.
Mais surtout, vu qu'ils ne retrouveraient pas la bague de sitôt, Athanasia n'aurait pas à se marier. Si un jour, il se faisait avoir... Ça serait déjà trop tard. Les Ehrenfeld auraient déjà rétracté leur offre d'alliance depuis longtemps. Et il vivrait même s'il était déshérité. Il suspectait qu'ils considéraient déjà le faire, de toute manière.)
En rentrant à la maison, il ne dit pas à Florian ce qui venait de se passer. Une petite omission. Jusqu'à ce que, un matin Florian, rentra le courrier et fut un peu trop curieux quant à son contenu.
*Othelia Albrecht… ? Mais elle n’envoie jamais de lettres ici, pourtant ?*
Il hésita. Oh, longuement, il y pensa. Même qu’il y réféchit. Mais, au final, sa curiosité morbide l’emporta, et Florian ouvrit le courrier de son époux. Pas qu’ils aient quoi que ce soit à se cacher ; aucun des deux ne vivait de double vie, même pas de petits délits habituels de célébrités à reporter-...
« Bonjour, petit frère. (J’assume que tu liras cette lettre durant la journée. Tu m’as toujours paru du genre à ouvrir ton courrier en prenant ton premier café du matin.)
Nous nous rencontrerons bientôt. Bien sûr, tu es invité à amener ton butin avec toi, petit truand. (C’est une plaisanterie. Je suis fière de toi, tu as enfin développé un peu d’ambition.)
Je t’enverrai un hibou quand il sera l’heure.
Ps : conseil d’ami, n’essaie pas de briser le sceau. Il renferme probablement une malédiction. »
Il referma l’enveloppe, les lèvres serrées l’une contre l’autre, et réveilla Ernest en lui secouant l’épaule un peu trop fermement. Avant même qu'il ait le temps d’enfiler ses lunettes, Florian lui jeta pratiquement le papier au visage et lui exigea des explications. Ernest ne réussit pas à lui en donner. Il était à peine réveillé, il était groggy, le monde autour de lui tournait, et surtout, il ne savait pas comment expliquer son geste. Il essaya, commença à relater les événements, mais Florian l’interrompait constamment, paniqué. « Pourquoi est-ce que tu ne t’es pas expliqué ? » « Pourquoi avoir volé cette bague ? »
« Où est la bague ? »
Il ne put pas répondre à cette question. Si Florian savait qu’elle était à sa main…
Ça serait fini.
Alors, il garda le silence. Chercha un mensonge. Il était auteur, il devrait être capable d’inventer une excuse, un prétexte, n’importe quoi- Il bégaya, encore et encore, jusqu’à temps que Florian l’interrompe, animé par la colère.
« J’aurais dû le savoir. » Il serra le poing. « Elle est où, hein ?! Tu ne veux pas que je la vois ?! Parce qu’elle est empreinte de magie noire ! »
Ce n’était pas la raison. Mais c’était probablement au moins en partie vrai, selon les dires d’Othelia…
« J’aurais dû écouter mes parents ! Vous êtes tous pareils, les vampires. Tous des mages noirs en devenir ! »
Quelque chose en Ernest brisa. Silencieusement, il retira son alliance et la lança à Florian, qui l’attrapa avec difficulté.
« La voilà, ta bague maudite. »
Ils se disputèrent longuement. Les cris alertèrent même les voisins, qui appelèrent la police. La journée même, l’acteur plia bagage. Juste avant son départ, Ernest le retint par le bras. Alors que Florian se retournait, le vampire brandit sa baguette, et lui lança un
Obliviate.
Encore aujourd’hui, Florian croit qu’Ernest a rompu avec lui. « Tu m’as laissé seul pendant des années ! J’ai toujours été malheureux dans notre mariage. » (Tout ça par peur qu'il raconte ce qui venait de se produire à sa famille, pour se venger.) Bien que ce soit la version officielle, l’ancien Serpentard n’oubliera jamais ce que Florian lui a réellement dit. Des mots, des insultes, des stéréotypes qui le hanteront jusqu’à son dernier souffle. Qui auront toujours un impact crucial sur la façon dont il se perçoit, dont il se déteste. (Ce qui lui a fait le plus mal, c'est que Florian n'a même pas réalisé que ceux qui avaient maudit cette bague n'étaient pas la famille d'où venaient ses gènes vampiriques...)
…
Seul. Bien qu’il l’ait souvent été dans sa relation, il était réellement sans attaches, sans rien devoir à personne, pour la première fois depuis presque quinze ans. Vite, trop vite, il commença à s’ennuyer. Othelia ne lui envoya pas d’autres indications. Du moins, pas pour un long moment. Il alla à la remise de prix, mais repartit directement après avoir accepté sa récompense.
Fatigué, en panne d’inspiration, il avait décidé de prendre une pause de son métier d’auteur et s'était déniché un nouveau poste d’éditeur chez Marsden, une petite maison de publication dont la patronne avait été immensément étonnée de sa candidature. Il n'avait pas voulu rester avec sa première maison d'édition, bien qu'ils lui aient proposé un poste, dans le but de recommencer à zéro. Pendant plusieurs mois, il essaya de se faire oublier du milieu littéraire, du moins, en tant que figure publique. Il refusait de passer des entrevues, de venir à des cours…
Ernest en avait marre d’être vu. Le comble pour un auteur, métier dont le but premier est de partager son intériorité au monde. Toute sa vie, il avait été tenu à des critères exécrablement hauts de la part de quasi-inconnus. Sa famille paternelle, qui ne connaissait pas son deuxième prénom. Ses camarades de classe, à qui il avait toujours dû prouver quelque chose, au prix d’être leur victime. Le grand public.
Fraîchement trentenaire, il ne lui restait plus qu’à tirer sa dernière révérence et à quitter le feu des projecteurs pour de bon.
Ainsi, Ernest arrêta de faire des vagues. Plusieurs des auteurs dont il corrigeait les manuscrits lui demandèrent pourquoi il avait tout à coup disparu ; il riait doucement, contournait la question. Jusqu’à temps que le destin décide de lui-même que l’aventure d’Ernest n’était pas encore close. Du moins, Othelia, la grande sœur de l’auteur, l’avait prononcé. Ayant été recrutée par une fameuse agence de mannequinat peu après avoir gradué de l'université, elle ne s’était pas présentée aux dîners de Noël de la famille Albrecht ces dernières années - Ernest non plus, d’ailleurs, mais lui n’avait pas de bonne excuse comme elle. Elle envoya, un matin d'octobre, un hibou chez son petit frère.
L’oiseau avait un papier dans le bec. Il y était écrit une adresse et une heure, avec un O en signature. Il savait que c’était elle - qui d’autre ? Alors, il remit son alliance à son annulaire droit (pas son alliance, mais elle en avait encore la forme), pas le gauche, car il n’en avait plus le droit, du moins c’est ce qu’il ressentait. En début de soirée, il partit. Sa sœur attendait Ernest en haut d’un immense gratte-ciel, dans un appartement privé qu’elle avait loué pour des vacances au bercail (bien qu’elle ait majoritairement grandi en Allemagne, alors elle était probablement juste là pour son frère, ou peut-être pour son travail, il ne l’apprit jamais).
Là-bas, elle lui fit une demande. Des demandes.
« Je sais que tu as la bague. Je comprends pourquoi tu l’as volée… Je t’ai attribué un peu trop de crédit dans ma lettre. C’était pour Athanasia, hein ? »
Il ne put que ravaler sa salive, bien qu’il ait l’impression que sa bouche soit aussi sèche qu’un désert.
« Soit. Je ne le dirai pas à père - à deux conditions. »
La première était de s’occuper de sa fille. Pas pendant quelques jours ; pendant au moins quelques mois, dit-elle. « Je reviendrai la chercher quand ma carrière me demandera moins de temps. Tu ne manques pas d’argent, alors je compte sur toi pour qu’elle ne manque de rien. »
Elle avait de l’argent, elle aussi, à la tonne, alors il se demanda, sur le coup, pourquoi lui demander ça au lieu d’engager quelqu’un pour faire le même travail. (Il déduit quelques années plus tard qu’elle n’avait sûrement pas confiance en qui que ce soit d’autre pour s’occuper de Sophie. Peut-être que le courage dont il avait fait preuve en dérobant la bague pour protéger Athanasia lui avait fait penser que sa fille serait plus en sécurité avec lui qu'avec qui que ce soit d'autre.)
La seconde condition était de voir la bague. Acculé, il l’enleva de sa main et lui donna. Elle la regarda un long moment, quitta la pièce. Après une éternité, elle revint et la rendit à Ernest.
« Je n’en veux pas. Garde-la. Mais, mon intuition avait raison. Elle est bien maudite…Tu sais, j’ai grandi autour, mais grand-mère ne m’a jamais laissé la toucher ! Pourtant, vu que j'ai mené beaucoup de recherches sur les sortilèges lorsque j'allais encore à l'université, je savais qu'il ne me faudrait qu'une occasion de la voir de près pour percer son mystère... Bref. Ne brise pas le sceau tant que Sophie est avec toi. »
Oh, super. Car si sa fille n’était pas avec lui, ce n’était pas important ce qui lui arrivait ?
« Alors, tu as tout compris ? Hehe. » Elle lui tapota la tête comme s’il était encore un enfant. « Vas-t-en, j’ai un rendez-vous dans dix minutes. »
« Attends ! », interrompit-il. « Comment as-tu su que c’est moi qui ait volé la bague ? »
Elle haussa un sourcil, comme s’il la prenait vraiment comme une idiote. « Je suis allée à ton mariage, chou. Je sais à quoi ressemble ton alliance. Même si on ne peut vraiment pas en dire autant de la part de nos aïeuls… »
Othelia vint déposer Sophie chez lui le lendemain matin. Peu après, il emballa ses affaires et les deux déménagèrent au Canada, dans le petit village sorcier de Bloombury, adjacent à Ilukaan. Ernest avait besoin de changer d’air ; Sophie, d’une chambre.
Le Canada lui avait paru un choix évident. Pas aussi peuplé que les États-Unis, pratiquement impossible de tomber sur Florian par hasard, à un océan de distance de son ancienne vie et son cher cousin Aster y était, puisqu’il étudiait à Ilukaan. Sophie ayant six ans, il y avait encore quelques années avant qu’elle doive fréquenter une école de magie, mais il décida tout de même de ne pas emménager trop loin, au cas où sa mère ne l’aurait pas récupérée avant. (En outre, il voulait qu’elle puisse se créer un sens d’appartenance à un endroit, après avoir été trimballée partout autour du globe lors des quelques premières années de sa vie par sa mère mannequin. Alors, voilà. Près de l’école qu’elle fréquenterait plus tard.)
Puis, il se remit à écrire. Touchant encore les redevances de ses vieux bestsellers, il n’avait nul besoin d’argent pour vivre ; cette initiative fut prise pour se désennuyer. En effet, l’auteur ne sortait pas beaucoup de chez lui, et il ne pouvait pas éternellement passer le plumeau dans le salon, ni faire des courses. Ernest commença donc la rédaction d’une pièce de théâtre, une tragédie de style classique, jusqu’à ce que Sophie insiste pour lire son manuscrit à moitié rédigé et n’y comprenne rien. Il y vit une perche et il la prit. Ces quelques pages froissées et jetées dans la corbeille à côté de son bureau, il se mit à la rédaction d’une nouvelle œuvre, qui sortirait entièrement de sa zone de confort.
Un livre pour enfants. Il le fit lire à sa nièce, et cette dernière l’adora. Alors, Ernest chercha un nouvel éditeur pour le faire publier, qu’il trouva plus facilement qu’il l’aurait cru. Ainsi, à 32 ans, il publia « Train vers Londres », son premier ouvrage de littérature jeunesse. Ernest refusa d’utiliser son vrai nom sur la couverture. Ainsi, il créa le pseudonyme de Barnabas Blythe, son deuxième prénom et le nom de sa mère. L’éditeur ne refusa pas ce nouveau nom, au vu du schisme entre ce livre et l’oeuvre d’Ernest Albrecht.
Encore une fois, l’année d’un de ses grands succès fut aussi celle d’un événement marquant de sa vie personnelle. En plein milieu de la nuit, il reçut un appel téléphonique troublant de la part d’Aster. Ce dernier était allé en Ontario avec ses amis faire de l’urbex et s’était égaré. En temps normal, cela l’aurait seulement fait soupirer ; cependant, son cousin avait été attaqué par un loup-garou. Il accourut donc pour l’escorter hors du bâtiment décrépit où il avait été attaqué et l’aider à se soigner. Trop tard, cependant : le mal avait été fait, et Aster était désormais un loup-garou. Empathique à l’égard du jeune homme, il fut celui qui annonça la nouvelle à l’administration de son école et il l’accompagna pour toutes les démarches médicales nécessaires.
Il adopta un corbeau qu’il nomma Demian en hommage à un de ses livres préférés pour qu’il lui tienne compagnie lorsque Sophie allait jouer avec les enfants du voisinage. (Aussi car il avait toujours adoré ces créatures intelligentes et magnifiques, et n’avait jamais réalisé qu’il pouvait remplir son foyer à son gré auparavant, ayant grandi dans un environnement où les animaux étaient considérés comme peu importants.) Via sa nièce, il rencontra ses voisins et se fit quelques amis dans le quartier.
Un an après, ce fut au tour de « Claire et l’étoile filante » d’arriver dans les librairies. Ce livre fut et est encore sa plus grande fierté ; maintenant qu’il connaissait Sophie comme sa propre fille, il se décida à baser une héroïne sur elle, et les péripéties sur ce qu’il savait de ses goûts. Un écrit entièrement pour sa nièce. Il ne lui dit pas qu’il l’avait écrit lorsqu’il lui lut pour la première fois, et elle dit que c’était son livre préféré.
Ernest continua à rédiger l’an suivant, et celle d’après. En même temps, il appliqua dans une université en ligne pour une formation en bibliothéconomie et archivistique, qu’il accomplit à temps partiel pour pouvoir finir son travail avant les échéances et garder Sophie heureuse. Leur vie paisible à Bloombury tint son cours jusqu'à ce que Sophie atteigne dix ans.
Malgré son nouveau succès, il décida de ralentir le rythme de publication de son travail dans le but de faire bifurquer son cheminement professionnel. Pourquoi ? Pour garder Sophie près de lui, et ces dernières années lui avaient aussi fait réaliser quelque chose : sa vie pouvait encore changer. L’idée de passer son temps à aider des jeunes à l’avenir bourgeonnant à naviguer le monde de la littérature au lieu de d’enfermé dans son bureau à la maison pour la dixième année de suite lui plaisait. Puis, peut-être que cette nouvelle perspective lui conférerait l’inspiration nécessaire à son prochain chef-d'œuvre ! Ernest n’avait pas de master, et n’était donc pas qualifié pour enseigner au niveau universitaire, mais s’était préparé pour ce moment en suivant cette formation en ligne qu’il venait par ailleurs tout juste de terminer : il allait appliquer pour devenir bibliothécaire. Ainsi, son curriculum vitae se retrouva sur le bureau de Vincent Leroy. Sa candidature fut acceptée, à sa plus grande surprise. Sophie fut excitée comme une puce à l’idée de pouvoir continuer à voir son oncle à chaque jour pour les prochaines années.
Cette histoire se termine ainsi : en septembre 2023, Ernest entame sa première année en tant qu’employé à l’école de magie internationale Ilukaan, et alors s’ouvre un nouveau chapitre de son existence.
(Dans une boîte, verrouillée à double tour, cachée dans son tiroir à sous-vêtements, est scellée la bague, catalyste de tous les soucis d'Ernest. Et, même divorcé, jamais il ne lui a rendu sa forme originale.)