Ses semelles claquent sur le sol de terre battue du chemin qui ramène à Ilukaan. Il a été faire un tour à Bloombury. Il avait envie de sucre, il sait que ce n’est pas bien mais le sac qui se balance à son bras le soulage aussi un peu. Grignoter, ce n’est toujours pas bien, mais ça fait longtemps qu’il l’a fait, et puis, il a bien le droit de se récompenser pour le travail qu’il fait chaque jour. Non ? Parce qu’il bosse, tout le temps, il veut réussir ses études, c’est son seul tremplin vers une vie correcte, avec assez d’argent pour vivre bien et être heureux. Seul, sûrement, vu qu’il est infichu de tomber amoureux d’une personne qui ne soit pas en couple. Il soupire en repensant à Tyki mais se secoue la tête. Ce n’est absolument pas le moment de se laisser aller à la mélancolie et l’envie. Là, il a faim, de sucre, de mauvais sucres.

Dans son sac se batailles sachets de bonbons, brioche, pâte à tartiner et autres biscuits aux fruit ou au chocolat. Il a vraiment la sensation d’avoir dévalisé la supérette de Bloombury, alors qu’en vrai, il a juste pris un paquet de chaque. Il glisse un coup d’œil à l’intérieur, il a peut-être pris de trop. Sûrement en fait, il n’est pas doué pour se gérer quand il a envie de manger de manière spontanée comme ça. Enfin, si on peut appeler ça spontané… Ça va faire plusieurs jours qu’il ne pense qu’à ça, qu’il essaie de résister, coupable avant même d’avoir agit… Il sait qu’il ne va pas se sentir super bien après mais en attendant, il n’est empli que de la satisfaction et du soulagement de sentir la nourriture remplir sa bouche prochainement, et combler son ventre, pourtant pas si vide.

Il s’arrête au milieu du chemin en regardant les autres élèves évoluer sur le campus. Qui allant en cours, sûrement, vu son pas pressé. Qui tenant la main de son amoureuse et discutant avec des yeux brillants de douceur. Qui lisant en marchant, courant, rigolant avec ses amis… Allen, lui, s’interroge. Où se poser pour manger ? Il s’imagine dans la salle commune… Non, trop étouffant, trop de risques d’être jugé. Le Dôme ? Non, souvent trop de monde à cette heure de la journée, il ne va pas trouver de place et gêner des gens avec ses bruits de paquets. Et puis veut-il montrer ça à la face du monde ? Il ne pense pas. Son dortoir alors ? Hum… Ça fait grosse bouffe, c’est pas ouf. En plus, il n’aime pas les miettes dans le lit, c’est vraiment quelque chose qu’il déteste.

Il suit du regard la silhouette d’une élève blonde qui marche d’un pas tranquille vers les jardins et sourit. Oui. C’est ça. Il va aller se poser dans un des jardins de saison. C’est confortable, il ne fera pas trop froid, il pourra bien respirer de l’air extérieur en mangeant. Il se dit que ce sera mieux pour la digestion, même si ça n’aura bien évidemment pas d’incidence réelle. Il change donc de direction pour aller se glisser dans la serre, hésitant sur l’automne, le printemps ou l’été, pour s’installer.

 

 

Il finit par choisir l’automne, les couleurs chaudes lui seront rassurantes. Lui qui adore le rouge, il se sentira mieux au milieu des feuilles tombantes et de la douceur menant à l’hiver que dans la joie et la diversité de couleur printanière. Dans son état d’esprit actuel, il cherche une zone de confort, un endroit qui le ferait se laisser aller sans se sentir épié. La nature qui s’endort peu à peu lui paraît un bon cadre, moins stimulant… Peut-être que comme ça, il ne va pas trop manger ? Il ne sait pas, il l’a déjà fait plusieurs fois… et ça n’a rien changé. Pourtant, comme un cycle pervers, il retente, plein d’espoir, avant de glisser à chaque fois sur la pente de la boulimie.

Sa surprise est cependant immense quand, au détour d’un chemin qu’il empruntait, il tombe sur Neah qui l’alpague immédiatement. Zut… Oh non, il aimerait éviter qu’on le voit manger, c’était toute l’idée… Il déglutit et se force un peu à sourire pour ne rien laisser paraître. Il s’approche paisiblement et hésite. Est-ce que Neah va lui enjoindre de s’installer avec lui ? Si c’est le cas, il n’osera pas dire non. Sinon, il filera ailleurs pour manger ses grignotages. Sous le stress, il ouvre un des paquets en haut de son sac et pioche un bonbon dedans, puis deux, puis encore. Le sucre lui fait du bien, sature son organisme, et le rassure. Sa gourmandise et son goût pour les bonbons fait le reste.

« Bonjour Neah… En effet, je cherchais à… me poser. Tu… tu lis quoi ? » Il demande, hésitant. Il sait que Neah n’aime pas franchement qu’on s’impose ou qu’on le dérange. Pire, il sait aussi que son ami n’aime pas toujours passer du temps avec lui. Allen respecte, il comprend que Neah soit un peu distant et peu à l’aise avec les marques de proximité amicales. Parfois, ça blesse le jeune anglais, mais il ne le laisse pas paraître, après tout quel mauvais ami il serait s’il ne considérait pas les limites qu’on lui pose ?

Il marche donc souvent sur des œufs avec Neah. C’est parfois plus simple d’interagir quand Tyki est présent. Même si ça ajoute aussi une composante de stress pour lui, parce qu’il s’efforce au mieux de dissimuler ses sentiments pour le copain de l’écossais. Que c’est gênant de ne pas avoir su… faire autrement. Il baisse les yeux et le mouvement de sa main à sa bouche devient une ancre qui le rassure, mâchonnant ses oursons en guimauve enrobés de chocolat. Il sourit cependant et fait attention de ne pas avoir l’air trop… « grosse bouffe ». Il capte soudain qu’il aurait dû faire quelque chose depuis le début, quelque chose qui était la moindre des politesse.

« Tu en veux, Neah ? » Il propose en prenant son sachet et le tendant vers le brun. « Je suis désolé, je n’ai pas pensé à partager... » Et hop un petit peu de culpabilité pour renforcer son mal être actuel.

 

 

Il écoute avec un intérêt poli la description du livre que lit son ami. Voilà bien une surprise que de voir un tel ouvrage entre ses doigts fins de pianiste ! Cela surprend un peu Allen, bien qu’il ne soit pas jugeant, il s’agit juste d’un étonnement logique quand on connaît le personnage se trouvant en face de lui. Il hoche donc la tête avec un sourire amusé et vient s’installer à côté de lui.

Il continue de dévorer son paquet après lui en avoir proposé. Le sachet se retrouve entre eux au cas où Neah en voudrait… Pour peu qu’il ait le temps d’en prendre avant qu’il ne soit vidé par la main rouge qui plonge régulièrement dans ses entrailles pour y récupérer le sucre nécessaire à son bien être mental momentané.

« Tu lis souvent ce genre d’ouvrages ? » Il demande d’une voix douce en ouvrant un second paquet de bonbons, cette fois des réglisses haribos en escargots dans lesquels il croque sans se donner la peine de les dérouler comme le font la majorité des gens. Ça lui a demandé un effort de volonté de laisser quelques nounours en guimauve dans le précédent pour que Neah puisse en prendre, mais ça vaut le coup. Gourmand, les réglisses ne font par contre pas long feu dans le silence qui s’étend tranquillement.

« Tu lis souvent des livres comme ça ? C’est une romance, n’est-ce pas ? » Il demande d’une voix qu’il espère sereine malgré sa fébrilité glucosée. Il prend un inspiration pour se calmer et ouvre une boite de gâteaux au chocolat, des petits oreos blancs de noirs qu’il dévore souvent pendant ses crises sans explication, vu que le reste du temps il n’était pas fan de ces sucreries en particulier. Les cookies qui suivent, par contre, il en a souvent qui traîne dans le dortoir, même s’il lui manque le verre de lait pour les rendre encore meilleurs lorsqu’il en mange un par ci par là.


Il essaie de rester détendu, de ne pas donner l’impression qu’il perd le contrôle de sa faim de sucre alors qu’il mange quand même un repas de grignotage assez surprenant, devant son ami. Ce n’est pas la première fois qu’il agit ainsi, mais il se dit que de tous, Neah sera bien le dernier à faire un commentaire, n’est-ce pas ? Enfin, il compte un peu sur la discrétion de l’écossais, tout en sachant qu’il a aussi tendance à juger un peu tout ce qui passe sous ses yeux. Il reste donc méfiant, et stressé par la présence de l’autre. Pourtant, il se sent majoritairement honteux comme s’il ne méritait pas, et la preuve était là, d’être un des amis proches de Neah ici, à cette école de magie.

Il glisse un regarde vers le brun et sourit gentiment, pour cacher son trouble. « Tu peux en reprendre, si tu veux. » Il désigne le paquet de nounours en guimauve. « Je sais que tu aimes bien ça, même si je ne te vois pas souvent en manger. » Et ça lui en fait moins à manger, et à gérer ensuite… D’une certaine manière du moins, c’est totalement psychologique.

Il soupire délicatement et regarde les feuilles d’automne tomber autour d’eux. « J’aime bien cet endroit, ce jardin. C’est calme, on s’y sent… serein. » Au moins autant que possible quand il tombe en besoin de s’empiffrer de tout ce qui lui fait envie, comme aujourd’hui.

 

 

Il reste surpris de la lecture de Neah, mais c’est amusant, aussi. Ça donne une nouvelle dimension à l’écossais. C’est une chose qu’Allen apprécie : de pouvoir même après neuf ans à côtoyer quelqu’un, encore découvrir des choses à son sujet. Là, il vient donc de découvrir que Neah accepte de manger des ours en guimauve quand il les lui offre, même s’il connaissait depuis longtemps son goût pour ces bonbons… et qu’il lit des romances sur fond de drama historique. Ça le fascine comme les gens peuvent avoir tellement de couches superficielles à effeuiller pour, progressivement, apprendre à les connaître parfaitement. Et même encore, il se pose la question s’il est réellement possible de connaître par cœur quelqu’un ? Et est-ce que grave que ça ne le soit pas ? Ça reste quelque chose de chouette de pouvoir encore être surpris, ou désarçonné, par ses amis, sa famille ou même ses amants.

Il sent le regard qui pèse sur lui alors qu’il gobe presque ses rouleaux de réglisse. Ce poids le met mal à l’aise, est-ce que le brun le regarde comme ça parce qu’il le trouve répugnant de manger ainsi. Est-ce qu’il le juge ? Est-ce qu’il considère ça inadmissible qu’il mange autant sans raison alors qu’il y a tant de gens qui auraient besoin de nourriture dans le monde ? Peut-être qu’il se demande comment il fait pour manger autant et rester maigre ? Ou encore… Il ne sait pas, tellement de possibilités qui font que, bien qu’il continue à manger sans s’arrêter, il sent sa gorge se nouer. Vu comment il s’inquiète, il ne va peut-être pas avoir besoin de se forcer pour vomir tout à l’heure. Peut-être que son seul mal être suffira pour qu’il renvoie toutes ces sucreries qui n’auraient jamais dues se retrouver entre ses mains. Quelle personne immonde il est. Il se dégoûte tout seul. Il ne devrait pas manger autant. Mais ça fait du bien : le glucose, le gras, l’impression d’être plein pour combler son malaise, ses traumas, ses émotions parfois dure à gérer. Il soupire et lève le nez vers le ciel couvert par les panneaux de vitre de la serre. Heureusement qu’il ne fait pas si clair aujourd’hui, au moins peut-il profiter des vraies couleurs qui l’entourent, plutôt qu’à travers le filtre ternissant de ses lunettes de soleil. Et heureusement que sa malédiction ne se déclenche pas. Vu son état mental aujourd’hui, il est sûr qu’il aurait fondu en larmes.

Il tressaille discrètement, alors qu’il était perdu dans ses pensées, son ami vient briser sa réflexion par sa manière de voir les choses. Oui. La mort de la nature, une vision tragique, très Neah dans l’interprétation. Allen ne voyait pas ça comme ça. Il voyait ça comme l’embrasement de la vie, ces flammes puissantes qui menaient ensuite aux cendres. Et ces restes, ce charbon, servait ensuite à conserver les graines d’espoir jusqu’au printemps. L’humus qui se formait grâce aux feuilles, l’humidité et la chaleur qui dégageaient les couleurs ambrées des arbres. Il adorait ça. Et puis… ça lui rappelait sa chevelure naturelle aussi, comme si en venant regarder l’automne autour de lui, il se permettait aussi d’imaginer à quoi aurait pu ressembler sa famille. Etaient-ils roux comme lui ? Avaient-ils des sourires tendres ou tristes en se souvenant de l’enfant qu’ils avaient laissé ? Il se posait parfois ces questions, encore plus quand il était dans ce mood un peu silencieux… et dans ces crises qui le comblaient physiquement, mais pas psychologiquement.

« Tu as une manière de voir les choses si triste. Je trouve ça plein d’espoir, moi, l’automne. Plein de couleur et de vie. »

Il ouvre un nouveau paquet de bonbons et pique dedans. Tandis qu’il mâche, il lisse, aplatit et plie les paquets vide avec des mains fébriles, comme si faire cela cachait un peu la misère. Une manière comme une autre de dealer avec sa « faim » dévorante.

 

 

Parler avec son ami écossais est toujours une expérience curieuse. Les voies de pensées de Neah lui sont à la fois familières et étrangères. Il arrive la plupart du temps à en suivre les méandres, mais parfois il s’y perd. Ceci dit, même dans ce cas, on dirait parfois qu’il percute particulièrement sa manière de voir les choses au plus grand déplaisir du brun qui lui fait face. Allen sait qu’il déteste être mis face à ses contradictions et attitudes, or Allen n’est pas le genre à laisser faire certaines choses, bien qu’il le fait avec autant de tact que possible. Malgré tout les trésors de tact qu’il utilise ça me suffit toujours pas. Après tout Neah est très sensible, et très… enfin, il aime bien être le plus désespéré d’apparence du panier. Le plus spleen, ce qui laisse Allen relativement perplexe à de multiples reprises.

Aujourd’hui et sa manière de voir l’automne et le cycle de la vie ne fait pas exception. Certes, la mort fait partie de la vie mais la manière qu’a Neah de toujours tout ramener à cette fin comme si elle était la seule chose qui importe au final, plutôt que toutes les belles choses qu’on peut vivre avant… Ça dérange Allen. Sans qu’il s’explique pourquoi. Le brun a des tas de choses que le jeune anglais n’a pas et n’aura jamais : l’amour de quelqu’un, une famille autour de soi, un frère (même si en soi, Allen a peut-être des frères et sœurs de sang, mais l’ignore), alors le voir si insatisfait ou languissant perturbe le jeune homme.

Allen réprime ses malaises et son envie inutile en comblant d’une autre manière. Il mange donc toujours, de plus en plus. Il commence à s’écœurer lui-même mais n’arrive pas à s’en empêcher, au moins la sensation de son ventre plein lui fait du bien. Il reste perdu dans ses pensées un instant, comme son ami à côté de lui, voguant sur le fil de leur esprit. La main d’Allen descend et monte mécaniquement de ses divers paquets à sa bouche. Et soudain, il ferme les yeux en se frottant la tempe. Oh non. Pire moment. Il soupire et tire sa paire de lunettes de soleil de sa poche pour l’enfiler. Il glisse un regard hésitant vers Neah et frissonne, la tête le lançant immédiatement, sensible des yeux jusqu’au bout, hein ?

Il déglutit et prend juste un petit pignon de pin avant de se mordre la lèvre. Il… il n’en peut plus. Il faut qu’il s’en aille, qu’il aille vomir et s’enfermer dans sa chambre, dans le noir. Seul. Il ramasse donc son bazar avec des gestes précautionneux et se relève.

« Ça a été un plaisir de te voir. Désolé mais… Je ne me sens pas bien. Je… je vais y aller. » Il fait un faible sourire à Neah avant de filer sans demander son reste, mal à l’aise. Il garde les yeux baissés sur tout le chemin jusqu’au dortoir, jetant le reste de ses paquets dans une poubelle sur le chemin avant d’y pénétrer et de se boire une potion anti-migraines. Le dortoir est si silencieux quand il y entre. Et vide d’aucun de ses collocs. Parfait. Il s’affale sur son lit, les yeux fermés. Enfer de migraines.