ILUKAAN est un forum MULTIFANDOM dans l'univers d'Harry Potter. Ilukaan est une école de magie internationale se situant en Nouvelle-Écosse au Canada. L'histoire se déroule en 2024, mélangeant magie et technologie. Vous pouvez jouer des personnages de manga/anime, jeux vidéos, films d'animation, dessins animés, romans jeunesse ou encore un OC. L'intrigue se fait à la fois en RPCB et RP-POST.
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Le paradoxe de vivre sur une île et de ne pas s'autoriser à aller dans l'eau. Pourtant, Dieu sait qu'Ardbert en rêvait. Ses premières années de vie, d'aucun dirait celles qu'il regrettait chaque jour, s'étaient passées dans ce même environnement, entourées de l'océan. Il était partout, sous ses yeux, dans le parfum transporté par le vent, il sentait la présence de la mer même au fond de sa chambre, volets fermés, l'entendant au loin, sachant pertinemment qu'il était là, juste à côté. C'était comme vivre avec son ex qu'on aimait encore, une horreur.
Et comme, parfois, avec son ex, on lui redonne une chance, on lui redemande une chance parfois. Ardbert s'approchait, comme aujourd'hui, de l'océan, les pieds nus sur le sable humide. Il observait les vagues, son esprit se défaisant des mille et unes couvertures rajoutées à chaque anniversaire pour redevenir un simple enfant avide de jouer dans l'eau, de se sentir léger, libre et puissant. Et, qui sait, peut-être au fond de lui aimerait-il replonger aussi, ré-exercer ce qui lui avait donné des fruits lucratifs pour lui et les siens, les sortant de la misère en leur accrochant un sourire aux cristaux de sel sur le visage.
Mais là, aujourd'hui, en serait-il même encore capable ? Savait-il encore nager ? La mer l'accueillerait-il à nouveau comme son enfant légitime ou serait-il rejeté, légitimement, par l'entité divine qu'il avait abandonné au premier drame, au premier proche qu'elle rappelait auprès d'elle ? Accepterait-elle son ancien fidèle qui avait refusé le prix à payer pour être auprès de ses embruns ? Là, tout de suite, en ce matin de printemps, il n'avait pas envie de tenter le coup. Lui, ancien plongeur, ancien brigadier, combattant de la paix, artisan du risque dans les profondeurs, il semblait avoir perdu tout cœur au combat, surtout pour affronter ses propres souffrances.
Un mur invisible semblait s'être dressé entre lui et la poignée de mètres le séparant de l'eau, mais il ne put se résoudre à le franchir, à mettre à bas ces briques infranchissables, mais qui le rassuraient. Plus le mur était haut, plus on pourrait lui pardonner de ne pas le mettre à bas, on pourrait comprendre la difficulté, la résignation, sans pour autant savoir que ce mur n'avait été bâti que par Ardbert, tout seul, parachuté maçon de premier ordre.
Rassuré, donc, par une énième tentative avortée de mouiller le bermuda dont il s'était vêtu, de pouvoir enlever sa chemise couverte d'oiseaux de paradis colorés, il s'apprêtait à tourner les talons avant de voir une chose étrange. Des trempeurs de pieds occasionnels, il y en avait, évidemment. Les premiers degrés au-dessus de dix rameutaient leur lot d'affamés de la baignade qui devraient encore ronger leur frein avant de pouvoir se plonger dans l'eau sans geler. Mais alors, des vrais baigneurs, il y en avait un par heure suffisamment fou ou m'as-tu-vu pour s'y risquer. Mais Ardbert, pile en face de lui, reconnut une silhouette familière qui roulait entre les vagues. Dès qu'il l'eut reconnu, un soupir rassuré passa ses lèvres. Elle était bien la seule qui n'éveillerait pas son inquiétude en prenant un bain de minuit le premier janvier. Thessa...
Le jeune homme attendit d'être plutôt certain que la sirène l'avait repéré et il la salua d'un geste de la main volontairement exagéré et gênant, tout en sachant très bien que ça ne provoquerait rien de plus qu'un retour de bâton mérité et, il ne l'admettait pas trop, qu'il attendait. Thessa c'était un aimant, à chaque fois qu'il l'apercevait une envie irrépressible d'aller la voir et de... tirer ses réactions, n'importe lesquelles, le prenait. Ça valait le coup à chaque fois. Ardbert mit ses mains en porte-voix et, au mépris de tous les élèves qui pourraient se repaître des professeurs qui s'affichent à ce point, se mit à hurler à son intention.
C’était l’un des arguments qui avaient fini par convaincre Thessa de choisir d’enseigner à Ilukaan plutôt que dans une autre école, le fait qu’elle se trouve sur une île. La norvégienne entretenait certaines habitudes. Il y en avait certaines qu’elle respectait plus rigoureusement que d’autres, certes. Mais s’il y avait bien une habitude dans son train de vie dont elle ne pouvait pas se passer, c’était de se baigner. Dans la mer, l’océan, une rivière ou n’importe quel ruisseau, la sirène n’était pas difficile. Elle n’était pas friande des piscines, dont le chlore lui fichait des plaques rouges autour des quelques écailles qui parsemaient ses jambes – ce qui en faisait ressortir d’autant plus la teinte bleu grisâtre et la mettait mal à l’aise, en plus de lui donner l’impression d’attirer l’attention.
La jeune femme se baignait presque une fois par jour, et ce tout le long de l’année. Alors même que les températures avoisinaient le zéro – une addition tardive à la carte des symboles numériques, apportée par nos amis d’Arabie – comme c’était le cas aujourd’hui, la blonde se rendait sur la plage la plus proche de l’école pour piquer une petite tête. Il était beaucoup plus rare de croiser des élèves hors de l’été, et ceux qui la voyaient faire hors saison avaient tendance à la regarder comme si elle perdait la tête. Après tout, la plupart d’entre eux ignoraient son lien très étroit avec le monde marin.
Ses moments de baignade étaient devenus un rituel bien rôdé à force. En premier lieu, la jeune femme, retirait ses grosses bottes pour habituer ses longs pieds au contact avec le sable froid. Elle enlevait son énorme manteau d’ancienne élève de Durmstrang et le pliait soigneusement avant de le poser à côté d’un linge, tout aussi bien plié, puis retirait ses vêtements et les pliait un à un en les empilant par-dessus le manteau. Elle terminait en frappant ses grosses bottes l’une contre l’autre pour en retirer un maximum de sable collés sous les semelles et les poser sur le tas de vêtements, de côté, afin d’éviter que ses affaires ne s’envole si le vent se levait alors qu’elle était plus loin.
En printemps, elle optait pour un maillot de bain une pièce tout ce qu’il y avait de plus simple. Celui de cette année était rouge, une petite folie qu’elle s’était permise pour fêter sa nouvelle vie de professeur. Après tout, c’était sa couleur préférée, donc elle était elle-même étonnée de n’avoir encore jamais eu de maillot de cette couleur.
En général, à cette étape, l’impatience se faisait ressentir : la jeune professeur courait de toutes ses forces jusqu’à avoir de l’eau au niveau des cuisses, puis finissait par plonger en avant pour s’immerger complètement. Et après, cela allait au grès de ses envies : soit elle passait de longs quarts d’heure à explorer les fonds, à rendre visite aux créatures qui devenaient familières à ses visites, soit elle se laissait flotter, les bras et jambes bien tendues telles une étoile de mer.
En ce dimanche d’avril, la sirène avait opté pour la deuxième option.
Elle ne sut pas combien de temps elle resta là, les yeux fermés et un grand sourire béat plaqué sur son visage avant que sa tranquillité ne soit brisée. Prise par surprise, elle se laissa immerger rapidement. Elle avait bien reconnu la voix de son collègue. Après l’avoir cherché du regard sur la berge, seule sa tête sortant de l’eau, tel un suricate, elle laissa ses lèvres fendre son visage d’un grand sourire.
Thessa se rendait bien compte de l’effet qu’elle pouvait avoir sur Ardbert. Elle savait pertinemment qu’il cherchait à provoquer des réactions chez elle. Le pire ? C’est qu’elle prenait un malin plaisir à les lui offrir sur un plateau d’argent. Si la jeune femme n’avait jamais fait de concession quant à sa personnalité très vive, hors d’un contexte qui l’exigeait bien sûr, il était rare qu’elle soit parvenue à se faire des amis à même de supporter ses excès aussi bien que ses moments de profonds manques d’énergie. Elle s’estimait heureuse d’avoir rencontré Ardbert, car bien qu’il n’ait encore jamais vu cette deuxième face d’elle, son collègue avait le don de lui insuffler tant d’énergie qu’elle en débordait par sa simple présence.
La sirène nagea jusqu’à la berge en un temps record. Elle vint prendre appuis sur le sable devant Ardbert avec ses coudes, posant son manteau dans ses paumes, profitant toujours de l’étreinte de l’eau salée jusqu’aux hanches lorsque les vagues venaient s’écraser contre la plage.
– Alors qu’on sait très bien que je n’ai pas besoin de faire mon intéressante pour attirer ton attention, dit-elle avant de froncer du nez, histoire de montrer qu’elle se fichait un peu de lui. Ça veut mouiller le maillot, dis donc ? dit-elle avec un regard pour son maillot.
Ardbert avait ce côté très enfantin de tester ses proches, toujours. Une horreur à vivre, mais qui, étonnamment, lui attirait beaucoup de sympathie. Ardbert allait toujours un peu plus loin, se montrait toujours un peu plus moqueur ou à l'inverse, et c'était le plus surprenant, déployait à chaque fois une gentillesse plus forte et plus incongrue. Il se savait capable d'être un bon être humain, de l'être pour les bonnes raisons, et prenait plaisir à surprendre ceux dont il se sentait vraiment proches en leur esquissant un monde où il serait juste quelqu'un d'agréable à vivre, voire même de désirable à vivre, puis il revenait à son cynisme de base. Des années maintenant qu'il était entré dans cette dynamique et elle illuminait son quotidien au détriment de ses relations humaines, relations pour lesquelles, de toute façon, il se trouvait souvent résigné, prêt à abandonner un édifice à peine construit, s'imaginant que c'était là tout ce qui l'attendait et ce qu'il devait rechercher dans sa vie sociale pour éviter d'abîmer son entourage et, avec lui, sa propre âme.
Mais jamais Thessa ne semblait en être affectée, d'un côté comme de l'autre. L'Ardbert désagréable ne la repoussait pas et l'Ardbert agréable ne la surprenait jamais. C'était frustrant pour cet adolescent sur le tard, mais ça rendait la jeune femme tellement attirante à ses yeux, mais dans un sens très précis du terme. Il l'admettait de plus en plus, son cœur s'était amouraché de Reijiin, avec tous les désagréments que cela avait provoqué depuis la rentrée précédente, et il ressentait pour elle une volonté magnétique d'être en sa présence. Thessa c'était... autre chose, bien plus... doux, plus... évident. Comme si, de la même manière que leurs corps se trouvaient invariablement mieux en présence de l'eau -pour des raisons différentes- il leur fallait être en présence de l'autre pour que l'existence marque une jolie pause. Ainsi, sans qu'on le remarque vraiment, on pouvait voir les deux professeurs se chercher du regard en salle du personnel, dans le Dôme, au détour d'un couloir, espérant découvrir une petite surprise qui égayerait la journée. C'était, malheureusement, trop rare à leur goût, mais ça ne faisait que rendre les échanges plus savoureux encore.
Et aujourd'hui rentrait bel et bien dans ce cas de figure. Qui pouvait dire que si Ardbert s'était mis à errer sur la plage, sachant pertinemment qu'il n'y ferait rien, ce n'était pas pour tenter de tomber par hasard sur sa collègue ? Il serait bien incapable d'y répondre, car mû par une mauvaise foi légendaire de toute façon. Adolescent, nous disions. Tellement que lorsque la jeune femme se rapprocha de lui, étalée sur le sable froid , enveloppée par les vagues mourantes et son maillot de bain choisi avec goût, Ardbert aurait été le dernier à admettre que, oui, elle lui faisait bel et bien de l'effet. Au lieu de ça il s'assit en tailleur sur son bermuda aux vifs motifs, face à Thessa, l'air très satisfait.
- Parce que c'était MON attention que tu voulais attirer ? Eh bien me voilà !
Il ouvrit grand les bras de manière théâtrale, évidemment que c'était faux, mais justement faire l'idiot et tordre les phrases de Thessa pour prétendre n'importe quoi était un de ses jeux préférés, même s'il se soldait souvent par un retour de bâton directement sur le nez, mais il semblait aimer ça vu qu'il revenait à la charge à chaque fois.
- Hmm... non, je te laisse l'océan pour cette fois, pour pas dire pour toujours, toi qui aime me voir rougir je deviendrai plutôt bleu vu la température.
Aucun commentaire sur pourquoi elle était capable de se baigner même dans le cercle polaire, ce n'était pas le sujet.
- Mais vas-y, si tu veux y retourner, je veux pas te priver de ta baignade. Même que je t'encouragerai de loin en mode pom pom boy. « Ouaiiiis Thessa !! T'es trop stylée !! »
Elle était intérieurement reconnaissante que son collègue décide de s’asseoir en face d’elle, car la jeune professeur se serait sûrement fait un torticolis à force de l’observer depuis si bas. Ça lui permettait également de laisser ses mains reposer devant elle et de creuser des sillons dans le sable. Elle n’était pas prête à quitter l’eau encore, elle ne s’était pas encore préparée mentalement à se séparer de l’Océan, son amant le plus fidèle. Elle portait sur son corps tous les indices de leur relation. Elle pouvait sentir sa frange détrempée collée à son front, aplatie contre sa peau pâle. Bien qu’elle était résistante au froid, ses lèvres et ses doigts devaient être légèrement violacés, son corps gardant sa chaleur pour ses organes vitaux. Si les sirènes étaient toujours dépeintes comme des créatures attirantes et irrésistibles, Thessa avait la sensation de s’éloigner grandement de cet archétype à cet instant. Mais n’était-ce pas dans les instants où l’on se fichait le plus des apparences, en plein délassement, que nos charmes les plus bruts se révélaient ?
La blonde pouffa exagérément aux effusions théâtrales que lui offrait Ardbert.
– Même si je n’en voulais pas, j’aurais toujours ton attention, dit-elle en levant les yeux au ciel.
Elle éclate de rire à sa dernière intervention.
– A deux doigts d’y retourner juste pour te voir te trémousser pour moi ! s’exclame-t-elle d’un ton amusé.
Ardbert en faisait toujours trop à ses yeux. La jeune femme se demandait parfois s’il avait quelque chose à cacher sous ces immenses couches de théâtres. D’un côté, elle s’en fichait. Elle pouvait parfaitement se contenter du Ardbert charmeur et désagréable qui faisait un tabac sous les projecteurs. De l’autre côté, elle se demandait par moment si c’était vraiment sa place à elle de vouloir gratter la couche de vernis pour voir les moisissures qui pouvaient ronger le bois.
Le plus souvent, Thessa en venait à la conclusion que non, ce n’était pas le rôle que lui avait réservé Ardbert dans le théâtre de leur vie.
La position allongée sur le ventre n’était pas la plus confortable pour discuter. Aussi la Norvégienne s’appuya sur les mains pour replier ses jambes sous son corps, afin de s’asseoir sur les genoux. Elle préférait cette position à n’importe quelle autre car sa tenue de baignade révélait ses pieds qui pouvaient parfois - voire tout le temps - attirer l’attention par leurs dimensions et caractéristiques inhabituelles.
Ce n’était pas qu’elle n’assumait pas sa différence, bien au contraire, puisqu’elle passait le plus clair de son temps libre en été pieds nus. Mais ils attiraient moins l’attention lorsque tout le monde portait des chaussures ouvertes qu’en plein mois d’avril.
– Pourquoi venir en bermuda si ce n’est pas dans l’optique de se baigner ? dit-elle avec un coup de menton en direction d’Ardbert. Son visage affichait tout le sérieux du monde. Surtout qu’elle n’est pas si froide que ça, se vanta-t-elle en haussant les épaules, laissant un sourire taquin naître sur son visage et le rilluminer doucement.
Pour confirmer - ou plutôt infirmer - ses dires, elle prit un peu d’eau en coupe dans sa paume avant de se pencher vers l’homme pour réduire la distance entre eux et la faire couler sur sa jambe.
Ardbert était un clown, ça personne ne pouvait le nier, pas même lui. Mais si la plupart estimait que c'était pour ses bouffonneries -et Thessa en faisait partie à cet instant- lui avait une opinion beaucoup plus large de ce qui le rapprochait des clowns, comme sa capacité à n'apprécier le monde que s'il pouvait lui présenter un visage grotesque et faux ou bien le vaste déploiement d'illusions dans lequel il aimait s'entourer, semblant détaché de nombreuses angoisses du monde réel alors qu'il souhaitait juste leurrer et laisser penser qu'il ne les vivait pas.
Alors même si les petites moqueries de Thessa étaient toujours suffisamment bien placées pour lui tirer une moue vexée à demi-sincère, il préférait mille fois ça au fait de lui présenter la vérité crue sur le raté qu'il était réellement et qui ne lui inspirerait pas la moindre sympathie. Et la sympathie de Thessa, même si c'était pour un Ardbert qu'elle ne connaissait qu'en surface, c'était déjà trop important pour lui. Ardbert avait passé la dernière décennie à se couper de toute relation trop profonde qui pourrait à nouveau lui coûter cher, mais il ne fut jamais capable de se couper de tout besoin de tisser ces relations. Il aimait tant les gens... Alors oui, Thessa avait sûrement raison, elle aurait toujours toute son attention.
- Pfeuh, même pas en rêve. Déjà parce que les trois quarts du temps on est tous les deux trop bourrés pour parler vraiment « d'attention » !
Ce qui n'était pas vraiment faux. Mais les deux collègues appréciaient cette perdition mutuelle qu'ils s'infligeaient. C'était aussi un témoin de leur confiance mutuelle, l'un comme l'autre aurait du mal à se livrer à un tel exercice sans cela. La remarque amusée de Thessa arracha un haussement de sourcil sincère au jeune trentenaire.
- C'est pas que je veux pas, hein, mais regarde-les, tout autour. Il glissa des regards appuyés à certains élèves présents sur la plage. Ils vont nous faire des misères si on fait trop les guignoles.
Une manière pour lui d'esquiver l'affaire sans paraître trop lâche, ce qui raterait, assurément, mais mieux valait essayer de donner le change un minimum. Si la jeune femme savait qu'elle avait plus d'emprise sur « la place qu'Ardbert réservait dans le théâtre de leur vie » qu'elle ne l'imaginait... Il prenait en compte chaque impression qu'il provoquait, chaque remarque. Certes, la plupart du temps il se savait « autorisé » à ne pas en tenir compte et râler pour continuer son narratif de brise-noix, mais il faisait toujours l'effort de ne pas franchir la ligne, ahurissant de justesse alors que, de l'extérieur, on pourrait affirmer qu'il passait sans cesse la barre de l'acceptable, mais il avait la faculté de voir ce qui importait vraiment pour ses interlocuteurs privilégiés et de ne jamais briser le vase de Soissons qui signerait le point de non-retour. Typiquement, jamais il ne lui viendrait à l'esprit de taquiner Thessa sur ses différences physiques, ou bien au sein d'une plaisanterie ouvertement bienveillante et qui le ciblerait même plus lui que sa camarade. Raison pour laquelle, quand elle changea de position, il ne s'en formalisa pas, s'attachant plutôt à lui répondre avec plus de sincérité, pour garder une conversation agréable et... « récompenser » Thessa, en quelques sortes, en lui offrant quelques vrais détails sur sa psyché, essayant de s'assurer qu'elle ne se lasserait pas de sa compagnie à force de ne le voir ouvrir aucune porte pour elle.
- J'évite de venir sur la plage en habits de ville, c'est un coup à les salir pour un rien. Il fit semblant d'esquiver la question avant de compléter. Et puis je... me baigne plus trop. Je trempe les pieds de temps en temps, mais ça va pas plus loin.
Il se sentit obligé de rajouter encore quelque-chose, pour être certain de ne pas se prendre une pique de sa collègue sur l'eau froide.
- Et ça n'a rien à voir avec la température de l'eau ! C'est sûr je viens du paradis sur Terre avec une eau magnifique et chaude la moitié de l'année, mais ça me dérangerait pas de te rejoindre, ricane-t-il.
Puis son rire s'estompa alors qu'il observait Thessa s'approcher de lui, de l'eau boueuse au creux des mains pour la faire couler sur sa jambe. Si, elle était froide, surtout au premier contact, comme ça, mais ce serait parfaitement supportable et ça lui ferait probablement du bien... Il pinça les lèvres. Plus proche de Thessa, il lui semblait plus difficile de maintenir l'illusion. Il était venu ici pour se complaire dans son amertume personnelle, et voilà qu'il avait dû renfiler son costume de clown à la va-vite pour elle. Ce serait difficile de continuer à jouer la comédie très longtemps, surtout sur un lieu qui lui provoquait autant d'émotions. Son regard croisa les yeux clairs de sa camarade.
- Avant j'étais plongeur, c'était mon métier d'aller sous l'eau. C'est drôle non ? On aurait pu se croiser totalement par hasard.
Un fin sourire se lisait sur son visage à la peau sèche. Comme si son corps tout entier dépérissait car il n'était plus immergé dans l'eau six heures par jour, ce qui était déjà plus ou moins le cas de son cœur.
Si Thessa appréciait énormément faire la pitre avec son camarade privilégié de beuverie, elle préférait bien plus conserver la crédibilité durement acquise auprès de ses élèves lors de sa toute première année d’enseignement. Nan parce qu’être une prof appréciée, c’était super simple. Mais être une prof appréciée ET respectée, c’était tout une paire de manches. Ardbert savait taper là où ça faisait mal, il savait où viser pour l’assagir. Ce scélérat.
– T’as raison, on voudrait pas qu’ils sachent que tu peux avoir du fun en dehors de la torture psychologique que tu leur infliges, le ton de sa voix laisse sa phrase quelque part en suspens au-dessus de leur tête et peut prêter à confusion, bien qu’Ardbert avait peu de chance de se méprendre.
La jeune femme n’avait pas du tout la même vision de l’enseignement que son collègue. Elle voulait protéger le plus longtemps les élèves de la dure réalité de la vie, car s’ils intériorisaient trop vite qu’il y avait des situations sur lesquelles ils n’avaient aucun contrôle, il y avait de trop grande chance que ce sentiment d’impuissance les suivent jusque dans l’âge adulte et les mènent à se morfondre dès la moindre adversité plutôt que de tenter de se battre et trouver des solutions à leurs problèmes. L’approche de son camarade, qu’elle ne défendait pas du tout – bien qu’elle était capable d’en saisir la logique – était diamétralement opposée à la sienne. De la manière dont Thessa le comprenait, le professeur de Défense Contre les Forces du Mal se sentait alloué de la mission de briser le plus tôt possible les espoirs et rêves de ses élèves, afin de les préparer à la dureté de la vie, mais surtout de leur montrer que le monde et les autres ne feraient pas le moindre effort pour les accommoder si cela ne leur rapporterait rien en retour.
L’enfer c’est les autres et l’homme est un loup pour l’homme, comme diraient les deux autres.
Les dernières paroles d’Ardbert mirent un temps avant de mettre en marche les rouages du cerveau de la sirène. Thessa n’aurait jamais pu être préparée à un tel élan d’honnêteté de la part de son collègue. Cela lui paraissait si soudain. Telle une brise estivale, le geste de la blonde venait de soulever l’histoire d’une seconde le voile de distance émotionnelle profonde qui existait entre eux. Si cela l’effraya de prime abord, elle n’était pas nécessairement prête à ce que leur relation soit plus que les apparences qu’ils aimaient cultiver, sa curiosité fut très vite piquée.
– C’est drôle, en effet …
Drôle n’était pas forcément l’expression qu’elle aurait employée.
– Après, je ne vis pas sous l’eau, sinon jamais je n’aurais pensé à inviter les professeurs dans mon appartement. Elle rigole un coup. Mais je te taquine, je vois ce que tu voulais dire.
Elle se retenait de toute son âme de poser la question qui lui brûlait les lèvres, mais elle n’avait jamais vu Ardbert retirer son nez de clown en sa présence. Qui savait quand serait la prochaine fois que le professeur ouvrirait ne serait-ce qu’un tout petit peu sa carapace ?
– Mais du coup … comment on passe de plongeur à prof de DCFM ? demanda-t-elle en se rasseyant sur ses pieds, croisant les bras sur sa poitrine et tiltant la tête légèrement de côté avec un petit sourire. Elle était une créature marine, mais adoptait des allures plus félines.
- Torture psychologique, carrément. Je me demande comment tu qualifierais mes propres professeurs, à l'époque.
Le Poudlard d'il y a vingt ans c'était... quelque chose, en effet. D'un coup, Ardbert se demanda où Thessa avait étudié et dans quelles conditions. Si elle avait été bien traitée ou si, au contraire, il n'avait sous les yeux qu'une version élimée de sa camarade qui avait été abîmée par la cruauté du monde comme tant d'autres gamins. D'aucun dirait que lui aussi participait à cette violence aux mille coupures avec son comportement, mais il ne se sentait pas ainsi. Les mauvais enseignants qu'il avait rencontré étaient... désabusés, distants, froids, méchants, lui formalisait son objectif et pourquoi il ramenait toujours ses ouailles à la réalité. Il ne cachait pas la volonté de pragmatisme qui était la sienne et qui lui semblait d'autant plus importante dans une société glorifiant le « suis tes rêves ». Il ne faisait qu'ajouter la nuance salvatrice « Suis tes rêves, mais prépare-toi à ce qu'ils ne se réalisent pas, car c'est peu probable. » et on le taxait, Thessa la première, de briser le cœur et le mental des enfants ? Jamais il ne donnerait crédit à ses affirmations, surtout lorsque les propres rêves brisés de ses collègues les transformaient parfois, comme une boucle infinie, en ce qu'ils reprochaient à Ardbert d'être.
Thessalonique, Reijin et d'autres, ils étaient tous hypocrites, énervants, mais Ardbert ne pouvait s'empêcher de les aimer et de prendre soin d'eux, à sa manière toujours particulière.
Néanmoins, c'était aussi, à ses yeux, ce qui le poussait à des envolées bien réelles de méchanceté gratuite de temps en temps. Ces instants où, mis à nus car se croyant en sécurité ou, tout du moins, s'autorisant à être un peu moins sur leurs gardes, il frappait ses proches d'une invective cinglante, ciblant au plus près de leur cœur, poussé par la frustration de ne plus être comme eux, aussi idéalistes qu'eux. Il tournait le tout comme si lui était le fort, voyant le monde tel qu'il était, alors qu'en réalité c'était le remord et l'envie qui le poussait à faire du mal à celleux qui s'étaient frottés aussi durement que lui à la vie et n'avait pourtant pas perdu leurs rêves de vue. C'était lui, le faible. Mais ça il ne l'acceptait que dans de rares moments de craquages ivres et douloureux, le reste du temps il préférait se dire qu'il restait le mastodonte entouré de fragiles créatures aveugles.
Mais avec Thessa... allez savoir, il se laissa aller, devant cette plage, à montrer que, lui aussi, avait eu des aspirations joyeuses. Au début, sa camarade n'insista pas, ce qui lui procura une forme de soulagement, mais aussi une envie étrange qu'elle le pousse un peu plus loin, l'air de dire « je ne peux pas faire ce pas en avant, il faut que tu me pousses » comme lors de son premier plongeon dans l'océan.
Et elle le fit. Il soupira.
- Il y a une transition, évidemment, j'ai été brigadier pendant quelques années avant d'atterrir ici. Je peux bien enseigner comment combattre les forces du mal, c'est ce que j'ai fait.
Étrangement, cette période de sa vie... son cerveau la mettait de côté, la plupart du temps. Aidé par le fait que chaque drame était arrosé, et chaque victoire... aussi. Ardbert laissa planer un instant de silence, se doutant bien que la jeune femme voulait aussi savoir pourquoi il avait arrêté la plongée. Mais ça...
… Bon ! Il serait temps que je rentre, moi. Si je leur rends pas leur devoir demain, aux troisièmes années, ils vont définitivement me mettre en pièce.
Il ponctua sa phrase d'un gloussement polysémique qui taquinait tout autant Thessa sur son envie d'en savoir plus. Peut-être qu'il lui raconterait un jour, mais c'était un élément de son passé si honteux que même ivre il ne se laissait pas aller à le divulguer. Pourtant Dieu sait qu'il pouvait atteindre de sacrées profondeurs de malaise une fois quelques verres avalés. Il tourna les talons et adressa un clin d'oeil entendu à sa camarade.
- Reprends ta baignade, l'hiver était bien trop long pour pas profiter de l'eau qui se réchauffe un peu.
Comme s'il souhaitait s'assurer que le sujet était définitivement clos avant de quitter la scène. Son pas rapide l'éloigna de Thessa tandis qu'un mélange de soulagement et d'auto-déception l'envahissait. Il aurait tant aimé lui ouvrir son cœur, mais en même temps... quelle humiliation, quelle peine encore vive dix ans plus tard... Il ne pouvait pas.
Thessa lui offrit pour toute réponse son sourire tout droit inspiré de la Mona Lisa dissimulant mille mystères derrière la courbe de ses lèvres. Si les professeurs de Poudlard atteignaient certaines bassesses de la psychologie de l’éducation, ils étaient des chatons à côté des professeurs de Durmstrang. Dire que Thessa avait survécu aux aléas de l’école de magie n’était pas un euphémisme.
Mais ces maltraitances étaient inscrites dans l’ADN même de l’école, et la sélection de professeurs qui enseignait dans l’établissement n’était que le reflet des méthodes du directeur. Que ce soit en été comme en hiver, les feux de l’école n’étaient allumés que lorsque les élèves pratiquaient la magie, d’où le manteau ultra épais qu’elle avait conservé jusqu’après sa scolarité. En termes de mobilier, l’école ressemblait plus à une prison qu’à un lieu de développement pour les enfants. Et l’école avait l’air d’être restée bloquée à l’époque médiévale. Le château baignait dans son jus, si on pouvait dire.
Oui, la norvégienne était une idéaliste. On n’attendait pas vraiment ça de la part d’une professeur d’étude de la magie noire et blanche, de la part d’une personne dont toutes les figures d’autorité avaient tenté de la rabaisser plus bas que terre, de la part d’une personne qui avait été briseuse de maléfices et qui avaient donc eu l’occasion d’étudier de nombreux artéfacts maudits et des formes de magie dont les rituels de mise en place pouvaient faire trembler d’effrois la plupart de ses collègues. Mais la blonde avait la conviction profonde que la plupart des gens étaient foncièrement bons. Et que tout pouvait s’améliorer.
La jeune professeur retint son souffle quelques secondes après avoir osé poser sa question, le temps de voir si son collègue lui répondrait ou non. Et il lui répondit ! Ou en tout cas, il lui servit un embryon de réponse.
Si la jeune femme avait bien de la peine à imaginer Ardbert en plongeur, elle n’avait aucune peine à le voir en tant qu’Auror. Il avait ce comportement commun avec de nombreux aurors avec qui elle avait collaboré : cette attitude d’être très sérieux et impliqué lors des périodes de travail, et d’être d’autant plus fou dans les moments de détente. Comme pour compenser. Ou comme si cela pouvait être la dernière occasion de passer du bon temps avec ses collègues.
Elle écouta sans commenter, seule la disparition de son sourire pouvait trahir que son cœur battait un peu plus fort dans sa cage thoracique à cet instant. Elle se rendait bien compte qu’il avait omis des détails ou en tout cas la transition entre plongeur et auror. Mais si avant elle avait trouvé le courage de laisser sa curiosité prendre le dessus, elle savait pertinemment qu’elle se cognerait à un mur si elle tentait de gratter la couche de peinture écaillée.
“Courage pour tes corrections dans ce cas !” dit-elle en retour en se levant également.
Elle le toisa le temps de sa dernière remarque qui finit de remettre la distance de coutume entre eux-deux. Elle pencha la tête légèrement de côté quand elle lui offrit un ultime “A la prochaine, mon beau” avant de courir dans les vagues qui s’écrasaient sur la plage, pour retourner à sa baignade comme s’ils ne s’étaient jamais croisés. Mais au-dessus de son esprit planaient encore les questions qu’elle était parvenu à taire l’histoire de quelques minutes. Elle espérait qu’elles se laisseraient emporter par le mouvement des eaux afin de ne pas perturber leur relation à l’avenir.