Sous le ciel boréal anglais, un petit cri s’élève…

La neige assourdit le paysage de la campagne anglaise percée par quelques arbres aux silhouette desséchées et étranges. L’appartement est vétuste, ancien et mal entretenu. Les courants d’air percent les fenêtres cachées par les rideaux. Dans cette semi-obscurité, un bébé geint. Un échange de regard déterminant se fait entre deux adultes aux yeux cernés de fatigue et a la peau déjà abîmée par la vie.

Ils ont fait ce qu’ils ont pu, ses parents. Pourtant, quand la mère est tombée malade et que les factures ont commencé à s’accumuler, ils se sont inquiétés. Ils ne savaient plus quoi faire, les aides ne suffisaient pas. Des pleurs s’élevaient tout les soirs dans le grand lit de l’appartement. Une décision chuchotée, des mots qui pèsent lourd.

Les couleurs brisent le blanc et le blanc n’est que couleurs ; Parmi les joies qui percent ton coeur, je suis là.

La sortie au cirque, c’était inattendu, et bienvenue pour l’enfant. Ses petites jambes maigres le portaient vers les acrobates et les animaux. Ses grands yeux fascinés suivaient les mouvements et se souciaient à peine de la grande main serrant la sienne. Aussi quand celle-ci disparut, il ne s’en rendit pas compte. L’émerveillement le saisissait au corps et au cœur, bambins marmottant avec les chèvres et se glissant partout, ce n’est que lorsque la fatigue vint que des cris de panique retentirent.

Discussions d’adultes autour du corps enveloppé dans une couverture toute chaude et douce, et un grand homme au costume droit qui lui demande son nom. Il ne sait pas, il ne connaît que son prénom, Allen. Il est trop petit, il ne comprend pas. Ce n’est que quand un grand clown triste le prend dans ses bras qu’il se laisse aller à dormir sur son épaule. Des papiers seront signés, des démarches faites sans que le petit n’en aie conscience. Et sa maison changea du tout au tout.

D’une pièce terne et fatiguée aux couleurs délavées par le temps et la pauvreté, il passa à un monde coloré et charmant. Parfois dur, car tout le monde doit mettre la main à la patte et aider, mais souvent plein de joie et de rires. Le grand clown triste s’appelait Mana, abréviation pour Manuel, ça ressemblait à « mama ». L’enfant appris vite à le prononcer avec l’affection d’un petit être qui a besoin d’un repère.

Mana était solitaire, sans famille. Parmi la troupe aux multiples liens, il était un peu l’exception. Malgré les rides qui affaissaient son visage, il prit pitié de l’enfant aux cheveux roux et lui offrit la chaleur d’un foyer. Il en prit grand soin et le petit était ravi de son nouveau adulte. Même s’il ne l’appela jamais papa, c’était tout comme pour lui. Ils travaillèrent un numéro pour que l’enfant assiste l’homme dans ses tours de clown.

L’homme lui appris également la foi et la compassion, très croyant, Allen, au fil des années appris son passé de prêtre, renoncé pour un amour qui s’en fut, et qui le mena à travailler pour le cirque. L’enfant absorbait les vœux, la bienveillance et la douceur de l’homme aux cheveux d’argents.

« Les oiseaux […] Fatigués, abandonnent
Et s'enfoncent dans le ciel
Pour aller chercher de l'air plus haut
Plus haut que Dieu décida de faire mourir le vent »

Malheureusement les années pesaient déjà sur les épaules du vieux clown. Allen avait fêté son sixième anniversaire depuis quelques mois, le printemps faisait fleurir les marguerites le long des routes qu’ils empruntaient quand il s’éteignit.

Le doublement orphelin avait un peu plus conscience des choses désormais. Il pleura grandement et découvrit la colère de la perte. Il cassa de multiples objets dans la caravane où il avait vécu avec le vieil homme. Les visages bariolés étaient bien triste en ce joli jour de printemps quand le clown descendit dans sa dernière demeure. L’enfant qui pleurait devant la pierre grise était perdu. Les mots qui étaient prononcés perdaient leurs sens.

C’est ce jour-là qu’il détruisit, alors qu’il essayait pourtant de ranger le bazar qu’il avait mis dans sa petite maison roulante, un globe lumineux marqué d’une croix qui l’avait toujours fasciné mais auquel il avait toujours eu interdiction de toucher. Bien en avait pris à Mana de le préserver, mal en pris au petit de cogner dedans avec son balai trop grand pour lui. Le globe tomba sur sa tête et se brisa, éraflant son visage d’une profonde cicatrice, semblable à une brûlure. La douleur physique que cela lui causa, conjuguée à la douleur de sa perte de tuteur, de repère, d’adulte à lui, déclencha sa première vague de magie. Il fut soudain impossible à approcher, comme entouré d’un champ de force, alors même qu'il pleurait à grands cris. Les adultes du cirque s’inquiétèrent et ne comprirent rien à tout cela, jusqu’à ce que l’enfant s’effondre de fatigue.

Il fut soigné, et les circassiens s’occupèrent de lui, mais il avait perdu goût à tout. La nourriture, qu’il adorait pourtant, n’avait plus de saveur. Une partie des membres du cirque le regardaient de loin avec inquiétude, sans comprendre ce qui s’était passé ce jour-là, où ils l’avaient retrouvé étendu au milieu de débris de verre, blessé au visage. Lui-même ne comprenait pas. Il avait mal partout… et un jour un éclat rougeâtre passa dans son œil blessé et un cri quitta sa bouche alors qu’il parlait avec le dresseur du cirque. Il voyait quelque chose ! C’était… c’était étrange, moche, sombre. Il en pleura et en fut malade, en plus de maux de crâne qui l’obligèrent à se cacher du soleil printanier.

On craignait que la folie l’avait pris, un enfant, quel malheur.

C’est sur ces faits qu’arriva le prêtre le plus étrange qu’ils n’avaient jamais vu. Il se dirigea sans saluer personne vers la roulotte de l’enfant, et de feu Mana, et y entra sans frapper. Tout le cirque attendit les cris de colère du garçon. Rien ne vint.

«L'Éternel est juste dans toutes ses voies: et bon dans toutes ses œuvres»

Ce prêtre se nommait Marian Cross. Grand, aux longs cheveux roux ébouriffés, étonnants pour un homme de Foi, c’était un ami de séminaire du vieux clown, et il avait promis à celui-ci de prendre soin de Allen s’il mourrait avant sa majorité. Aucun des deux n’imaginait que cela arriverait si tôt. Etant tenu par serment, et administrativement grâce à l’exécution testamentaire de Mana, il vint donc prendre l’enfant avec lui.

Il se trouvait qu’en dehors d’homme d’Église, Marian Cross était avant tout un sorcier.

Cela lui permit d’expliquer à Allen ce qui lui arrivait, de la manifestation de ses pouvoirs au mal qui l’avait frappé. Le petit garçon découvrit une nouvelle facette de son Mana : ce dernier, sorcier lui aussi, collectionnait les objets magiques créés pour l’Église, pas curiosité et par amusement. Le globe qui l’avait frappé renfermait une malédiction à destination des prêtres à l’époque de l’inquisition, pour trouver les gens possédés par le démon et les punir. Or celle-ci, bien que largement utilisée à l’époque, s’était révélée un échec. Le prêtre expliqua à l’enfant le concept d’âme – qu’il connaissait déjà grâce à son précédent tuteur – et celui de traumatismes. Allen apprit donc qu’il était maudit et qu’il verrait aléatoirement les âmes des humains l’entourant, ainsi que percevrait s’ils vivaient avec des traumas ou non.

Le prêtre saisit aussi le reste des objets magiques possédés par son ami, et partit avec Allen sur les routes. Il était en effet prêtre itinérant. A ses côtés, Allen découvrit le monde… et comment s’y débrouiller quand on est accompagné par un homme peu scrupuleux.

Car Marian Cross était un prêtre pour le moins atypique. S’il pouvait faire le grand pieux devant les autres, il avait un second visage un peu plus… problématique. A base d’alcool et de tabac, de jeux d’argent et… il était arrivé qu'Allen le voit briser son serment d’abstinence, ou en aie l’impression en tout cas. Allen jugeait que l’homme était intérieurement peu soucieux de son prochain, sauf s’il y avait quelque chose à obtenir de cela. Le garçon n’en revenait pas que cet homme soit toujours dans les ordres. C’était sûrement à cause de ses talents de sorcier. Il en était persuadé. Et il apprit à craindre les bouges où ils descendaient, même s’il su dissimuler son malaise. L’alcool et ses dérives le marquèrent profondément en tant qu’enfant contraint de s’y exposer et cela motiva sa haine de la boisson.

Allen apprit à ses côtés tout ce qu’il y avait à savoir sur le monde magique, il reçut des clés pour s’en sortir dans la vie, même si c’était parfois moralement limite : après tout qui penserait à apprendre à un enfant à tricher ou arnaquer les gens pour payer ses factures ? Le petit passa d’un environnement très protégé à … une autre forme de vie itinérante. Il appris à prêcher, il appris à croire un peu plus, trouvant du réconfort dans la religion portée par son nouveau tuteur, malgré ses défauts. Il appris aussi à se débrouiller à tout va, à rembourser des dettes, plusieurs langues…

Et à manipuler, un peu (juste un peu). C’est ainsi qu’il obtint rapidement après sa seconde adoption d’avoir un petit animal de compagnie auprès de lui… et de se teindre les cheveux en blanc/gris. Une manière pour lui de faire le deuil du clown aux cheveux de soie qu’il avait appris à adorer.

Cross, en Père tout de même soucieux du gamin, même s’il ne le montrait pas tant par ses mots que par ses actes, préféra l’envoyer à Ilukaan, plutôt que Poudlard, pour le garder loin de l’Angleterre et des souvenirs doux-amers qui y étaient associés. Il avait remarqué qu’où qu’ils soient dans le monde, souvent, Allen était pris de mélancolie, et regardait en direction de son pays de naissance. Il restait ensuite immobile et pensif pendant un moment. Ça inquiétait assez l’adulte pour choisir une autre option, plus… neutre. Et ayant une bourse, parce qu’ils vivaient plutôt sur le fil, tout les deux.

(c) Ilukaan