Encore une cuillère en argent pour Ilukaan, une autre lignée fortunée qui embellit davantage une école attirant la richesse à l'échelle internationale. Loin du drame habituel lié à l'ascendance sanguine, ici, est présentée plutôt une culture superficielle et aristocratique, où les préoccupations de ce monde semblent si insignifiantes pour les sorciers. N'en soufflez mot aux Delacroix, cependant, car l'image est plus qu'essentielle à leurs yeux. Un faux pas, même pour ceux qui ne se hissent pas au sommet de l'élite monégasque, constitue une disgrâce à part entière.

Présentons-les brièvement. Banquiers, avocats, et même propriétaires d'hôtels, tout ce qu'il faut pour briller lors des dîners familiaux. Ils se targuent de leurs succès, de la manière dont ils atteignent leurs positions. Ils n'appartiennent pas à une famille de méritocratie, mais plutôt à une lignée aspirant à devenir une dynastie. Ainsi, ils ne passent pas sous silence le fait que papa finance leurs projets, qu'il a réussi avant eux, et même avant son propre père.

Cette famille ne se réunit que pour les repas, partage les récits de leurs journées, discute des cours particuliers de tennis, raille les voisins, et soulève la fameuse question de l'avenir et des projets après l'école, après les vacances. En tant qu'aîné, Guerlain est le premier héritier, celui dont on ne s'occupe plus vraiment parce que ses frères et sœurs requièrent davantage d'attention, car même jeune, il doit apprendre à se responsabiliser.

Il lui est difficile de se sentir à sa place à la table lors des dîners. Sa condition ne facilite pas la reconnaissance de ceux qui l'entourent, et la distance émotionnelle avec eux est encore plus accentuée. Sa mère est reconnaissable, toujours élégante, toujours prête à le défendre un peu, l'une des rares à véritablement percevoir qu'il n'apprécie pas les conversations. Son père, dans son cas, c'est différent. Il ne l'aime pas, ne le voit pas de la journée, et si des gens sont invités à la maison, il ne le reconnaîtra pas de la soirée. C'est un véritable inconnu, et les rares fois où il sait qu'il lui parle, c'est parce qu'il a fait quelque chose qui ne lui plaît pas et qu'il doit en subir les conséquences.

Quant à ses plus jeunes sœurs et frères, n'en parlons même pas. Pour être honnête, il ne ferait pas la différence entre eux et les jeunes du quartier. Il passe des bons moments avec eux, mais ne leur parle pas suffisamment pour avoir formé un véritable lien. Il a été conditionné à converser avec des adultes, le personnel de maison, les médecins qui l'accompagnent - pour ses problèmes de santé, et ses professeurs. Il éprouve plus d'affection pour eux, car ils s'intéressent à lui, même s'ils sont payés pour cela.

À mesure que le temps passe, l'enfant pose de plus en plus de problèmes, non pas par choix, mais parce que ses espiègleries deviennent de plus en plus spectaculaires. En effet, sa magie se manifeste à travers des émotions de joie intense. Souvent, à travers des bêtises, donc. Ses parents restent encore perplexes face à sa capacité à vider la piscine en quelques minutes, ou à changer les couleurs des fleurs devant la maison, même en connaissance désormais du monde magique. Malgré ses exploits surhumains, à l'époque, il n'a pas échappé aux punitions.

Lorsque la magie se transforme en une source de problèmes, elle engendre plusieurs conséquences. Premièrement, il perd son statut de premier héritier, une situation loin d'être plaisante. Deuxièmement, cette situation se métamorphose immédiatement en une humiliation publique lorsque le gouvernement magique s'approche de la famille. Ce n'est plus simplement une série d'accidents ou de faux pas qu'il réalise sans faire attention, mais un véritable défi à surmonter. Bien que cela ne conduise pas à son déshéritement, cela l’envoie de l'autre côté de l'océan. L'excuse invoquée est qu'il va suivre des études dans une école privée de marketing aux États-Unis pour les proches, contribuant ainsi à exporter l'image familiale à l'étranger.

Diverses opportunités de formations universitaires, une voie assurée vers le succès - car, en fin de compte, les Pyrénées sont trop proches. Ilukaan, mais surtout le Canada, parce que l'école importait peu, c'était plus la possibilité de l'envoyer dans un pays économiquement intéréssant, tout en lui permettant de s'ouvrir aux états-unis de son côté frontalier. Un investissement judicieux pour le placer là où il pourrait exceller, même si ce n'était pas le choix initial pour lui. Dire qu'on l'a abandonné serait malhonnête, mais il est évident qu'on préférait dissimuler le problème plutôt que de chercher à le soutenir activement. Un sorcier, surtout vu comme un problème après quelques mois à ne pas y croire, à se demander si on plaisantait avec la famille, ne serait pas adapté pour reprendre l'entreprise familiale.

Son mécontentement à l'égard de cette nouvelle école était évident. Plongé au milieu de jeunes excentriques, évoluant dans une résidence qui semblait être le repaire de bouffons et de ménestrels aux teintes pourpres, tout le monde se confondait, surtout avec les uniformes qui effaçaient toute distinction. Aucun moyen de reconnaître qui que ce soit, mais surtout, aucune envie de le faire. Sa chambre, bien que pittoresque en comparaison de chez lui, sera la seule qu’il connaîtra depuis son arrivée. Il n’est plus le bienvenu dans la demeure familliale, même pour les fêtes, une décision tout à fait saine de la part de ses parents, évidemment.

Il s'est imposé en tant que soliste, mais, ça n’a tenu qu’un temps, car il ne pouvait pas se permettre de rester totalement seul, son mental ne suivait pas, l'incitant à développer des compétences sociales pour s'adapter, se faire des amis, devenir le faux-semblant qu'il est aujourd'hui. Un charmeur qui, de son venin, passe son temps à s'occuper, car les moments vides représentent la seule véritable présence dans sa vie. Les journées se succèdent, monotones, se lever sans plaisir, aller en cours, parfois être l'élève modèle, parfois celui qui discute avec ses camarades, et parfois celui qui réfléchit dans son coin.

C'est en traînant avec les garçons de son âge qu'il a réalisé qu'il y avait d'autres choses à apprécier dans la vie. Les bières consommées avant l'âge légal, en dehors de l'école, partagées dans une ruelle et achetées sans autorisation. Les parties de jeux de cartes lorsqu'on s'ennuie dans le dôme. La sensation de tout perdre en pariant quelques mornilles dans le parc, loin du regard des professeurs. Les baisers maladroits échangés dans les vestiaires après le sport, dès que les autres sont partis.

Une vie d'excès s'est dévoilée à lui, car désormais, il avait une véritable raison de se lever. Et lorsque cela ne présente plus de problèmes, en raison de son âge, il n’est pas surprenant de le voir devenir un pilier de bar, un joueur émérite au casino, renommé pour cela. Les plaisirs sophistiqués peuvent être certes luxueux, mais ils peuvent aussi être simplement imprégnés d'adrénaline. Des habitudes nuisibles pour soi, mais qu’il ne peut désormais plus se passer.

Aujourd'hui, malgré l'installation de contres à la routine, atténuée par ses autres activités, elle subsiste. Alors, quand elle frappe son moral, il allume son briquet et va laisser fumer ses soucis, en plus de la nicotine.

De toute façon, qui peut réellement le juger ? Il n’a rien à se reprocher.

Performant en classe, plutôt discret, avec un avenir tout tracé, et une famille qui exprime son regret de l'avoir exclu en lui offrant clairement de quoi assurer tous ses projets.

(c) Ilukaan