夕暮れ

Les cieux se paraient du plus ravissant camaïeu à l'heure où le jour lui-même entreprenait de s'obombrer. Les rayons crépusculaires se frayaient un chemin par-delà les vitraux de cette architecture ô combien transparente, et prompte à accueillir en son sein la végétation la plus luxuriante. L'on ne comptait plus le nombre d'efflorescences enclines à s'émouvoir à la réception qu'elles faisaient des derniers faisceaux lumineux : pendues au plafond de la serre, à l'image de majestueux candélabres, des fleurs démesurément grandes garnissaient les hauteurs de l'abri tant apprécié des braves botanistes de l'académie. Les teintes exotiques affrontaient les plus pâles dans une surprenante harmonie. Toute âme décidée à franchir le pas de la serre serait en proie à une reviviscence certaine tant le sens de la vue se laissait flatter par cette si surprenante flore, à laquelle s'ajoutait généreusement les fragrances herbeuses et poudrées propres à certains spécimens.

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Au milieu de cette jungle enchanteresse figurait une silhouette, rendue d'autant plus fluette par les mesures gargantuesques que révélait l'ensemble de cette fantaisie végétale. Une sonorité régulière ne tarda pas à faire cesser le silence, aussi quiet que pesant, émanant des tréfonds de ce repaire aux allures de splendide roseraie.

Talons et épaules tournés, Shinobu ne faisait qu'offrir son dos à l'entrée de la bâtisse. Ses mains, minuscules et à l'image de celles d'un enfançon, s'affairaient à la découpe appliquée d'étranges racines dont elle était pour l'heure la seule à connaître l'usage. Si la contemplation de la puînée Kochô dans un lieu tel que celui-ci n'avait pas de quoi étonner quiconque tant l'on connaissait son attrait pour la préparation rigoureuse de potions, quelque chose venait à lui manquer.

Aucun sourire n'était là pour parachever son portrait.

Plongée dans son occupation dans une solitude des plus totales, les manches de son bel uniforme retroussées jusqu'à ses coudes fins et blancs, et vouée à cisailler ses précieux extraits de plantes avant d'en étaler la récolte sur un tissu à la suite d'un triage méticuleux, la Strixyst ne pipait mot.

Pour autant, son esprit vagabondait ailleurs. Toute œillade, aussi infime soit-elle, jetée en direction de tous ses compagnons fleuris était la cause d'une sensation lancinante venue lui percer la poitrine.

Il lui suffisait d'apposer un regard sur toutes les fleurs qui l'entouraient pour se laisser submerger d'une ineffable mélancolie. Kanae, sa grande sœur bien-aimée, aurait été aux anges dans pareil endroit, entourée de ces merveilles de la nature sur lesquelles elle veillait avec tout l'amour du monde, et la tendresse d'une mère.

Une sensation indicible vint lui tenailler la gorge alors même que le souvenir éphémère du sourire de son aînée disparue lui revenait en mémoire. Ses paupières entreprirent tout à coup de se plisser, et sa dextre intensifia malgré elle l'emprise qu'elle avait sur les lames jumelles aux reflets métalliques à l'heure même où sa senestre s'appuya péniblement sur le rebord du plan de travail.

Shinobu s'octroya un précieux instant, et en vint à s'éprendre d'une bouffée d'air. Sa poitrine s'adonna à une élévation légère, le souffle frémissant de chagrin ...

... Et, à ce même instant, il lui sembla qu'une présence s'annonçait au-devant de la serre, comme prête à y pénétrer. Son poitrail entama une douce rotation afin de saisir une occasion de consulter les traits du visiteur inopiné à pareille heure.

Son sourire revint, et les reliquats de son tourment se dissipèrent sous son esquisse avec une aisance des plus remarquables.

夕暮れ

À peine son invité inopiné s'osa à franchir le seuil de la construction aux contours translucides que Shinobu sourit avec cette éternelle tranquilité. Ah, le jeune Desmond lui faisait l'honneur incommensurable honneur de sa noble présence, et avec une assurance à en faire pâlir les plus grands. Si l'amertume qui se répercutait dans ses mots retint l'attention de la guérisseuse sans mal aucun, un tout autre élément la saisit dans sa contemplation de l'héritier à mesure que celui-ci affinait la distance avec son aînée.

Dès lors qu'il fut rendu devant elle, la sorcière aux poisons remarqua qu'il la dépassait d'ores et déjà en taille. Aussi accoutumée pouvait-elle être à l'idée de se faire rattraper par les jeunes têtes de première année, il émanait de cette fatalité quelque chose de profondément vexant.

"- Bonjour mademoiselle Kochô. J’ai beaucoup de choses à vous dire, mais avant tout, un idiot de camarade a eut le chic de louper son sortilège. Voilà que ma main droite est entaillée… Puis-je vous demander des soins ?
- Hé bien, Desmond ? Prends place sur mon tabouret, avait-elle entrepris de lui répondre, l'allure mutine et légère en dépit de ses récentes plongées dans les ténèbres. Mais quel sortilège cherchait-il à incanter ? ..."

L'allure placide en dépit du tracé sanguinolent qui avait strié la surface de la main du garçonnet, la bienfaitrice dont il était venu quérir l'assistance lui présenta son assise et l'astreint à s'y asseoir.

"Pour qu'il réussisse à atteindre ta chair au point d'y provoquer une plaie ... il n'a pas dû y aller de main morte. Il est encore difficile pour certains jeunes sorciers de s'accommoder aux frasques des baguettes. Tu as eu de la chance, cependant : ton visage a été épargné."

Elle passa, sur une main puis sur une autre, l'étoffe maculée qui lui faisait lieu de chiffon sans jamais cesser de lui sourire posément. Si elle avait consenti à s'installer près de ce plan de travail reculé où personne n'avait daigné la déranger, l'occasion fut toute donnée à Damian d'observer ce qui gisait sur ce qui servait de table à la chercheuse. Les brins qui patientaient depuis la fin impromptue de leur découpe s'offraient à l'œillade faite d'ambre du jeune Louveteau récemment accueilli dans la serre. Peut-être reconnaîtrait-il cette solanacée particulière tant les fruits qui poussaient aux extrémités de ses rameaux étaient caractéristiques, comme de ceux que l'on voit dans les illustrations de manuels de botanique avancés. Pour ce jeune homme fort audacieux et aux connaissances si vastes pour un si jeune âge, reconnaître de la belladone ne relèverait pas d'une épreuve particulièrement assidue, supposait-elle.

Un bruit léger, semblable à celui qui émanerait d'un couvercle que l'on ouvre, fit irruption. Shinobu maintenait dans sa main un minuscule boîtier dont l'apparence rappelait en tous points celle d'un poudrier. Pour le second-né, qu'elle considéra très tôt comme l'un de ses petits favoris, il serait aisé de deviner qu'elle comptait lui appliquer l'un de ses fameux onguents tant les odeurs qui s'exhalaient de cette préparation pâteuse étaient uniques en leur genre.

"Je vais nettoyer ta plaie et y appliquer une préparation antiseptique, mais n'aie crainte : cela ne te fera aucun mal, outre quelques picotements ! Je te sais courageux."

Sa déclaration s'appuya d'un sourire lumineux, aux antipodes de l'air sombre qui lui parait les traits avant qu'elle ne découvre son petit convive. La présence de son cadet, aussi précipitée sa venue avait-elle été, avait pour effet d'occuper l'esprit de la travailleuse et de chasser, pour un temps, la mélancolie qui l'avait submergée.

De l'eau cristalline s'écoula sur la blessure afin d'en ôter le sang; se succéda à ce nettoyage l'application d'un liquide étrange que Shinobu contenait jusqu'alors dans une minuscule fiole logée dans le pochon de son veston d'uniforme. Ce devait être ceci, cette concoction désinfectante dont elle lui parlait ... si l'on en croyait les fourmillements légers qu'elle causait à la paume du jeune homme.

"Je serais ravie d'écouter tout ce que tu as à me dire, avant de reprendre la découpe de mes racines de belladone. Le travail est minutieux, mais je suis ravie de pouvoir m'octroyer une pause en profitant de ta compagnie !"

Et, tandis qu'elle pivotait la tête en continuant ses soins sans même avoir besoin d'observer ses faits et gestes tant ceux-ci étaient devenus un mécanisme depuis qu'elle portait un profond intérêt pour la médecine au point de guérir si souvent ses camarades sujets aux blessures et autres maux, elle poursuivit.

Son timbre doux et délicat rompit avec l'acidité étrange de son propos.

"C'est une plante très toxique. Bien que certains lui donnent le nom de "belle-dame", d'autres lui trouvent une titulature plus ... amère, disons. Elle a même gagné le titre de "baies du Diable". Vois-tu, je comptais l'utiliser pour la conception d'un tout nouveau poison !"

Les prunelles mordorées de son patient du jour réceptionnèrent le regard opaque de la jeune femme devant lui. Dans l'espoir d'affuter la concentration qu'elle offrait aux soins de Damian, son échine s'était sensiblement courbée. La nuance qui vint adorner son rictus se fit absconse, à l'instar de celle qui lui animait les traits lorsqu'une idée immodérée lui traversait l'esprit.

"Alors, dis-moi. Qui est cet "idiot de camarade", Damian ? Une goutte de ce prochain poison agrémenté des fruits et des fleurs de cette belladone, et tu n'entendras plus jamais parler de lui à partir de demain."

Un ton de velours livrant les plus piquantes paroles. Cela avait beau n'être qu'une simple plaisanterie de la part de Shinobu énoncée dans le but de lui provoquer une frayeur mignarde, elle n'en demeurait pas moins glaçante aux yeux des âmes les plus sensibles.