"Cher Guangshan,
Je t'écris en faveur de ton fils, Yao, qui a aujourd'hui bien grandi et est sur le point de fêter son sixième anniversaire. Tu trouveras, joint à ce courrier, une photo de lui prise récemment. Je te serais gré de l'accueillir chez toi pour la suite de ses études. Il démontre depuis longtemps certaines capacités, semblables aux tiennes, et j'aimerais qu'il ait la possibilité d'en exploiter le plein potentiel. Voilà longtemps que tu es reparti au Canada, mais notre histoire a bel et bien existée - et j'en garde des souvenirs marquants. Je sais à quel point ta notoriété au ministère t'empêche tout écart, et loin de moi l'idée de ternir la lisse image d'un politicien aussi renommé que toi. C'est pourquoi il m'est pénible de t'écrire ces mots, qui me sont sûrement plus douloureux qu'à toi. Il ne s'agit là nullement d'une menace, mais du souhait de réussite qu'a une mère aimante pour son enfant.
J'ai appris que Zixuan était né le même jour que Yao, à deux ans près. La vie est étonnante... Et je suis certaine que de mauvaises surprises ne devraient pas être ajoutées à ce paisible tableau.

En l'attente de ton retour,
Shi Meng

Ta naissance fut le fruit du hasard, celle d'une rencontre entre Guangshan Jin, un employé du Ministère de la Magie Canadienne en voyage diplomatique, et Shi Meng, une simple moldue pourtant très perspicace. Elle et son amant se sont aimés l'espace de quelques mois, d'un amour éphémère que les obligations rattrapent toujours. Fiancé à une autre, Guangshan respecta ses engagements et repartit au Canada pour se marier. Il n'avait pas prévu que tu verrais le jour peu de temps après son départ et envoya de l'argent - en grande partie pour que ta mère n'ébruite pas la situation. Tu reçus de lui quelques cadeaux aujourd'hui conservés dans une malle secrète, et des cartes signées à la hâte.
C'est ta mère qui te parlait souvent de lui et qui, dès ton plus jeune âge, te mit des idées dans la tête. Elle te répétait sans cesse qu'un brillant avenir s'offrirait à toi, que Guangshan finirait par reconnaître l'exceptionnel enfant qui grandissait en Chine, loin de lui, et qu'il reviendrait te chercher. Tu grandis avec l'espoir toujours vif de voir cet homme rêvé, idéalisé, venir te rendre visite. Derrière cette attente, tu étais un enfant de nature calme et timide. Tu observais beaucoup le monde, récoltait les informations nécessaires avant d'agir pour le mieux. Tu désirais déjà accomplir de grandes choses, avais déjà au fond de toi l'envie de rendre fiers tes parents.

C'est à l'âge de sept ans que ta vie changea du tout au tout, quatre ans avant d'entrer à Ilukaan. La figure paternelle dont tu avais tant rêvé apparut comme dans un rêve, étincelant de grandeur. Les choses se déroulèrent alors trop vite pour toi, c'est à peine si tu parvenais à réaliser ta chance et le tournant que venait de prendre ton existence. Arrivé au Canada, tu ne fus pas dépaysé par la langue anglaise que ta mère avait pris soin de t'enseigner avec une partie de l'argent envoyé par ton père - elle nourrissait pour toi des ambitions depuis ta naissance, mais tu ne compris bien sûr tout ça que plus tard, tu étais encore naïf. Les coutumes et la culture, en revanche, furent un choc pour toi qui avais grandi de manière bien différente. Tu dus apprendre de nouveaux codes, t'adapter, et subir quelques moqueries auxquelles tu appris à sourire - car répondre par la colère rapetisse celui qui cède à ces impulsions.  
Guangshan, ton père, te traitait avec une forme de curiosité - il ne savait clairement pas comment s'y prendre, avec toi qu'il avait accepté d'accueillir et de reconnaître pour ne pas être éclaboussé d'un scandale incontrôlé. Tu fus présenté comme le fils né d'une aventure avant son mariage, mais, de ton père, tu n'obtins jamais le nom de famille et garda celui que ta mère t'avait donné à ta naissance.
Ta rencontre avec ton demi-frère, Zixuan, demeure pour toi un souvenir que tu as oublié. Tu te souviens seulement du goût grandissant de l'injustice, de l'incompréhension, et, finalement d'une rivalité sûrement à sens unique - car tu n'en dis jamais rien à personne et ne le montres jamais vraiment. Zixuan passe avant toi, c'est un état de fait avec lequel tu as évolué et qui te forces à redoubler d'efforts pour être mieux que lui, plus digne d'un amour paternel biaisé.
Ta mère adoptive, quant à elle, t'as toujours porté une attention contradictoire, une courtoisie à la fois proche et distante, comme si elle hésitait. Elle s'occupait de toi, t'aidait parfois à faire tes devoirs, et a même montré des signes de satisfaction lorsque tu as commencé à développer une magie de guérison comme la sienne. Mais ce n'est pas cette femme que tu cherches à impressionner - tu lui es seulement reconnaissant de ce qu'elle a accepté de faire pour toi.

Lorsque tu entras en première année à Ilukaan, le rêve devenait réalité. Tout ce dont ta mère t'avait un jour parlé se réalisait et tu avais du mal à en croire tes yeux. La moindre découverte te paraissait follement merveilleuse. Devant la fontaine, ton cœur battait la chamade et le caribou qui apparut dans le reflet tranquille de l'eau ne fut pas vraiment une surprise, car tu connaissais déjà tes prédispositions et t'étais préparé à cet instant. C'est avec un certain plaisir, une fierté non dissimulée, que tu revêtis les couleurs vertes de ta nouvelle maison.
Tes années d'études furent une source de joie, de fierté, et d'ambitions grandissantes. Lorsque Zixuan entra à son tour à Ilukaan, tu tentas de ne lui porter qu'une attention distante, presque inexistante, tu l'évitais de peur qu'on t'associe trop à lui et que les autres se mettent à faire des comparaisons.

Aujourd'hui, tu as continué ton cursus et tu es en treizième année ; tu poursuis des études de Justice magique et espère, comme ton père, avoir une place au ministère. C'est dans le but de le rendre fier de toi que tu as suivi cette voie, et non parce qu'elle t'intéressait particulièrement. Tu es certes un être très perspicace, tu es certain que, si tu t'étais écouté, tes choix de vie auraient sans doute été bien différents. Mais il est maintenant trop tard pour faire reculer la machine et tu continues d'avancer sur ce chemin éprouvant, le sourire aux lèvres.   

(c) Ilukaan