Il marche en mode automatique. Un livre devant les yeux, il espère l’avoir fini pour ce soir, il a une étude de texte à faire dessus en communication. Il soupire, ceci dit, il a aussi des emplettes à faire. Il a promis à Wei Ying de l’alcool et doit vérifier qu’il a reçu des nouvelles jarres de « Sourire de l’empereur » à la poste. Il lève le nez et esquive de justesse une mamie qui promène son… furet ? Il fixe un instant l’animal, les sourcils froncés, avant de reprendre sa marche.

Ce livre est intéressant mais les tournures de phrase sont si alambiquées. Il soupire. Ça le choquerait moins dans une œuvre de chez lui que dans un livre anglais… Attend. Il retourne la couverture et vérifie s’il s’agit d’une traduction… et non. Dommage, il aurait préféré le lire en chinois. Il se passe une main blasée sur le visage et reprend sa marche d’un bon pas. Après la poste, il doit aller chercher du foin pour le lapin de Ying. Il a remarqué qu’il lui en manquait un peu… à moins que son frère ne l’ai caché, il se dit que ça lui coûte rien de lui en ramener en avance. Bon et il a vu une jolie broche l’autre fois, dans un magasin, ça lui a direct fait penser à sa sœur, mais il n’avait pas d’argent pour lui à ce moment-là.

Il s’arrête en entendant des petits couinements dans la ruelle devant laquelle il passe. Il fronce encore plus les sourcils, rebrousse chemin et observe les lieux. Silence. Il ferme son livre, le range et sort sa baguette. On ne sait jamais ce qui peut se cacher dans l’ombre. Il avance prudemment et… fond comme neige au soleil devant la petite boule de poil adorable et tremblante qui se terre dans un coin de mur.

Il range sa baguette après avoir quand même vérifié qu’il s’agissait d’un chiot tout ce qu’il y avait de plus normal. Il se penche doucement pour tendre une main lente vers la petite boule de poil apeurée. Il arrive à l’attraper délicatement et le cale dans ses bras. Il a vraiment un soft spot pour les chiens, c’est terrible. Il sait qu’il n’a pas le droit de le ramener à l’école, surtout avec Ying, il refuse d’effrayer son frère. Le voilà donc embêté avec la petite bête qui cesse progressivement de trembler dans ses bras. Awwwwwwwwww. Il prend une inspiration pour garder son sérieux.

« T’inquiète pas, Acacias. On va te trouver une maison, ou une association. » Il marmonne en sortant de la ruelle. Il interroge quelques commerçants mais aucuns ne connaissent les refuge du coin. Il commence à s’agacer. Personne pour prendre soin de cette adorable créature ? PERSONNE ? Il commence à être fatigué quand il repère une professeure qu’il connaît. Oh. Parfait. Il s’approche d’un bon pas. « Professeur Fey ! »

La professeure Mia Fey est l’une de celles qu’il apprécie le plus. Dans le genre douce mais ferme dans son travail, qui enseigne bien, avec une fibre éducative évidente. Et aussi un côté maternel parfois. Donc ça lui semble une excellente idée de se tourner vers elle pour trouver une maison ou une association pour ce chien. Elle doit bien être au courant. Il lui semble qu’elle vit en ville avec son fiancé, il y a des chances qu’elle sache où trouver un refuge pour chien. Surtout qu’il est adorable, qui ne fondrait pas devant cette petite bouille tremblante ? Bon, il est mal placé pour juger, il est incapable de résister.

Elle a l’air d’effectivement complètement tomber sous le charme. Peut-être a-t-il trouvé une famille pour Acacias alors ! Il est un peu content, même si ça ne se voit pas sur son visage impassible. « Bonsoir Madame Fey. » Il répond poliment en inclinant légèrement la tête. Il la laisse caresser le chiot en réfléchissant. « En vérité, je viens de le trouver, il m’a l’air abandonné… »

Il resserre sa prise sur le petit corps poilu, essayant de le réchauffer avec sa propre température corporelle. Ça l’inquiète aussi de le voir dans cet état, pauvre petit. Peut-être que Ying tolérerait un chiot tout petit et mignon ? Non, il a trop peur, c’est une mauvaise idée. Cheng doit se faire une raison, entre le règlement d’Ilukaan et la phobie de son frère, c’est impossible. Il soupire légèrement.

« En fait, je cherchais un refuge… ou une famille ? » Il demande en fixant sa professeure avec un haussement de sourcils. « Il est tellement mignon, seul, dans la neige fondue… vous imaginez ? » Pauvre bête… elle mérite mieux que de mauvais humains. Ceux qui l’ont laissé là méritent le fouet, ou la mort…. Bon déjà le fouet, ce serait une bonne punition. Il déteste les gens qui maltraitent les animaux, particulièrement les chiens. Franchement, qui a si peu de cœur pour faire ça ? QUI ? Il pince les lèvres. « Il a visiblement été abandonné. » Il conclut d’une voix où rôde la colère.

Il caresse doucement le petit corps dans ses bras. Franchement, s’il pouvait l’adopter… Raaaahhh… Il est au bout de sa vie, il est si chou, si doux, il a envie d’en prendre soin.

Il a tellement de choses à faire, mais il ne peut pas laisser seule la petite bestiole. Ce serait inhumain. Il a beaucoup de défaut, mais il est incapable d’abandonner un petit être en besoin comme ça. La professeure qu’il a alpaguée est adorable, en vérité il est content de la voir. Il sait que c’est une bonne personne, un peu maternante peut-être mais bon. La voir recouvrir le petit chien tremblant de froid d’un foulard le conforte dans son idée : il a bien fait de lui demander de l’aide à elle et pas quelqu’un d’autre. Ses yeux rencontrent les siens, et il détourne le regard, un peu gêné de dévisager si frontalement une adulte plus haut placée que lui. Et plus compétente en tout ce qu’il est supposé apprendre. Le respect des aînés, il l’a ancré dans le corps, Cheng, avec sa famille… et ne comprend toujours pas comment Ying a pu l’esquiver aussi aisément malgré l’éducation de ses parents.

Il est déçu de savoir qu’elle ne peut pas l’adopter. Il s’était dit que ça serait un bon endroit pour lui. Ceci dit, il comprend les raisons : s’occuper d’un animal demande du temps, de la patience, de la présence. Ce n’est pas un choix à faire à la légère sous prétexte qu’on en trouve un mignon. Il se dit que si elle l’avait pris spontanément, finalement, il se serait peut-être méfié de sa capacité à s’en occuper. Il hoche donc la tête.

« Je me doute bien, madame, mais c’est vrai que trouver ce petit chien dans la neige… c’est franchement indécent. Ils mériteraient une punition. » Et il sait manier le fouet, si jamais, même s’il se doute qu’il doit éviter de dire ça devant sa prof de droit quand même. Histoire de ne pas avoir de problèmes. Il voit une ombre passer dans les yeux de la brune et s’en inquiète, mais elle donne l’air de ne pas vouloir s’attarder sur des mauvais souvenirs. Il suppose que c’est lié à son travail, mais il respecte son désir de ne pas s’étendre sur ses histoires… surtout avec un élève.

« Oh, je n’y avais pas pensé. Beaucoup de professeurs vivent en dehors de l’école ? » Il demande d’une voix intéressée. C’est vrai que ce serait une solution après tout. Il n’y avait pas pensé en dehors d’elle… mais c’est vrai que c’était aussi parce qu’elle s’est retrouvée face à lui alors qu’il cherchait des indications. Et il n’avait pas pensé à son portable. Il a les mains prises, autant laisser l’américaine s’en charger. « Vous en connaissez qui cherchent un chien ? Sinon, nous l’amènerons directement au refuge, ça sera plus simple je suppose ? » Il ne sait pas comment ça fonctionne ici. Quand il a du abandonner ses chiens avec l’arrivée de Ying, il les a laissé à des accointances du clan, qui pouvaient lui donner des nouvelles régulières… et il est souvent allé les voir aussi parce qu’ils lui manquaient malgré toutes ses bonnes résolutions. Protéger Ying, d’accord, mais ça n’a pas été une décision simple pour l’enfant qu’il était, et il garde un souvenir très « madeleine de Proust » de ses interactions avec ses chiens.

Il ne voit pas trop comment allier son futur statut, la présence de chiens et celle de Ying à ses côtés. Son frère de coeur aura toujours la primauté malgré tout. Dommage, il devra se contenter de les aimer de loin comme il le fait déjà actuellement.

Il la regarde pianoter sur son téléphone, se demandant si elle connaît beaucoup de gens qui pourraient vouloir prendre le petit chien. Il est sorti sans son propre mobile, sans quoi il aurait déjà fait les recherches pour trouver l’association, tout seul. Ou passé en revue son carnet d’adresse pour trouver où déposer la bête. Malheureusement, il manquait de matériel, et il n’avait pas tant de connaissances… En dehors de gens d’Ilukaan, pour lesquels les règles de l’école s’appliquaient donc concernant les chiens. Il soupire. Ce règlement est une bénédiction pour Ying, mais il est vrai que cela pose problèmes à d’autres. S’il n’y avait eu son frère, il aurait sûrement signé quelques fois cette pétition qui tournait presque tout les mois pour autoriser les chiens dans l’enceinte du campus.

Le chiot commence à lui lécher les doigts, d’une manière adorable qui le fait fondre intérieurement, même si son visage est toujours figé dans son expression impassible… c’est dur de résister, vraiment. Visiblement, la professeure n’en pensait pas moins vu comment elle caressait la tête de la petite créature. L’espoir qu’elle lui offre en mentionnant ses collègues le retient, en vérité, il préférerait directement trouver une maison au chiot, plutôt que de l’amener dans un refuge où il n’aura pas l’assurance de comment il sera traité. Il a déjà été abandonné, il n’a pas envie de contribuer plus encore à la détresse de cette petite vie. « Qui est ‘Ernest’ ? » Il demande d’un ton froid. Ça ne lui rappelle rien. Est-ce véritablement un professeur ? Sûrement un de ceux qu’il n’a pas, et dont il ne connaît pas plus le prénom que le nom de famille. Il pince les lèvres.

Il hoche la tête. « Dans mon enfance. » Il répond succinctement. A part quand il s’énerve, il est plutôt connu pour ses réponses efficaces, notamment par rapport aux membres du corps enseignant, et en classe. Il cligne des yeux en resserrant sa prise sur le chiot, s’insurgeant. « Je ne vois pas de quoi vous voulez parler ! Ce n’est pas une question de coeur mais de sécurité publique ! » Il s’écrie en fronçant les sourcils, outré par le geste maternant de sa prof. « Laisser un animal mourir dans le froid attire les rapaces et autres rats et c’est porteur de maladies ! »

Ça n’a aucun rapport avec ces petits yeux noirs qui l’ont regardé avec un air pitoyable ou les petits geignements qu’il pousse alors qu’il se love dans ses bras. Pas du tout. Il tire son manteau pour enrobé un peu plus le corps frissonnant dans ses bras et sa chaleur, ajustant le foulard de Madame Fey sur lui. Il lève le nez, hautain. « Ne vous méprenez pas. » Ying se ficherait de lui, s’il le voyait… et ne se concentrait pas sur sa phobie des chiens en approchant pour entendre. Heureusement qu’il n’était pas là. « Mais j’accepte le thé. » Il conclut en marchant d’un pas digne vers le café qu’elle désignait juste avant. Ne pas perdre la face, c’était important.

Ah, le bibliothécaire. Il ne lui a jamais trop parlé, vu qu’il est à l’aise dans la bibliothèque et qu’il en connaît tout les rayonnages par coeur à force d’y passer du temps pour ses devoirs et recherches personnelles. Visiblement, il entrait dans les bonnes grâces de sa professeure de droit, c’était un green flag pour lui, on ne va pas se mentir. Il hoche la tête. La justification de la prof lui suffit, il comprend qu’adopter un chien c’est quand même une grosse responsabilité. Surtout quand on a un mode de vie nomade comme elle et son compagnon.

Il vient se poser sur une chaise et cale le petit chiot sur ses genoux, remettant bien de quoi le couvrir avec attention. Pauvre petit être, il lui frotte le dos doucement pour le réchauffer. Il a encore les joues rouges et l’air agacé lié à son outrage précédent. Comment a-t-elle osé prétendre qu’il était un coeur tout mou et ridicule ? Il laisse ces choses-là à Ying, lui, ce n’est absolument pas son délire. Pas du tout. D’accord, il se soucie du bien-être des animaux, surtout des chiens, mais pas au point d’être gaga ou idiot. Ça n’était pas son genre.

Il hausse un sourcil. « Oh, et bien, tout va très bien madame. Mon frère est revenu en cours, je l’aide. Et je n’ai aucune difficultés, évidemment. » Il hoche la tête avec sérieux. C’est un bon élève après tout, et ça fait partie de ses responsabilités d’assurer une réussite scolaire évidente et brillante pour honorer sa famille et valoir la place qui lui est réservée. Après tout, il est l’héritier de son clan, et ça nécessite une assurance et un accomplissement scolaire qu’il assume comme il le peut. Il travaille donc avec assiduité et ne se permet aucun retard ou détente par rapport à ses devoirs et évaluations.

Il pose une main possessive sur le dos du petit chien et lève le menton. « Il aurait pu mourir dans la rue, un cadavre attire les charognards et les maladies. Risques sanitaires et de prédation. Sans compter le risque de choc psychologique quand on le découvre pour les riverains. Inadmissible. » Il réplique avec aisance. Il se débrouille bien pour broder, même s’il pense sincèrement ce qu’il dit, il n’aurait juste pas pu laisser la petite créature dans la neige à grelotter. « Votre Monsieur Albrecht, il sait s’occuper d’un chien ? Il en voulait un ? » Il demande pour s’assurer que la bête sera offerte à une personne qui le mérite.

Elle veut visiblement faire la conversation, il est un peu gêné mais prend son thé pour l’inspirer. Oh, il a l’air bon, celui-ci. Il souffle sur sa tasse et la goutte délicatement. Très bon, il valide. « Je vais prendre la suite de mon père et prendre la tête de ma Secte de Cultivateurs. » Il l’observe, elle ne sait sûrement pas ce que c’est. « Nous sommes une branche spéciale des aurors chinois. » Il explicite doucement.

Il se pince légèrement à sa question et préfère ne rien répliquer. Parce que c’est hors de question d’avouer que ce regard de chiot triste le touche particulièrement. Ça lui fait penser à ses anciens chiens qu’il a laissé à un proche à l’arrivée de Ying. Il écoute attentivement la description d’Ernest. Ça le rassure carrément, même si l’homme voulait pas ou quoi un chien, il a l’air prêt et capable en tout cas, s’il fait confiance à la vision de Madame Fey. Il hoche la tête, bon, ça a l’air un bon choix. « Merci. »

Il finit son thé et repose sa tasse avant de caresser la bête. « Je vous fais confiance. » Il affirme doucement. Il se lève quand elle a fini aussi sa tasse. « Allons-y, qu’il puisse s’installer et ne pas continuer à grelotter. » Il attend qu’elle se lève pour filer vers la maison qu’elle lui indique.