Aussi loin qu’il se souvienne, Allister avait toujours aimé les animaux. Bon, du haut de ses treize ans, ça ne faisait pas très loin, mais quand même! Il avait toujours trouvé leur présence rassurante, les animaux sont moins méchants que les humains, ils ne se moquent pas des autres, ils ne jugent pas, ils ne font pas de coups bas, ils n’utilisent pas les autres. Avec eux, le jeune Cervirald n’avait pas peur, il pouvait montrer son visage, il pouvait parler sans bégayer, il pouvait utiliser son don sans avoir à s'inquiéter des réactions. C’était sûrement grâce à Plasma, son chat angora noir, qu’il trouvait les animaux si réconfortants. Il était son tout premier animal de compagnie, qu’il avait reçu en cadeaux de la part de ses parents pour fêter sa sortie de l’hôpital. Il avait été son seul ami, son seul soutien dans cette période difficile, ce qui avait renforcé son attachement pour les animaux.

Toutes les créatures étaient ses amies, magiques ou non. A la maison, il avait sept chats qu’il aimait de tout son cœur, mais à Ilukaan il n’avait eu le droit d’en emmener qu’un seul. Le jeune britannique avait choisi son plus vieil ami, mais la présence des autres leur manquait. C’est pour cette raison qu’il arrivait que, occasionnellement, il se rende à l’enclos où le personnel gardait les créatures magiques qui servaient de patients dans les cours de soin. En tant que Cervirald, il avait bien l’habitude de ce genre de cours, cependant, c’était en dehors de ceux-ci qu’il se rendait le plus aux abords de l’enclos. Quand tout le reste de la classe était présent, il était moins à l’aise, la timidité et la phobie sociale prenait le dessus sur l’apaisement que lui apportait les animaux et il avait tellement peur qu’on fasse attention à lui qu’il ne prenait pas la peine d’être aussi affectueux avec les créatures qu’il l’aurait aimé, par peur de se démarquer. Il ne vouloir pas être connu auprès de ses camarades comme étant un gaga des animaux, d’ailleurs, il ne voulait pas être connu du tout. A chaque cours, il se fondait dans le moule autant que possible, participait le moins possible, en présence des autres, il faisait de son mieux pour se rendre invisible. Une part de lui se sentait mal, de porter aussi peu attention aux créatures magiques, c’était une des raisons pour lesquelles après chaque cours, il allait leur rendre visite.

L’enclos était si calme quand il n’y avait personne, c’était presque paradisiaque. Il n’y avait plus de cours pour la journée, les professeurs avaient déjà nourri les animaux, plus personne ne pouvait venir le dérangeait. Vu l’automne bien entamée, la nuit tombait tôt au Canada et le jeune garçon avait dû traverser le campus dans le noir pour aller rendre visite aux animaux mais ça ne l’avait pas dérangé. Vu sa personnalité, les gens avaient tendance à penser Allister peureux. Ils avaient tort. Il était timide mais il était courageux, les gens lui faisaient peur mais l’obscurité, les lieux vides, les fantômes, toutes les choses qui effrayaient généralement les enfants de son âge, l’apaisaient presque. Dans le noir, personne ne pouvait le voir et il ne pouvait voir personne, c’est ce qui faisait peur aux autres mais ça le rassurait. L’enclos était éclairé, ce qui lui permettait de regarder les animaux et ne le dérangeait pas vu qu’il était tout seul. Il s’appuya contre la rambarde, regardant les animaux se balader, attendant qu’ils le remarquent et vienne le voir. Un coup de vent s’engouffra dans son manteau, dégageant sa capuche d’habitude enfoncée sur son visage et il décida de la laisser comme elle était, il n’avait pas besoin de se cacher, personne n’était là pour le voir.

Une des créatures magiques s’approcha de lui et le jeune homme sourit doucement en voyant de qui il s’agissait. Un sombral. Il se demanda un instant combien d’élèves ignoraient qu’il y en avait quelques-uns dans l’enclos. Après tout, la plupart des gens n’étaient pas capables de les voir, ils ne l’étaient visibles que pour ceux ayant déjà vu la mort. La plupart avaient assisté au décès d’un proche, Allister était différent d’eux, la mort à laquelle il avait assisté, c’était la sienne. A chaque fois qu’une de ses créatures l’approchait, il repensait pendant un instant à tout, l’accident de voiture, le pare-brise, son réveil à l’hôpital après ses quelques jours de coma. La mort n’avait pas voulu de lui ce jour là, mais elle lui avait laissé la capacité de voir les sombrals. Il admira un instant la créature, sa silhouette équine, ses ailes fines et translucides, son museau qui s’approcha de lui. Il posa une main dessus, caressant doucement la créature.

Le sombral appréciait les caresses, frottant doucement son museau contre la main du jeune garçon pour réclamer davantage d’affection. En y réfléchissant bien, cette pauvre bête ne devait pas recevoir beaucoup de câlins, ces créatures étaient invisibles aux yeux de la plupart des gens, alors forcément, le commun des mortels ne s’occupaient pas d’eux. Le Cervirald commençait à se sentir mal pour eux, il savait ce que ça faisait, d’être invisible, de se faire remarquer uniquement quand les autres en avaient besoin. Il appréciait la solitude, mais il aurait encore plus aimé se faire des amis. Oh bien sûr, Allister ne rêvait pas de devenir le garçon le plus populaire de sa classe ou quoique ce soit du genre, mais il aurait aimé avec un ou deux amis sur qui il pouvait compter. C’était un sentiment très contradictoire, il aimait être transparent parce que ça lui évitait de rencontrer du monde, mais il aurait aimé ne pas avoir peur des autres, être capable de leur parler, de leur faire confiance, de leur montrer son don. Ça sonnait presque plus comme un rêve que comme un objectif, il se dit pendant un instant que le sombral avait limite plus de chance que lui de se faire des amis. Au moins lui, quelques personnes l’approchaient, elles étaient rares, certes, mais il y avait des élèves et des professeurs capables de les voir et de leur donner de l’affection. Lui se demandait si ça lui arriverait un jour, d’être vu et aimé. Se sentant un peu plus proche de la créature, il eut soudainement envie d’escalader la clôture. Il avait bien le droit, non? S’il ne faisait rien de mal et donnait juste des câlins à l’animal, il ne devrait pas avoir de problème, il fallait dire que ce n’était pas très pratique, les caresses à travers la barrière.

Cependant, il n’eut pas le temps de mettre en œuvre son plan de câlins et de commencer son escalade, il entendit du bruit, le stoppant net dans ses mouvements. Paralysé par la peur, il n’osa pas bouger pendant quelques secondes, ayant peur que quelqu’un approche. Il essaya de calmer sa respiration, de reprendre ses esprits, d’analyser les bruits se rapprochant. Ils étaient lourds, trop lourds, impossible que ça appartienne à un autre enfant, ou même un adulte! Sa peur disparut instantanément, si c’était un animal qui se dirigeait dans sa direction, il pouvait gérer la situation! Il se retourna donc tranquillement, prêt à voir quel genre de créature était venue lui rendre visite et son cœur loupa un battement alors que la panique reprenait possession de lui. Ce n’était pas un animal qui se tenait devant lui mais une femme. Une femme immense, tellement grande qu’il devait à peine lui arriver aux hanches. Il n’avait jamais vu quelqu’un d’aussi grand, lui qui était déjà assez petit par rapport aux enfants de son âge, il se sentait minuscule face à elle. Enfin, actuellement, il se sentait surtout mortifié face à elle, il aurait préféré tomber sur un gros animal. Une fois le choc passé, il s’empressa de remettre sa capuche, l’enfonçant autant que possible pour cacher son visage qui, vu comment la jeune femme le surplombait, ne devait plus être visible désormais. Enfin, le mal était déjà fait, non? Elle avait eu le temps de le voir, son visage, et rien que d’y penser, Allister avait des sueurs froides, le souffle lui manquait. La femme essaya de le rassurer, lui disant qu’elle était une élève, comme lui. Ca ne le rassurait pas, du tout, un élève, c’était le dernier type de personne qu’il avait envie de voir, là tout de suite. Elle lui annonça qu’elle pouvait partir si elle dérangeait mais c’est lui qui avait envie de partir, de prendre ses jambes à son cou, de fuir aussi vite qu’il le pouvait loin de cette inconnue qui venait lui parler. Il prit quelques grandes inspirations pour se calmer et réussir à s’exprimer. La clé de la réussite, c’était de parler lentement, de faire des pauses au milieu de ses phrases pour avoir le temps de réfléchir à ce qu’il allait dire, ça lui évitait de trop bégayer, lui qui détestait tout le temps buter sur ses mots.

-N-non… C’est moi… qui vais repasser… De toute façon… j’avais déjà fini… B-Bonne soirée…

Sa petite voix encore enfantine se faisait faible avec le stress. Il avait envie de partir, vite, alors il contourna la femme, s’apprettant à partir en courant. Cependant, les choses ne pouvaient jamais bien se passer et, dans sa précipitation et son envie de vite se retrouver loin d’ici, il ne fit pas attention à une racine d'arbre qui dépassait du sol, sur laquelle il trébucha avant de se ramasser par terre. Il avait honte plus qu’il avait mal, mais ça ne signifiait pas qu’il ne s’était pas blessé pour autant. En se redressant, il regarda sa jambe droite dans laquelle il ressentait une petite douleur. Son pantalon s’était déchiré au niveau du genoux et commençait déjà à saigner. Il avait connu pire, son front se souvenait du pare-brise dont il gardait encore des cicatrices, mais il allait falloir désinfecter ça.

Sa fuite avait été un échec et maintenant, l’inconnue se rapprochait de lui. Nooooon, il avait envie de fusionner avec le sol et disparaître. Elle ne pouvait pas le laisser seul dans son flop? Partir voir les animaux et le laisser faire la crêpe par terre? Apparemment non, quel enfer. La jeune femme s’agenouilla une fois proche de lui pour se mettre à son niveau, enfin, autant “à son niveau” qu’elle le pouvait vu sa grande taille. Le jeune Cervirald recula instinctivement, cherchant à fuir autant qu’il le pouvait en étant assis par terre avec un genoux blessé. L’inconnue l’examina et il tira machinalement sur sa capuche, espérant qu’elle ne soit pas trop remontée durant sa chute. La Strixyst, dont il devinait la maison grâce à la couleur de sa jupe et de sa cape, semblait bien inquiète de sa blessure. Ce n’était pourtant pas très profond… juste une écorchure qui ne lui faisait presque pas mal, pas de quoi s’inquiéter, un coup de désinfectant et un pansement avec des petits chats mignons dessus et ça serait fini. Il pourrait même s’en occuper tout seul si cette inconnue le laissait tranquille! En plus elle n'arrêtait pas d’essayer de regarder son visage, ça allait finir par lui provoquer une crise d’angoisse. Il voulait devenir invisible pour que cette situation prenne fin mais ce n'était malheureusement pas possible. La jeune femme voulait l’emmener à l’infirmerie ou la soigner elle même mais le petit Cervirald voulait juste qu’elle le laisse tranquille. Il voulait lui dire, que c’était pas grave, qu’il n’avait pas trop mal, qu’il pouvait se débrouiller tout seul, mais la grande dame enchaînait les phrases trop vite pour lui, le temps qu’il réfléchisse à ses mots, elle parlait déjà d’autre chose. Elle s'apprêtait d’ailleurs à lui jeter un sort de soin, cherchant une fois de plus à voir son visage, sûrement pour y chercher un quelconque consentement. A choisir, il préférait encore le sort que l’infirmerie, ça le sortirait de cette situation plus vite et il ne voulait vraiment, VRAIMENT pas vivre un trajet en tête à tête avec l’inconnue. Celle-ci se voulait rassurante au possible mais se trompait totalement d’objectif dans ses propos, ce n’était pas de la douleur qu’il avait peur, c’était juste de sa présence. Et puis bon, il avait 13 ans maintenant, c’était un grand garçon! Il n’allait pas pleurer pour un genoux écorché ou pour un sort de soin! Par contre il pouvait pleurer si elle le regardait une fois de plus…

-V-vas-y… Tu peux… lancer le sort… Mais… s’il te plaît… arrête… de me fixer comme ça…

Il avait l’espoir qu’en cédant, elle fasse ça vite et arrête de la coller et de le regarder. La Strixyst sortit sa baguette et lança un Episkey, pendant un instant, il eut un peu honte qu’elle connaisse des sorts de soin et pas lui qui était pourtant à Cervirald, mais bon… vu son uniforme, elle était en cursus universitaire, lui n’était qu’en deuxième année, il avait le temps d’apprendre. Il observa un instant l’inconnue, profitant du fait qu’elle soit concentrée sur son genoux pour ne pas croiser son regard. Même dans la pénombre, il distinguait un peu son visage, et surtout le brassard blanc qui ornait son uniforme. C’était un membre du conseil des élèves, une préfète même s’il se souvenait bien de la cérémonie de rentrée, qui n’était en plus pas très lointaine. Alors c’était pour ça qu’elle tenait tant à l’aider au lieu de le laisser se débrouiller tout seul… Sa blessure se referma, ne laissant aucune trace de sang. Comme la préfète lui avait dit, il n’avait pas eu mal, juste une sensation de chaud et de froid. Si on oubliait le trou dans son pantalon, on aurait cru qu’il ne s’était rien passé du tout. Il allait essayer de recoudre ça en rentrant au dortoir. La jeune femme le félicita pour son courage, comme s’il avait fait quelque chose qui méritait une quelconque félicitation alors qu’il était juste resté immobile sur le sol. Elle lui tendit la main, lui proposant son aide pour se relever mais il déclina en secouant doucement la tête.

-Ca ira… Je… peux me relever… tout seul… je n’ai plus mal… à ma jambe… Merci… pour le sort… Ca… va mieux…

Il se releva doucement, gardant la tête baissée pour que sa capuche le cache suffisamment. La préfète assise était presque aussi grande que lui debout… Il recula de quelques pas, gardant une distance de sécurité entre eux.

-Je m’appelle… Allister… Est ce que… tu étais venue rendre visite aux animaux… toi aussi?

Il tourna la tête un instant, c’était plus facile de discuter en regardant ailleurs. Son regard se posa sur le sombral qui se tenait au bord de l’enclos, l’air inquiet. Oh le pauvre… Il devait s’inquiéter pour son nouvel ami, vu sa chute. Il s’approcha doucement de la barrière, offrant à nouveau quelques caresses à la créature qui semblait apprécier.

-Ne… t’en fais pas… Je vais… bien... C’était juste… un petit bobo..

Alors comme ça la préfète faisait partie du cursus Monstres et créatures magiques! Ca avait l’air vraiment sympa comme études. Allister, du haut de ses treize ans était très loin de se préoccuper de ce qu’il allait faire quand il serait à l’université, mais comme tout pré ado, il se demandait ce qu’il allait faire quand il serait plus grand! Travailler avec les créatures magiques… ça avait l’air amusant. S’il avait été plus sociable, il l’aurait sûrement questionné sur ses études, pour savoir ce qu’elle y faisait, si c’était aussi sympa que ça en avait l’air et si elle avait le droit de câliner les créatures magiques. Oh s’il était dans ce cursus, il passerait tous les cours à leur faire des papouilles, c’était sûr! Déjà qu’il se retenait en cours de soins… Mais le petit Cervirald n’était pas sociable, il ne posa aucune question et se contenta de hocher doucement la tête, dans un mouvement si faible qu’il était sûrement imperceptible. Il remarqua dans sa vision périphérique Taynara qui s’approchait mais décida de ne rien faire, il avait jugé qu’elle était à une distance raisonnable alors il n’avait pas besoin de reculer. Il continua de caresser délicatement le sombral à ses côtés. Bien sûr que la jeune femme ne les voyait pas… Mais bon, au moins elle avait pris la peine de réfléchir à la situation au lieu de directement le prendre pour un fou. En plus de ça, elle prenait le temps de s’occuper de tous les animaux, même si ceux-ci étaient invisibles à ses yeux.

-Les sombrals sont… très gentils et affectueux… Et tu sais… si tu leur donne à manger… même si tu ne les vois pas…alors tu es très gentille aussi…  Ils ont besoin… de beaucoup d’attention… Tu imagines… ce que ça fait… quand personne ne nous remarque? C’est… triste… et on se sent seul… enfin je crois… que c’est comme ça que les sombrals se sentent…

Oui bien sûr, les sombrals, pas lui, du tout! Il avait toujours été doué pour comprendre ce que voulaient les animaux, c’était une nouvelle démonstration de ce talent, rien de plus. Lui? Se sentir seul? Jamais. Il appréciait la solitude, ce n’était pas triste s’il avait assez l’habitude du silence et de l’isolement pour que ça ne le dérange plus. Il ne se projettait pas du tout sur les animaux en face, c’était les sombrals qui étaient tristes d’être seuls, pas lui. Il était un grand garçon maintenant, il n’allait quand même pas être triste de ne pas avoir d’amis!     Et puis c’était pas le moment de penser à ça, on lui avait posé une question, ça n’aurait pas été poli de l’ignorer!

-Je suis… en deuxième année… Ca va… j’ai grandi… dans une famille sorcière… donc je ne suis pas… très dépaysé mais… c’est mieux que là où j’étais avant…

Allister était un peu plus bavard quand il ne faisait pas face à son interlocuteur, c’était plus facile de parler comme ça, ça lui donnait moins de trac. Et puis, il n’allait pas mentir, il aimait bien cette école. Ce n’était pas le rêve de sa vie d’entrer à Ilukaan mais il ne se déplaisait pas ici. Un petit silence s’installa pendant quelques secondes. C’était méchant, de ne pas lui rendre la question d’une façon ou d’une autre, non? Ca donnait l’impression qu’il ne s'intéressait pas aux autres et qu’il était mal élevé? Ah il fallait lui demander quelque chose en retour, sinon il allait passer pour un sale gosse froid et distant! Mais que dire? Il risquait de paraître intrusif non? Ou de l'ennuyer? Ou de la déranger tellement qu’elle aurait aimé ne jamais avoir connaissance de son existence? Réfléchit Allister, vite, dit le premier truc qui te passe par la tête!

-E-et toi? Est ce que… ça te plaît… d’être préfète? Pourquoi… est ce que tu as voulu… rejoindre le conseil?

Noooon, c’était nul! Pourquoi est ce qu’il avait dit ça? Taynara en avait sûrement parlé à son discours lors de la cérémonie de rentrée! Ca donnait l’impression qu’il n’avait rien écouté! Et c’était la vérité! Il y avait tellement de monde lors des discours qu’il était trop occupé à se retenir de faire une crise de panique en public pour écouter un traître mot de ce qu’il se passait sur scène! Se sentant à nouveau mal à l’aise, il retira sa main de la tête du sombral et se décala de quelques pas pour s’éloigner de la préfète, attendant que la créature le suive.

La jeune femme ne chercha pas à se rapprocher de lui, restant immobile à proximité de l’enclos. Tant mieux, Allister encaisse mieux la honte avec une distance de sécurité., comme si ses effets étaient diminués au fur et à mesure qu’on s’éloignait de la personne auprès de qui on venait de s'embarrasser. Le sombral, lui, ne garda pas ses distances, trottinant doucement pour revenir au niveau du jeune Cervirald et lui réclamer de nouveaux câlins, frottant sa tête contre le bras du garçon, lui arrachant ainsi au passage un discret petit rire. Il reprit ses caresses sur le museau de l’animal, écoutant parler la préfète. Elle avait raison… Peut-être qu’il se projetait un peu trop sur les sombrals et qu’ils étaient très heureux avec les rares personnes qui pouvaient les voir, avec leur famille… Pendant une partie de sa vie, Allister avait eut l’impression d’être invisible même aux yeux de ses parents. Oh, ceux-ci l’avaient toujours couvert d’attention depuis sa sortie de l'hôpital mais ça ne sonnait pas…sincère. Malgré son jeune âge, il ne s’était pas dit à l’époque “papa et maman se sont rendus compte que j’avais besoin d’attention” mais plutôt “papa et maman compensent parce qu’ils se sentent coupables que je me sois fait mal”. L’apparition de son don n’avait pas arrangé les choses, à partir du jour où ils avaient compris que ses visions n’étaient pas des délires d’amis imaginaires ou autre bizarrerie de gamin, il avait eut l’impression que quand ils le regardaient, ils voyaient un psychomètre au lieu de voir leur fils. Tout le monde avait été ravi que ce don qu’ils pensaient disparu après deux générations d’absence revienne dans la famille, les séances de spiritisme ancestrales des Crowley allaient pouvoir reprendre et dans l’euphorie que ça avait provoqué, personne n’avait demandé son avis au principal concerné dans cette histoire. Résultat des courses, ils avaient eu leur médium et Allister n’avait pas eu d’enfance. Ses parents avaient réalisé leurs torts et faisaient tous les efforts possibles pour réparer le mal qu’ils avaient fait mais le jeune garçon ne pouvait pas s’empêcher d’avoir du mal à passer outre le fossé qui s’était creusé entre eux au fil des années.

-Je… ne sais pas non plus… je parlais juste… pour les sombrals… C’est… l'impression qu’ils me donnent… Ils sont… toujours contents de… me voir… je me disais… qu’ils devaient manquer… de compagnie… Mais… si je me trompe… et qu’ils sont heureux… entourés de leur famille… alors je suis heureux pour eux…

Il avait regardé quelques instants la jeune femme, content qu’elle ne tourne pas la tête dans sa direction à ce moment là. Elle était absolument immense et pas juste comme une élève qui avait eut une bonne poussée de croissance, c’était plus que ça. Malgré la distance, Allister estimait qu’il devait à peine lui arriver à la taille et il avait beau être assez petit pour son âge, il savait quand même que ce n’était pas normal. Comment est ce qu’une femme aussi grande qu’elle pouvait se sentir seule? Vu sa taille, elle devait attirer tous les regards. Le petit Cervirald eut un frisson d’horreur rien qu’en y pensant. Il n’enviait pas du tout sa situation, quelle horreur ça devait être de toujours être le centre de l’attention. Mais bon, Taynara n’était pas que sa taille, c’était aussi une personne sociable, qu’il trouvait gentille et bienveillante malgré le peu de phrases qu’ils avaient échangé. Quelqu'un comme ça devait avoir plein d’amis, non? Il était des plus surpris qu’elle puisse connaître aussi la lourdeur de la solitude et comprendre à sa manière ses problèmes. La préfète enchaîna, lui parlant un peu du campus. Elle avait l’air de grandement apprécier la vie à Ilukaan, lui de l’autre côté appréciait surtout de pouvoir vivre incognito dans un environnement où personne, pas même le personnel, n’était au courant qu’il était un psychomètre. C’était son petit secret et il aimait bien le garder pour lui, il s’était promis après tout ce qu’il avait vécu, qu’il ne serait plus jamais utilisé pour son don. Il avait jugé que la meilleure manière pour que personne n’essaie de le manipuler pour obtenir une séance de spiritisme, c’était de ne rien dire à personne. Ce n’était pas la plus joyeuse  des raisons d’aimer Ilukaan mais c’était comme ça. Il aimerait partager le point de vue de Taynara mais il ne pouvait pas s’empêcher de se méfier de tout le monde dans cette école. Elle voyait les autres élèves comme une seconde famille alors que lui, il n’y en avait même pas un seul qu’il pouvait appeler son ami.

-Tu… vois les élèves de cette école… comme ta famille? Tu es donc… si proche d’eux… que ça?

Il était presque impressionné de voir à quel point la Strixyst tenait à ses camarades d’Ilukaan. Faire partie du conseil des élèves, ça devait être difficile, il fallait toujours être sous les feux des projecteurs, être disponible pour les autres car tout le monde comptait sur eux. Taynara avait accepté toute ces responsabilités en devenant préfète et ça juste pour protéger les autres. C’était très noble de sa part. Allister ne l’avait jamais vu à l'œuvre mais il imaginait sans mal qu’elle devait bien occuper son poste. Elle était avenante et à l’écoute, mais il se doutait qu’elle devait être terrible quand on la mettait en colère, rien que l’idée de se faire disputer par cette immense femme le dissuadait de faire la moindre bêtise. Les gens les plus doux sont toujours les plus terrifiant une fois qu’on les énerve.

-Je pourrais… difficilement oublier… c’était… une première année… mouvementée…  En tout cas… c’est très gentil… de ta part… de vouloir protéger tout le monde… Je suis sûr… que tu y arriveras… E-enfin… j’espère que… ça ne sera pas nécessaire… mais… si ça devait arriver… tu seras à la hauteur…

“Hauteur” n’était peut être pas le mot le plus approprié et il regretta instantanément de l’avoir utilisé, fixant le sol à ses pieds d’un air penaud dissimulé par sa capuche. A quoi ça servait de faire des pauses dans ses phrases pour chercher ses mots si c’était pour sortir des boulettes pareilles. Allister avait beau être jeune, il était loin d’être stupide, il avait très bien compris que la préfète qui se tenait non loin de lui n’était pas juste grande. C’était une géante. Enfin, une demie géante plutôt, sinon elle ne serait pas capable d’utiliser la magie et ne serait pas élève dans cette école. Il se demanda pendant un instant si elle avait souffert de sa particularité autant qu’il avait souffert de la sienne. Contrairement à elle, le petit Cervirald avait l’avantage d’avoir un don invisible, elle ne pouvait pas cacher ce qu’elle était. Personne n’avait embêté le jeune garçon durant tous les scandales qui étaient arrivé l’année précédente à cause de la pureté du sang, les autres n’avaient pas de moyen de savoir s’il était sang pur ou non, et son don l’aurait peut être sauvé, les gens trouvent généralement un certain intérêt aux psychomètre. Il valait mieux être un monstre de foire qu’être menacé ou pire. Taynara n’avait pas sa chance, il suffisait de la regarder pour savoir qu’elle était de sang-mêlé.

-Ca n’a… pas été trop dur… pour toi l’année dernière…? Désolé… d’être indiscret… mais… tu es une demie géante…non? Les gens… ne sont pas méchants avec toi… à cause de ça…?

Comme s’il sentait que c’était sa chance d’obtenir des câlins, un autre sombral se leva du fond de l’enclos, trottinant jusqu’à rejoindre son compère. Heureusement qu’Allister avait deux mains, une pour chaque museau qui réclamait des caresses. Dire que les gens osaient décrire ces animaux fantastiques comme étant terrifiants alors qu’ils étaient si doux et affectueux… Leur maigreur, leur robe d’un noir poussiéreux, le jeune Cervirald les trouvait beaux, voir même élégants. Il les aimait ces créatures, il voulait leur donner l’affection qu’ils n’obtenaient pas de la part de tous ses gens qui passaient devant eux sans les voir.

-Je… ne suis pas sûr… qu’ils m’adorent…autant que tu le dis… mais… moi en tout cas… je les adore et je vais continuer… de leur rendre visite jusqu’à… la fin de ma scolarité…

La préfète des Strixyst détailla la vision qu’elle avait d’Ilukaan. Quand elle disait qu’elle voyait chaque élève comme sa famille, elle ne suggérait pas qu’elle était amie avec toute l’école, elle utilisait une signification bien plus littérale du mot “famille”. Dans une famille tout le monde ne s’aime pas, tout le monde ne se connait pas, il était bien placé pour le savoir. Sa famille, sa vraie famille de sang, était loin d’être parfaite, on l’avait mis de côté ou vu comme un pion. S’il acceptait une famille comme ça; alors il pouvait peut être commencer à considérer les autres élèves de cette manière. Ils allaient passer les treize prochaines années ensemble, dormir dans les mêmes dortoirs, participer aux mêmes, manger les mêmes repas à la cafétéria. Peut être qu’il fallait commencer à considérer le fait que, même s’il était si transparent, il y avait, qu’il le veuille ou non, des liens de camaraderies entre eux.

-Oui… je sais… Peut être que… tu as raison alors… Même si… tout le monde ne s’entend pas… et qu’il y a des personnes dont on ne connaît pas l’existence…  On vit tous ensemble ici… alors… c’est vrai qu’on est un peu… tous comme une famille… Je n’ai… pas de soeur donc… je ne pourais pas te dire… si c’est précieux mais… c'est gentil, de vouloir aimer tout le monde…

Il fallait une grande noblesse d’âme pour vouloir protéger et aimer tout le monde, même les gens qu’on n’appréciait pas. Taynara montait un peu dans son estime, si malgré les insultes et les brimades, elle continuait d’être là pour les autres. Elle ne méritait pas ce genre de traitement… Pourquoi l’embêter ainsi? Parce qu’elle était grande? Où était le mal à ça? Les gens qui l’insultaient ainsi n’était que des lâches. De toute façon, il fallait faire preuve d’une sacré lâcheté pour rabaisser les autres juste pour se sentir supérieur…

-Insulter les gens… sur leur physique… c’est juste… méchant… J’espère… qu’ils ne t’embêtent pas trop…

La pauvre… C’était triste qu’elle soit si dévouée à une école qui ne lui rendait pas. D’un autre côté, c’était une bonne chose, qu’ill y ait des gens comme elle à Ilukaan. Ca lui permettait de se sentir un peu plus en sécurité en ces temps troublés. Le conseil des élèves veillait au grain, et le directeur était prêt à mettre sa liberté en jeu pour protéger ses élèves. Ironiquement, les gens, la chose qui lui faisait le plus peur, étaient aussi ce qui lui permettait de ne rien avoir à craindre durant sa scolarité.

-Je compte… sur tout le conseil des élèves… et sur monsieur le directeur… S’il se passe quelque chose…

Les sombrals s’éloignèrent doucement, retournant se coucher au fond de l’enclos. La soirée était bien avancée, l’air s’était rafraîchi et le couvre feu approchait. Il allait être l’heure de rentrer… La préfète des Strixyst lui proposa de l’accompagner dans le Dôme pour prendre une boisson ou quelque chose à manger. Il secoua doucement la tête, il avait assez socialisé pour la journée. Pour la semaine même. Peut être pour le mois. Là tout de suite, il avait envie d’un peu de solitude.

-Non merci… Je vais… retourner au dortoir… C’est… pas la peine de me raccompagner… je peux marcher… tout seul… Passe une bonne soirée… Taynara…

Sur ce, il s’éloigna de la barrière, tête baissée sous sa capuche, sa petite silhouette disparaissant rapidement dans l’obscurité des sentiers peu éclairés entourant l’endroit.