Depuis toujours, tu aimes les choses qui brillent, Firmin. Les jolis cailloux, les objets abandonnés, les morceaux de verre polis par la mer, les coquillages nacrés… Tous les enfants normaux ramassaient ce genre de choses, mais la plupart du temps ils les oubliaient, les laissant simplement traîner au fond de leurs poches et finir dans la machine à laver. Puis surtout, ça leur passait avant leurs douze ans. Mais pas toi. Toi, tu gardais tous ces objets comme des précieux trésors dans ta boîte à merveilles. C’était une simple boîte à chaussures que tu avais décoré toi-même pour ranger ta collection, que tu gardais précieusement sous ton lit. Elle était remplie de bric et de broc que tu avais récolté chez ton papy comme sur le campus. Ton grand-père disait que tu ressemblais à une pie, à chaparder et accumuler tout ce qui brille dans ton nid. Voire à un niffleur quand ce que tu chipais avait de la valeur. Ça ne te gênait pas d’être comparé à un animal, eux aussi ils ont le droit d’aimer les jolies choses.

Dans ta boîte, au milieu des trésors de la nature, il y avait des objets de facture beaucoup plus humaine. Des bijoux. Il t’arrivait parfois d’en trouver en te baladant sur le campus, des breloques en toc que leurs propriétaires ne prenaient même pas la peine de chercher. Si tu voyais que les objets étaient réclamés sur le groupchat ou que des avis de recherche étaient laissés dans le dôme ou la salle commune, tu les restituais. Tu n’aimais pas savoir que tu avais rendu quelqu'un triste. Mais sinon, ces objets devenaient à toi. Au début, tu avais pris l’habitude de donner ces bijoux brillants aux niffleurs des enclos pour qu’ils deviennent tes amis, mais ça n’avait pas l’air de bien fonctionner. Puis surtout, depuis ton arrivée à Ilukaan, tu avais eu le temps de voir que les élèves portaient ces bijoux. Dans un premier temps, tu n’avais pas trop compris pourquoi ils faisaient cela. Ils ne s’accrochaient pas partout avec leurs chaînes et leurs bagues ? Ça ne les gênait pas dans leurs mouvements ?

Mais maintenant, quand tu voyais la lumière faire scintiller leurs parures et attirer le regard, tu commençais à les comprendre. Ça les rendait beaux. Une question te trottait dans la tête, Firmin, depuis que tu avais fait cette constatation. Est-ce que toi aussi, tu serais beau en portant ces objets ? Tu n’aimais pas attirer les regards mais… Tu voulais briller, toi aussi. Briller pour toi-même. Voir les rayons du soleil s’accrocher à tes bijoux quand tu croisais ton reflet. Mais pouvais-tu mettre des bijoux, Firmin ? Tu n’avais jamais fait ça, avant. Papy n’en portait pas non plus, excepté sa bague de mariage. Il t’avait expliqué que c’était pour montrer qu’il avait un lien important avec quelqu'un. Mais tu n’avais personne toi, Firmin, alors pouvais-tu mettre des bagues ? Edith portait des bijoux aussi, mais c’était différent, c’était une fille de la ville maintenant. Ça ne pouvait pas la gêner pour aller s’amuser dans la forêt, vu qu’il n’y avait pas de forêt en ville. Étais-tu en train de devenir un enfant de la ville, Firmin, depuis que tu étais à Ilukaan ? Tu n’en avais pas du tout envie, tu préférais ne jamais mettre de bijoux que de devoir dire au revoir à la forêt. Tu savais aussi qu’il existait des pendentifs pour protéger, Firmin, mais tout ceux que tu avais vu et qui avaient ce rôle étaient en bois ou en pierre. Ce n’était pas du tout le cas des bijoux dorés qu’il y avait dans ta boîte, Firmin.

Puis les parures que portaient les autres élèves ne devaient toujours pas avoir de pouvoirs ou de significations importantes, parce que la plupart changeaient souvent de bijoux. Tu trouvais cela presque délirant de te dire que les gens portaient ces objets juste pour être beaux et tu pensais encore plus fou le fait que toi aussi, tu voulais être joli. Alors un jour où tu étais seul dans le dortoir, tu sortis un bijou de ta boîte à merveilles, une bague, et tu essayas de la mettre à ton doigt pour voir ce que ça faisait… Et rien ne se passa. Le monde n’arrêta pas de tourner parce que tu portais un bijou. Elle était trop grande, glissant de ton pouce et manquant de tomber plusieurs fois, mais tu portais une bague. Elle brillait, attirant le regard sur tes mains. Tu aimais bien, Firmin. Mais tu la rangeas quand même dans ta boîte avant que tes colocataires ne rentrent. Tu n’avais pas de personnes spéciales avec qui avoir un lien, alors tu ne pouvais pas porter de bague, non ? Mais tu réessayas, plusieurs fois, avec la poignée de bijoux que tu avais dans ta boîte. Bagues, bracelets, colliers… Tu ne pouvais pas mettre les boucles d’oreilles solitaires que tu avais trouvé, vu que tu n’avais pas les oreilles percées, mais tout le reste y passa. Des fois, tu mettais même plusieurs bijoux en même temps. Tu scintillais de milles feux, ça te faisait sourire dans le miroir. Mais tu n’étais pas encore prêt à sortir de ton dortoir comme ça. Tu ne voulais pas que les autres te regardent. Alors les bijoux restaient avec tes autres trésors, au fond de la boîte. Peut-être qu’un jour, ils en sortiraient définitivement, tu ne le savais pas encore, Firmin.