Le bruit de la pluie tombant lentement sur le sol de terre, une goutte plus lente que les autres s’écrasant dans la petite marre près de l’autel, le temps semblant suspendu et les pleurs tranchant dans le silence abrupt, puissant et assourdissant. Vêtue de sa tenue traditionnelle rose et violette, une silhouette tremblait légèrement, abritée de la pluie par le préau couvrant les tombes des ancêtres. Comment supporter cette vision de soi lorsqu’on ne s’y reconnaissait pas ? Lorsque rien ne semblait indiquer qu’il s’agissait de soi, de son âme et de son être. Le maquillage coulait sur la peau naturellement blanche de la jeune femme. Elle avait envie de tout briser, de casser ce reflet qui ne lui convenait pas. Ne serait-elle jamais celle qu’elle voulait ? Devait-elle vraiment subir la pression familiale jusqu’à la fin de sa vie ? Elle voulait être libre, loin de cette camisole qui l’emprisonnait dans une situation que la pauvre demoiselle n’arrivait pas à gérer. Devait-elle vraiment quitter ce père aimant mais exigeant et cette mère déshonorée mais protectrice ? Quelle pouvait-être la pire chose que de déshonorer les siens face à ce vestige de tradition, face à cette foutue marieuse incapable de voir et d’accepter qu’une femme pouvait être autre chose qu’une mère et une épouse ?

Bien avant de savoir marcher, Mulan savait grimper. Bien avant de savoir parler, Mulan savait manier les lourds sabres en bois. Bien avant de savoir espérer, Mulan se voyait déjà forte et libre. Affranchie d’une tradition trop lourde et d’un honneur étouffant. Mulan, c’était une enfant joyeuse, drôle et vivante. Très vivante. Elle courait partout, suivait son père dans les champs et finissant même par réussir à monter à cheval avant sa cinquième année. Bien loin des considérations budgétaires ou genrées, c’était une enfant qui voulait juste découvrir le monde, apprendre tout ce qui était possible et courir jusqu’à manquer de souffle.

La demoiselle était baignée par les histoires de dragon. Elle en voyait parfois dans le ciel et son esprit de petite fille vagabondait, s’imaginant sur leur dos. Alors, du haut de ses quatre ans, elle commençait déjà à réclamer un de ces grands reptiles comme animal de compagne. Quelle ne fut pas sa surprise de découvrir un dragon nain, un peu maladroit et beaucoup trop attachant, le jour de son cinquième anniversaire. Étrangement, les deux bébés se connectèrent immédiatement, créant un lien incroyable entre eux, magnifie et indestructibles. Mushu qu’elle l’appela.

Elle se rappelait encore bien distinctement, la fois où elle avait décidé de suivre son dragon nain et de voler avec lui. Mulan avait grimpée à l’arbre le plus haut de la propriété avant de sauter sans vraiment se rendre compte du danger. Heureusement pour elle, elle plana pendant quelques secondes, très proche du sol. La fillette, âgée de six ans à l’époque, avait appris deux choses de cet évènement. Les humains ne voulaient pas sans aide et elle était une sorcière.

Son enfance marqua un tournant lorsque le ministère de la magie signifia que sa famille n’avait pas les moyens pour que la petite entre dans l’école de magie chinoise. Il fut décidé de justesse que la petite magicienne fut envoyée à Ilukaan. Et un nouveau monde s’ouvra à elle. De la technologie, de la nourriture à foison et une maison avec plus de gens que dans sa propre famille ! Sans parler de la magie, de sa première baguette et surtout, des cours de sabre qu’elle suivait avec une assiduité comme aucun autre cours.

Rien de vraiment étonnant ne se passait à l’école, c’était un havre de paix pour la jeune fille, la découverte de multiples possibilités d’avenir. Les retours dans sa famille en Chine étaient toujours compliqués, le fossé se créait entre elle et ceux qu’elle aimait le plus au monde. Une famille traditionnelle qui rencontrait une fille indomptée et qui aspirait à autre chose qu’un simple foyer rempli d’enfants nourris par le dur labeur des champs. Alors, les tensions apparaissaient souvent malgré l’amour qui régnait.

Heureusement, Mulan put choisir la voie qu’elle désirait et se jeter corps et âme dans le sport jusqu’à l’extrême parce qu’elle ne faisait rien à moitié, la chinoise. Elle récupèrerait l’honneur de sa famille en brillant dans sa spécialité. Il le fallait. Ce serait toujours moins suffoquant que de se marier avec un inconnu incapable de la voir autrement qu’une poule pondeuse. Mais, ses certitudes étaient mises à mal par l’été qui venait de se passer. Par la rencontre avec cette femme horrible, par ces mots si difficiles qui avaient marqués au fer rouge la peau blanche de l’adolescente. « Jamais vous n’aurez une vie honorable ! Jamais vous ne vous marierez ! Jamais vous n’existerez pour votre famille et vos ancêtres ! » Alors, elle s’était réfugiée devant l’autel de ses ancêtres, à pleurer comme une enfant devant ce qui semblait être la plus triste période de sa vie.

(c) Ilukaan