Ce n’était pourtant pas le printemps. Alors pourquoi tout le monde semblait lui jeter sa joie et son amour au visage ? Toute la matinée, il n’avait vu que ça. Des couples qui se tenaient par la main, tout sourire. Des amoureux qui riaient, partageant un moment unique. Des tourtereaux qui s’enlaçaient dans les couloirs, heureux de se retrouver l’un l’autre. C’était le lot quotidien du pauvre Zenitsu ces derniers temps. Ça avait toujours été le cas, mais depuis quelque temps, il ressentait cette solitude encore plus qu’à l’accoutumée. Le moindre petit signe d’affection, il le percevait. Et ça le tuait à petit feu. Pourquoi est-il si seul ? Pourquoi personne ne voulait-il donc de lui ?

La convoitise est un vilain défaut. Mais un défaut bien présent chez le jeune Ursirre. Lui qui rêvait souvent d’amour, de rencontrer son âme sœur, de vivre une passion hors norme avec quelqu’un qui ressentirait la même chose à son égard. Qu’il était difficile de voir autant de personnes posséder ce qui lui était refusé.

Il continuait d’avoir des coups de cœur pour à peu près toutes les jeunes femmes qu’il rencontrait, mais il avait arrêté de demander à chacune d’entre elles de devenir sa petite amie. Il paraissait que cela donnait une mauvaise image de lui. Celle d’un coureur de jupon - mais pas bourreau des cœurs, attention. Et puis, il avait beau draguer facilement, tomber sous le charme pour la moindre petite attention, il savait pertinemment qu’aucune des filles qu’il avait rencontrées jusqu’alors était faite pour lui. Il voulait juste connaître le véritable amour. Et malgré tout, il n’avait pas plus de succès pour autant.  Depuis son rendez-vous avec Buttercup en Egypte, qui en soit c’était pas trop mal passé, il n’avait pas eu plus de chances en amour.

On lui avait dit que les belles paroles fonctionnaient, mais ce n’était pas son fort. On lui avait dit que la musique était super pour draguer. Mais il avait beau exceller en la matière et même diriger le club de musique, il n’avait pas plus de succès pour autant. On lui avait dit que les demoiselles aimaient les badboys, mais malgré les quelques fois où il avait outrepassé un peu le règlement avec La Gang, il n’était pas du genre à jouer les méchants. Il ne savait plus vraiment quoi faire ni comment pour combler son pauvre petit cœur meurtri.

Installé seul sur une table de la cafétéria, il jouait avec les restes de son assiette. Il avait ce sentiment qu’autour de lui ne gravitait que des amants, et qu’il était le seul célibataire à des kilomètres à la ronde. Pourtant, il avait très peu d’amis en couple, actuellement. Mais ils l’avaient, pour la plupart, été à un moment où à un autre. Bon dieu, même Inosuke était plus proche que lui d’avoir une petite amie. Si ça c’était pas la honte… Il était désormais majeur, ses dix-sept ans étaient là, et il n’avait jamais eu de copine…

Il poussa un soupir désespéré, éloignant son plateau de lui, et s’allongeant à moitié sur la grande table qu’il occupait… Seul. Si seulement il avait un physique plus avantageux. Qu’il était plus beau. Ou plus confiant. Ou plus charismatique. Ou plus éloquent. Il finirait probablement seul pour le restant de ses jours. C’était là ce à quoi il pensait. Sa plus grande peur se réaliserait probablement. Il ne serait jamais assez pour quiconque. Il lui manquerait toujours quelque chose en comparaison aux autres. Ces pensées tournaient en boucle dans son esprit comme un CD rayé…

Le jeune sorcier était tellement concentré sur ses problèmes, ses pensées et ses malheurs qu’il mit un instant pour remarquer que son aîné s’installait à la même table que lui. Il releva la tête, et poussa un léger soupir las. Lui qui avait si souvent le sourire aux lèvres, il avait complètement perdu sa joie de vivre aujourd’hui. Il n’était pas difficile de remarquer que quelque chose n’allait pas pour lui. Il cligna des paupières plusieurs fois, comme s’il essayait de se réveiller, de sortir de sa transe dans laquelle il était plongé à s’imaginer avoir tout ce qu’on lui refusait.

- Ah… Bonjour Shimada-san…

Son entrain n’était clairement pas au rendez-vous. Zenitsu était un garçon qui avait tendance à parler fort, avec enthousiasme et vivacité. Aujourd’hui pourtant, il marmonnait dans son coin, lassé de sa routine solitaire. Il balaya la première question du sorcier aux cheveux verts d’un mouvement de main. Il n’y avait pas besoin de répondre à cette question. Quiconque entrait dans la cafétéria pouvait remarquer le petit nuage noir et pluvieux au dessus de sa tête blonde.

- Oh non, les cours se passent plutôt bien. Enfin… Je suis dans la moyenne quoi.

En temps normal, l’Ursirre aurait développé sa réponse bien plus que cela. Il lui aurait expliqué qu’il s’en sortait à force de travail, mais qu’il avait l’impression de ne pas avoir les compétences et les connaissances suffisantes pour réussir. Il n’avait peut-être pas à passer les B.U.S.E.S cette année, mais ça ne diminuait pas vraiment ses angoisses. Encore une caractéristique qu’il enviait à beaucoup de monde. Ce n’était clairement pas pour lui remonter le moral.

Il se redressa juste un instant, passant d’une position allongée, étalé sur la table sur la table à un affalement sur le dossier de sa chaise. Il laissa pendre sa tête en arrière, les yeux fermés, réfléchissant à comment répondre à cette question. Il n’avait pas envie de geindre. Il n’avait pas envie de se plaindre. Il y avait déjà assez de monde à Ilukaan qui le voyait comme un calimero en manque d’amour, il n’avait pas vraiment envie d’étaler son humeur maussade et envieuse une nouvelle fois. Et en même temps, peut-être qu’en discuter l’aiderait un peu à relativiser, à y voir plus clair, à se remotiver. Un nouveau soupir s’échappa de ses lèvres. Il prenait ses forces pour expliquer sa situation, sans avoir trop l’air de se lamenter.

- C’est pas grand chose… J’me sens juste un peu seul en ce moment. J’arrête pas de voir des gens heureux et amoureux, et j’me dis que j’aimerais bien connaître ça, moi aussi…

Il essayait de minimiser son état d’esprit. Il ne voulait pas avoir l’air désespéré et jaloux de tout le monde. Après tout, il avait ses amis. La Gang était toujours là pour lui… D’ailleurs… Zenitsu ouvrit les yeux d’un coup, se rappelant tout à coup que Genji était récemment célibataire… Peut-être n’était-il pas la meilleure personne à qui se plaindre.

- Enfin, c’est rien de grave hein…

Il se rassit un peu mieux sur sa chaise, affichant un sourire compatissant. L’idée était que lui aille mieux, pas de déprimer tous les gens autour de lui tout de même. Il ne voulait pas plomber l’ambiance alors que Genji avait été soucieux de son bien-être.

Son sourire contrit se fit plus mince lorsqu’il entendit le nom de son ami. C’était une situation pour le moins délicate, d’être proche de deux personnes qui venaient de se séparer. Il ne voulait pas blesser Genji, mais Mateus faisait malgré tout partie de sa bande d'amis très proche. Il ne pouvait pas vraiment réconforter son aîné, lui qui passait du temps avec la personne qui l’avait tant blessé. Le pauvre Zenitsu ne savait pas vraiment où se mettre. Alors qu’elle ne fut pas sa surprise lorsque le Lupy face à lui éleva une nouvelle fois la voix. Il hocha la tête, en signe d’accord. Il n’était pas SI proche de Genji pour que ce dernier lui confie un secret, et pourtant, il attendait la suite afin de savoir ce que le sorcier aux cheveux verts avait sur le cœur. Que pourrait-il bien lui dire, à lui qui n’avait aucune importance, qu’il ne pourrait répéter à La Gang ? Zenitsu était un garçon qui avait la main sur le cœur, et qui aimait aider les autres. Alors bien entendu, le secret serait gardé, et il n’y avait aucun risque qu’il soit dévoilé.

Lorsque les mots finirent par sortir, le blondinet était pour le moins surpris. Lui qui pensait être le seul à envier les couples. Il n’avait jamais vraiment partager ce sentiment d’envie avec quiconque. Toutes les personnes à qui il en avait fait part lui avaient fait comprendre que son temps finirait par venir, qu’il trouverait la bonne le jour où il arrêterait de chercher. Ou alors, les amis à qui il aurait pu se confier faisaient partie des personnes qui ne pouvaient pas le comprendre. Son meilleur ami en tête de liste. C’était bien la première fois qu’il partageait ce sentiment qui l’habitait si souvent avec quelqu’un.

Il s’était attendu de la part de Genji de la colère, ou n’importe quoi d’autres, à la sortie de cette rupture. Il avait eu peur de ce qu’il allait lui confier, pensant que cela le mettrait dans l’embarras vis-à-vis de Mateus. Mais il n'avait pas pensé une seule seconde que quelqu’un d’autres regarderait l’amour avec tant d’envie.

- Vraiment ?

Réponse pour le moins stupide et inutile, mais il était plutôt surpris de cette information.

- C’est pas comme si j’avais déjà eu une copine et que ce genre de choses pouvaient me manquer, mais… J’aimerais bien pouvoir le vivre, moi aussi. Ça a l’air si… agréable…

La séduction et la drague, il l’avait bien compris, ce n’était vraiment pas son truc. Il était persuadée que jamais il ne connaîtrait ces moments de tendresse que peuvent partager les couples. Autour d’eux, il y avait du monde, mais Zenitsu ne voyait que les amoureux qui batifolaient et qui le rendaient si envieux sans même le savoir.

- Je ne pense pas qu’ils savent la chance qu’ils ont. Moi aussi, j’aimerais bien partager des moments comme ça avec une jolie fille…

Il poussa un nouveau soupir de désespoir. Il se tourna vers Genji, le regard morne.

- Ça fait quel effet ? D'être réellement amoureux ?

Peut-être ne le savait-il pas, finalement. Lui qui clamait être amoureux de toutes les jeunes femmes qu’il rencontrait, n’avait peut-être encore jamais réellement expérimenté ce sentiment merveilleux. Après tout, ce n’était jamais de l’amour, mais l’envie de vivre quelque chose qui s’en rapprochait.

Que ça avait l’air beau. Comme ça devait être apaisant de ressentir tout cela pour quelqu’un, et de le partager avec lui. Ses paroles flottaient, oniriques, au-dessus de Zenitsu qui rêvait si souvent d’amour. Aurait-il la chance de l’expérimenter, un jour ? Cette vision idyllique de partager sa vie avec la seule personne nécessaire à celle-ci ? Il écoutait, avec une mélancolie bien visible, son senpai lui raconter ce qu’était l’amour selon lui, et il rêvait de pouvoir le vivre, lui aussi. La description que Genji lui en faisait était rêvée. N’était-ce pas même trop beau pour exister réellement ? Comment faire, pour trouver la personne qui pourrait partager ce sentiment si merveilleux ?

Et, pendant que Genji vidait son sac, Zenitsu jouait distraitement avec sa fourchette et la nourriture dans son assiette, essayant de comprendre comment l’univers pouvait offrir une chance pareille à certains, et la refuser à d’autres. Oh, ce qu’il les envier, toutes ces personnes qui ne réalisaient même pas la chance qu’ils avaient. Ce qu’il enviait tous ces couples batifolant, insouciant et simplement heureux. Ce qu’il détestait les voir se chamailler pour rien d’autres que des broutilles qui les éloigner alors qu’ils avaient devant leurs yeux tout ce que lui désirait.

Dans la voix de son aîné, sortant un peu Zenitsu de ses rêveries de grand amour partagé et de coups de foudre, de la tristesse pointait. La séparation de Genji et Mateus était récente, et il n’y avait pas tellement prêté attention, mais le Lupy semblait plus mal le vivre que son ami.

- Je suis désolée, au fait… Pour toi et Mateus…

Il était réellement compatissant. Il n’osait pas se mettre à la place de Genji, quelle douleur cela pouvait provoquer. Pourquoi donc aimer et être aimé semblait-il si impossible ? Pourquoi tout semblait être inatteignable, à dix-sept ans ou à vingt ans ? Pourquoi quelque chose de si beau, si apaisant, pouvait-il être si déchirant, si lancinant ? Il voyait bien que Genji n’était pas tout à fait lui même, que Mateus lui manquait, qu’il luttait contre une douleur que lui-même n’avait jamais encore expérimenté, et qu’il espérait sincèrement ne jamais connaître.

- Si je peux faire quelque chose pour t’aider, n’hésite pas à me le demander surtout. Ce n’est pas parce que.. heu.. je suis ami avec lui… Que je ne le suis pas avec toi.

Il n’était pas forcément doué pour trouver les justes et n’était clairement pas la meilleure personne auprès de qui trouver le réconfort. Il était bourré de bonnes intentions, mais il n’arrivait pas toujours à l’exprimer comme il l’aurait souhaité. Il avait plus souvent l’habitude de se plaindre que d’être l’épaule sur laquelle on vient pleurer. Le blondin ne savait pas vraiment comment s’y prendre dans le réconfort, et s’étendre sur son manque d’amour et de petite copine n’avait probablement pas dû aider.