Au cœur de ce mois d'octobre canadien, le salon de ton partenaire se dresse comme l'acte initial d'une tragédie passionnelle. Là, les premières manifestations de la gourmandise se dessinent avec une tentation aussi subtile que persistante. De jour en jour, cette gourmandise grignote les bases de votre amour, silencieusement, tel un rongeur nocturne, et tu demeures, inconscient des dégâts causés par cette appétence grandissante.

Avec une désinvolture presque délibérée, tu t'installes dans ce cocon douillet, sans te soucier des miettes opiniâtres qui se sont nichées entre les replis des coussins. C'est là que ton âme sœur, ton compagnon, se fond dans le décor, peut-être déjà happée par les préparatifs d'un festin qui se trame en coulisses.

Devant tes yeux, des images chatoyantes défilent en une parade somptueuse, obscurcissant progressivement la réalité quotidienne. La monotonie s'insinue subrepticement, transformant votre relation en une routine terne, où chaque soir, le banquet de votre vie commune perd de sa saveur et de son sens. La lassitude semble gagner du terrain, et des doutes s'insinuent en toi quant à la possibilité de raviver la flamme qui jadis embrasait vos cœurs.

Le temps, tel un ruisseau tranquille, coule inlassablement, chaque soir s'apparentant au précédent, créant une symphonie monotone de jours indistincts. L'odeur qui évoquait jadis des festins divins, semblable à de l'ambroisie, se métamorphose en une décadence servie à table. Les mets délicats qui autrefois titillaient tes sens ne sont plus que des aliments pour satisfaire ta faim, sans susciter le moindre frisson gustatif. Les gestes, les plats, toute la magie qui les enveloppait semblent avoir évanoui, et l'appréciation s'estompe.

Les exigences et les demandes deviennent toujours plus insistantes, mais la reconnaissance demeure absente. Lui, le protagoniste central de cette histoire, s'active, prenant en charge chaque tâche, tandis que tu sembles avoir été relégué à l'arrière-plan. Ta présence semble désormais évoquer celle d'un parasite dans cet appartement, un concept qui t'échappe. La satisfaction reste insaisissable, et rien ne semble suffisant pour t'arracher un simple merci. Les gestes romantiques qui, jadis, ponctuaient le début de votre histoire, ne sont plus que des vestiges d'un passé lointain, une époque où tu t'efforçais de lui montrer à quel point il était bien plus que suffisant pour toi.

Le récit de votre relation, autrefois vibrant d'une passion dévorante, est désormais devenu le récit de deux âmes en dérive, naviguant dans l'océan monotone de la vie quotidienne. La passion s'efface, emportant avec elle les souvenirs d'un amour flamboyant. Le présent est dépourvu de la saveur qui jadis le caractérisait, et l'avenir reste empreint d'incertitude.

Mais tout à coup, la fourchette s'enfonce doucement dans la viande, lisse et juteuse, tandis que la crème chaude s'écoule en un ruisseau crémeux, déposant un voile nacré sur chaque bouchée. L'arôme délicat des épices s'élève dans l'air, enveloppant la pièce d'un parfum alléchant. Dans un premier temps, tu dégustes cette bouchée avec une insouciance presque mécanique, laissant la saveur exquise inonder tes papilles sans que tu y prêtes attention.

Puis, comme un lent éveil, ton regard se lève de ton assiette. Les yeux se posent enfin sur la personne qui a préparé ce buffet. Un sourire neutre, un qui ne dit rien.

" - Comment s'est passée ta journée ?

Manger sans appétit, l'absence de passion. Ton poignet, chargé de lassitude, découpe encore la viande, dont le jus s'écoule généreusement. La chair, d'un rouge intense, gît dans ton assiette, les fibres encore frémissantes, une danse fusionnelle des tissus. Les épices, insignifiantes, une farce qui n'évoque que l'indifférence.

Aucune exaltation dans tes gestes, simplement une mécanique de transition de l'ustensile à la porcelaine. Lentement, tu te laisses emporter par l'acte de manger sans appétit.

" - Tu sais, les cours. Rien de spécial.

Une non-réponse, les mots tombent à plat. Des paroles sans poids ni relief. Un soupir, un soupir presque d'ennui. Ton regard erre vers la fenêtre, mais la vue est terne. La mer à l'horizon, le phare se dessine dans la brume. Tout semble insipide, une absence de saveur.

En plein repas, tu te lèves. Tu te diriges vers la carafe d'eau, tout en continuant à mâcher les ligaments qui se coincent entre tes molaires.

L'Another Round, le bar le plus connu de la ville, se trouve à seulement deux rues d'ici. Tu pourrais t'y rendre ce soir, en solitaire, car ton appétit est insatiable. Parce que l'attention du brun ne te comble pas, parce que tu as soif de plus. Un instant, tu restes immobile, contemplant le bitume appétissant. Vous ne venez pas du même monde, c'est une certitude.

À peine ton reflet se laisse-t-il entrevoir dans la pénombre des réverbères déjà allumés. Ce n'est pas encore la nuit, c'est plutôt déprimant. Tu dînes à vingt heures un samedi. Un triste spectacle intérieur. Tu as besoin de te sentir séduisant, de te sentir désiré. Tu as soif de goûter à d'autres saveurs.

" - Je vais sortir ce soir.

Tu reviens à la réalité avant de te diriger vers le robinet, sans le regarder. Une forme d'infidélité digitale, l'eau commence à s'écouler. Elle est fraîche, tu pourrais dire, si cette fraîcheur ne venait pas taquiner ta peau marquée.

Le ruisseau d'eau s'écoule contre le verre, les bulles remontent en éclatant à la surface. Là, entre les parois glacées, l'eau semble prendre vie. Une vie, une fluidité qui t'échappe, alors que tu demeures figé dans ta routine, comme un acteur las d'un spectacle qui ne le comble plus.

Dans l'ambiance feutrée de la pièce, l'horloge semble suspendue, les aiguilles s'entremêlent en une danse sans fin. Le temps s'étire, se déforme, et tu sens qu'il est temps de quitter ce cocon de monotonie. Tu veux t'échapper, explorer d'autres horizons, sentir l'excitation d'un repas inconnu. Le bar est une invitation à un buffet presque nostalgique, d’une vie que tu as peu à peu abandonné pour te concentrer sur ta relation, à la découverte, à une autre facette de toi-même que tu as laissée en sommeil.

Le robinet se referme, la carafe d'eau est pleine, et tu te tournes finalement vers lui. Ton regard croise le sien, cherchant une réaction, un signe d'intérêt, mais il est absorbé par ses pensées, sa propre bulle d'indifférence. Vous partagez le même espace, mais chacun est perdu dans son propre univers, des mondes parallèles qui ne se croisent plus.

“ - Est-ce que c’est… ok, avec toi ?

L'ambiance est chargée de malaise, comme si tu t'apprêtais à avouer un crime que tu n'avais pas encore commis. L'incertitude plane, et tu ne sais pas vraiment si tu préférerais qu'il réponde par la négative ou par l'affirmative. Aucune dispute n'a éclaté entre vous, mais cette situation offre peut-être l'opportunité de... mettre les choses à plat.

L'idée te traverse l'esprit que tu te tiens face à lui comme si c'était ton père, une pensée déconcertante.

Ton soupir, étouffé par le poids du silence environnant, résonne tel un écho amplifiant ta propre déception. Il perdure, immuable, instaurant un vide pesant, quasiment palpable, devenu un fardeau solitaire que tu acceptes de porter avec une résignation teintée d'amertume.

Le flux du temps semble se dilater, se rallonger comme des élastiques tirés à l'extrême, suggérant l'étirement pénible de votre relation jusqu'à ce point critique où la rupture est à portée de main. Ton regard erre sur les vestiges du repas, des miettes éparpillées sur la table, formant un tableau chaotique qui reflète fidèlement la confusion qui règne dans ton esprit.

L'urgence de comprendre, de démêler le mystère des maux qui vous accablent, te dévore. Un profond désir de partage, d'expression de tes émotions, pourtant il demeure là, silencieux, insensible à l'impératif d'une conversation salvatrice. Ta soif insatiable de compréhension, de dialogue, reste insatisfaite, rebondissant sur lui comme sur un roc impénétrable.

En plein cœur de ce silence pesant, une tristesse profonde s'installe, plus poignante que le simple désir de chercher satisfaction ailleurs. Rien que l'idée de persévérer dans ces efforts, même pour une seule soirée, te submerge d'une lassitude incommensurable. Contraint, tu te mets à débarrasser la table, trouvant refuge dans cette tâche pour échapper à l'abîme de silence qui menace de tout engloutir.

C'est alors que, empreint d'une pointe d'amertume, tu lui poses la question :

“ - Où penses-tu te rendre?

Une hésitation presque palpable flotte dans l'air, une pause lourde de significations diverses. Pour cette nuit du moins, tu choisis de ne pas pousser plus avant. Les émotions complexes, les non-dits insurmontables, sont des fardeaux trop pesants à explorer en cet instant. À présent, il est trop tard, pour toi et pour lui, pour affronter les conséquences de cette déconnexion qui vous étreint.

Tu resserres tes doigts, sentant à peine tes ongles creuser ta paume, tracant à peine des sillons imperceptibles. Ton regard se pose sur les clés, ces jumelles de métal, symboles de ton double, et incertitude plane quant à tes intentions, à l'éventualité même de rentrer. Le tintement métallique des clés s'ajoute à une cacophonie de souvenirs passés, insufflant une touche d'amertume pour clore un repas dénué de saveur. Comme un lointain souvenir de la fête foraine, un prix gagné qui semble à présent dérisoire.

Baissant doucement les yeux vers tes pieds, tu te laisses submerger par la tempête intérieure qui te consume. Puis, d'un geste fluide, tu drapes ta veste sur tes épaules. Le froid extérieur trouve un écho dans la froideur métaphorique qui s'est érigée entre vous. Lorsque ton regard revient vers le sien, il demeure là, silencieux et immobile. Rien ne transparaît sur son visage, mais ton cœur se serre, imperceptiblement.

“ - Tu penses rentrer à quelle heure ?

D'un geste mesuré, tu t'attèles à fermer les boutons de ta veste, prenant quelques secondes pour ajuster chaque bouton. Entre deux pressions, tu passes délicatement la main sur le tissu, comme pour chasser d'éventuelles particules de poussière qui s'y seraient déposées.

Un moyen d'occuper tes mains et de donner l'impression de reprendre le contrôle, même dans ces instants de silence et de perplexité. Une manière de te réajuster, à la fois physiquement et émotionnellement, avant de prendre une décision sur la suite des événements;

Avec précaution, tes doigts se posent sur la poignée, ressentant l'empreinte glaciale du métal sur ta peau. L'appartement se dresse devant toi comme un vestige d'une époque oubliée, évoquant une architecture distinctement marquée par les années 30 aux États-Unis. Chaque détail, chaque finition semble raconter une histoire, transformant cet espace en un mémorial du temps passé. Le judas, bien fermé, ajoute une aura de mystère, cachant ce qui se trouve derrière et créant une tension palpable.

Devant cette porte, tu te sens pris au piège d'un dilemme intérieur, partagé entre le désir de l'inviter à entrer et l'intransigeance de ton ego. L'idée de te soumettre à ses caprices te répugne. Si quelqu'un doit faire le premier pas, c'est lui qui doit surmonter son orgueil et revenir vers toi.

Ce soir, tu désires être sous un jour radieux et jeune, bien éloigné de l'image d'un couple monotone et sans passion. Tu te perds dans le regard captivant de l'autre, inconscient que ces yeux, tels que tu les connais aujourd'hui, s'éteindront bientôt. Cette insouciance te rend aveugle à tes propres erreurs, à cette gourmandise insensée qui te fait méconnaître la véritable valeur de ce que tu possèdes.

Des souvenirs affleurent, dessinant des images de moments partagés, de rires sincères et de promesses murmurées à l'oreille. Malgré cette vague de souvenirs mélancoliques, tu demeures sur le pas de cette porte, résolu à maintenir une attitude distante et indifférente. La conscience de tes fautes, des paroles blessantes prononcées et des cicatrices infligées, te hante. Toutefois, ton penchant pour la gourmandise émotionnelle te retient, t'empêchant de fléchir.

“ - Passe une bonne soirée.

Ton cœur palpite avec une force presque oppressante, tandis que ton visage conserve une expression d'assurance presque démesurée. Tu inspires profondément, goûtant à l'air glacial qui remplit tes poumons, avant d'ouvrir la porte avec une confiance feinte. L'écho de ce geste semble résonner en parfaite harmonie avec le tumulte de tes pensées.

Tu poursuis ta route, laissant derrière toi le couloir éclairé, t'immergeant dans une solitude à la fois désolante et poignante. Mais tu sais que cette solitude est éphémère. Si tes yeux ne peuvent admirer la beauté qui t'entoure, d'autres seront séduits par ton charisme, te transformant en une simple image à contempler. Peut-être est-ce la fin d'une époque, un dernier vestige d'une époque révolue, où tu cherchais à être dévoré, à devenir le centre d'attention, un spectacle visuel pour les autres.