La séance d'entraînement ne s'était pas si mal passée. D'accord, Neil n'avait pas décoché un mot à son attention, à part quand c'était nécessaire, mais au moins il avait accepté sa présence cette fois. Ça l'avait soulagé d'un poids. Ça n'aurait pas dû. C'était mieux, si Neil restait loin de lui. Pour Neil ou pour lui-même ? Il n'avait pas envie d'y penser.

Au bout de quelques heures, ils finirent par remettre les pieds sur terre. Andrew préférait ça, même si le vol en balai ne lui faisait plus aussi peur qu'avant. Il avait le Souafle sous le bras, puisqu'il l'avait rattrapé avant qu'ils ne mettent fin à la séance. Alors naturellement, comme Neil était en train de s'occuper de ranger le reste, il voulut lui lancer la balle, et il accompagna son geste d'un “Attrape !” autoritaire.

Il n'avait pas pris en compte le fait que l’Ursirre pourrait ne pas le faire, qu'il puisse être suffisamment distrait pour réagir trop tard. Quand le Souafle s'écrasa sur le visage de Neil, il ne paniqua pas tout de suite : ce n'était ni la première, ni la dernière fois qu'il se le prenait en pleine tête. Ce fut quand il tomba sur le côté et ne se releva pas que la panique prit lentement le dessus.

- Josten ?

Il s'approcha du corps inerte, et ses premières réactions furent cliniques : il posa sa main dans son cou pour vérifier son pouls, puis glissa l'un de ses doigts sous son nez pour vérifier sa respiration. L'un comme l'autre semblait normaux, alors il pouvait le laisser en position latérale de sécurité ici et aller chercher l'infirmière.
C'est sans doute ce qu'il aurait fait s'il n'avait pas eu si peur que tout tourne mal en son absence - il refusait de laisser Neil seul dans cet état, même dans l'enceinte de l'école, même sur le terrain de Quidditch qui avait pourtant l'air d'être un safe space pour Neil. Alors il le prit dans ses bras, préférant abandonner leurs équipements là, et l'emmena à l'infirmerie. Il était plus lourd qu'il le pensait.


Il avait déposé Neil à l'infirmerie, et pendant que l'infirmière était occupée à lui donner les premiers soins, il eut besoin de penser à autre chose. Il voulut retourner sur le terrain de Quidditch, mais avant même qu'il ne réalise vraiment ce qu'il faisait, il avait composé le numéro de sa psychomage et il attendait qu'elle réponde en se dirigeant à l'extérieur. Il coinça le téléphone entre son épaule et son oreille alors qu'il rangeait le Souafle, puis qu'il récupérait leurs balais pour les ranger dans les vestiaires - dans son casier, même s'il aurait pu facilement ouvrir celui de Neil, il n'en doutait pas.

Après une bonne vingtaine de minutes à s’auto-flageller et se traiter de monstre, Betsy prit avantage d'une pause pour le rassurer et lui conseiller une potion pour le calmer. Comme il comptait retourner à l'infirmerie pour veiller sur le blessé, il pourrait demander ça à l'infirmière. Betsy lui avait même envoyé une ordonnance par sms, au cas où ce soit utile.


Il avait dormi un peu. Quelques minutes, peut-être une heure. Mais l'angoisse l'avait réveillé quand il s'était rendu compte qu'il n'était plus attentif. Il avait déjà failli à sa protection en le blessant lui-même, il ne pouvait pas se louper une deuxième fois. Ses ongles d'habitude si soignés étaient saccagés par ses dents, cette fois. Le vernis ne l'avait pas empêché de ronger ses ongles de stress. Puis Neil bougea dans son sommeil et Andrew se redressa. Il interpella l'infirmière pour la prévenir.

Et s'il écoutait distraitement ce qui se disait, il fixait surtout Neil. Et ses yeux bleu glacial. Le coeur d’Andrew se mit à battre la chamade, et il le réalisa avec dépit. Ce n'était quand même pas possible d'être si gay, au point d'être chamboulé par un regard comme le sien. Et pourtant, il en était là.

Mais quelque chose n'allait pas. Il le remarqua directement, alors que l'infirmière, elle, se détournait de Neil. Il avait pâli, et il évitait son regard, et il voyait sa jambe tressauter. Il comprit qu'il essayait de contrôler ses tremblements - il avait souvent voulu faire la même chose, des années en arrière, quand la porte de sa chambre s'ouvrait dans l'obscurité de la nuit. Il se redressa pour s'approcher de Neil.

- C'est moi, Neil. Est-ce que je peux… ?

Il sentait la crise d'angoisse pointer son nez, et il savait calmer l’Ursirre. Mais pour une fois, il n'était pas sûr de lui. Il avait peur de le faire souffrir davantage. Il avait peur d'être vraiment le monstre qu'on voyait parfois en lui. Dans tous les cas, il rapprocha sa chaise de lui. En temps normal, il se serait simplement invité sur le lit, mais s'il s'approchait trop de lui, une part de lui savait qu'il risquait d'avoir des gestes inconsidérés et il ne pouvait pas se permettre ça en plus.

- Je suis désolé. J'ai cru que tu rattraperais le Souafle. Je n'aurais pas dû te le lancer dessus.

Andrew Minyard ne s'excusait jamais. Mais cette fois, il avait vraiment eu peur. Les mots n'étaient que des mots, mais il ne voyait pas trop comment se racheter autrement pour le moment.

How could you hurt a little kid?
I can't forget, I can't forgive you
'Cause now I'm scared that everyone I love will leave me
- Family Line • Conan Gray -

L'ordre lancé à son visage le surprit. D'habitude, c'était plutôt son rôle. D'habitude, Neil ne parlait ainsi que quand il l’énervait. Il baissa un peu le regard, incapable de se soustraire au poids de sa culpabilité. Il l'avait laissé tomber - pire, il avait trahi sa promesse de la pire façon, passant du protecteur à l'agresseur. Il était normal que Neil lui en veuille, et qu'il préfère désormais protéger ses secrets. Cependant, quand l’Ursirre se pencha vers lui, il n'hésita pas pour poser sa main dans sa nuque et essayer de le faire revenir vers lui, après avoir vérifié qu'il n'allait pas le griffer avec ses ongles soudainement irréguliers. Il murmura ses excuses, car que pouvait-il faire d'autre à cet instant ?

Mais la réponse qu'il reçut n'était vraiment pas dans les options de ce à quoi il s'attendait. Le “Va te faire foutre” possible avait été éliminé dès que Neil avait accepté de le laisser le calmer. Le “Ce n'est pas de ta faute” aurait été un mensonge, mais il l'aurait accepté. Un “J'accepte tes excuses” aurait été trop étrange à entendre, mais il aurait aimé savoir que Neil lui pardonnait. Mais “ne parle à personne de ce que tu as vu”, il ne l'avait pas imaginé.

- Je ne compte pas partager tes secrets avec qui que ce soit.

Et c'était la vérité. S'il cherchait à connaître les secrets de Neil, c'était pour pouvoir s'en faire une image plus réelle - connaître son passé, découvrir ses mystères, savoir ce qui avait fait de lui qui il était aujourd'hui était important pour Andrew. Il avait besoin de comprendre qui était Neil. Il savait qu'il disait que l'important n'était pas le passé, que c'était le présent et que les moments passés ensemble étaient réels, mais il n'arrivait pas à y croire complètement. Il y avait des choses qui lui échappaient, des pièces du puzzle qu'il ne possédait pas. Comment pouvait-il faire confiance à quelqu'un qu'il ne connaissait pas par cœur ? Comment pouvait-il faire confiance à quelqu'un qu'il ne connaissait pas tout court ?

Pourtant, quand Neil lui demanda sa baguette, s'il hésita, ce ne fut pas à cause de ça.

- Je ne suis pas sûr que ce soit une bonne idée, Neil. Tu n'étais pas conscient donc tu ne t'en souviens pas, mais l'infirmière a soigné tes yeux. Je ne veux pas que tu te fasses du mal parce que tu n'arrives pas… parce que tu as besoin de te cacher.

De quoi, il n'en savait toujours rien. Et il n'allait pas l'apprendre aujourd'hui. En tout cas, il tenait la baguette de Neil entre ses doigts. Il la connaissait presque autant que la sienne. Il la rangea à côté d'elle, sous sa manchette.

- Je ne t'oblige pas à ouvrir les yeux, mais je ne te permettrai pas de te faire plus de mal. Tu attendras que l'infirmière donne son accord.

Et ce n'était pas discutable.

How could you hurt a little kid?
I can't forget, I can't forgive you
'Cause now I'm scared that everyone I love will leave me
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