Physique

Elle sort de son bain à bulle avec grâce, avec élégance, ses longs cheveux bruns mouillés glissant contre son dos, chatouillant sa peau dorée par le soleil d’une Italie pourtant lointaine maintenant. Le bruit de pas mouillé résonne dans la salle de bain : l’air a un doux parfum de fleur. « Lavande », indique sa bouteille de shampoing posé sur le rebord de marbre blanc. Elle s’assoit face à un grand miroir vertical, collé au mur couleur crème. Elle est consciente que l’on voit rarement, dans les salles de bain des autres, un siège si étrangement placé : il est au milieu de la pièce, et rien ne l’empêche de voir son reflet complet. Elle trouve cela d’une utilité parfaite, surtout pour sa personne, qui passe des heures et des heures à cet endroit. Elle connait son apparence mieux que personne, elle est obsédée par cette dernière.

Elle commence toujours par un brossage long, et minutieux. Sa chevelure reprend rapidement la forme qu’elle possédait d’origine : longue, raide. Aucun cheveu ne dépasse, aucun nœud ne persiste. Elle détruit chaque petite imperfection avec grand soin, ne grimaçant jamais quand elle ressent la douleur d’une mèche tirée trop forte. Vient ensuite les produits. Elle a tant de produit. Chacun d’entre eux à son utilité. Celui-ci sert à rajeunir la peau, c’est un onguent magique artisanal, qu’elle achète chaque mois sur les marchés sorciers de Milan. Très efficace. Celui-ci est un produit anti-ride. Il ne les élimine pas à proprement parlé, mais il les cache parfaitement, et c’est tout ce dont elle a besoin. Celui-là est excellent, surement son préféré : un baume qui rend les joues douces, et qui émane une délicieuse odeur de coquelicot. Celui-là, dans son tout petit flacon, et un produit contre les points noirs.

Vient ensuite le maquillage. Blush pour les joues, crayon à sourcils, eye-liner, phare à paupière, gloss à lèvre légèrement brillant, mais pourtant naturel : c’est à croire que tout Sephora y passe, et pourtant, avec un touché minutieux, appliqué, patient. Elle n’a pas l’air d’un pot de peinture, non, mais d’une œuvre d’art, la peinture ayant été placé ici dans un but précis, celui d’attirer l’œil.

Pastora se trouve si belle, si admirable. Elle ne s’arrête jamais à la comparaison d’une jolie poupée de porcelaine sur un beau présentoir, elle se sent bien plus que ça. Déesse. Une beauté venue d’un autre monde, supérieur, d’une légende inatteignable. Vanité et narcissisme : ces deux défauts la suivaient partout, comme gravé dans sa peau. On aurait pu croire qu’elle se les était fait tatoué sur le corps, mais ce dernier était si précieux à ses yeux que laisser quelqu’un d’autre y apportait sa marque était hors de question.

Ses robes, aux tons bruns, noirs, ou blanc, étaient toujours composées des tissus les plus aériens, et quand elle marche dans sa salle de bain avec son choix du jour, elle peut admirer dans la glace les mouvements fluides que ses vêtements réalisent derrière elle.  Divine, superbe. Elle tourne sur elle-même, et ses drapés volent autour de sa taille. Parfait. Mais elle ne peut pas encore sortir. Elle n’est pas encore prête.

Mademoiselle ne sort jamais sans ses multiples bijoux, tous aux couleurs dorés, qu’il s’agisse de vrai or ou non. Tiares, serre-tête, chaînes brillantes, ses cheveux et son front ne sont jamais laissés vides, jamais trop exposés. Ses bras, ses jambes, son cou : rien ne dois respirer. C’est une cascade métallique aux couleurs riches qui parcoure son corps. Quand elle marche, on entend d’abord ses talons et les dorures qui s’entrechoquent, avant d’entendre sa voix, qu’elle a grave et ferme.

Elle pense pouvoir impressionner, elle pense pouvoir être un modèle. Mais elle n’entend jamais les rumeurs qui parcourent les couloirs de l’école à son sujet.

Caractère

« Elle passe son temps à se regarder dans le reflet de la fenêtre. Je te jure, mec : au départ, je pensais qu’elle observait les cours de vols dans la cours, puis je me suis rendu compte que la fenêtre donnait sur un bout de mur. Comme c’est assez sombre, elle peut parfaitement se voir. » « Quelle vieille peau. Son cours est chiant à mourir. » « Moi pourtant, je trouve ça intéressant. Ca se voit qu’elle est passionné par les antiquités. Elle amène carrément des vieilles baguettes et de vieux ouvrages en classe, et rien qu’avec ça, elle est capable de faire tout un cours sur les théories historiques entourant ces trésors ! » « Oui, mais toi, tu es un gros nerd. Si ça ne t’intéresse pas, le cours n’a rien de bon ! » « Ce que je hais le plus, c’est la façon dont elle part au quart de tour. Impossible de discuter avec mon voisin. La dernière fois que j’ai demandé un stylo alors qu’elle parlait, je me suis retrouvé avec une punition de cinq pages entières à écrire sur le sujet du cours, et sur ‘pourquoi il est impoli d’interrompre’. Je ne suis plus en première année, merde ! » « Je déteste quand elle hurle. J’ai l’impression que la salle de classe va me tomber sur la gueule. »

Il s’agit là des discussions pouvant entourer Mademoiselle Féca : enseignante sévère, froide, et pourtant brulante à la fois. La susceptibilité est un bien vilain défaut, et celui-ci a élu résidence, bien au chaud, dans le mental du professeur. Et pourtant : paradoxal, mais vrai, Pastora est une femme humble. Travailleuse acharnée, et enseignante efficace, cette dernière ne s’est jamais vanté, n’a jamais demandé de promotion, de jour de congé, de compliment. Les compliments qu’elle reçoit viennent d’elle-même, et elle fait en sorte de se féliciter régulièrement, au fond de sa pensé, après un travail bien accompli. Un compliment, extérieur, lancé à son égard ne peut que rebondir, comme rencontrant la surface d’un bouclier, d’une protection dont elle s’entoure : « Je ne fais que mon travail. » « C’est encore à améliorer. » « Merci, mais il n’en est rien. » « J’ai juste fait ce que j’avais à faire ».

Une remarque piquante, cela dit, et c’est tout autre chose. Les dents grincent, les poings se serrent, et les yeux s’enflamment. Pastora pourrait s’arrêter à un simple « Je ne suis pas d’accord avec vous », un simple « Comment osez-vous dire une chose pareille ?! », mais ce serait mal la connaître. S’attaquer à elle, c’est s’attaquer à une furie sous un déguisement d’autorité et de sérieux. « Vous avez 50 ans, n’est-ce pas ? ». Une heure de colle pour remarque impertinente et dérangeant le cours. Pour les adultes : « Vous avez vraiment mauvaise haleine aujourd’hui, vous voulez un freedent ? ». Quel malheur : il semblerait qu’une boîte de freedent soit passé par la fenêtre. Suivi d’un sac à main entier. Et pourquoi pas de quelques autres affaires, tant qu’on y est. « Un jour », raconte un élève, « je l’ai vu à la cafétéria, avec son téléphone portable. Elle a dû recevoir un message particulièrement dégeulasse, car elle a fait la tête la plus démoniaque que je n’ai jamais vu, avant de claquer son téléphone au sol. Toutes les pièces ont volé dans les airs, c’était dingue. J’imagine pas ce qu’elle aurait fait sans réparo ».

Mais contrairement à ce qu’élèves et professeurs peuvent penser d’elle, elle comprend le manque d’intérêt général pour sa matière. Les nombreuses critiques qu’elle pouvait entendre à l’égard de son sujet de prédilection ne l’énervait guère : l’histoire, par définition, appartenait au passé, et plus de personnes étaient tournées vers l’avenir plutôt que vers l’ancien. Elle s’était juré, elle-même, de resté ouverte aux nouvelles technologies, en particulier dans le domaine de la météorologie et de l’archéologie. Ainsi, elle mêle renouveau et passé, admirative des logiciels pouvant reconstituer des ruines à l’aide de quelques informations, des personnes, sur le terrain, prêtes à reconstituer les monuments oubliés par l’homme.
Il y a tant de patrimoine à protéger, et il ne cessera jamais d’y en avoir. La protection, Pastora connait ça : les fortifications, les populations disparues à cause d’un simple manque de défense, des histoires politiques, basées sur l’attaque plus que le reste… Tant d’échec, tant à améliorer, et tant d’améliorations : elle regarde, elle aussi, toujours devant, s’aidant des erreurs passées afin de pouvoir enseigner comment changer les choses. Et certains élèves, moins bavards, surement par peur, auraient pu raconter à d’autres les fois où le professeur s’était mise entre un harceleur et sa victime, entre un innocent et son attaquant. La violence est rare, à Ilukaan, mais pas inexistante. Malheureusement, ce qui en ressort sont, bien souvent, quelques « Vieille peau. On a pas le droit de s’amuser, avec elle. »

Histoire

« Mademoiselle Féca ? C’est à vous. »

Elle détourne son regard des œufs décoratifs exposés sous verre dans la salle d’attente. Avec elle se trouvent trois autres personnes assises, des dossiers proprement posés sur leurs genoux. Les siens sont dans son sac. Elle ne panique pas, n’a pas besoin de vérifier si elle a tout ce qu’il faut, n’a pas besoin de s’inquiéter des autres candidats. Elle a toutes les qualifications requises pour ce poste, et elle le sait parfaitement. Elle entre dans le bureau, la tête haute.

« Je vous en prie. Dîtes-moi donc pourquoi je devrais vous engager en tant que professeur, ici, à Calderonerosso. C’est une école prestigieuse, une des plus grandes d’Italie. Surement n’avez-vous pas quitter l’Italie sans expérience. »
« Loin de là, monsieur. Je peux affirmer être la professeur dont vous avez besoin pour ce cours d’histoire anglais. »

Elle était née dans une famille aisée au sang-mêlé. Son père était un sang pur, et sa mère venait d’une lignée de sorcier plutôt longue, qui aurait pu elle aussi être sang pur, si ça n’avait été pour le sang-mêlé de son arrière-arrière-arrière-grand-père. Elle n’avait jamais connu la vie moldue, mais sa curiosité, adolescente, l’avait poussé à s’intéresser à ce monde particulier et sans magie. Elle s’était passionnée, de plus en plus, pour les histoires antiques, et pour les fouilles archéologiques. Elle avait fait trois ans d’études sur le sujet, apprenant à maîtriser l’alchimie et ses différentes compositions afin d’identifier les roches, les matériaux, leurs vieillesses, mais aussi la météorologie, et son impact sur tout type de matériel différents. Elle s’était spécialisée dans les métaux, et surtout, les boucliers, dont elle commença la collection. L’archéologie n’étant rien sans l’histoire y étant liée, elle avait suivi avec cinq années d’études, décrochant son diplôme d’historienne, avec, pour l’accompagner dans sa recherche d’emploi, trois mémoires : deux parlants des indications que les fouilles archéologiques pouvaient apporter aux récits des anciennes guerres et civilisations magiques, un autre sur les conséquences des décisions politiques dans le domaine de l’archéologie.

Elle ne le précisa aucunement à son recruteur, car il s’agissait de sa vie privée, mais c’est à cette époque qu’elle commença à chercher l’âme sœur. En voyant son premier fils, que pourtant elle pensait vouloir, elle prit peur pour sa carrière, pour son énergie, pour sa beauté, pour sa vie. C’était beaucoup de responsabilités. Elle demanda un divorce, brusque, et quitta son mari, ainsi que sa relation de quatre ans avec lui. C’était encore trop tôt pour elle, trop précipité. Elle lui paye encore la pension alimentaire : elle sait que c’est de sa faute. Le deuxième enfant fut un accident complet, avec un coup d’un soir, en Croatie. Elle n’osa pas avorter, et le laissa à l’adoption, avec une belle somme pour l’aider. Elle savait que l’argent ne ferait pas son bonheur. Elle ne le revit plus jamais, au contraire de son premier, à qui elle rendait parfois visite, bien que distante. Elle commença à fumer. Elle a trop peur d’aimer, désormais.

Ce n’était que cinq ans après qu’elle put reprendre sa vie. Elle avait déjà 28 ans, et ses boulots d’archéologues, demandant beaucoup de déplacement, l’épuisaient considérablement.  Elle avait l’expérience et les connaissances nécessaires pour pouvoir maintenant les passer à de plus jeunes élèves, en quête de savoir.

Elle réussit l’entretient, sans accro. Calderonerosso était une belle université. C’est après seulement cinq ans d’enseignement qu’elle se fit renvoyer, pour désobéissance au directeur, et au règlement des professeurs. Elle n’avait pas pu ne rien faire. Ils avaient trouvé, lors de travaux pour renouveler quelques salles de classe, des artefacts magiques datant d’avant la première guerre mondiale moldue. Ce genre de chose arrivait bien plus souvent qu’on ne le pense, et le personnel de l’école savait que cela ne voulait dire qu’une chose : la fermeture de tout le bâtiment de cours pour une très longue durée, voire la destruction de ce dernier, pour pouvoir correctement déterrer les antiquités. On lui avait demandé de cacher les antiquités, de ne pas les reporter aux équipes d’archéologie. Elle n’avait pas obéi.

Ceci étant parfaitement légal, elle ne se fit renvoyer que quelques semaines plus tard, pour « colères intempestives et non contrôlées contre élèves », ce qu’on ne lui avait pourtant jamais reproché en cinq années d’enseignement. Elle s’en veut toujours d’avoir confisqué ce portable, d’avoir crié sur cet élève. Mais elle savait que la vraie raison de son renvoi était tout autre. Juste une simple vengeance, pour avoir bloqué ce foutu bâtiment pendant des mois, et leur avoir fait payer des rénovations. Elle se sentait insultée. Si en colère ! Sa vie n’était que flamme pendant les mois qui suivirent. Elle voulait quitter cette ville ! Quitter ce pays !! Quitter ce continent !! Elle tenta la méditation.

Les autres mois de chômage furent plus calmes : elle se perdit dans l’art du maquillage, dans la cigarette, dans les coups d’un soir. Elle se tourna vers la spiritualité, la sagesse, la magie blanche, celle qui pouvait lui indiquer quoi faire, ce dont elle avait besoin. Elle n’avait jamais eu besoin d’invoquer son patronus avant, et elle le découvrit dans cette période de calme et de trouble. Elle se sentait comme dans l’œil d’un cyclone : tout était si paisible, et pourtant, seul le négatif l’entourait. Elle avait besoin d’un renouveau.

Le mouton qui lui apparut fut pour elle un message. Sur un coup de tête, une impulsivité, elle était repartie à sa terre natale, l’Italie, et elle dévoua un an de sa vie à aider la ferme d’un cousin éloigné. Elle passa des grandes villes, et des mémoires écrits, au bêlement des troupeaux, dont elle s’occupa durant tout son séjour. La protection de ces êtres de laine devint son unique objectif, jusqu’à ce que le devoir la rappelle. Ce fut presque à regret qu’elle partit au Canada : l’un de ses collègues, ayant été témoin de toute l’histoire, et voulant agir, sans y perdre son poste sans doute, avait envoyé une lettre de recommandation au célèbre Vincent Leroy, présentant Mademoiselle Féca comme une professeur talentueuse, victime d’une injustice, et prête à retenter sa chance après un an de méditation.

Elle ressortit de l’entretient avec un poste.