Louis avait donné rendez-vous au jeune Lucas dans la bibliothèque.

Vous l'aurez sans doute compris, mais le Franco-japonais est trop altruiste. C'est une qualité, bien entendu, mais dans son cas, elle peut également s'avérer être son pire défaut. Sans doute que certains ont déjà abusé de sa confiance et surtout de son altruisme dans les années passées, même que ça reste possible aujourd'hui encore... mais pour aider un première année, visiblement timide qui plus est, Louis est plus que volontaire.

L'idée lui était venu un peu comme ça, de manière tout à fait brève. Sur le coup, c'était si passager et soudain que n'importe qui d'autre ne l'aurait pas envisagé sérieusement. Mais Louis et son sens de l'assistance avaient un peu plus réagi que ça. Il avait fort heureusement conservé le numéro du jeune garçon et s'était dit que, à la limite, il ne risquait pas grand-chose à le lui proposer d'abord par un message...
Il n'était pas encore question de la raison exacte de ce rendez-vous au milieu des étagères pleines de livres. Il lui avait simplement demandé s'il pouvait le rejoindre tel jour à telle heure, ici même, en prévision d'un petit travail qui allait demander du temps et de la concentration. Évidemment que Lucas avait le droit de refuser ! Mais maintenant qu'il savait qu'il allait venir... il allait devoir faire ça bien.

En arrivant dans la pièce, Louis avait laissé sa veste sur le dos d'une chaise avec son sac, indiquant à n'importe quel élève de passage que l'endroit-là était plus ou moins réservé. Il était ensuite allé fouiller comme il pouvait certains coins de la bibliothèque dans lesquels il pouvait trouver ce qu'il cherchait. Dans les archives d'une grande école, ça pouvait déjà être compliqué. Dans les archives d'une grande école qui parlait de deux mondes différents en incluant leur culture, ça pouvait être très compliqué. Heureusement, les systèmes de recherche (magiques, tiens donc) de l'endroit faisaient qu'il n'était jamais trop difficile de dénicher un ouvrage ou deux (au moins) sur le sujet désiré.

Et Louis avait trouvé le sien. Dans au moins cinq ouvrages.

Il trouvait ça un peu étonnant, compte tenu du fait que ça n'était pas forcément la chose la plus importante pour une école de magie. Mais Ilukaan était à la pointe de la modernité et de la technologie, sans oublier qu'à sa tête se trouvait l'excentrique directeur qui ne voulait sans doute rien de plus que la réussite de son établissement... Si avec tout ça Louis ne trouvait pas au moins un peu de paperasse sur ce qu'il voulait...

Satisfait et espérant pouvoir gérer ce premier « cours particulier », il attendit que l'Ursirre arrive en feuilletant déjà un des livres. Lorsqu'il remarqua la tête blonde venir à lui, il leva les yeux et tira une chaise pour l'inviter à prendre place à sa gauche.

- Bonjour, Lucas. Merci d'être venu.

Même si, en fait, tout ça était pour lui.

Lucas avait répondu à son message, au moins, et ça avait eu le mérite d'ôter la moitié du poids qui pesait légèrement sur la conscience de l'aîné. Bah oui : l'autre subsistait dans cette éventualité à ce que Lucas acceptait par politesse. Mais à cet âge, on s'intéressait rarement aux affaires d'autrui, non ? D'un point de vue général, en tout cas.

Lorsque le cadet fut installé, Louis regarda les autres livres qu'il avait réuni, et s'entreprit de rapidement fouiller les premières pages de chacun d'entre eux ; à voir lequel serait le mieux abordable pour commencer cette leçon particulière. C'est donc sans regarder le jeune blond qu'il s'expliqua :

- Je voulais te proposer quelque chose, mais tu n'es pas obligé d'accepter par politesse...

Le premier livre était trop complexe, pour un début. Trop d'annotations, il y avait certainement mieux pour s'approprier les bases. Maintenant qu'il y songeait, quelque chose vint potentiellement gâcher juste très légèrement ses plans : peut-être Lucas savait-il déjà le faire... ? Attrapant le second livre, il poursuivit :

- J'ai songé à quelque chose de... en fait, je me suis dis « pourquoi pas ? ». Ce n'est qu'une proposition, mais je me suis demandé si tu ne voulais pas apprendre... ou au moins savoir un peu utiliser le langage des signes ?

Certains enfants de cet âge pouvaient ne pas s'embêter à dissimuler leur malaise ou leur ennui à devoir s'atteler à des devoirs supplémentaires pareils. Et en même temps, Louis s'était doucement mis en tête que c'était une bonne idée. Il ferma le second livre (trop compliqué, encore) et tourna cette fois la tête vers lui.

- Je me disais que ça serait plus simple pour toi de savoir te faire comprendre avec autre chose que ton téléphone ou un carnet, ou... bref, autrement qu'à l'écrit. Je ne parle pas de tout apprendre par cœur, bien sûr, mais... au moins quelques bases, ou vraiment des choses que tu es susceptible de répéter, ou... je ne sais pas, euh... tout ce que tu veux ?

C'était un peu bancal, mais en même temps, Lucas était celui qui avait véritablement besoin de s'exprimer. Pour un première année, il devait être frustrant de devoir faire la même chose : se présenter, dire qui l'on est, ce que l'on aime, ce que l'on fait... Le temps de se faire des amis, ces derniers apprendront à communiquer avec lui, mais les autres, les professeurs ? D'autres personnes qu'il rencontrera pour le bien de sa scolarité ? Louis ne pouvait pas enseigner à tout le monde comment parler la langue des signes, mais si l'entourage de Lucas pouvait le connaître juste assez pour que ce dernier puisse passer des journées moins fatigantes que ce que le Franco-japonais s'imaginait, ça serait suffisant... selon ses critères.

Peut-être que Lucas connaissait déjà cette langue. Que ses proches aussi. Que Louis s'enfonçait dans son altruisme à tel point qu'en fait, il ne voyait pas l'évidence. C'est vrai, quoi, Lucas avait au moins onze ans : à quel moment ne connaîtrait-il absolument rien de ce langage ?

Le hochement de tête rassura Louis. Lucas était partant, c'est tout ce qui comptait.
Seulement, il cligna les yeux d'incompréhension lorsqu'il comprit un peu tardivement que le jeune blond était en train de signer. Zut. Il connaissait la langue, alors ?

En même temps, c'était bien normal. Peut-être que ce manque d'aisance dans les gestes de l'Ursirre signifiait qu'il savait en fait le parler, que des proches dont Louis ignorait l'existence communiquaient déjà avec lui de cette façon. Qu'il refusait timidement, touché mais embarrassé d'être en fait bien plus calé en langue des signes que le Strixyst ne le pensait. Mince. Mince. Quand bien même on disait souvent « c'est l'intention qui compte », entre les lignes il fallait toujours lire « ça a servi à rien, mais tu as essayé ». Pour les deux parties, ça pouvait être embarrassant.

- Pardon... En fait, tu la parles déjà, c'est ça... ? Je suis désolé, j'aurais dû m'en dou-

Il n'eut même pas fini sa phrase que quelque chose l'interrompit. Le surprit.

Un petit rire. Vraiment minuscule. Qui pouvait (et aurait dû, en toute logique) venir d'ailleurs ; derrière lui ou de l'autre côté d'une étagère, mais non. Louis l'avait bien vu et bien entendu : Lucas venait de rire.
Il le regarda comme si Lucas n'était plus vraiment Lucas. Égaré pendant une seconde, il reprit contenance, ne sachant cependant plus vraiment quoi dire. Il avait perdu le fil de ses plans. Lucas savait signer, non ? Mais alors, pourquoi pouvait-il rire ? Réalisant qu'il aurait dû déjà réagir (et au moins finir sa phrase), il se rattrapa, prit de court :

- Excuse-moi, hm... Lucas...

Il n'allait pas lui demander de but en blanc s'il parlait. Mais tout de même, ce qui venait de se passer était quand même surprenant. Louis n'en avait pas conscience, mais se faire avoir par un gamin qui abuserait de sa gentillesse en lui faisant croire qu'il ne sait pas parler, ce serait lui tout craché. Mais fort heureusement, ce genre de malices n'était pas de la trempe de l'Ursirre (ce que seuls des narrateurs extérieurs sauraient).

- Je te pensais muet... ?

Peut-être que ça manquait de tact. Peut-être qu'il aurait dû faire comme s'il n'avait rien entendu. Mais si Louis en faisait totalement abstraction sans jamais remettre ça sur le tapis, ça n'allait jamais libérer son petit cerveau du sujet de la raison éventuelle à ce qu'il apprenne ou connaisse déjà le langage des signes. Il espérait seulement ne pas le faire fuir... ou, encore moins, le blesser.

Louis craignait d'avoir touché un point sensible. Le genre de sensibilité qui pouvait être facilement blessée si on l'effleurait, même avec des attentions bienveillantes (mais maladroites) au départ.

Peut-être que Louis avait tort, qu'il s'était trompé ? Que quelqu'un d'autre avait bien ri et qu'il était persuadé que c'était Lucas. Qu'il avait donc dit une chose totalement absurde à quelqu'un de, bien évidemment, muet comme depuis le premier jour. Pourtant, la réaction de Lucas l'incita à penser le contraire, confirmant ce qu'il avait entendu.

S'il en venait à écrire sur une feuille de papier précipitamment sortie, c'est que le Franco-japonais avait bien déclenché quelque chose. Il aimerait lui dire que ça ne fait rien, que ce ne sont pas ses affaires, qu'il aimerait s'excuser d'avoir amené son doute de manière aussi spontanée, mais il préféra éviter de mettre encore plus mal à l'aise l'Ursirre en l'interrompant dans sa démarche. Ça devait déjà être assez pesant pour lui de se presser à s'expliquer dans le silence.

Enfin, la réponse glissa jusqu'à lui.

En lisant la note, Louis prit son temps afin de laisser à Lucas celui de se calmer (ou de stresser, selon le point de vue). Que le jeune garçon ait des soucis de communication, ça ne posait pas problème à Louis, il était même le premier à bien vouloir redoubler d'efforts si nécessaire afin que son interlocuteur se sente plus à l'aise ; autrement, ne lui serait jamais venue la motivation de bien vouloir apprendre le langage des signes avec lui.
Rien que de savoir que Lucas a essayé, au moins essayé, d'ouvrir la bouche pour parler avec lui, c'était déjà touchant quelque part. Tous deux ne se connaissaient pas depuis très longtemps.

Louis accorda un regard au blond alors que celui-ci ne fixait rien d'autre que le sol.
Il reposa la feuille sur la table.

- C'est à moi de m'excuser : j'ai été indiscret.

Plutôt que rien que de la compassion, il préférait user de gentillesse, au moins d'une compréhension qui ne dériverait pas trop facilement vers la pitié. Louis sourit légèrement afin de le rassurer – pour le moment où l'Ursirre voudrait bien relever les yeux vers lui.

- Ça ne change rien pour moi, de toutes façons. Que tu le fasses par choix ou non ne me regarde pas, et puis... signer t'aidera dans tous les cas.

Il n'allait pas faire progresser le malaise s'il ouvrait un nouveau livre pour passer à autre chose, hein ? Il voulait absolument que Lucas se sente à l'aise, il était hors de question de faire abstraction du moral de ce dernier si jamais le sujet le gênait d'une manière ou d'une autre. Alors qu'il faisait glisser un autre livre jusqu'à lui, Louis interrompit son geste sans l'ouvrir et se tourna un peu mieux vers son cadet.

- Je ne vais pas te demander de détails ou essayer d'en savoir plus... mais si tu as besoin d'en parler, ou juste, de t'exercer d'une manière ou d'une autre à surmonter cet handicap... tu peux me faire confiance, j'aimerais que tu le saches.

Car il serait insupportable pour Louis de continuer les leçons, ou même, leurs rencontres amicales seulement, si persistait entre eux le moindre blocage. Mais même s'il était pour lui très important de savoir aider son prochain, peut-être fallait-il aussi savoir se retenir et laisser les autres dans la bulle qu'ils savaient déjà très bien gérer tout seul.

L'expression de Lucas, qui se peignait doucement de quelques larmes, alarma le Strixyst.

Bien sûr, la possibilité qu'il s'agisse là de larmes d'émotion lui traversa l'esprit, mais plutôt que de se lancer des fleurs à propos de l'efficacité de son altruisme, il préférait s'attendre au pire afin de rattraper le coup si besoin.

Mais les gestes de Lucas parlaient plus pour lui. Son livre lui échappa, le première année s'en était emparé, et Louis put alors discerner cette pointe de détermination qui naissait dans ce regard. Son petit sourire, qui avait commencé à s'évanouir, revint alors un bref instant avant que l'aîné ne réalise qu'il serait temps de se mettre au travail. Si Lucas se sentait d'attaque, au moins. Il acceptait peut-être, mais encore fallait-il avoir la motivation là, tout de suite.
Pas de quoi en douter vu ce qu'il se passait, de toutes façons.

Le livre que Lucas avait ouvert de lui-même (puis glissé un peu plus vers lui afin de le partager) était bien le plus simple de toute la collection qu'il avait ramassé, parfait.

- Ne t'en fais pas, le rassura-t-il pour signer le début de l'étude. On ira à notre rythme.

Et par-là, il voulait bien dire que même si Louis était éventuellement plus rapide, il n'allait pas presser Lucas à suivre sa démarche (à quoi ça servirait, sinon ?). Même en étant en huitième année, le Strixyst n'allait certainement pas profiter de ses compétences en matière de révision pour surpasser Lucas. La première ligne du sommaire titrait évidemment la chose la plus évidente pour commencer des leçons sur le langage des signes : l'alphabet.

- Tu connais les lettres, donc, c'est bien ça ? Tiens, j'ai une idée...

Il écarta alors doucement l'ouvrage et sortit à son tour du papier et des stylos. Il écrit ensuite l'alphabet entier en songeant brièvement à ces tableaux pour bambins qu'on accrochait dans les maternelles (mais ils n'étaient plus des bébés, hein ?).

- Je pense que ça ne te ferait pas de mal de revoir l'alphabet aussi. Comme ça, tu pourras m'apprendre, plutôt que de lire simplement ce qu'il y a dans le livre. Ça t'irait ?

Les choses fonctionnaient comme ça, après tout, non (et pas juste pour les bambins) ? De l'interaction dans un cours permettait de mieux capter l'attention, et d'ainsi permettre au cerveau de mieux se remémorer ce qui a été vu. Et histoire de briser encore un peu plus la glace, le Franco-japonais se disait que de cette façon, ils pourraient alors faire tomber encore quelques barrières d'embarras, effacer les gestes parasites qui signifieraient toute gêne éventuelle ou autre toc de malaise... Qu'ainsi, ils se sentiraient un petit peu plus proches afin de mieux apprendre par la suite.

- Si ça te convient, je suis prêt, conclut-il en lui faisant face sur sa chaise.

Avec patience et suivant le rythme de Lucas – que ça puisse compter son temps de réflexion ou non – il s'imprégna de son savoir. Le pouce levé pouvait correspondre à un « 1 », comme la « première lettre de l'alphabet ». Si c'était logique sur ce point, et plutôt pratique, il devait éviter de tout de suite s'accorder à cette comparaison : il doutait sérieusement que le reste suive cette logique-là. En espérant que son corps et son cerveau s'accordent pour s'en rappeler aisément, Louis observa les gestes de Lucas en l'imitant, veillant tout de même (même si le geste était anodin) à bien faire la même chose.

Durant ce tranquille et long laps de temps où l'un enseignait à l'autre, il y avait un silence qui n'était même plus embarrassant. Bien normal de ne plus rien dire le temps d'apprendre quelque chose, mais sur le moment, c'était assez particulier. Était-ce ça, l'univers de Lucas ? Louis songea un instant emprunter ce monde muet pour s'en imprégner, signant une à une chacune des lettres sans piper mot comme si lui non plus, n'était plus doué de paroles.
Sauf que lui, à n'importe quel moment, pouvait décider de dire quelque chose ou non.

Quel traumatisme a pu enfermer le jeune Ursirre aussi profond dans une pareille anxiété ? S'il s'agissait d'un accident qui rendrait sa voix plus lourde à supporter depuis le fond de la gorge, il comprendrait le « manque d'efforts » à essayer de communiquer, mais s'il ne s'agit que de sentiments... ? Louis n'allait poser aucune question – encore moins maintenant, alors que les barrières étaient tombées – mais il était plus fort que lui de se demander qu'est ce qui a bien pu transformer un si jeune garçon au point de ne plus jamais vouloir ouvrir la bouche. Louis avait bien entendu parler de cas similaires à Ilukaan, comme ce Lupy plus proche de son âge à lui qui signait également par mutisme volontaire... mais il était quand même fou de constater que ce genre de choses était possible, et plus d'une fois.

Lorsqu'il atteignirent une première fois la fin de l'alphabet, Louis hocha brièvement la tête.

- Oui, je crois qu'une deuxième fois ne serait pas de trop.

Surtout que son esprit s'était égaré un instant, alors qu'il avait demandé à réviser les lettres...
Le Strixyst tenta de balayer une bonne fois pour toutes cette histoire qui parasitait son attention. Le retour sur l'alphabet était plus lent, bien sûr, mais lorsqu'ils arrivèrent à « Z » une seconde fois, Louis confia immédiatement :

- Je pense que j'aurai un peu de mal à les retenir tout de suite, mais on peut essayer un truc un peu au-dessus... Et si tu m’épelais un mot ? Je pourrais essayer de le deviner.

Rien de mieux que la vraie pratique pour encore mieux retenir, après tout.

En appréhendant l'anxiété et la gentillesse de Lucas, Louis s'attendait à un mot simple, très basique, un truc vraiment bateau avec très peu de lettres. Bien sûr, il ne lui en tiendrait pas rigueur, s'il lui épelait un truc complexe ; après tout, le but était de retenir les lettres, alors plus il y en avait, mieux c'était. Mais il est vrai que pour un premier travail de mémoire, il serait plus pratique de commencer par le mot « farine » que « anticonstitutionnellement ».

Le Franco-japonais observa donc avec attention les gestes de Lucas. La lenteur du mot qui se faisait épelé était juste comme il le fallait pour quelqu'un qui apprenait tout juste l'alphabet. Il y avait un « L », bon. Puis un « O », s'il ne se trompait pas. « U »...

La personnalité très altruiste de Louis faisait que jamais il ne se rendait compte des attentions (surtout des grosses) qui lui étaient directement adressées, tant qu'on ne faisait que les lui suggérer. C'est pourquoi lorsque Lucas acheva d'épeler son prénom avec ses mains, Le Strixyst ne comprit pas de suite quel mot il venait de lui signer. Ça ne pouvait pas être « love », mais ça n'était pas « louve » non plus... Oh.

Un petit sourire, celui qui prouve qu'on est prit de court, apparut nerveusement sur ses lèvres. C'était adorable, tout simplement. Il avait l'impression d'avoir son disciple sous la main alors qu'il ne se vanterait jamais d'être « plus intelligent que Lucas », quand bien même la différence d'âge ferait que ça serait objectivement vrai. Sans aller jusqu'à dire que lui-même est plus bête, il n'aurait pas cru que le jeune Ursirre trouve ainsi l'idée de lui épeler son prénom. Mais d'un autre côté, ça pouvait être compréhensible :

- C'est comme ça qu'on épelle les noms propres, il me semble, non ?

Bien sûr, il ne pouvait s'agir que d'une double leçon : chaque mot avait son geste propre, avec une main ou deux... parfois, juste une expression, comme une salutation. Sans toutes les déclinaisons. Mais il était logique de ne pouvoir que épeler des noms propres pour se présenter ou présenter les autres. Une ville, un monument, un groupe...
Bref, Louis ne voyait pas la signification détaillée d'avoir choisi son propre prénom plutôt qu'un autre. Mais il était tout de même touché qu'il ait choisi le sien.

- C'est donc comme ça, mon nom en langage des signes ? Voyons...

Il tenta de l'imiter, étant toutefois plus lent après la lettre « U ». Il y parvient tout de même, quoique légèrement hésitant sur le geste du « S ».

Avant que Lucas ne tente autre chose, le Strixyst lui fit signe de ne rien faire encore puis s'exerce à épeler autre chose à son tour. C'était plus lent, plus hésitant sur la fin là aussi, mais il espérait avoir bien fait comme il faut les lettres suivantes :

L. U. C. A. S.

Les applaudissements de Lucas étaient une belle récompense. Mettant toujours la barre plus haute que lui, se référant comme toujours moins doué qu'autrui, Louis était ravi de cette réaction. Le jeune Ursirre restait celui qui, malgré ses bases uniques, s'y connaissait le plus.

Lorsque le cadet leva la main, Louis s'attendait au signe d'un nouveau mot, mais rien ne suivit ce geste. Certes un peu benêt lors de rares occasions, le Franco-japonais n'était pas aussi stupide, et il tapa doucement (une grande main face à une plus petite) dans la sienne, un petit soufflement de nez lui échappant par la même occasion. Louis se savait altruiste pour à peu près tout, mais il n'aurait jamais cru qu'il aimerait autant enseigner à quelqu'un. Même s'il n'enseigne pas vraiment – plutôt qu'ils échangeaient et pratiquaient leurs connaissances. Ou alors, c'est parce que Lucas est très gentil. Ou parce qu'il n'est encore qu'un enfant (juste un peu). Allez savoir.

- Tu sais... confia-t-il. J'avais un peu peur que ça se passe difficilement. Pas les leçons, mais j'espérais vraiment qu'il n'y ait aucune gêne entre nous à échanger de cette manière. Surtout quand on ne se connaît pas tant que ça. J'espère que je ne te mets pas trop mal à l'aise... ?

Sait-on jamais : peut-être que Lucas et sa timidité s'entrelaçaient intérieurement, peinés par leurs efforts un peu abruptes à bien se comporter face à plus grand qu'eux. Louis avait déjà aidé des dizaines d'élèves à travailler. Des gens de son âge comme des plus vieux (plus rarement), comme des plus jeunes (plus souvent). Il n'avait rencontré Lucas que par l'intermédiaire de Feliciano, et depuis, ils ne se connaissaient pas tant que ça... Quelques rencontres ici et là dans les couloirs, le plus souvent dans le Dôme, mais peut-être que l'altruisme de Louis avait un peu trop parlé sur ce coup-là ; et que Lucas n'avait accepté l'invitation que par pure politesse.

Mais ses craintes étaient-elles infondées ? Lucas appréciait-il réellement ce moment ? Ses applaudissements étaient sincères, il pouvait prendre son high five comme acquis ?

Louis rêvait de pouvoir aider le monde entier, comme il craignait parfois de l'étouffer avec ses bonnes intentions.

- Si ça te va, j'aimerais encore pratiquer un peu avec des noms. Des noms propres comme des prénoms, comme tu veux, au moins pour que je sois sûr d'assimiler les lettres. Après, si ça t'ennuie, on peut aller un peu plus loin.

Il ne s'agirait pas d'ennuyer son « élève ».

Les barrières entre Louis et Lucas semblaient définitivement tombées – et c'était tant mieux.

Lorsque la leçon reprit, l'un comme l'autre s'étaient confondus dans leurs rôles. Le Strixyst était celui qui avait proposé ces exercices, ainsi donc de se promouvoir professeur amateur rien que pour lui et pour cette matière en particulier. Pourtant, Lucas lui apprenait plus de choses qu'il ne pensait lui en enseigner. Bien normal cependant lorsque le fameux élève avait déjà assimilé des bases que le prof' n'avait pas.

Mais continuer sur cette lancée, de véritable égal à véritable égal, c'était peut-être la meilleure chose, la meilleure solution ? Ça leur permettait de ne s'imposer aucune autre barrière, pas le moindre mur qui viendrait invoquer le respect, ou une attention toute particulière parce que « Louis parle ». Il n'avait pas envie de le mettre mal à l'aise, comme de le mettre en-dessous de sa propre barrière. Il n'était pas non plus un vrai professeur. Et Lucas, il n'était pas vraiment son élève. Juste un camarade d'école, malgré la différence d'âge.
Un camarade. Un ami, probablement, surtout.

Un jeune garçon que Louis surveillera ne serait-ce que pour son confort.

En apprenant ainsi le mot « omelette », le Franco-japonais décida de lui rendre la pareille avec un de ses aliments préférés (le chocolat, quelle surprise). Puis, afin de mieux apprendre tout en discutant, il signa avec plus d'aisance « K – A – R – E – N » en ajoutant par les mots qu'il s'agissait du nom de sa grande sœur.

À mêler conversation lambda et exercice, le chemin de l'apprentissage s'avéra aussi instructif que briseur de glace, petit à petit. Plus doucement, prudemment, sans jamais donner l'impression à l'un ou à l'autre de monopoliser le sujet. Cette façon de faire leur facilita la communication, permit à Louis de rejoindre l'Ursirre sur son propre niveau du langage des signes, ainsi que de mieux le connaître ou mieux lui faire comprendre qui il était lui-même.

Lucas et Louis se connaissaient si peu, avant aujourd'hui. Il ne pensait pas que ça changerait aussi vite. Du moins, pas à un degré pareil. C'était l'essentiel. C'était même une superbe nouvelle, d'être amis.

Le reste de la journée, certainement, tous deux apprirent à mieux coordonner leurs niveaux de cette langue en faisant plus ample connaissance. En épelant « Valentine », « Amamiya », « baguette », « médicomagie », et toutes sortes de mots venus de lexiques propres à leurs personnalités.

Aujourd'hui, au moins, Louis connaîtra l'alphabet.
Et la prochaine fois, ils se propulseront ensemble sur un pied d'égalité encore plus haut.