De son enfance, le petit Lan Zhan ne se rappelait pas grand-chose. Il se souvenait de son grand frère qui toujours lui tenait la main, des gens qui les prenaient pour des jumeaux, les deux enfants de Jade. Et de cette vieille cabane où chaque mois, il allait rendre visite à cette femme aux cheveux noirs et aux yeux dorés. Cette femme enfermée dans une cage dorée, c’était la personne la plus importante pour le petit homme qu’il était. Sa mère. Il se rappelait bien de chaque rendez-vous mensuel avec elle, de cette sensation horrible qui lui prenait les tripes quand il devait la quitter. C’était toujours trop court. Toujours trop difficile. Mais toujours, il repartait avec un cadeau. Un tournesol, un jouet en bois… Toutes ces petites choses gardées si précieusement par le petit garçon qu’il était. Cette douce étreinte si chaleureuse et en même temps si triste, il s’en rappelait encore maintenant, le soir avant de s’endormir. Ça lui manquait. Elle lui manquait.

Parfois, il lui arrivait de suivre son oncle en ville, loin de Gusu, accompagné de son grand frère. Et c’était le lendemain d’une visite maternelle que le petit Lan Zhan se baladait avec son jouet, incapable de le lâcher depuis la veille. Ses petites jambes devaient presque courir pour suivre la personne qui l’avait amené mais il s’en moquait. L’agitation de la ville lui semblait étrange. Agréable et dérangeante en même temps. Très curieux, observateur, le petit homme finit par tomber sur un autre enfant, visiblement de son âge qui traînait dans les rues. Pourquoi semblait-il si triste ? Il n’avait pas de parents ? Sa mère aussi était enfermée ? Mue par un instinct étrange, l’enfant lâcha la main de son oncle pour se diriger directement vers l’inconnu. Sans un mot, il tendit son jouet si précieux à ce petit être aux cheveux en bataille. Lan Zhan attendit patiemment que l’enfant le prenne pour répondre à l’appel de Lan Qiren inquiet de ne pas retrouver l’un des enfants de jade. Un dernier regard, un dernier hochement de tête et le petit courut auprès de l’adulte sans même salir sa jolie tenue blanche typique de sa secte. Ah.. Dire que ce petit homme, il le reverrait bien des années plus tard.

Mais sa mère lui manquait beaucoup trop, si bien qu’un jour, quelques temps après la visite mensuelle, le petit Lan Zhan s’était installé devant cette lourde et haute porte interdite, son guqi sur les genoux. Il avait fugué, disparu en laissant son frère en plan pour courir ici aussi vite que possible. Encore essoufflé par sa course effréné, le petit homme commença à jouer de son instrument avec détermination. Il y avait encore quelques fausses notes, ce n’était qu’un enfant mais… Il avait composé la mélodie lui-même pour sa mère. Les notes s’élevaient lentement, brisant le calme de l’environnement. Il avait les yeux fermé, bandeau bien attaché dans ses cheveux. Et… un clic ? Ça, c’était étonnant. Lan Zhan rouvrit les paupières pour comprendre et il vit la porte grande ouverte. Oh, le petit homme avait essayé souvent de faire ça, de pousser le large pan de bois pour entrer sans jamais réussir. Elle était si lourde. Était-ce de la magie ? Comme son frère faisait parfois avec les origamis ? Sans doute. Mais la porte était ouverte ! Mais c’était interdit. Mais il y avait sa mère ! Mais son père serait en colère… Mais sa mère…

Lan Zhan posa délicatement son instrument sur le sol à côté de lui avant de se lever. C’était interdit… Sa mère… Il fit quelques pas à l’intérieur pour voir un corps allongé, déformé, marqué par cette malédiction. Ce n’était pas sa mère finalement… C’était… Autre chose. Et ça lui faisait très peur. Pourtant, il savait, il sentait que c’était elle, alors il fit un pas, puis deux avant de se stopper à quelques centimètres d’elle. C’était ses yeux, il en était certain, le petit Lan Zhan. Elle tendit une main griffue vers l’enfant, un murmure rauque passa ses lèvres, dévoilant une rangée de dents acérées. Il n’osait plus bouger, le pauvre enfant. Il était hypnotisé et terrorisé. Que faire ? Rien. Le petit homme n’arrivait à rien. Mais il sentit qu’on le tirait en arrière et que cette rangée de dents se planta dans un autre bras que les siens. La créature lâcha rapidement l’homme qui tira en arrière l’enfant avant de fermer rapidement la maison. Son père. Alerté par la porte ouverte sans doute ?

Les répercutions… Furent compliquées à gérer pour le petit homme. L’état de son père se dégrada plutôt vite avant de se stabiliser. Mais il ne pouvait plus garder la gestion de la secte. Et Lan Xichen était trop jeune, du haut de ses sept ans. Alors, il fut décidé que son oncle, Lan Qiren prendrait la place en attendant la majorité de l’aîné des enfants de Jade. Jamais de sa vie, il n’oubliera le visage du monstre qu’était devenue sa mère et malgré tout, chaque mois, il était là, le petit homme, devant la porte à attendre la visite mensuelle pour recevoir un peu d’amour maternel. Et c’était sans doute pour ça que lorsque le choix de l’école de magie se posa pour Lan Xichen, leur oncle décida de les envoyer loin. Pour que petit à petit, l’emprise de la mère file comme le vent.

Les deux années loin de son frère furent pénibles pour Lan Zhan. Ils étaient presque comme des jumeaux, après tout. Alors, il partait souvent avec son oncle pour s’occuper entre deux cours intensifs qu’il recevait. Et enfin, le départ pour l’école. Les retrouvailles avec son frère et la découverte d’un nouveau monde. Le petit homme était réellement émerveillé par tout ça même si… Ça ne se voyait pas si on ne le connaissait pas. Et les années passèrent, il suivait les instructions de son clan, de l’école sans même protester. L’enfant devenu adolescent aimait apprendre, il était généralement le meilleur de sa promotion, très à cheval sur les règles d’ailleurs. Oh bien sûr, il avait reconnu le petit enfant à qui il avait donné son jouet fétiche bien des années auparavant mais les choses se faisaient, le temps filait rapidement comme une douce mélodie.

Cependant, ce ne fut que lors des quinze ans que réellement, les choses changèrent un peu dans l’esprit d’un Lan Zhan adolescent. Wei Wuxian était terriblement agaçant et complètement dépourvu de sens moral ou de respect envers les règles. Mais les années passaient lentement. Le plus jeune enfant de Jade perdit finalement sa mère puis son père coup sur coup avant même de rentrer à l’université. La dernière partition de la malédiction. Ce fut vraiment difficile pour Lan Zhan même si… Une fois encore, il ne montrait rien. Il devenait juste… Encore plus rigoureux et moralisateur sur le respect des règles. Et puis, il y avait cette culpabilité qui le rongeait, qui suintait un peu dans son âme. Et si… Et si il avait accepté les règles sans chercher à revoir sa mère en dehors de ces rendez-vous ? Et si… Et si sa magie n’avait pas ouvert la porte ? Et s’ils étaient encore là… Serait-il venu ici ? Aurait-il eu cette sensation si désagréable d’avoir été arraché à ses racines alors même que sa famille n’était pas… normale ? Toutes ces questions qui fusaient une fois couché droit comme un i dans son lit. Tout ce poids sur ses épaules alors qu’il fermait les yeux pour s’endormir.

Alors, il se devait d’être le meilleur. De faire honneur aux Lan qu’il avait souillé par sa bêtise. Il devait faire briller le Gusu. Le choix de son cursus se fit plutôt facilement vu qu’il décida de suivre les traces de son père et de partir en Auror et Défense Magique. Il allait devenir un grand Auror, Lan Zhan. Lors de ses prières et méditations, il priait toujours pour le salue de l’âme de ses parents, pour la protection de son frère, de ses amis et même de ce Wei Wuxian qui ne semblait avoir aucune conscience que ses gestes et ses mots pouvaient parfois lui coûter la vie. La musique guidait toujours sa vie, armé de son Guqi toujours au minimum en pendentif autour de son cou, il restait un compositeur doué. Ah… En quoi Lan Zhan échouait ? À part en la protection de ses parents… ?

(c) Ilukaan