Cher Firmin,
Je sais, plus personne n'écrit de lettre en 2018, mais c'est le moyen le plus simple que j'ai trouvé pour t'expliquer ta vie. Enfin notre vie. Tu comprends quoi. Enfin non, pour l'instant tu ne comprends rien car tu n'es qu'un enfant de 6 ans, mais tu comprendras le jour où tu liras cette lettre, je l'espère. Parce que oui, j'écris pas pour faire joli, j'écris cette lettre pour que tu puisses avoir les réponses à tes questions plus tard. Parce que tous les enfants se posent des questions sur leurs origines un jour ou l'autre, et que je ne suis clairement pas prête à t'expliquer tout ça de vive voix. Déjà qu'à l'écrit je me mélange, alors à l'oral… Ça partirait dans tous les sens.

Déjà, on va résumer ce que tu sais. Tu es né le 3 mars 2012 à Juneau, en Alaska. 9 mois avant la fameuse fin du monde qui n'est jamais arrivée, d'ailleurs. Tu vis avec Sylvain, ton grand-père, depuis presque toujours. Et moi, je suis Édith, ta maman. Ta grand-mère nous a quitté bien avant ta naissance, emportée par la dragoncelle, et ton papy a toujours du mal à s'en remettre. Tu pourrais te demander ce que cela a à voir avec ton histoire, mais j'y viens. J'essaye de gagner du temps en écrivant des lignes pour ne rien dire parce que je ne vois pas comment formuler ça pour que ça soit compréhensible mais édulcoré. Je ne sais pas à quel âge je vais te donner ces lettres, donc dans le doute on va essayer de pas te traumatiser, je suis déjà une assez mauvaise mère comme ça.

Je venais de finir ma scolarité à Ilvermorny quand je me suis aperçue que tu étais dans mon ventre. J'ai eu les résultats de mes ASPICS la veille de ceux de mon test de grossesse. Je ne te fais pas de dessin, mais je n'avais pas prévu de revoir ton papa après l'école et je comptais faire des études supérieures, donc tu n'étais pas vraiment prévu au programme. À vrai dire, tu n'aurais pas dû être du tout, mais… Papy a appris ta présence avant que je fasse le nécessaire, et je ne l'avais jamais vu aussi heureux depuis que ma mère est partie alors j'ai pas eu le courage. Je crois que je ne me rendais pas compte du boulot que c'est d'élever un enfant. Je pensais rester un an pépouze chez mon père le temps de la grossesse, puis qu'ensuite j'arriverai à jongler entre mes études universitaires et toi. Je sais, c'est grave naïf, mais je n'avais pas le recul nécessaire à l'époque pour m'en rendre compte.

Bon, tu te doutes que ça s'est mal passé vu que tu vis chez papy. Mais je tenais à te dire que j'ai essayé, même si tu ne t'en souviens pas. Déjà, je me suis détestée pendant la grossesse, je ne souhaite ça à aucune femme. J'étais devenue une grosse baleine, je pouvais plus me pencher, j'étais moche, mes pieds étaient tout gonflés… Bref, la liste est encore longue mais je vais t'épargner tout ça, t'as compris l'idée. Mais je me disais que quand j'aurais mon bébé dans les bras, je deviendrai une femme épanouie et rayonnante comme les meufs dans les films. Spoiler alerte, les mères dans les films sont les plus gros mytho de toute l'histoire de l'humanité. Déjà, l'accouchement. Rien que pour ça, tu n'auras jamais de petits frères ou sœurs. Et ensuite, quand on t'a mis dans mes bras… J'ai honte de le dire, mais j'ai rien ressenti. Le truc magique qui fait qu'on aime instantanément son bébé n'a pas marché sur moi. J'étais juste épuisée, j'avais mal partout et j'étais contente que ça soit enfin terminé. Mais ton papy, il te regardait comme si tu étais la huitième merveille du monde.

Au début, je ne me suis pas inquiétée, je me suis dit que l'ultra instinct maternel viendrait plus tard, que nous les femmes on avait toutes ça en nous. Puis on a vécu de ta naissance à la rentrée de septembre chez ton papy, il s'occupait énormément de toi donc je pouvais prendre des pauses quand j'en avais besoin. Mais quand on est allés à Boston tous les deux pour que j'aille à la fac, c'est devenu compliqué. Les études et les enfants, c'est deux trucs qui coûtent cher et prennent du temps, je te conseille vraiment de ne pas faire les deux en même temps. J'ai à peine tenu un an, à jongler entre la fac, mon petit boulot et toi. J'avais l'impression de ne jamais pouvoir m'arrêter pour souffler. J'étais stressée, tu pleurais beaucoup, mes notes étaient catastrophiques… C'est avant les partiels du second semestre que j'ai craqué. J'essayais de réviser, j'étais épuisée et tu hurlais, j'aurais tout fait pour que tu te taises. J'ai commencé à avoir des idées noires et… J'ai préféré appeler ton papy avant de faire une bêtise.

Tu es reparti en Alaska avec lui, ce soir-là. Ça devait être temporaire, je devais passer mes partiels, prendre le temps de souffler, puis je devais venir vous retrouver pour les vacances. Mais je me suis sentie revivre en ton absence. Je pouvais enfin m'occuper de moi, sortir, me faire des amis. Alors j'ai menti à papy, j'ai dit que le patron de mon petit boulot allait me virer si je partais le temps des vacances. Je suis revenue quelques fois en Alaska pour voir si tout se passait bien là-bas, mais à chaque fois je trouvais des prétextes pour ne pas de nouveau t'emmener avec moi à Boston. Puis avec ton grand-père, tu ne pleurais plus. Cette réalisation m'a fait autant de mal que de bien. Ça me rassurait que tu sois bien là-bas et… Ça me renvoyait au visage que moi, je n'arrivais pas à te rendre heureux comme ça.

Je pense que ton grand-père a vite fini par comprendre que tu allais rester chez lui. Mes mensonges ne tenaient pas vraiment debout, je m'embrouillais souvent. Mais il ne me fit aucune remarque sur cela. Je ne sais pas s'il a accepté son sort ou si ça lui faisait plaisir de ne plus être tout seul dans cette grande maison.

Enfin bref, tout ça pour t'expliquer pourquoi tu vis avec papy. Je voulais te dire que je ne t'ai pas laissé parce que je ne t'aime pas, mais que j'ai fait ce qu'il y avait de mieux pour nous, car je suis incapable d'être mère. J'espère que tu me comprendras, quand tu liras cette lettre.

Édith, ta maman qui t'aime. Mais genre qui t'aime plus comme une tante rigolote qu'une maman.



Cher Firmin,
Je n'aurais jamais pensé avoir besoin de t'écrire une deuxième lettre un jour, surtout que je ne t'ai toujours pas donné la première, mais il fallait que je t'explique mon choix. Je ne veux pas que tu crois que c'est de ta faute si Papy et moi on s'est disputés au sujet de l'école où tu vas aller à la rentrée prochaine. Et en même temps, je ne pouvais pas donner mes vrais arguments à ton grand-père, je ne suis pas sûr qu'il les aurait tous compris.

Je ne veux pas que tu ailles à Ilvermorny. C'est tout con hein, mais je ne veux pas que les profs te reconnaissent. J'étais une élève qui me faisait remarquer, à l'époque, et tu me ressembles beaucoup en plus de porter mon nom de famille. Ça ne fait qu'onze ans que j'ai quitté les bancs de cette école, le personnel n'a pas dû s'être totalement renouvelé et je ne veux pas qu'on te pose des questions déplacées. J'ai aussi peur qu'ils fassent le lien entre toi et ton père. Je ne lui ai jamais parlé de ton existence, vu que je ne comptais pas te garder. Ça lui aurait brisé le cœur, il rêvait d'une grande famille avec plein d'enfants, lui. C'est d'ailleurs pour cela que j'ai coupé les ponts avec lui après nos ASPICS, hors de question de devenir une poule pondeuse qui reste à la maison à s'occuper des chiards. On était totalement incompatibles sur ce plan-là. Puis il voulait devenir professeur de métamorphose à Ilvermorny, c'était son projet d'avenir de l'époque. Donc dans le doute, je trouve qu'Ilukaan est un bien meilleur choix pour toi.

C'est vraiment une bonne école en plus, ils sont ouverts aux nouvelles technologies et aux avancées de la recherche moldue, en plus d'être une école internationale ! Ça te changera de chez ton papy où il n'y a même pas la télévision. D'ailleurs, même s'il est contre, je vais t'offrir un smartphone pour la rentrée. Il faut que tu puisses garder contact avec nous, en cas de problème. Puis tous tes petits camarades en auront sûrement un, et tu sors déjà assez du lot comme ça, alors autant ne pas te marginaliser encore plus en te privant de téléphone. Ton grand-père a du mal à vivre avec l'air du temps, des fois. J'espère juste que tu ne te rendras compte de l'absence de forêt autour d'Ilukaan qu'en arrivant là-bas, parce que je sais que tu ne voudras jamais partir de chez papy, sinon.

Parfois, je regrette de t'avoir confiée à lui. Je ne suis toujours pas faite pour être mère, mais… J'aurai aimé que tu côtoies plus de sorciers de ton âge. Il y en a peu dans la réserve où tu vis. Puis vu qu'il n'aime pas les gens et les foules, tu ressembles vraiment à un petit homme des bois, des fois. Quel enfant de onze ans aime cueillir des champignons, observer les créatures magiques en forêt et tricoter ? Bon, je sais que pour le dernier point, tu as appris tout seul en trouvant les affaires de mamie dans le grenier. Mais ça ne m'empêche pas d'avoir peur que tu sois en décalage avec les autres enfants.

Je ne suis pas croyante, mais je pense bien que je vais prier toutes les divinités sorcières et moldues que je connais dans l'espoir que ta rentrée se passe bien.

Édith, qui t'aime.

(c) Ilukaan