Ta naissance a signifié la chute d’une étoile, la fin d’une carrière. Si ta mère ne l’a pas supporté, ton père ne supportait pas celle qu’il a mariée par convenance. Ton enfance est rythmée par le cycle de ses absences. Militaire de carrière en Espagne, l’homme est calme mais ses mots se font parfois violence. Ils font la paire avec ta mère. L’ancienne nageuse te fait rapidement porter le fardeau de ses attentes d’olympienne. Tu ne lui en veux pas, tu ne lui en voudras jamais. Elle t’offre un terrain sur lequel la satisfaire, une discipline dans laquelle tu peux refléter la lumière de ses flammes sur le déclin. Et puis, tu aimes l’eau, tu aimes la vitesse qu’elle te procure. Tu es prêt à ce qu’elle te relance dans le bassin de multiples fois, qu’elle te pousse à donner le meilleur de toi-même juste pour voir le sourire rallumer son visage.

Tu n’as que six ans quand tu t’éprends de l’eau sous sa forme figée. Tu as des facilités, ta mère a des contacts. Tu te retrouves rapidement entre des mains expertes qui sauront te sculpter comme la glace sur laquelle tu voltiges. Ton entraîneuse bâtit un monument. Elle te mène au doigt et à l’œil. Si c’est rude, c’est juste le métier qui rentre. Elle sait ce qui est mieux pour toi. Tu te construis un Masque avec les déchets de marbre qu’elle a dégagés. La naïveté enfantine se simule. La méticulosité s’apprend, elle. Tu apprends à plaire, et à rejeter le superflu. Pas de place pour les brouillons, tes traits n’ont bientôt plus besoin de chablon.

Tu n’as pas encore huit ans, que tu crées des aurores sur la glace. La magie coule dans tes veines. Tes parents projettent déjà le meilleur. Ton chemin, qui a toujours été planifié, est recalculé.

En Acadie, on te présente une nouvelle famille. Tu ne réalises pas encore à quel point le Caribou vise juste en te choisissant. Si tu ne fais pas partie des meilleurs élèves, tes résultats sont plus que respectables, et les professeurs n’ont rien à te reprocher. Tu mets la même hargne dans ton travail scolaire qu’auprès de l’eau, bien que tu lui accordes moins de temps, moins de concentration. Ta coach t’a suivi sur les terres canadiennes, tu lui dois bien ça en retour.

À Ilukaan, tu t’apprends ouvert aux autres. Les autres jeunes t’insufflent une énergie que tu ne soupçonnais pas exister. Tu te lies rapidement aux gens, tu les écoutes, tu les conseilles. Rapidement, tu te trouves une idée de vocation en dehors du sport. Tu veux aider les gens à devenir de meilleures versions d’eux-mêmes. Certaines personnes te fascinent plus que d’autres. Tu as tendance à vouloir t’approcher des âmes torturées, de celles qui détruisent les châteaux de cartes construits patiemment d’un excès de rage soudain. Des sorciers qui ne contrôlent pas leur magie, de ceux qui sont tourmentés par leur identité même. Si tu parviens à t’entourer aisément, il y a un objet de désir que tu sembles incapable d’atteindre.

Tu as quatorze ans quand tes parents annoncent que tu vas devenir grand frère. Tu es excité de ce nouveau statut, mais tu ne peux te débarrasser de la sensation désagréable qui alourdit tes intestins. Ton enfance n’est pas marquée de grands malheurs, alors pourquoi as-tu si peur de voir une autre suivre tes pas ? Tes inquiétudes meurent lorsque tu la portes pour la première fois dans tes bras. La première promesse que tu fais à Luana, le premier secret que vous partagez, est ton engagement envers elle, à la protéger de tout et à toujours œuvrer pour son bonheur. Tu feras cette même promesse à seize ans à votre cadette, Gloria.

Malgré la distance, vous gardez facilement un contact régulier. Quand Luana a appris à lire, elle a commencé à lire tes lettres à la plus petite et à écrire les réponses dictées. Et au vu des circonstances, ta mère convainc rapidement ton père de leur offrir un téléphone pour te contacter plus instantanément. Si l’inquiétude avait diminué, de simples cendres encore chaudes, une nouvelle se fait huile qui rallume les flammes. Tu apprends qu’elles font aussi de la natation. Ton esprit est alors coincé entre le Canada et Andorre. Si tes notes n’en souffrent pas, ton mental un peu plus.

Car même si tu aimes l’eau, même si tu ne peux vivre sans elle, tu ne peux supporter l’idée qu’elles entretiennent la même relation que toi avec l’élément. Elle te fait souffrir autant qu’elle te soigne. Elle est la source de ta douleur autant que sa solution. Au fond, est-ce que ta relation avec l’eau n’a pas été le plan pour toutes les autres dans ta vie ? Tu es incapable d’aimer sans souffrir. Tu ne peux apprécier quelqu’un sans prendre sa forme, sans refléter son image.

Tes relations en sont l’exemple concret. Tu es passé par tant de phases, chacune d’entre elles marquée par l’ajustement de ton Masque pour correspondre à l’idéal de tes amants. Tu allais jusqu’à t’empoisonner de leur venin. Mais qui es-tu, Xavier ? Hormis un pantin dont tu offres les fils aux garçons qui s’intéressent peu à toi ? Hormis une coquille vidée par une succession de mâles prêts à te dévorer sans un regard en arrière ?

Tes journées sont bien trop remplies, ton programme est serré. Pas le temps de se remettre en question, pas le temps de faire d'erreurs, pas le temps d’évoluer. Tu nages. Tu patines. Tu fais ton alternance à la Clinique Privée Rutledge pour jeunes sorcières et sorciers. Très ironique d’aider des enfants à améliorer leur relation à la magie et à leur baguette tandis que la tienne ne t’obéit pas toujours.

Un jour viendra où tu seras capable de te faire glace, d’accepter certains aspects de ta personne et de les figer. Un jour viendra peut-être où quelqu’un t’ouvrira les yeux sur ta tendance à t’effacer, à devenir vapeur face à la chaleur des autres et à en perdre ta substance. Ou peut-être qu’enfin quelqu’un se noiera dans ton étreinte et que tu réaliseras tes vices.

(c) Ilukaan