Armée de ses demi-pointes, de son justaucorps et de son téléphone, Lilwenn s’était installée dans la salle du club de danse. Elle savait que le week-end, la salle pouvait être prise d’assaut - elle savait aussi que c’était plutôt le cas le samedi, et que le dimanche, elle était relativement déserte. Soit le moment idéal pour s’entraîner sans être dérangée. Elle lança Casse-Noisette directement sur son téléphone, même si elle consacrait toujours les premières minutes de ses séances à de simples échauffements avant de se lancer vraiment dans l’entraînement. Elle sifflotait la musique en se préparant, retirant ses chaussures pour mettre ses demi-pointes, enlevant son manteau pour ne garder que son justaucorps et la jupette légère qui l’accompagnait. Face au mur de miroirs, elle prit le temps de relever ses cheveux en un chignon épais et serré, qui n’allait pas se défaire malgré ses mouvements.

Elle effectua une petite pirouette, vérifiant que tout était correct, avant de commencer l’échauffement à proprement parler. D’abord, les pieds et les chevilles - pour réveiller son corps, les mouvements circulaires des jambes était la priorité. D’abord vers l’intérieur, ensuite vers l’extérieur. Puis réveiller ses mollets en effectuant des séries - pieds plats, bras en arc de cercle en bas, pointe des pieds, bras en arc de cercle en haut. Ensuite, un léger trajet sur le talon - elle trouvait toujours cet exercice ridicule à faire, mais savait bien qu’il l’aidait à garder son équilibre. Son échauffement continua ainsi pendant un certain temps : les hanches, les épaules, rien n’était négligé. Elle n’avait pas envie de se blesser. Un dernier passage à la barre, pour améliorer sa souplesse et son équilibre, et elle était prête à danser vraiment.

Elle répéta les différentes positions de départ, et puis se lança. La danse qu’elle effectuait pour le moment n’avait rien à voir avec la musique - si ce n’est le rythme, évidemment. Elle s’amusait plus qu’autre chose pour le moment, effectuant entrechats et pirouettes tour à tour. Lilwenn aimait danser, et c’était lorsqu’elle était seule que cela se voyait le plus. Elle qui ne souriait jamais habituellement ne pouvait s’en empêcher lorsqu’elle effectuait ses arabesques et ses jetés, et elle le voyait bien, face aux miroirs de la salle de danse. Ça la changeait - ça lui donnait presque l’air aimable, voilà pourquoi elle ne se le permettait pas. Son but n’était pas d’être aimable, son but était d’être forte et indépendante, et douée dans tout ce qu’elle faisait. Alors les autres la gênaient, et passer du temps avec eux lui donnait l’impression de gaspiller son temps. Bien sûr, il y avait quelques notables exceptions…

Elle se concentra à nouveau sur la musique, juste à temps pour reconnaître les dernières notes de Mère Gigogne et les Polichinelles. Soit, juste avant la Valse des Fleurs. Oh, bien sûr, elle aurait rembobiné la musique si elle l’avait dépassée, mais tant mieux. Elle prit une grande inspiration et se lança dans la danse. Elle ne connaissait pas encore les pas par cœur, mais c’était bien pour cela qu’elle s’entraînait. Elle voulait participer à un ballet éphémère à Bloombury, qui aurait lieu en décembre, et elle devait connaître ce passage du ballet pour espérer décrocher un rôle au casting. Elle ne s’attendait pas à jouer le rôle de Clara, bien entendu - mais si elle pouvait faire partie des danseurs à l’arrière, ce serait déjà quelque chose de non-négligeable.

Les yeux fermés, elle imaginait la scène se dérouler sous ses yeux - s’imaginait en Clara, aux côtés de son beau Casse-noisette - qui prenait chaque fois les traits de son meilleur ami. C’était normal, après tout : elle ne pouvait pas dire être proche de beaucoup de garçons mis à part Daniel. Les pas s’enchaînaient, avec fluidité et grâce. Un bruit inhabituel la fit redescendre sur terre, cependant. Elle s’arrêta en plein milieu d’une pirouette, laissant sa jambe retomber, droite à côté de l’autre, tandis que son visage se tournait vers la porte. Elle éteignit la musique, et enfila son châle sur ses épaules constellées de taches de rousseur avant de venir ouvrir la porte - elle remarqua seulement qu’elle l’avait laissé entrouverte. Elle espérait n’avoir gêné personne.

- Oui ? Je peux faire quelque chose pour toi ?

La fille en face d’elle avait visiblement l’air plus jeune. Elle le devinait parce qu’il était rare que quelqu’un soit plus petit qu’elle. Son regard ambré s’était porté sur l’autre élève, et elle espérait ne pas paraître trop sévère ou agacée, même si elle sentait que ses sourcils avaient repris leur froncement habituel.