La famille Goetia remonte à un nombre incalculable de génération. Il n'est pas rare pour les curieux et les férus d'histoire de croiser le nom, par-ci, par-là, dans quelques grimoires anciens comme nouveaux. Présentement, beaucoup de blagues et de moqueries sont énoncées à leurs sujets. "Ces connards prétentieux, ils chérissent si fort la pureté de leur sang qu'ils seraient capable de baiser entre eux". "Ils ne viennent pourtant pas du nord de la France !" "Et alors ? Ce sont des 'sangs-purs, sang-dur'. Des siècles que leur nom se préservent et que leur famille de richou survit sans la moindre goutte de sang mêlé dans leur lignée. Si ça ne hurle pas à l'inceste !..."

C'est en effet dans cette famille de mariages arrangés entre cousins éloignés et familles alliées que né Stolas Goetia. Pas d'inceste en vue, pour ses parents comme ses oncles et ses tantes, mais beaucoup de mariages malheureux entre érudits traditionnels n'ayant pas d'autre choix que de suivre les ordres de leurs ancêtres. C'est vu comme normal, après tout. Depuis la naissance, le statut est tout ce qui importe. Dans l'entourage de Stolas, il n'y a que des chercheurs, des patrons, des auteurs, des artistes. Des professions "nobles", qui inspirent le respect et qui inscrivent les noms dans l'histoire. Hors de question de devenir comptable, ou bien même docteur, à moins d'inscrire son nom dans le domaine avec de nombreuses publications et apparitions publiques. "On peut dire ce que l'on veut de nous, Stolas, mais la vérité reste inchangée : nous avons forgé le monde de notre savoir, et les sorciers vivent heureux, en harmonie grâce à nous." On le rassure souvent de ceci. Si on ne les aime pas, c'est uniquement à cause des moldus, et de leur "cause", de leur infériorité "qui est une force".  

Stolas se moque bien des moldus. Il n'éprouve ni pitié, ni sympathie, ni colère envers eux. Un soupçon de mépris dans un chaudron d'indifférence.

Stolas a une vie bien remplie. Il faut dire qu'avec une trentaine de frères et soeurs, on se garde occupé. Il a retenu leur nom par coeur, comme on le ferait dans une salle de classe, mais n'est réellement proche d'aucun. Son enfance est solitaire, mais animée par la compagnie de ses nombreux livres chéris. Il a lu un jour que le record était détenu par une moldue, fils d'un peintre russe: 67 enfant sorti d'une seule mère, de quoi faire pâlir sa propre famille qui avait pourtant utilisé l'aide de la magie pour n'enfanter que la moitié. Il avait gardé cette information pour lui, de peur de froisser l'égo de son père, Paimon Goetia. Le maître de la famille n'aurait pas pu avoir plus d'enfant sans en perdre la tête, de toute façon. La plupart du temps, il oubliait le nom de certains d'entre eux, confiés à des nourrices.

De ce fait, Stolas préférait passer du temps avec les bibliothèques de leurs villas, arpentant les couloirs d'ouvrages avec un sourire enfantin qu'il conserva toute son enfance jusqu'à son propre mariage arrangé. On lui avait annoncé dès ses onze ans le nom de sa promise, connue pour être une véritable peste à l'époque. Malgré les années, il avait semblé que Stella n'avait pas changé du tout. Alors qu'elle avait parcouru les pierres blanches et lisses de l'église dans sa magnifique robe de mariée étincelante, Stolas l'avait trouvé aussi belle que repoussante. Si elle souriait, ce n'était pas pour lui, mais pour le nom de Goetia qu'elle avait pu revêtir ce jour-là. Son pauvre mari avait réalisé qu'à 17 ans seulement, sa vie de lecture et d'amusement solitaire était déjà terminée. Il passait alors dans le monde des adultes sans jamais avoir eu de réelle enfance.

Cette joie qu'il avait perdue fut retrouvée dès la naissance d'Octavia, sa seule et unique fille. Il était désormais papa à l'âge de 23 ans : dix ans à essayer de créer un ou une héritière. Six ans à dormir avec sa femme dans un lit froid et sans amour, à parfois tenter un accouplement sans passion, tout cela pour rater la plupart du temps. Il n'était pas attiré par elle. Elle n'était pas attiré par lui. Il y avait trop de pression sur leurs épaules, mais aucun sentiment pour les encourager. La frustration s'était transformée en dégout, parfois en colère. Stella lui hurlait dessus. Stella se moquait de lui. Stella le frappait. Et lui qui n'avait pas la moindre tendance violente ne possédait aucune envie de rendre la pareille. Il avait tenté un jour de s'ouvrir à ce sujet auprès d'un de ses frères, qui lui avait rit au nez. Les hommes battus n'existent pas : ce sont des mauviettes incapables de se défendre. Leur faute uniquement.

On lui avait proposé le service de nourrices pour prendre soin de sa fille durant ses études supérieures, une proposition donnée à tous les membres de la famille, mais que Stolas avait refusé. Il ne souhaitait pas donner à sa fille le même manque d'attention que son père lui avait offert. Il s'était promis une chose en voyant son doux visage de bébé : "Être toujours là pour elle, juste elle". Il n'était pas question de faire un enfant de plus : il ne pouvait pas souffrir ainsi à nouveau. Elle serait la seule à habiter son cœur.

En voyant cette "excentricité", on le met en garde de ceux qui s'éloignent trop de la famille. "On les perds, et ils tombent de notre grâce. Plus personne n'est là pour les soutenir, et un Goetia sans relation est un Goetia mort."

Après l'obtention de son diplôme à l'école de Poudlard où il était à serdaigle, Stolas s'était lancé dans la recherche de ses sujets préférés. Les pierres précieuses, les plantes et les étoiles étaient ses passions, mais jamais ne pouvait rattraper celle qu'il ressentait pour son seul et unique trésor, Octavia, qu'il surnommait affectueusement Via. Travailler depuis chez lui lui permettait de prendre soin d'elle, d'être présent pour elle. Lui et Stella maintenaient une façade cordiale face à leur fille, mais se tournaient le dos dans leur lit commun, espérant juste pouvoir passer leurs nuits sans avoir à se regarder. La journée, quand Octavia partait pour la garderie ou plus tard l'école, Stella hurlait, et lui écoutait silencieusement, sans la force de répondre. Il s'agissait de disputes à sens unique.

Stella l'insultait, que ce soit dans son dos avec ses amies, ou bien devant lui, sans la moindre gène. Pourquoi faire semblant d'être une femme aimante ? Tout le monde savait qu'ils avaient été mariés par la famille, qu'ils n'étaient ensemble que pour préserver la pureté de leur sang.

C'est lors d'un gala qu'elle avait organisé qu'il avait finit par perdre pied avec ses responsabilités et sa réputation. Ce soir là, Stolas avait trompé Stella avec 'nobody', un 'rat qui s'était infiltré dans le bâtiment, sans carton d'invitation', un 'voleur'. L'étranger était reparti avec le carnet d'adresse, la signature et le coeur de Stolas. Cette nuit, il avait eu la sensation de 'faire l'amour' pour la première fois. Le lendemain matin même, la tromperie était découverte, et la proposition de divorce était donnée, par lui-même.

Personne n'était surpris dans la famille. A vrai dire, tout le monde s'en moquait. Stolas avait trente-quatre ans, Octavia en avait onze. L'enfant était là, en bonne santé, et avait le sang qui lui était demandé. Les relations amoureuses de leur frère, fils, oncle, peu importe, ne tâchaient aucunement les Goetias et leur lignée. Quand Stella passa pour la dernière fois la porte de sortie de sa villa, Stolas se sentit libre. En regardant ses recherches, il décida qu'il était temps d'essayer quelque chose de nouveau.

Enseigner.

On lui avait réservé, plus jeune, un rôle de prophète. Un nom grandiloquant pour un simple poste d'astrologue familial : avec sa connaissance des astres et de la terre, faire des prédictions simples était à sa portée, et les Goetias, comme toute famille riche, avait un intérêt particulier pour le luxe de connaître son futur.

Mais plutôt que d'inscrire son nom dans l'histoire pour la gloire, il voulait prendre cette connaissance qu'il avait accumulée et la partager à d'autres. Des élèves... De tous genres. Sang-purs. Sang-mêlés. Nés-moldus. L'année est 2021. Ilukaan est mentionnée dans les journaux comme une grande école... Une grande école sombrant dans des dérives telles que la "justice sociale". Alors qu'il travaille son concours, Vincent Leroy se fait arrêter pour refus de coopérer avec le gouvernement traditionnel, rempli de de sang-purs. Il ne sait pas pourquoi... Mais cet esprit de rébellion l'attire, lui qui se pense pourtant toujours honnête quand il affirme que les nés-moldus ne valent pas un sorcier pur.

Peut-être est-ce toujours la même chose. L'indifférence. Peu importe l'origine, Stolas ne ressent que la plus pure des indifférences.

Il a choisi l'astronomie en voyant la pénurie d'enseignants dans cette discipline. Quelle tristesse. Les étoiles sont pourtant une merveille. Quand on les admire, depuis notre petite planète Terre, on a l'impression de s'envoler et de quitter notre vie, même si temporairement. Peut-être qu'en franchissant la porte du bureau de Vincent Leroy, sa vie sera close définitivement. Alors, une nouvelle étoile naîtra.

(c) Ilukaan