Elle regarde le menu (qu’elle connait, pourtant, presque par coeur), qui est collé à la vitre, avant de se décider à entrer. Elle vient de faire du shopping - de nouvelles robes, de nouvelles chaussures, de nouveaux bijoux, et une très jolie nouvelle paire de lunettes de soleil, en prévision de l’été. D’accord, l’été c’est dans plusieurs mois… mais ça ne veut pas dire qu’elle ne peut pas prévoir ! En tout cas, elle finit par pousser la porte du Stardust avec son épaule, ses sacs dans les mains, l’un d’entre eux même coincé au coin de son coude, avant de réaliser qu’elle aurait simplement pu l’ouvrir grâce à la magie. Ou réduire ses sacs pour les ranger les uns dans les autres, comme des poupées russes. Elle fera ça une fois qu’elle sera installée à sa table.

Elle tire son téléphone de la poche de son manteau de (fausse) fourrure, pour passer le temps alors qu’elle attend dans la file. Elle scrolle sur ses réseaux sociaux, lit les derniers messages du groupchat d’Ilukaan, puis le range quand son tour arrive. Elle commande un café latte et un roulé à la cannelle, récupère tout ça une fois que c’est prêt, et va se chercher une place. Elle pose ses sacs sous la table, son manteau sur la banquette, et part un instant chercher une paille et du sucre - ses talons claquent sur le sol du Stardust.

Enfin, elle s’asseoit et peut profiter d’une bonne petite pause avant de retourner à l’école. Elle récupère son téléphone, y branche ses écouteurs, pour écouter l’un de ses podcast préférés, qui traite de la vision des créatures magiques dans le monde sorcier. Elle a commencé à l’écouter quand un épisode a été fait sur les loups-garous, sans trop de surprise. Elle aime bien savoir ce que les autres pensent, même quand c’est négatif. Ça l'aide à mieux réagir, à savoir quoi dire pour éviter de soulever les soupçons parfois. Et elle recommence à traîner un peu sur les réseaux sociaux, en attendant que son café refroidisse un peu - elle s’est fait avoir une fois par la brûlure des boissons du Stardust, pas deux.

Elle rit doucement à une blague de son podcast, puis déballe sa paille. Elle ne la met pas tout de suite dans son gobelet, mais commence déjà à la mâchonner. C’est un tic, chez elle, ce genre de chose. Au bout d’un moment, elle se décide à plutôt mordre dans son roulé à la cannelle, et plante sa paille dans son latte. Ca lui fait du bien, en réalité, de se promener un peu toute seule. Elle est tout le temps entourée - tout le temps. Et elle a contribué à son propre succès, bien sûr. Elle est amicale avec les autres, cherche constamment à être appréciée et avoir des personnes à mener, mais parfois… Parfois elle a juste besoin de faire du shopping et d’aller boire un café en tête-à-tête avec elle-même. Elle réajuste le haut de sa robe, aux bretelles trop fines pour la saison, et reprend son scrolling.

Quand le garçon blond s’approche et l’aborde, elle ne réussit pas à comprendre tout ce qu’il dit, par-dessus le son de son podcast. Elle écoute peut-être les choses un peu fort, mais pour sa défense, il y a du monde et du bruit, à cette heure-là, au Stardust. Elle retire juste un écouteur sur la fin, pour entendre le dernier morceau de sa phrase, et elle retient un soupir agacé. Elle lève son visage vers lui, pour le regarder dans les yeux avec un sourire légèrement sarcastique.

- Si j’avais voulu être accompagnée, tu penses bien que ce serait le cas.

Elle joue sur le même terrain que lui. Malgré tout, elle ne fait pas trop sa mauvaise tête, et rapproche même ses sacs d’elle pour lui laisser un peu d’espace. Elle sait exactement de quel genre d’homme il s’agit : ceux qui sont bien trop sûrs d’eux et qui se pensent irrésistibles. Ceux qu’elle aime le moins, parce qu’en plus de ça, ce sont généralement de gros forceurs. Mais elle espère qu’il ne restera pas trop longtemps - juste le temps de boire sa boisson.
Elle coupe son podcast, puisqu’il semble décidé à engager la discussion avec elle. Elle range ses écouteurs en lui répondant, toujours assez peu aimable.

- Des sujets sûrement trop pointus pour toi, ne t’inquiètes donc pas de ce que j’écoute. Puis-je savoir ce qui me vaut le… plaisir ?

Elle a fait exprès d’hésiter en le dévisageant, pour qu’il comprenne bien le message : elle ne veut pas de lui à sa table. Elle regarde un peu autour d’eux. C’est vrai qu’il commence à y avoir du monde dans le café, mais il exagère - il aurait clairement pu trouver une table, donc ce n’était qu’une excuse pour l’aborder. Elle s’en doutait, de toute façon. Comme quoi, la beauté est à la fois une bénédiction et une malédiction.

Elle rapproche de son côté son roulé à la cannelle à moitié mangé et son latte - elle aime aussi être seule pour pouvoir s’étaler, en général, avoir de la place pour ses affaires, et cette intrusion dans son espace ne lui plaît pas.

- J’espère que tu vas au moins m’offrir une autre boisson ou un truc à grignoter pour me remercier de t’accorder un tant soit peu d’attention. Un cookie, par exemple, ce ne serait pas de refus.

Quitte à se faire embêter, au moins ne pas repartir complètement perdante. Elle ne pense pas vraiment qu’il va le faire, même si elle peut sentir qu’il a de l’argent rien qu’en le regardant. Si à première vue, il est habillé comme les autres jeunes, elle voit bien que la qualité de ses vêtements n’a rien à voir, que ses bijoux sont de l’or véritable puisqu’ils sont impeccables. Les riches reconnaissent les riches, en quelque sorte. Et la richesse attire la richesse. Elle lui porte un nouveau regard. Comme elle a décidé de le désigner directement comme un ennemi, elle n’a pas pris le temps de vraiment le regarder. Si “blond aux yeux bleus” sonne particulièrement banal sur le papier, elle ne tarde pas à remarquer les détails qui le distinguent des autres - la forme de ses yeux est très jolie.

Le gros forceur originel. Elle l’avait senti. Pas méchant, pas assez pour qu’elle puisse justifier de le virer, mais pas assez gentil ou attentif pour comprendre que quand une fille répond d’une manière agacée, c’est qu’il faut partir. Elle décide néanmoins de prendre sur elle - s’il ne part pas, autant éviter de rendre la situation encore plus désagréable qu’elle ne l’est. Elle n’a qu’à finir son cinnamon roll et son latte, puis partir elle-même. Quand il dit que la vie n’est jamais simple, elle se demande s’il se moque d’elle. Est-ce qu’il ne la croit pas capable de séduire qui elle veut ? S’il croit ça, elle va bien s’amuser à lui montrer. Elle n’arrive pas à s’empêcher d’être sarcastique quand il lui demande ce qu’elle écoutait, cela dit. Bon, on dit que ça commence après. Alors, avec un léger sourire, elle préfère lui demander de lui offrir quelque chose - pour montrer qu’elle est exigeante, qu’elle n’est pas une fille facile à séduire. Mais quand il revient avec toute une assiette, remplie de cookies différents, ses yeux s'arrondissent de surprise. Cet Owen Knight est un peu amusant. Son nom ne lui dit absolument rien.

- Ahava Rosenberg. Prends ceux au chocolat blanc, je n’aime pas ça.

La prochaine fois, elle demandera des donuts, pour voir s’il en ramène aussi un ou deux de chaque variété. Elle prend un cookie au chocolat noir, puis boit une gorgée de son latte, à la paille. Elle relève néanmoins la tête vers lui lorsqu’il reprend la parole.

- J’écoutais un podcast. C’est sur l’évolution des visions sur différentes créatures magiques. Par exemple, comment on se battait avec les peuples aquatiques avant de comprendre qu’on pouvait communiquer et s’entendre avec eux. Comment on a voulu ficher les loups-garous avant de se rendre compte que ça ne marchait pas parce qu’aucun loup-garou ne voulait se dénoncer de peur qu’on l’ostracise. Ce genre de choses. C’est intéressant pour moi, puisque je veux devenir diplomate auprès des peuples magiques. … Et toi, qu’est-ce que tu veux faire, après Ilukaan ?

Ça ne l’intéresse pas. Elle ne compte pas le revoir après cette entrevue, mais elle veut l’attirer dans ses filets pour avoir le plaisir de le rejeter ensuite. Alors elle le regarde, un petit sourire aux lèvres, faisant tourner sa paille dans son gobelet d’un air distrait. Tout est calculé. Même la manière dont elle remonte légèrement la bretelle de sa robe, même la manière dont elle essuie ses lèvres avec sa petite serviette après avoir mangé son cookie. Mais ce n’est pas très difficile - il a le beauty privilege, lui aussi. Elle aurait agi de la même manière avec quelqu’un de moins beau, mais au moins, il est agréable à regarder. Ça rend l’exercice moins pénible.

Son téléphone continue de lui afficher des notifications, et elle finit par l’éteindre et le ranger dans son sac. Parce qu’il la déconcentre, et qu’elle n’arrive pas à s’empêcher de le regarder quand l’écran s’allume. Elle finit son cookie et reprend son roulé à la cannelle. Visiblement, elle aime bien manger. Heureusement qu’elle fait du sport à côté. Mais en réalité, c’est surtout pour avoir quelque chose à faire de ses mains.

Elle attrape un cookie aux pépites de chocolat noir entre ses longs doigts gracieux, lançant un regard à Owen alors qu’elle se présente à son tour. Quand il demande des précisions sur son nom, elle sourit - c’est sûr qu’Ahava Rosenberg, comparé à Owen Knight, ça a de quoi soulever des interrogations. Elle est d’ailleurs très contente de ne connaître personne d’autre qui porte le même prénom qu’elle. Elle aime se sentir unique, parce qu’après tout, elle l’est.

- Ahava, c’est de l’hébreu. Mais Rosenberg, oui, c’est germanique. Je pense que ça s’explique par le fait que je suis Juive. … enfin, à moitié. Ma mère l’est. Je porte son nom à elle, pas celui de mon père. Les origines de mon père se voient sur ma figure, pas celles de ma mère, donc j’ai fait ce choix. Mes parents n’y ont vu aucun inconvénient.

Il revient sur le sujet de son podcast et elle l’écoute en mangeant son cookie. … Eh. Il a une conversation intelligente. Il fait même des parallèles intéressants. Il a l’air d’avoir quelque chose dans la tête, finalement. S’il ne l’avait pas abordé de cette manière, elle aurait presque pu le trouver acceptable - c’est-à-dire, tout juste au niveau de ses standards. Une pépite de chocolat lui échappe et elle la rattrape pour la manger.

- Oui, c’est ça. Ou avec les droits des populations autochtones australiennes - c’est ce que je connais le mieux, dans mon cas.

Et pour cause, son père est un indigène du détroit de Torrès. Ce genre de choses, elle en entend parler depuis son enfance, même s’ils sont mieux acceptés dans la communauté magique que chez les moldus, pour une raison qu’elle ignore. Encore que les choses changent aussi chez eux, elle l’a bien remarqué, et toute sa famille aussi. Des comptines de son enfance lui reviennent en tête, mais elle ne perd pas de vue sa discussion. Puis il répond finalement à la question qu’elle a posée, déclarant qu’il souhaite devenir cycliste professionnel. Elle aurait pu deviner que c’était un sportif, rien qu’à son allure. Elle se contente de hocher la tête, sans rebondir dessus. A la place, elle reprend son cinnamon roll, qu’elle continue de dépiauter entre ses doigts pour en manger les filaments petit à petit.

- Quel peuple ? Beaucoup de différents, tous ceux que je peux représenter. Mais si je ne devais en choisir qu’un, ce serait les peuples aquatiques. Quand j’étais petite, j’allais souvent nager avec eux, à côté de la barrière de Corail. J’ai fini par apprendre leur langue, alors je pourrais même servir d’interprète. Bien sûr, il faudrait que les officiels acceptent de piquer une tête… C’est amusant à imaginer, des gens en costume qui doivent descendre sous l’eau. Ou encore plus drôle, des hommes d’Etat plonger en maillot de bain !

Elle éclate de rire en imaginant la scène, mais se calme vite et reprend tranquillement son café. Elle ne se souvient pas que son père ait eu à faire face à une telle situation - mais lui, après tout, s’occupe plutôt de ceux qui viennent le voir, les sorciers qui s’installent dans des pays étrangers, quelques gobelins et autres Vélanes. Il y a d’autres agents pour aller sur le terrain.

Elle sourit à nouveau quand, après avoir expliqué les origines de son nom, et avoir dit à demi-mots que sa famille est autochtone, Owen répond que ces mélanges culturels sont intéressants. Elle le sait, bien sûr. Même en Australie, ce n’est pas si commun. Le continent a beau se trouver entre l’Afrique et l’Asie, il est majoritairement habité par des personnes blanches - rien que pour ça, elle ressort dans le paysage. Bien sûr, elle accentue sa différence en s’apprêtant avec élégance et raffinement, et avec son fort caractère. Elle ignore si c’est sa personnalité profonde ou si elle s’est construite ainsi pour faire face à toutes les difficultés. Toujours est-il qu’elle est comme ça à présent, et qu’elle ne compte pas changer. Elle mange un long filament de cinnamon roll avant de reprendre, pour expliquer qu’elle souhaiterait être diplomate auprès des peuples de l’eau, lâchant quelques miettes de sa vie au passage. Sur lesquelles Owen ne manque pas de rebondir.

Elle hausse les sourcils quand Owen lui demande s’il pourrait aller nager avec elle là-bas, un jour - en prenant l’excuse du guide. Ses sourcils reprennent leur position normale quand elle se met à rire à nouveau.

- Je ne suis pas guide touristique ! Et je ne suis certainement pas prête à te présenter les peuples qui vivent près de la barrière de Corail. Si tu abordes les sirènes comme tu m’as abordée, tu vas te faire tuer, et je ne veux pas risquer l’incident diplomatique. En revanche, si tu veux juste venir nager avec moi, on peut le faire dans la piscine de l’école ou à la mer… Mais on attendra cet été, pour l’instant il fait trop froid ! Et si tu passes en Australie, je pourrai t’emmener aussi.

Il risque d’être déçu quand il ne la verra pas en maillot de bain - pour cacher la cicatrice qui zébre son dos, elle porte généralement des combinaisons, s’arrêtant au niveau de ses coudes et au niveau de ses genoux. Les mêmes qu’elle porte quand elle fait du surf. Elle se demande si Owen en fait, et combien de temps il mettrait pour apprendre dans le cas contraire. Les félicitations qu’il lui accorde la font sourire. Elle ne pense pas spécialement les mériter. Les personnes dans la même situation qu’elle profiteraient elles aussi de ses opportunités, à son avis. Il reprend ensuite sur sa boutade, renchérissant sur l’idée de la petite mallette à la main.

- Je doute que ce soit très pratique, en plus. Enfin, il y a des gens qui se débrouillent très bien pour nager même avec un seul bras, mais je pense que c’est quand même plus simple avec les deux ! Ah, ça me donne envie d’aller nager… Ça fait au moins depuis un ou deux mois que je n’y suis pas allée. Tu nages aussi, alors ? Tu le fais souvent ? C’est pour muscler ton dos ou juste parce que tu aimes bien ?

L’un n’empêche pas l’autre, évidemment, mais elle se pose la question. Après tout, le vélo muscle surtout ses jambes, non ? Elle ne sait pas trop comment ça fonctionne. Mais il n’a pas l’air déséquilibré dans son apparence, alors le haut est forcément musclé aussi.

- Oh, tu voyages beaucoup ? Loisir ou travail ?

Si c’est un sportif, les deux sont possibles. Que ce soit pour les compétitions, ou avec l’argent qu’il se fait lors de ces mêmes compétitions. Elle, si on lui demandait la raison de tous ses voyages, la réponse serait le travail - mais celui de son père. En tant que fille d’ambassadeur, elle a pu traverser beaucoup de pays différents. Elle aurait aussi pu rester en Australie, chez sa mère, mais elle aime trop changer d’environnement pour rester trop longtemps au même endroit. C’est bien le sang de son père qui coule dans ses veines, lui aussi a la bougeotte. Elle se demande d’ailleurs quand il sera muté la prochaine fois, et où est-ce que sa prochaine mission les mènera. Elle aimerait bien voir l’Amérique latine ou l’Afrique, mais ce n’est pas elle qui décide. Puis elle revient sur la nage, alors qu’elle finit son latte - à force, il est presque devenu froid. Elle n’a pas remarqué qu’elle a passé tant de temps à discuter avec Owen. Eh, au moins, elle ne pourra pas dire qu’il n’est pas du tout intéressant.

- Je comprends. Je préfère la mer aussi, mais les plages d’Australie sont plus agréables que celles du Canada. Sauf quand on tombe sur des serpents, des scorpions, des méduses, des requins ou des crocodiles, évidemment. Normalement les plages touristiques sont plutôt protégées cela dit ! Mais on est jamais à l’abri d’une surprise.

Elle hausse les épaules en finissant ses cookies, comme si ça n’avait pas grande importance, comme si se faire attaquer par un de ces animaux n’était qu’une affaire de malchance. Pour elle c’est plutôt une question de respect des consignes et des règles de prudence élémentaire. Après tout, elle a toujours suivi les instructions et n’a jamais eu de problème. Elle finit son cookie et essuie ses doigts sur sa serviette.

- C’est surtout que je ne peux pas participer à mes concours de beauté si je n’ai pas la taille adéquate. Déjà que je suis tout juste, mais ce n’est pas ma faute, c’est ma morphologie qui est comme ça. Enfin bref. On se verra à la piscine, j’espère que tu n’as peur de perdre à une course contre une fille ?

Parce qu’elle est compétitive et aime être la meilleure, donc elle le mettra forcément à l’épreuve avec quelques petites courses dans l’eau. En attendant, elle récupère les sacs qu’elle avait ramené à ses pieds, puis son sac à main, et se redresse en récupérant le plateau sur lequel elle met ses déchets pour aller les jeter. Elle hésite à juste dire au revoir, mais elle a une meilleure idée qui lui vient.

- Tu fais le chevalier servant jusqu’au bout ? Je ne dirai pas non à quelqu’un pour m’aider à porter mes sacs jusqu’à l’école.

Elle lui sourit - n’a aucune honte à essayer de l’utiliser comme ça. Qu’il se fasse pardonner de lui avoir fait perdre du temps. Elle qui voulait juste se poser une vingtaine de minutes, elle les a largement dépassées, et elle a encore des leçons à réviser et des devoirs à faire. Oh, ils pourraient bien attendre quelques jours, mais elle aime être bien en avance sur ses tâches.