La romance n'avait jamais été sa tasse de thé. D'un côté, Ernest avait de la facilité à draguer, à attirer les regards et à se faire embrasser par de parfaits inconnus. D'un autre, il avait un mal fou à s'ouvrir aux autres, à chercher l'intimité dans les mots et les regards au lieu des sensations charnelles. Ainsi, il s'était lui-même surpris lorsqu'il a invité Épicène, un de ses amis et plans cul, à sortir avec lui à la plage le temps d'une soirée dans le cadre d'un rendez-vous romantique. Bien qu'il ait environ accepté qu'il y avait plus que du physique entre lui et le professeur de cuisine, le vampire n'était pas certain que cette sortie mène à quoi que ce soit - il avait demandé alors que le roux et lui venaient de s'embrasser au parc, dans le feu de l'action. De sa vie, il n'avait été purement amoureux que d'une personne, et leur relation avait été une pente descendante de plus d'une décennie. Était-il prêt, pouvait-il même redonner une chance à l'amour après ce divorce tumultueux ?

Peut-être bien, peut-être pas. Cette indécision n'avait pas suffi à ce qu'Ernest ne fasse pas d'efforts pour bien paraître. Il voulait toujours être beau ; car les personnes laides étaient plus difficiles à aimer, et aussi car il se détestait un peu moins quand le reflet qui lui faisait face dans le miroir lui plaisait. En cette journée, il avait décidé de mettre une chemise à manches courtes noire, superposée par-dessus un col roulé mince d'un pourpre profond. Il portait également des pantalons noirs à taille haute égayés de deux ceintures, sans oublier ses multiples chaînes et bijoux argentés. On pourrait croire qu'il aurait chaud, puisqu'il était juin, mais, ayant vécu au Canada depuis la moitié d'une décennie, il savait à quel point les nuits pouvaient devenir fraîches à cette période de l'année.

Par ailleurs, bien qu'il ait lui-même décidé de l'heure du rendez-vous, Ernest y arriva quelques minutes en retard, un panier à la main. Pas par désintérêt, mais parce qu'il avait passé vingt minutes à faire son eyeliner. Ne voulant pas gaspiller de l'argent à prendre un transport pour se rendre à la plage, il arriva avec la respiration rapide, témoin de sa marche hâtive. Bien sûr, il avait aperçu bien avant son arrivée la seule tête rousse du coin, et n'avait donc pas perdu de temps à la chercher.

— Bonsoir, Épi. Comme toujours, il sourit à son ami. Pourtant, ce dernier lui paraissait bien différent de d'habitude. Tes cheveux sont bouclés aujourd'hui, je me trompe ? Ça te va bien. Il se pencha ensuite vers le Français et déposa un chaste baiser sur sa joue. Et pourquoi pas, puisque cette sortie était un rencard !

Sans hésiter, il attrapa la main bandée de son camarade dans la sienne et entrecroisa leurs doigts. Épicène lui paraissait magnifique aujourd'hui, du moins, comparativement au jour de leur rencontre, où il avait l'impression de parler au plus beau clochard de Bloombury.

— J'ai apporté de quoi grignoter. Sur ces mots, il leva sa main libre pour présenter son panier au regard d'Épi. Si quelque chose d'autre avait frappé Ernest au cours de leur amitié, c'était la mauvaise habitude du roux d'être un immense flemmard, incapable de se préparer à manger alors qu'il cuisinait au moins aussi bien que le chef d'un restaurant étoilé, ET qu'il était un immense rat, refusant de payer plus de cinq balles pour se remplir la panse. Alors, comme souvent, il s'était changé en mère poule et avait pris la responsabilité de nourrir son oisillon sur ses frêles épaules. (Traduction : il s'était arrêté au restaurant et leur avait pris du takeout. Une grosse boîte de sushis à partager.) As-tu passé une bonne journée ?

Sans plus attendre, il tira doucement son ami par la main, marchant vers la mer. Il s'arrêta à quelques mètres des vagues, puis lâcha la senestre de son interlocuteur, à contrecoeur. Pas le choix s'il voulait sortir la nappe soyeuse de son panier et l'étaler sur le sable. Une fois ceci fait, il s'assit, avec sa grâce facile habituelle. On est élevé avec les manières des bourges ou on ne l'est pas.