Lorsque les hiboux traversèrent la péninsule du Yucatán, son coeur battait tellement fort qu'il pouvait me sentir pulser dans ses tempes, comme si le bruit résonnait à l'intérieur de son crâne dans un vacarme assourdissant que seul lui pouvait entendre. Cela faisait bien des années que Gen n'avait pas stressé pour ses résultats scolaires. Plus petit il s'en souciait beaucoup, dans sa quête de rendre enfin sa famille fière de lui, il avait passé le début de sa scolarité à s'appliquer grandement en cours pour avoir les meilleures notes, les meilleures appréciations. Au bout de deux ans à Ilukaan, il fut forcé d'affronter la triste réalité, ni ses parents ni sa grand mère n'étaient impressionnés qu'il fasse partie des premiers de sa classe, chaque nouveau bulletin scolaire était lu dans l'indifférence la plus totale. Et si personne de sa famille ne se souciait de ses résultats, pourquoi est ce que lui devrait en avoir quelque chose à faire? À partir de ce moment, il avait cessé tout effort. À quoi bon? Si un A apportait autant de réaction qu'un O alors autant s'épargner le travail et ma pression. Depuis des années, ses appréciations affichaient des "décevant", "résultats en deçà de vos capacités", "se s'implique pas assez" et pourtant ses bulletins étaient lus avec la même nonchalance. Ce qui importait le magicien, c'était qu'il passe d'une année à l'autre, les notes lui importait peu, les excellentes notes qu'il avait sans trop travailler en psychomagie lui garantissait généralement de valider son année sans avoir à s'investir dans les autres matières.

Et pourtant, alors que les serres du volatiles laissaient tomber la feuille entre ses mains, ses doigts tremblaient presque en attrapant les résultats. Son air confiant pouvait le faire oublier mais Gen était quelqu'un de très anxieux. Fixant cette page qu'il n'osait pas ouvrir il se sentait envahi par un stress qu'il avait presque oublié. Stresser pour ses relations, ses spectacles, son lapin, ça il avait l'habitude mais stresser pour les notes? Il avait presque envie d'en rire, mais peut-être s'agissait-il d'un rire nerveux. Pourquoi est-ce qu'il se souciait des résultats cette année? Parce qu'il passait un diplôme? Parce qu'il avait exceptionnellement fait l'effort de travailler? Ou bien parce que pour la première fois depuis longtemps, il avait l'espoir que quelqu'un soit fier de lui? D'un geste peu assuré, il déplia le papier, lisant le document avec appréhension. Son visage entier s'illumine quand son regard passa sur les mots "efforts exceptionnels". Lisant encore et encore le papier pour s'assurer qu'il n'y ait pas de malentendu, il sentit la pression tomber d'un coup et quitter son corps, en laissant au passage un tel coup de mou dans ses membres qu'il eut peur un instant de chanceller. Des cris de joie retentirent autour de lui, noyant ma déception de certains. La seule chose qu'il aimait avec les examens, c'était cette ambiance. Un bon prétexte pour faire la fête ça, que l'on célèbre une réussite ou qu'on noie un échec, tout le monde pouvait se retrouver autour d'un verre.

Il passa un petit instant à féliciter ses camarades aux alentours puis sortit son téléphone pour déposer quelques messages sur le groupchat. Ses célébrations étaient plus brèves que d'habitude et ce n'était pas son raison, il y avait quelqu'un à qui il voulait vite annoncer sa réussite. Pas à ses parents non, il ne savait pas quelle heure il pouvait bien être au Japon et ne voulait pas le savoir. Qu'est-ce qu'ils auraient bien pu lui dire? Un "d'accord" froid avant de raccrocher? En partant du principe qu'ils auraient répondu à son appel, ce qui n'était déjà pas gagné. Non, il n'avait pas la tête à ça, pas maintenant. S'éloignant d'y groupe d'étudiants en joie, il partit en quête de sa cible. S'il était une psychomage, où est ce qu'il se cacherait? Loin d'une foule d'ados bruyants, ça c'était sûr. Fouillant les recoins tranquilles de leur lieux d'habitation mexicain, Il finit par trouver celle qu'il était venu trouver. Prenant une inspiration, il afficha un large sourire, posant sur son visage son masque plein de confiance et de bonne humeur.

-Madame Morgendorffer!

Il s'imaginait déjà son agacement en voyant son moment de calme être perturbé. Eh, elle s'en remettrait. Trotinnant joyeusement jusqu'à la psychomage, Gen lui tendit son précieux papier des deux mains, comme un parfait petit salaryman.

-J'ai reçu mes résultats! Regardez!

Il faisait de son mieux pour cacher sa nervosité. Sa réaction le stressait presque autant que le résultat lui-même. Est ce qu'il s'attendait à ce que Daria le félicite? Non, il était optimiste mais réaliste. Mais il sonda son visage, attendant une mimique, une lueur de son regard, n'importe quel signe qui montrerait que pour une fois dans sa vie, quelqu'un qu'il estimait serait ne serait ce qu'un tout petit peu fier de lui.

Gen avait toujours été bon pour cacher son stress, au point où très peu de gens étaient au courant pour son anxiété. C’était devenu si simple pour lui, toujours caché derrière une façade de contenir ses émotions, de garder un masque jovial pendant que la panique l’envahissait intérieurement. Aujourd’hui ne faisait pas exception à la règle, son sourire figé sur son visage, il regardait la psychomage attraper la feuille contenant ses résultats avec une lenteur qui devrait être considérée comme une forme de torture tandis que son estomac se nouait sous les effets du stress. Il le savait, que ça ne servait à rien de s’en faire autant, mais même s’il pouvait simplement masquer son angoisse, s'empêcher de la ressentir était une tâche bien plus complexe. Quel était le pire scénario? Daria allait lui rendre son papier sans commentaire ou lui dire qu’il aurait pu faire mieux et qu’est ce que ça allait changer? Ca allait altérer le cours de sa vie? Non, mais il serait déçu et ce n’était pas un sentiment qu’il avait envie de revivre maintenant.

Après un instant qui lui parut abominablement long, la psychomage lui rendit son document et releva légèrement son sombrero au passage, révélant un petit sourire qui voulait dire bien plus que tous les mots qu’elle avait pu ajouter. Le masque glisse doucement de son visage et vient s’écraser au sol. En ce moment, Gen n’avait pas besoin de faire semblant, c’est un de ses sourires sincères qui illuminait son visage. Le mot est bien choisi, il rayonnait de joie, sa magie échappant à son contrôle et créant de petites étincelles sous la forte émotion. L’Ursirre n’était pas du genre à faire exploser les vitres sur le coup de la colère, sa magie réagissait très peu au négatif, elle agissait de son propre chef uniquement face à de grandes émotions positives comme maintenant. Comment pouvait-il ne pas être content? Quelqu’un était fier de lui et de sa réussite! Bon, elle avait dit qu’il pouvait être fier de lui, mais c’était tout comme non? Ce sourire et ces petits mots d’encouragement étaient déjà bien plus que ce que sa famille et leur indifférence avait fait pour lui.

-Je le suis! Merci Madame, c’est en partie grâce à vous que j’ai pu avoir de si bon résultats~ J’ai beaucoup appris pendant ce stage!

Et il avait l’intention d’apprendre encore bien plus à ses côtés. Lui présenter ses résultats n’étaient que la première étape. Il avait eu ses C.A.T.U.S., super, mais ça signifiait qu’il allait rentrer en 13ème année à la rentrée et qu’il lui faudrait une alternance. Oh il savait déjà où chercher, n’était-ce pas pour cette raison que le magicien avait fait ce stage en premier lieu? Son plan était bien rodé, faire un stage avec la psychomage scolaire, s’attirer ses bonnes grâces et décrocher une alternance sans avoir à se casser la tête ou à partir loin du campus. Seulement, après un an passé à ses côtés, ce n’était plus seulement le confort et la facilité qui lui donnaient envie de rester. Peu importe si la charge de travail était plus élevée que ce qu’il avait imaginé et que Daria supportait moins bien ses clowneries qu’il l’aurait voulu, ça lui avait fait un petit pincement au coeur de quitter le bureau en emportant avec lui le peu d’affaire qu’il y laissait. Est-ce que Madame Morgendorffer avait ressenti la même chose que lui? Avait-elle trouvé l’endroit vide sans sa présence ou s’était-elle dit “bon débarras” en le regardant partir? Il espérait que ça soit la deuxième option…

-Et en parlant d’opportunités qui s’offrent à moi… Je peux vous embêter encore un peu plus? J’ai besoin de vous parler. Je peux repasser une autre fois si vous voulez mais il faut vraiment qu’on en discute avant la rentrée!

L’idée lui avait traversé l’esprit, de laisser la psychomage tranquille pour aujourd’hui et la laisser retourner à sa sieste pendant que lui partirait fêter ses bonnes notes avec ses camarades, mais il valait mieux lui demander son avis. C’était peut être préférable pour elle d’écouter maintenant toutes ses requêtes et d’être débarassé de lui pour le reste de l’été.