Vingt et un ans auparavant, une étoile avait été arrachée du firmament pour s'en aller rejoindre le sol anglais, marquant à tout jamais la vie de la jeune fille qui la lui avait donnée. La fin de l'été se profilait à l'horizon, et c'est blotti dans les bras d'une adolescente sang-mêlée qu'un nourrisson aux perles fauves ouvrit ses yeux pour la première fois. Il fut appelé Aster, en hommage aux marguerites d'automne. A ce prénom fut associé le nom de famille de sa mère, faute d'avoir été reconnu par son géniteur, un sang-pur répondant à celui de Leonard Albrecht. Furieuse en découvrant que la candide Rosalie avait souffert des manipulations d'un homme adulte et implorée par celle-ci de faire preuve de clémence, la famille Bluethorn se souleva contre lui, exigeant que ce dernier soutienne le quotidien de leur fille lésée et de sa progéniture, en précisant que toute approche lui serait strictement interdite. En échange de quoi, aucune charge ne serait portée contre lui, et son épouse gardée dans l'ignorance de cette honteuse aventure. Il consentit à cette offre, prétendant que son coeur s'en tordait de tristesse ; un cœur que tous sauf Rosalie savaient vacant, car s'il eut existé, un jour, il était certain son fils n'aurait jamais trouvé le chemin pour y pénétrer. Elevé par ses grands-parents et sa jeune mère, Aster Myrtil grandit au cœur de la ville de Rotherham. Cependant, à mesure que son corps grandissait, sa curiosité à l'égard de ses origines ne cessait elle aussi de croître.

"Qui était mon père ? Où s'en était-il allé ? Ces questions tournaient en boucle dans mon esprit, sans que je ne sache y mettre un terme. Mes grands-parents ne voulurent pas y répondre, jugeant que l'ignorance était une maîtresse plus douce comparée à la désillusion qui m'attendait à la découverte de mes origines. Mais la volonté de ma mère n'était pas taillée dans la même pierre ; à l'inverse, elle semblait faite de terre séchée, un matériau devenant malléable dès lors que mes larmes s'y imprégnaient. Inévitablement, elle finit par me céder."

Admirative face à la détermination farouche de son enfant, Rosalie dût se résoudre à lui donner les réponses auxquelles il aspirait. Pour elle, le temps avait été bon professeur : Toutefois, si la jeune femme avait réalisé que cet individu devait être maintenu éloigné de ceux dont le cœur ne revêtait pas d'armure, elle se retrouva bien incapable de détruire le nid d'affection que son fils avait bâti pour lui. Ainsi n'eut-elle pas la force de lui interdire de lui parler lors même qu'elle l'aurait préféré. Lors de son huitième anniversaire, Aster prit contact avec lui en lui envoyant un message par le biais de réseaux sorciers auxquels il n'avait normalement pas accès. Interminables, les heures défilèrent, suivies de jours que n'importe quel enfant impatient aurait jugé trop longs. Quand elle tomba enfin, la froideur de la réponse le transperça comme une épine de glace. Au travers de formulations empreintes de politesse mielleuse, on lui demanda de ne plus chercher à le contacter et de rester à l'écart de sa véritable famille - chose que le jeune garçon ne comprit pas plus qu'il put se résoudre à l'accepter. Son caractère obstiné le poussa à persévérer, à charger les portes fermées à coups de bélier jusqu'à ce qu'elles sortent de leurs gonds et le laissent enfin entrer. Laissé sans surveillance sur l'appareil de sa mère et inconscient du chaos qu'il était en train de générer, il contacta chaque membre de la famille Albrecht - et ce jusqu'au dernier.

"Mon cousin, également mal aimé par notre famille et de quinze ans mon aîné, fut le seul à me répondre sans une once de méchanceté. Il était patient, ou peut-être était-il lui aussi assoiffé de reconnaissance. Voyant cette brèche se former dans le mur qui s'était dressé entre moi et mon sang, je m'y faufilai sans attendre, trouvant alors une forme de réconfort au travers de ce nouvel ami."

La première fois que sa magie vint à se manifester, Ernest fut le premier à en être alerté, avec toute l'excitation que l'on s'attendrait de la part d'un petit sorcier. Il lui raconta fièrement combien la maison avait été soulagée lorsque, de nuit, une caresse prononcée sur le pelage de son cacatoès avait fait taire ses hurlements incessants, son bec s'ouvrant dans une déferlante silencieuse qu'il eut bien du mal à libérer Le choix de l'école se présenta ensuite comme une évidence : le garçon entrerait à Poudlard, deviendrait Serpentard quitte à devoir lécher le cuir du Choixpeau avec la flamme d'un briquet - peut-être même, délirait-il parfois, écrirait-il des romans à mystère. Calquant scrupuleusement son avenir sur sa vie passée, Aster estimait que son chemin était tout tracé, jusqu'à ce qu'un message inattendu ne vienne tout bouleverser. Il lui demandait de ne pas rejoindre cette école : ses enfants y étaient scolarisés, sa femme encore scandalisée par ses infidélités. Ainsi, il ne pouvait pas prendre le risque de compromettre un peu plus l'union que la révélation soudaine d'un fils caché avait réussi à ébranler. Face aux refus du sang-mêlé, les supplications furent bientôt remplacées par des menaces vides de sens, avant de revenir aux suppliques habituelles, accompagnées comme à chaque fois d'une promesse d'un argent versé.

"Accablée par une pluie de messages jetés dans le vent, l'entièreté de la famille Albrecht savait maintenant qu'un enfant bâtard avait été dissimulé, tapi quelque part dans le nord-est de l'Angleterre. La femme de mon père avait menacé de partir, un soulier sur le pas de la porte et l'hésitation encore grande à l'idée de le quitter. Par ma seule existence, j'avais cassé les meubles, brisé les vitres, et abattu les murs du foyer qu'il avait crée pour lui et la famille qu'il avait fondée. Un talent fou, à un si jeune âge..."

Son père était prêt à lui venir en aide à condition de coopérer. S'il acceptait, Léonard prendrait en charge les frais de déménagement, assurerait le financement de sa scolarité du début jusqu'à sa fin, de cette manière, on lui promettait que jamais il ne pèserait sur les finances de sa mère. Conscient des difficultés financières de celle-ci, Aster se résolut à se diriger vers un autre établissement. Quand vint finalement le moment de choisir,  une école canadienne hautement recommandée sur les réseaux sociaux sembla se démarquer comme étant le meilleur choix. Le futur lycanthrope se rendit à Ilukaan après la réception d'une lettre d'appel, revêtant les couleurs de la maison Strixyst avec dépit ainsi qu'un œil lorgnant jalousement les élèves Lupy ; aucune possibilité de menacer qui que ce soit avec un briquet, il dût donc s'en contenter. Rapidement, le mal du pays et la foi aveugle qu'il portait à l'égard de facilités qu'il ne détenait plus prirent la forme d'obstacles établis sur la route de son épanouissement scolaire. De garçon plein de bonne volonté, il évolua bientôt en élève tout juste passable, se cramponnant à la chance comme s'il s'agissait d'une bouée capable de le sauver des eaux troubles de l'échec. Sa bonne étoile le maintint à flot pendant un temps, avant de finalement s'éteindre au beau milieu de sa septième année et d'inévitablement l'entraîner au fin fond du bassin ; une eau vaseuse de laquelle personne ne parvint à l'en arracher. Après tout, comment aurait-t-on pu aider un homme rejetant soudainement son prochain, et qui ne voulait en rien se confier ?

Quelque chose, un événement dont il ne pouvait pas parler, lui était arrivé.

"Au début de nos vacances scolaires, mes amis et moi avions repéré un petit bâtiment en ruine, dans le nord de la province d'Ontario. Nous nous étions mis en tête d'y faire une descente afin d'y filmer ce que nous y aurions découvert - toutefois, un malencontreux accident de transplanage fit que je m'y retrouvai seul, cette nuit-là, pendant qu'on venait en aide à mes deux camarades. La plupart des gens auraient rebroussé chemin, refoulé leur curiosité. Pour ma part, l'impatience qui m'était propre faisait que j'en étais bien incapable. Seul, j'étais donc entré dans ce bâtiment - et c'est seul que je dus affronter la chose qui s'y était cachée."

Sous la lourdeur de l'air nocturne, les rayons de la ronde lune filtraient au travers des éclats de vitres brisés et éclairaient les sinistres couloirs tapissés de mousse, tandis que le sorcier s'y engouffrait en perçant les ténèbres à l'aide d'un sortilège. Son allure impressionnante l'avait rendu suffisant, l'aveuglait quant aux dangers qu'il encourrait si son chemin le faisait croiser celui d'une créature magique. Ses pas s'arrêtèrent devant une porte verrouillée : intrigué par ce qui pouvait se trouver de l'autre côté, le jeune adulte décida de faire sauter le verrou et de pousser la porte pour entrer dans la pièce. A l'intérieur, une créature y était tapie, tordue dans une posture menaçante et les crocs luisants sous le reflet de la lueur de sa baguette. Avant même qu'il ne puisse envisager de se reculer, elle fondit sur le Strixyst qui se retrouva allongé sur le dos, le bras tendu en seul barrage entre lui et la bête. Pris au dépourvu et blessé par le loup-garou, il utilisa le sortilège Lumos Solem afin d'éblouir son agresseur avant de s'échapper dès que le poids sur sa poitrine se dissipa. Il s'était libéré, mais se retrouvait complètement désorienté ; En courant loin du monstre, il avait oublié derrière lui son outil de bois et s'engouffra dans la première cachette qui se présenta à lui.

"Alors que je me débattais, les mâchoires du loup-garou avaient emprisonné la chair de mon bras : La douleur qui s'ensuivit m'indiqua que l'os avait cédé, mais dans la panique, je mis quelques instants avant de pleinement le réaliser. Recroquevillé dans une chambre lugubre, je composai trois numéros, sans me rendre compte de l'absurdité de ma pensée : Face à l'éternel silence de mon père, à l'impuissance de ma mère et à ses sanglots étouffés, mon dernier choix se dirigea vers mon cousin, Ernest, qui, bien que conscient du danger, vint à mon secours afin de m'escorter en dehors du bâtiment et de guérir ce qui pouvait encore être soigné. Malheureusement, même la magie la plus puissante et les paroles les plus douces ne pouvaient effacer le mal qui m'avait été fait : son sang, maintenant mêlé au mien, me condamnait à vivre en monstruosité."

Ne s'étant jamais réellement libéré de cette pièce obscure, Aster assista, impuissant, à l'effondrement de sa vie sociale et scolaire, crachant dans les mains qui lui étaient tendues, et terminant sa septième année dans le vacarme assourdissant de la défaite. Suite à son redoublement, on eut pourtant la surprise de le voir accéder aux études de Sciences Occultes en fournissant le strict minimum d'efforts afin de ne pas se voir refoulé à l'entrée. L'avait-il fait pour lui, ou l'avait-il fait pour son père ? A cette question que sa mère lui avait posé, Aster ne put que tordre sa langue dans de nouveaux mensonges, prétextant que cette direction était née de ses propres envies - et non pas, comme toujours, afin d'honorer l'histoire d'une famille qui ne voulait rien avoir à faire avec lui.

(c) Ilukaan