Malgré les années à avoir vécu au Canada, force était de constater que Taynara en avait vu bien peu de ce pays, notamment de ses plus grandes villes. La dissimulation au milieu des moldus était quelque chose d'aussi laborieux que rébarbatif pour elle et donc, par habitude, elle préférait les éviter tout court, quitte à, de fait, se refuser de visiter, par exemple, les larges avenues grouillantes de vie et de fête de Montréal ou d'Ottawa. Pas de demi sur une terrasse bondée de gens quêtant une chaleur dont la météo rude les privait ; pas de batailles de boules de neige à plusieurs dizaines de participants parce que tout plein de qualités que sont les sorciers, ils ont parfois du mal à se lâcher et créer de gigantesques rassemblements festifs, hormis les compétitions de Quidditch. On ne peut pas dire que la géante soit particulièrement envieuse de ces petites choses du quotidien canadien, car elle ne les avait jamais connus, mais sûrement que ça lui plairait et elle avait parfois, dans un coin de sa tête, ce regret de ce qu'elle n'expérimentait pas.

Alors, malgré avoir, de nombreuses fois, entendu les mérites d'Ottawa, Taynara ressentait une certaine fierté à avoir enfin une raison de mettre les pieds dans cette ville, comme si elle était invité dans un endroit qui lui était autrefois exclu. La famille de Nagini avait loué un portoloin pour qu'elle puisse rejoindre directement leur pavillon un peu à l'abri des regards. La géante n'était pas la plus grande fan de ces dispositifs qui lui donnaient des haut-le-cœur, mais de toute manière le sien était déjà suffisamment contrit par le stress. Elle qui affirmait ne pas trop comprendre l'appréhension qui avait gagné Nagini lorsqu'elle était venue chez son père, la voilà entièrement mise au parfum. Quelle sensation horrible ! Taynara savait, et pas besoin d'aller au plus profond d'elle-même pour ça, que tout se passerait bien. Alors pourquoi cette boule au ventre ? Pourquoi elle pouvait passer six heures par des températures négatives et revenir en pleine forme et là elle s'apprêtait juste à rencontrer les parents de Nagini et l'envie de se réfugier sous la couette la faisait avancer tout doucement vers le portoloin ? Une horreur, cette sensation, une horreur ! Il fallait s'en défaire au plus vite !

Alors, presque en courant vers la lampe de bureau qui l'amènerait en un instant vers sa petite-amie, elle attrapa le manche de l'objet et, après quelques minutes d'attente insupportable, elle s'envola dans le ciel en criant de détresse. Et madame souhaitait travailler avec les dragons ? La bonne blague ! Le voyage dura trente secondes ressenties dix heures d'interminables virevoltages. Puis, sachant qu'il fallait lâcher à cet endroit, Taynara se laissa tomber dans les airs et, peu adepte des atterrissages en douceur comme certains adeptes du portoloin, les Saputra purent admirer, dans leur jardin, une très grande femme s'approcher du sol, ralentissant, certes, mais pas assez et devant se réceptionner avec une roulade avant exécutée bon an mal an. Reprenant ses esprits, la géante attendit dans la position de réception un long instant, prenant une grande inspiration, puis elle se laissa aller à lever les yeux, ayant bien entendu deviner que, face à elle, se trouvaient trois silhouettes qu'elle appréhendait de regarder.

Sa tenue, elle l'avait étudiée pour que le trajet ne ravage rien de trop précieux. Un long pantalon noir, large, en tissu solide et son long manteau d'hiver qui n'avait pas souffert de son arrivée musclée dans la poudreuse. Les yeux de Taynara, dont le visage exprimait une gêne palpable cachée derrière un sourire tendre, se posèrent sur Nagini et ses parents. D'aucun dirait que c'était la faute du froid, mais ses joues rougirent presque aussitôt. Quelques jours seulement sans elle c'était beaucoup trop.

- … Bonjour tout le monde... ! Osa-t-elle finalement.

Son arrivée fut aussitôt suivie d'une scène qu'on pourrait qualifier de... mignonne. Alors qu'elle saluait timidement Nagini et ses parents d'un signe de la main, elle vit le père de sa chérie s'approcher d'elle. Et même si, de l'extérieur, cela pouvait sembler idiot... Les fois où Taynara avait vu un moldu, un vrai, se comptaient sur les doigts de la main, alors tandis que l'homme la dévisageait, l'air légitimement fasciné, Taynara en fit de même. Elle posa même un genou à terre pour l'observer plus attentivement. Dans les faits, rien ne le différenciait des autres êtres humains et Dieu sait ce que la géante espérait trouver chez Anggun, en qui elle voyait d'ailleurs les saisissants points communs qu'il partageait avec sa fille, mais ils échangèrent ainsi un moment d'observation mutuelle avant que la maîtresse de maison ne rappelle son mari à la raison. Puis Nagini se réfugia dans ses bras et Tay ne put s'empêcher de pousser un long soupir de bien-être.

- Ça va, il ne m'a pas trop retourné l'estomac, c'est déjà ça, mais j'avais quand même hâte d'arriver pour te retrouver...

Elle leva ensuite les yeux pour suivre la main de Nagini, saluant de la tête les deux parents lorsqu'ils furent nommés. Une émotion étrange barbotait dans sa poitrine, une sorte de stress très positif d'enfin les rencontrer alors qu'elle en avait tant entendue parler. Elle écouta attentivement leurs noms, qu'elle entendait peu au final car comme une vaste majorité des gens Nagini les appelait, dans les conversations, papa et maman. Elle leur offrit un large sourire typiquement taynaresque, en espérant qu'ils s'habitueraient à la joie de vivre presque envahissante de leur belle-fille.

- Enchantée, vraiment, et moi bah... c'est Taynara, répondit-elle avec un sentiment d'évidence plutôt gênant qu'elle tenta de balayer. J'avais très, très hâte de vous rencontrer.

La sincérité ça avait toujours été son arme pour se sortir des situations de stress. Ça avait souvent des effets... aléatoires, mais en tout cas personne n'y était indifférent. Elle serra tout doucement la main des deux parents, s'amusant de la réaction touchante du père de famille lorsqu'il eut pour la première fois sa main dans celle d'une géante. Ses yeux se levèrent ensuite vers la maison désignée par Nada. Ça lui faisait un petit quelque chose de voir là où Nagini avait grandi... Elle se souvint de tous les souvenirs qu'elle lui avait raconté. C'était comme voir l'envers du décor, poser ses yeux sur les lieux de tournage de son film préféré, c'était... particulier, et ça s'ajoutait évidemment au gentil tourbillon de sentiments tous aussi particuliers qui vrombissait derrière sa cage thoracique.

- Vous avez raison. Elle la vouvoya par réflexe. Je refuse de vous faire prendre froid juste pour m'accueillir !

Et avec un hochement de tête résolu elle suivit la petite famille jusqu'au pas de la porte menant au jardin et là une surprise l'attendait. Des enchantements avaient été apposés et la maison sembla s'étirer longuement, comme un chat paresseux, afin de la laisser entrer sans avoir à trop courber l'échine.

- Non... vous avez fait ça... pour moi ?

Le visage saisit d'une incrédulité reconnaissante, elle regarda tour à tour Nagini, puis son père et enfin sa mère. Ce furent bien sûr les femmes du foyer qui étaient les artisanes de ces aménagements, mais elle sut d'instinct qu'Anggun avait aussi apporté sa pierre à l'édifice, d'une façon ou d'une autre. Il n'était pas trop illusoire de penser que chacun s'était plié en quatre pour l'accueillir, quand bien même ça la gênait. Elle avait fait de même lorsque Nagini était venue chez son père après tout.

- Merci... soupira-t-elle finalement avec beaucoup de gratitude. Vous verrez, il paraît que vivre dans une mega maison est très amusant !

En tout cas elle l'espérait, le projet n'était pas de déranger les habitudes des Saputra. Elle passa finalement la porte avec précaution, comme si elle s'apprêtait à rentrer dans un magasin de porcelaine, mais ce fut juste le doux foyer de Nagini qui l'accueillit. Son cerveau bouillonnait de choses qu'elle voulait dire, qu'elle était empressée de faire, car même si les jours furent peu nombreux sans Nagini c'était une bouée de sauvetage auprès de laquelle elle voulait encore plus se trouver que d'habitude dans cet environnement où elle était la seule chose familière. La géante lui glissa un regard tendre et volubile sur toute l'impatience qu'elle avait ressentie de voir leurs retrouvailles arriver, mais elle ne lâcha pas un mot, ayant pas mal travailler pour laisser son corps seul exprimer ses sentiments plutôt que de toujours déployer quantité de mots parfois superflus.

Un frisson presque continuel parcourait le corps de la géante à chaque minute passée ici. Entre excitation et qui-vive de ne pas faire le geste de trop, pour détailler l'environnement et s'émerveiller de chaque petit détail aménagé par la famille Saputra, et elle n'était même pas encore à l'intérieur. Sentir Nagini près d'elle, puis sa main dans la sienne, lui procurait un frisson d'un nouveau type, plus irrésistible encore. Qu'il était bon de la retrouver. Un soulagement, presque. Taynara se rendit compte que, le peu de temps qui les avait séparés, elle avait été plus grognon, impatiente, moins lumineuse, et qu'elle retrouvait toute sa chaleur une fois la jeune femme près d'elle.

- Moi aussi je voulais absolument vous rencontrer ! A chaque fois que Nagini parlait de vous, ça me donnait un peu plus envie de voir ce jour arriver.

C'était le cas. La pomme ne tombe jamais loin de l'arbre et vu l'affection sans borne que Taynara vouait à sa petite-amie, elle mourrait d'envie de voir qui avait façonné cette petite femme qui lui donnait tant de bonheur, quand bien même elle douterait de chacune de ces affirmations silencieuses. La froideur de Nagini n'avait jamais été repoussante pour la géante, tout au plus nourrissait-elle quelques doutes, mais qui existeraient de toute façon, avec ou sans ce comportement. Peut-être même la géante aimait cet aspect de Nagini qui rendait donc chaque sourire, chaque baiser, chaque soupir de satisfaction mille fois plus significatif. Des victoires microscopiques et quotidiennes qui rendait Taynara toujours plus fiévreuse de prendre un peu plus soin de sa chérie à chaque fois. La remarque sur le père de cette dernière lui arracha un gloussement emprunt de compassion. Elle n'avait jamais côtoyée de moldus, elle préférait donc s'imaginer que ce dernier enviait sa famille de pouvoir faire de la magie. C'était la posture classique des sorciers lorsqu'ils ne connaissaient pas leurs semblables dépourvus de pouvoirs.

- Et ne vous inquiétez pas, Monsieur, ce que les sorciers ne disent pas c'est que la plupart sont tout autant fascinés par les moldus, et moi la première, je ne connais personne comme vous !

Elle lui adressa un clin d'oeil. C'était vrai. De sa vie Taynara n'avait fréquenté les moldus que les rares premières années où sa taille paraissait intrigante, mais pas non plus surnaturelle. Et elle n'en avait pas gardé un très bon souvenir, souvent rejetée par ces éphémères camarades de jeux qui trouvait la déjà géante trop bizarre et effrayante. Et que dire des petits garçons qui avaient déjà imprimés l'idée qu'il leur faudrait surpasser les filles en force et en taille et qui voyaient cette réalité artificielle s'envoler face à elle ?

Balayant ces souvenirs étiolés d'un revers figuratif de la main, elle suivit ses hôtes, Nagini à ses côtés, jusqu'à rentrer dans leur maison qui -et c'était toujours aussi impressionnant- avait vu son intérieur tripler de taille... rien que pour elle. Pourtant, malgré l'étendue, une puissante chaleur réconfortante émanait de l'endroit, ainsi qu'un flot d'odeurs d'abord déstabilisant, puis accueillant. Ça sentait... le foyer, dans tous les sens imaginables. La poussière éparpillée ça et là, survivante du ménage qui avait précédé son arrivée, cette odeur que tout avait été retourné, lavé avec une lessive qui ne semblait être utilisée que par cette famille, puis que le chat qui occupait le salon s'y était frotté à nouveau, que les parfums venant de la cuisine avait tout imprégné et que ce n'était pas grave, et puis il y avait l'odeur des occupants, chacun la sienne propre, toutes mélangées, mais qui donnait à l'ensemble une aura accueillante.

- Moh, je suis... un peu gênée, vous n'aviez pas besoin de faire tous ces efforts, je peux très bien m'accommoder de la plupart des choses dans leur taille normale, vous savez. Je dis ça pour... les prochaines fois ?

La ce n'était pas seulement la charrue avant les bœufs, c'était le veau en lieu et place des bœufs et derrière la charrue pas encore terminée de construire. A peine arrivée elle évoquait déjà la possibilité qu'il y eut des prochaines fois. D'un coup, son visage vira vers le cramoisi, un vent de panique soufflant à l'intérieur de tout son corps, elle se raidit un instant, ne regardant plus personne, profitant de sa taille, et laissant son regard faire comme si elle examinait toute la pièce avec attention, alors qu'elle voulait juste se faire oublier. Et, pour l'y aider, Nagini se glissa à son oreille -qu'elle dut rapprocher en se baissant- pour y glisser une taquinerie sur son pauvre père.

- Tant qu'il le prend bien ! Répondit Taynara encore préoccupée par ses propres âneries qui semblaient pourtant n'avoir interpellé personne.

Se détendant tout doucement, Taynara s'autorisa à s'imprégner un peu plus de l'endroit, de l'atmosphère accueillante. Elle aussi... se demanda un instant comment Nagini avait pu développer une telle distance avec ses confrères et sœurs en humanité alors qu'elle venait d'un tel milieu. Elle se tourna vers toute la petite famille et allongea sa valise qu'elle traînait derrière elle depuis son arrivée. Elle était suffisamment vaste pour en ranger au moins deux sur les trois, mais elle n'avait pas amenée tant d'affaires que ça. Pliant les genoux, ses doigts défirent la fermeture sans qu'elle n'explique immédiatement ce qu'elle faisait.

- En tout cas merci, j'ai déjà l'impression d'être accueillie comme une reine et je viens à peine d'entrer... J'ai apporté quelques cadeaux, parce que je savais qu'il y aurait du niveau à égaler !

Elle sortit alors une petite pochette en cuir qu'elle ouvrit précautionneusement et qui contenait un duo de colliers. Elle se releva et les montra à ses hôtes, un pincement d'excitation dans la voix.

- Ce sont de vrais pendentifs en écailles de dragon, je connais personnellement les propriétaires, je pourrais vous montrer des photos !

La géante tendit le premier pendentif, assorti d'une écaille verte luisante, de la taille d'une balle de ping pong, au père de Nagini. Elle laissa tout le temps nécessaire à ce dernier pour admirer l'objet, fascinée elle-même par l'effet que n'importe quoi produisait sur ce monsieur d'un âge avancé maintenant.

- Monsieur, le dragon qui a laissé cette écaille se prénomme Larry, c'est un Vert Gallois, une espèce très belle et paisible. Larry est un dragon incroyable qui gagne rapidement l'affection de ceux qui le rencontrent.

Tout ce qu'elle souhaitait pour leur future relation de... beau-père/belle-fille, finalement. Et c'était déjà bien parti, tant les réactions de ce dernier arrachaient à Taynara des mimiques attendries de la même espèce que quand Nagini faisait... n'importe quoi, en fait. Après que le premier pendentif eut été donné, la géante se tourna vers Nada pour lui tendre son cadeau à elle. Un pendentif également, avec une écaille opaline aux multiples reflets iridescents. Même Taynara était impressionnée par le bijou qu'elle offrait en cadeau.

- Quand à vous, Madame, c'est une écaille d'Opaloeil des Antipodes, la dragonne se prénomme Cléopâtre. Je me suis dit que pour vous il fallait les plus belles écailles du monde des dragons, rien d'autre.

Taynara faisait de son mieux pour apparaître aussi polie et montrer sa gratitude. Les pendentifs étaient artisanaux et fabriqués par une amie passionnée de bijouterie grâce à des écailles récupérées lors de la dernière escapade estivale au Nunavut. La géante croisa les doigts dans son dos pour que les présents soient appréciés. En attendant d'en avoir la certitude, elle aussi se baissa près de l'oreille de Nagini pour lui faire une confidence.

- C'est aussi une espèce où les femelles sont dominantes, j'ai pensé que ça irait bien, s'amusa-t-elle avant d'enchaîner, pour toi aussi j'ai un cadeau, mais je te le donnerai plus tard, quand on sera tranquilles.

Rien de bien confidentiel, comme cadeau, mais Taynara préférait avoir le plus de retenue possible en terme de preuves d'amour ici, car ne sachant pas ce que sa moitié pourrait considérer comme gênant face à ses parents. Elle lui laissait la complète initiative et s'adapterait à tout, bien trop motivée à l'idée de paraître comme la gendre parfaite. L'idée l'amusait.