Comme tous les lundis, après la fin des cours, tu allais faire tes devoirs dans le dortoir de ton petit copain, Luciano. Vous passiez souvent votre soirée à essayer d’apprendre vos cours ou faire vos exercices d’anatomie pour le lendemain. Parce que oui, chaque semaine c’était la même chose. N’ayant pas cours d’anatomie les lundis, vous vous disiez à chaque fois que vous alliez bosser cette matière le week-end, et chaque week-end vous ne foutiez rien, ce qui vous obligeait à cravacher les lundis soirs pour rendre quelque chose à temps. C’était quand même dure la vie d’étudiant, quand on était incapable de tenir un planning de travail. Parce que pour le sport, hein, tu ne loupais jamais une séance, Luciano. Mais les devoirs, c’était une autre paire de manches.

Ce que tu aimais bien Luciano, quand tu bossais avec Alfred, c’est que souvent vous ne bossiez pas beaucoup. Enfin, c’est plutôt que le rapport temps/quantité de travail n’était pas ouf. Cela s’expliquait par le fait que vous passiez plus de temps à vous embrasser et à papoter qu’à réellement travailler vos cours. Oui, vous étiez irrécupérables. Mais c’était une méthode d’apprentissage comme une autre, un bisou par bonnes réponses, tu arrivais à te concentrer un peu plus grâce à cela. Tu décrochais au bout de vingt minutes, au lieu de dix, c’était déjà un exploit. Vraiment, tu ne savais pas comment tu aurais pu réussir tes BUSEs et tes ASPICs sans Alfred. Sans le blond, tu serais resté en troisième année toute ta vie, vu comme tu prêtais attention aux matières qui ne t’intéressaient pas. Puis bon, on ne va pas se mentir, tu copiais régulièrement sur ses devoirs, à l’époque… Et toujours un peu aujourd’hui.

Mais depuis une semaine, quelque chose clochait. Alfred avait constamment des devoirs d’astronomie à faire. Vu qu’il avait pris cette matière en option, elle n’était pas dans ton cursus et donc tu n’avais aucune raison de l’aider pour ces cours-là. Mais au bout de quelques jours, tu t’étais quand même interrogé sur ses fameux devoirs d’astronomie. Impossible qu’un professeur lui ait donné autant de boulot, surtout pour une option. Puis ton copain avait cette matière seulement une fois par semaine, donc il ne pouvait pas avoir de nouveaux devoirs tous les jours, hein ? Au début, tu savais soupçonné qu’il t’écartait de sa vie pour pouvoir regarder Norauto le ninja loup-garou. Enfin, tu ne connaissais pas l’intitulé exact de ce truc. Il avait commencé cet anime avec son colocataire, quand ils étaient malades. Il voulait peut-être finir la série d’une traite, et il avait peur que tu le traites de weeb ou de bébé ? En même temps, tu ne pouvais t’en prendre qu’à toi-même sur ce coup-là, tu le taquinais toujours en lui disant qu’il était un enfant, quand il regardait des dessins animés.

Sauf que ce n’était pas cela, au bout d’une semaine à te faire repousser, tu avais compris qu’autre chose clochait. Alfred était froid pendant les cours, pendant vos séances de devoirs… Et tu avais l’impression qu’il te faisait des scènes bizarres, aussi ? Tu ne comprenais pas bien ce qu’il se passait, mais tu n’avais pas pris beaucoup de temps pour y réfléchir, aussi. Tu étais trop occupé par le sport, par le conseil, par les cours, par les histoires des autres… Bref, trop occupé par tout ce qui t’évitait de penser, en ce moment. Mais ce n’était pas à Alfred, que tu ne voulais pas penser, c’était à tes angoisses. Il était peut-être un dommage collatéral dans tout ça ? En tout cas, tu devais lui en parler, tu devais y réfléchir pour votre couple. Et tu avais bien sûr décidé de le faire ce soir, quand vous arrivâtes dans son dortoir, à la place de vos devoirs d’anatomie. Et ce n’était même pas un prétexte pour ne pas bosser, pour une fois.

- Alfred… Je crois qu’il faut qu’on parle.

Tu étais sur le cul, Luciano. Oui, c’était toi qui avais amorcé la discussion, tu voulais passer par le dialogue pour désamorcer le conflit avant qu’il arrive… Mais c’était peut-être trop tard, tu regrettas un peu d’avoir voulu parler avec Alfred, surtout vu la première phrase qu’il te lâcha. Ah, “copain à la carte”. C’était violent ça, tu ne t’y attendais pas et tu ne comprenais pas vraiment au début. Tu tombais des nues. Qu’est-ce qu’il s’était passé ? Qu’est-ce que tu avais fait pour blesser autant Alfred ? Parce que ton petit copain devait aller mal, non, pour réagir comme cela ? Tu ne t’étais vraiment pas douté pendant un seul instant que le blond ressentait tout cela, et maintenant tu devais encaisser sa rancœur à son égard. Mais c’était bien mérité, non ? Tu ne lui avais pas accordé assez d’attention, et maintenant tu t’en mordais les doigts. A vrai dire, tu n’avais même pas remarqué qu’il trouvait que vous ne passiez pas assez de temps ensemble.

En effet, à chaque fois qu’il t’en faisait la demande, tu aménageais un créneau dans ton emploi du temps pour pouvoir faire une sortie avec lui. Mais c’était peut-être cela, le problème. Tu devais tout réaménager pour lui faire une place, il n’avait pas d’espace permanent pour lui dans ton emploi du temps. Tu passais du temps avec lui, certes, mais… C’était surtout du temps scolaire, vu que vous aviez la chance d’être dans le même cursus et de vous voir pendant les cours. Tu avais combiné ce temps scolaire avec des petites attentions en coup de vent, des bisous pendant les inter-cours, passer le voir cinq minutes avant le couvre-feu pour lui dire bonne nuit, un câlin quand il venait te réveiller le matin… Et tu trouvais cela suffisant toi, si on combinait cela avec vos sorties ponctuelles. Tu n’avais jamais pensé qu’Alfred et toi n’étiez pas sur la même longueur d’onde.

- Un copain à la carte ? Comment ça, Alfred ? Tu penses vraiment que je te vois comme cela ? Tu penses vraiment que tu ne comptes pas ?

Comment tu n’avais pas pu voir, Luciano, que tu blessais l’amour de ta vie en ne lui accordant pas assez d’attention ? C’était sous tes yeux, et pourtant tu ne t’en étais pas douté une seconde. Il y avait pourtant eu des signaux, il te l’avait dit mais… Tu pensais que cela se réglait juste en passant une soirée ensemble de temps à autre, puis qu’ensuite tu serais tranquille jusqu’à la prochaine demande du blond. Tu savais pourtant, que l’autre lupy ne disait les choses que quand ça lui pesait vraiment. Alors comment avais-tu pu passer à côté de sa détresse ? De son besoin de passer plus de temps avec toi ?

Au fond de toi, tu savais très bien que tu avais loupé toutes les alertes qu’il te lançait car depuis la rentrée de septembre, tu étais en pilote automatique. La situation de ta famille t’inquiétait, tout comme ton avenir et celui du monde magique. Alors tu t’impliquais dans les affaires des autres pour occuper ton esprit. Tu étais aussi de plus en plus sévère avec toi-même, voulant toujours dépasser tes limites, par peur de l'échec. Il n’existait que les gagnants ou les ratés, tu ne voulais pas finir comme ton père dans la deuxième catégorie. Puis atteindre tes rêves, cela rendrait la vie de ton entourage tellement plus simple… Alors tu ne t’autorisais que la réussite, et tu débranchais ton cerveau pour ne pas écouter tes inquiétudes et ne pas penser à toute cette pression que tu te mettais. Mais ce n’était pas une excuse, tu devais te reprendre ! Alfred était important pour toi, non ? Alors tu devais faire plus attention à lui, merde.

- Alfred, ne dis pas de bêtises, bien sûr que tu me conviens. Je te l’ai déjà dit, non ? Tu es l’homme de ma vie, je vois mon futur avec toi. Puis regarde, je passe du temps avec toi, non ? Quand tu as été malade, quand on a fait les bonhommes de neige… On peut essayer de passer plus de moment comme cela, non ?

Est-ce que cela te convenait vraiment, Luciano, des moments comme cela ? Des moments où tu devais faire la morale à Alfred parce qu’il agissait comme un enfant inconscient. Des moments fatigants où tu devais t’occuper de lui car il s’était mis dans une mauvaise posture ? Tu avais dû le veiller tout un après-midi, quand le blond avait été malade suite à une bataille de boules de neige sans vêtement adapté… Puis quand vous étiez sortis profiter de la neige à deux, tu avais dû le gronder pour qu’il s’habille correctement. Sur ce point-là, il te faisait vraiment penser à Lovino. Tu devais tous les deux les surveiller comme le lait sur le feu, pour qu’ils évitent de faire des choses pouvant leur porter préjudice. Et c’était clairement épuisant.

Tu la vis, Luciano. Tu vis la carapace d’Alfred se briser sous tes yeux, alors que dans ton cœur se mélangeaient des vagues de tristesses et de colères. La détresse du blond te heurta de plein fouet, elle paraissait dans chacun de ses gestes. Comment tu avais pu la louper ? Tu te détestais de n’avoir rien vu plus tôt, tu faisais encore souffrir Alfred par ton incompétence. Ton copain avait l’air si fragile, face à toi. Certes, il laissait plus parler ses émotions mais… Cela ne devait pas faire aussi mal de communiquer, non ? Tu avais suivi la méthode de Karkat pour que vous puissiez exprimer ce que vous aviez sur le coeur, pas pour voir Alfred s'effondrer à chacun de tes faux pas.

- Alfred, je…

Tu ne savais plus quoi dire, Luciano. Tu voulais juste prendre ton copain dans tes bras, le rassurer et tout oublier. Voilà, tu espérais faire disparaître sa tristesse à tout jamais, ne voir que ses sourires et n’entendre que ses rires. A force d’éviter de voir tes problèmes, Luciano, tu finissais par tous les traîner derrière toi, les accumulant et en créant de nouveaux. Tu blessais le blond en voulant te protéger toi. Cette simple idée t’énervait, aussi. Si Alfred n’avait pas eu besoin de toi actuellement, tu serais sûrement de suite parti courir ou t’entraîner à n’importe quel sport. C’était ta nouvelle manière d’exprimer ton trop plein d'émotions, il fallait que tu te décharges pour ne pas exploser et pour ne pas penser aussi. Mais ta rage intérieure attendrait, Alfred passait clairement en premier. Tu hésitais à avancer vers lui, de peur qu’il te repousse de nouveau. C’était peut-être trop tard ? Peut-être ne voulait-il déjà plus de toi ? Tu avais peut-être déjà tout détruit ? Cette pensée te terrifiait. Le blond n’essaierait pas de discuter avec toi, hein, s’il comptait te quitter ? Il t’aurait déjà largué sans aucune pitié ? Au fond de toi, tu l’espérais, car cela voulait dire que tu avais encore une chance de te racheter.

- Oui, je te fais tout le temps la morale car je m’inquiète pour toi et j’ai l’impression que tu fais tout pour te faire du mal. Je ne te dispute pas par plaisir, tu sais. A vrai dire, c’est même plutôt épuisant de jouer les mamans... Et le sms, c’était Karkat, pour le conseil.

C’était en le disant à voix haute que tu compris, Luciano, et la petite idée qui germa dans ton esprit fut confirmée par les paroles d’Alfred. C’était donc cela, tu avais l’impression que ton copain faisait exprès de tout le temps faire des bêtises parce que c’était le cas, tout simplement. Il faisait cela pour attirer ton attention, et toi tu n’avais rien capté. Toi qui criais haut et fort à tout le monde que Lovino faisait des conneries parce qu’il avait besoin d’attention et de gens pour s’occuper de lui, tu n’avais pas vu que le blond utilisait exactement la même stratégie. En fait, tu n’avais jamais pensé ton copain capable d’user d’une telle technique consciemment. C’était trop fourbe pour lui, non ? Pas digne d’un héros ? Mais ce n’était pas toi qui lui avais déjà répété mille fois que tu voulais d’un petit ami, et non d’un héros ? Au moins, tout s’expliquait maintenant. Alfred n’était pas réellement un gamin, il faisait juste l’enfant pour que tu prennes soin de lui. Tu viens t’asseoir à côté du lupy, sur son lit, n’osant pas le toucher… Mais tu avais au moins besoin d’être proche de lui.

- Je ne savais pas que tu le ressentais comme cela, Alfred… Je pensais que toi aussi, quand tu ne voulais ou ne pouvais pas passer du temps avec moi, tu me le disais. Enfin je pensais que ce qu’on avait déjà ensemble te suffisait et que tu voulais juste des petits extras de temps en temps… Les miettes que tu as l’impression que je t’accorde, pour moi ce sont des temps libres. Enfin c’est mes temps libres dans mon emploi, et j’ai souvent envie de les passer avec toi plutôt que de les consacrer à autre chose…

En fait, après réflexion, tes temps libres Luciano, tu les utilisais souvent pour gérer toutes les petites merdes de la vie, plutôt que pour la détente. Finir les devoirs que tu avais en retard, chercher tes livres de cours qui disparaissaient parfois dans ton capharnaüm d’affaires, gérer les soucis du conseil, t’occuper des problèmes de tes amis. Tout cela, ça grignotait énormément sur ton temps libre. Et c’était les moments détentes avec Alfred qui passaient à la trappe, à cause de cela. Il fallait que tu changes ça, c’était impératif pour ne pas briser ton couple. Tu savais très bien que ton monde allait s’effondrer si Alfred te quittait, et tu ne savais pas si tu avais les épaules pour supporter une nouvelle peine de coeur. Puis tu ne voulais pas perdre Alfred, tu avais envie de pleurer à cette simple idée.

- Je… On va changer ça, d’accord ? On va refaire mon emploi du temps ensemble et tout ira mieux… On va trouver du temps pour nous, on va surmonter ça…

Ton visage se décomposa, Luciano, quand Alfred souffla qu’il y avait des choses qui tournaient dans ta tête et qu’il le voyait. C’était totalement vrai mais… Tu ne voulais pas y penser. Tu ne devais pas y penser, même. Rien ne tournait dans ton esprit, si tu y croyais assez fort alors tous tes soucis disparaissaient. Mais quand ton copain émit l’hypothèse que tu ne lui faisais pas confiance, quelque chose en toi craqua. Tes mains tremblaient légèrement alors que tu jouais avec pour essayer de masquer leurs mouvements incontrôlés, et tu étais sur le point de pleurer.

- Ce n’est pas toi, Alfred. Je te fais confiance, je te fais même totalement et aveuglément confiance. C’est juste… C’est juste qu’il n’y a rien dans ma tête. Si je n’y pense pas, ça n’existe pas. Je débranche mon cerveau et c’est reparti, hein ?

- Je… Je pensais juste que ponctuellement tu avais des périodes où tu avais plus besoin de moi, en fonction des événements, des dates ou je ne sais quoi…

C’était peut-être cela le problème, Luciano. Avec Alfred, vous vous parliez maintenant, mais toujours à demi-mots. Vous n’expliquiez pas à l’autre le fond de votre pensée, comme si ce que vous ressentiez coulait de source. Vous tirez pourtant chacun des conclusions différentes, de ces morceaux d’informations, car vous n’avez pas le même cheminement de pensée. Enfin, vous ne l’aviez plus. Avant d’avoir passé un an séparé, il vous était facile de penser à la même chose en même temps, vous aviez l’impression d’être connectés. Mais maintenant, vous enchaîniez les incompréhensions et les malentendus, tu avais même parfois l’impression de faire face à un inconnu. Avais-tu autant changé en un an, ou c'était lui qui avait grandi ? Vous deviez repartir de zéro, réapprendre tout de l'autre, mais c'était un travail difficile quand on avait l'impression de connaître la personne. Il fallait mettre à jour votre vision de l'autre, ne pas rester figé dans le passé. Vous bloquiez sur les souvenirs que vous aviez de l'autre, au lieu de profiter du présent. Enfin, c'était surtout toi, Luciano, qui avait du mal à voir Alfred mûrir. Tu avais pourtant eu tellement hâte qu'il grandisse pour que vous soyez sur la même longueur d'onde… Mais ce n'était pas le cas, ou tout du moins il vous fallait un temps d'adaptation pour accorder vos visions des choses et retrouver votre équilibre.

En tout cas, Luciano, tu te laissas fondre contre Alfred quand il vient chercher le contact. Tu en avais besoin. Besoin de lui, de sa présence rassurante, de sa chaleur réconfortante… Quand tu étais dans les bras du blond, tu savais qu'il était le bon, malgré vos ratés. Il vous fallait juste du temps, et encore plus de communication. Mais c'était compliqué le dialogue, quand on refoulait ses problèmes comme toi. Tu vis très bien dans le changement d'attitude de ton copain qu'il avait compris ta détresse et tu te maudis un peu intérieurement, quand il vient t'enlacer et t'embrasser. C'était encore lui qui venait te sauver, il venait encore te secourir alors qu'à la base c'était lui qui avait besoin d'affection. Tu avais l'impression de toujours tout faire revenir à toi, comme si le monde tournait autour de ton nombril juste parce que tu étais un aimant à problèmes. Et tu te détestais pour cela. C'était encore Alfred qui te tirait vers le haut pour t'empêcher de te noyer dans tes problèmes, et pas l'inverse. Tu avais l'impression d'être dépendant de lui et de son attitude de sauveur. C'était peut-être pour cela, que tu traînais beaucoup avec Lovino, parce qu'avec l'italien tu prenais la place d'Alfred et tu n'étais plus une pauvre chose fragile en détresse. Tu ne te sentais plus comme un boulet inutile.

C’était peut-être cela le problème dans ta relation avec le blond, tu avais une très mauvaise image de toi-même, et une excellente image de ton copain. Bon, tu savais qu’il avait des défauts maintenant, tu l’avais expérimenté et tu l’avais compris. Mais voir tes qualités, c’était toujours quelque chose de difficile pour toi. Tu te donnais toujours à fond à côté, comme pour compenser ta faible estime de toi. Tu t’entraînais jusqu’à l’épuisement pour le quidditch, tu passais des heures dans la salle de bain et tu surveillais ton alimentation pour être le plus beau… Puis avec tes amis, tu essayais de toujours être le clown, le rigolo de service ou le gars pouvant donner des conseils ou soutenir. Tu voulais les aider à porter leur fardeau, mais pas partager le tien. Tu ne voulais pas leur montrer tes mauvais côtés. En fait, tu étais exactement comme Alfred, quand tu y réfléchissais. Comme le blond avant qu’il apprenne à se confier. Tu lui reprochais d’être un héros, mais c’était ce que tu essayais d’être aussi, un homme parfait.

- Je le sais, Alfred. Je sais que c’est mauvais de tout garder et que tu veux m’aider, mais… Ce sont des choses sur lesquelles on n’a aucun contrôle, qui me tracassent. On ne peut pas agir dessus, ni toi, ni moi. Alors, je… J’essaye de les oublier au lieu de les subir. Te parler de ma famille ne changera rien à leur situation, ça me fera juste ressasser. Ce n’est qu’un exemple mais… La plupart de mes problèmes sont de ce genre. Je n’ai aucun contrôle dessus, excepté essayer de ne pas y penser et de ne pas les laisser me pourrir la vie.

Tu viens cacher ton visage dans le cou de ton copain, Luciano, après le baiser sur ta joue. Tes yeux devenaient bien trop humides, Alfred allait forcément le voir si tu n’essayais pas de les dissimuler. Enfin, tu essayais quand même de te retenir de pleurer, car le blond allait forcément s’apercevoir des larmes coulant sur tes joues, si tu craquais. La situation t’échappait totalement. Si tu le pouvais, tu te serais déjà allumé une cigarette avec l’espoir de réussir à te calmer.

- La seule chose que je peux faire c’est… C’est m’améliorer, devenir le meilleur. Comme ça, quand je pourrais enfin agir sur mes problèmes, j’arriverai à tous les résoudre. Mais pour l’instant, je dois laisser le temps aux choses et… Je n’aime pas ça. Je déteste ça, même.

Tu étais dans une impasse, Luciano, et tu le savais. Tu ne voyais aucun moyen de t’extirper de tes problèmes, alors tu les ignorais tout simplement. Il est vrai que ce n’était sûrement pas la bonne méthode, mais tu n’en voyais pas d’autre. Tu sentais bien qu’Alfred essayait de faire tout ce qu’il pouvait pour te rassurer mais… Cela ne marchait qu’à moitié. Enfin le contact fonctionnait, cela t’aidait à te laisser un peu plus aller, quelques larmes coulèrent même. Mais les paroles du blond ne t’aidèrent pas par contre, elles. Tu avais l’impression qu’il ne comprenait pas ce que tu lui disais. Ce n’était pas que tu ne voulais pas, c’était que ça ne servait à rien, bordel ! Tu venais de le dire. Quand tu décidais d’ignorer tes problèmes, Luciano, c’est parce que tu avais déjà essayé de chercher une solution et que tu n’avais rien trouvé. La fuite n’était pas une solution de facilité pour toi, juste la technique que tu utilisais quand tu ne pouvais rien faire. Ca ne servait à rien de foncer dans le mur encore et encore, on ne faisait que se faire mal à force de se heurter à l’échec. Il fallait plutôt contourner le mur et revenir le détruire plus tard, quand tu aurais le matériel pour. Voilà en quoi consistait ta technique. Mais c’était savoir que ce mur était toujours là, qui te minait le moral.

Alfred était un ange, tu savais qu’il avait bon fond et qu’il ne voulait que t’aider à résoudre tes problèmes. Mais là, ces solutions étaient totalement à côté de la plaque et tu ne voyais vraiment pas comment lui dire. Pendant quelques secondes, tu pensas même à l’embrasser pour le faire taire et passer à autre chose, mais c’était toi qui avais voulu parler à la base, donc tu assumais ce choix jusqu’au bout.

- Ce n’est pas le quidditch ou les cours, Alfred. Le monde ne se résume pas à Ilukaan, tu sais.

Tu avais peut-être été un peu trop franc, voir sec, quand tu avais laissé ces quelques phrases s’échapper. Mais ce n’était pas ta faute si le blond n’arrivait pas à voir sa vie au-delà d’Ilukaan. Enfin, tu étais un peu mauvaise langue. Tu savais très bien qu’ils s’inquiétaient pour sa famille, pour la réserve et pour ses amis hors de l’école. Mais son monde se limitait à cela, au présent, à Ilukaan et à ses proches. Alors que toi, Luciano, tu avais l’impression de t’inquiéter pour des choses plus lointaines. Pour ton futur, déjà, mais aussi pour celui de ton pays, celui des nés-moldus au Canada et celui de ta famille. Ton présent était incertain, ton passé compliqué, alors tu avais besoin d’un futur imaginaire auquel te raccrocher. D’une belle vie bien clichée et bien carrée, pour te motiver à avancer et à tout donner. Une récompense qu’il faut aller chercher, plutôt que de se laisser porter et de rater sa vie. Tu ne t’étais d’ailleurs jamais interrogé sur ces notions de rater ou réussir sa vie, vu que tu les avais intégrés très jeune, Luciano. C’était peut-être ce que tu devrais faire un jour, quand tu aurais les idées plus claires. Mais pour l’instant, Alfred et la discussion étaient tes priorités.

- Je… Enfin oui, ne pas laisser des moments de blanc, c’est ça qu’il me faut. Et pas qu’avec toi, hein, avec tout le monde. C’est comme ça que je finirais par aller mieux.

Par contre, comment allais-tu dire à Alfred que toutes les activités qu’il te proposait ne te convenaient pas ? Il était hors de question que tu fasses de la pâtisserie, le blond allait te forcer à manger des gâteaux après. Tu faisais énormément d’effort pour avoir une ligne parfaite, alors tu n’allais pas tout gâcher en mangeant des cochonneries. Puis la balade, comme ton copain l’avait dit, tu allais avoir froid. Les films ou les séries, tu te lassais assez vite au final. Puis souvent, les problèmes des protagonistes te rappelaient tes propres soucis.

- Les dates me vont, que ce soit à Stardust ou dans le dôme, du moment qu’on est au chaud. On pourrait peut-être jouer à tes jeux vidéos aussi, non ? Genre ton jeu avec les voitures… Enfin n’importe lequel de tes jeux tant que ça se joue à deux manettes et que ce n’est pas prise de tête. Je veux juste ne pas me retrouver à côté de toi à te regarder jouer, hein.

Tu laissas finalement échapper un léger rire, le premier de la soirée, quand Alfred te parla de te faire tout oublier dans une salle de classe vide. Oui, cela te tentait plutôt bien. Tu n’avais pas à parler et réfléchir comme cela, juste à profiter. Il fallait juste éviter de se faire choper.

- Une salle de classe vide, vraiment ? Tu n’as pas peur de te faire surprendre ? Bah Alfred, dis donc, je ne te pensais pas comme ça.