Chaos.

Tout était totalement hors de contrôle autour de vous. C'était le bazar, c'était bruyant, mais pourtant, tu aimais ça Firmin. C'était différent de quand c'était des élèves qui foutaient le Bronx. Là, c'était des animaux, tu étais dans ton élément. Bon, tu te fichais un peu des niffleurs. C'était un animal que tu affectionnais beaucoup en temps normal, mais comparé aux botrucs, ils n'étaient rien. Les botrucs. C'était la première fois que tu voyais ces créatures merveilleuses en vrai. Tu en avais rêvé toute ton enfance. Ils étaient mieux que dans les livres, mieux que dans ton imagination. Alors que c'était la cacophonie, à cause des niffleurs se battant pour quelques breloques, tu tendais ta main à ces petits êtres proches des branches. Certains s'agrippèrent à tes doigts, montant sur ton bras… C'était le plus beau jour de ta vie. Tu ne souriais pas, mais tes grands yeux marrons pétillaient de bonheur. Les botrucs étaient tes amis, enfin, au moins celui qui acceptait de t'utiliser comme perchoir. Mais Meulin avait l'air de ne pas être aussi zen que toi, entourée de toutes ces créatures. Elle te stressait un peu, même. N'était-elle pas heureuse de se faire plein de nouveaux amis animaux ? Peut-être qu'elle n'aimait que les chats.

- Je peux les garder si je les récupère ?

Vu sa tête, la réponse était sûrement non. Dommage. Dire que tu l'as trouvée cool tout à l'heure, quand vous étiez avec Fricadelle.


Tu venais de finir les cours, Firmin, et tu trainais dans le parc à la recherche de nouveaux amis. Des amis animaux, bien sûr. Tu savais que, vu la température, si tu cherchais des amis humains, tu pourrais facilement les trouver dans le dôme ou dans ta salle commune. Mais les humains ne t'intéressaient pas. Ils étaient bruyants, trop agités, et surtout beaucoup trop compliqués à comprendre. Quand tu échangeais avec eux, il fallait maîtriser les codes sociaux, être poli, comprendre les sous-entendus, le second degré… Pourquoi les gens ne disaient pas simplement ce qu'ils pensaient au lieu de tout rendre compliqué ?

C'est pour ça que tu étais accroupi dans l'herbe du parc, à essayer de gagner la confiance d'un nouvel ami. Un chat. Avec des petits vêtements rigolos. Tu ne connaissais pas son propriétaire, mais l'animal était mignon. Avait-il vraiment un propriétaire, vu qu'il se baladait tout seul dans le parc ? Peut-être qu'il pouvait tout simplement devenir ton chat, si tu devenais assez ami avec lui. Tu l'appelais donc, à grand renfort de “pspsps”, tout en lui tendant la main pour qu'il approche.

Soudainement, une voix féminine te fit relever les yeux du chat, pour les poser sur ton interlocutrice. C'était la dame chat qui te parlait. Elle faisait de la couture aussi, tu l'aimais bien.

- Il s'appelle Fricadelle ?

Tu connaissais maintenant le nom de ton nouvel ami félin ! Tu aurais donc voulu le rappeler tout de suite pour attirer son attention, en utilisant son nom, mais la demoiselle vient te frotter une plante sur les mains. Tu la laissas faire, interloqué, avant de renifler tes mains pour savoir qu'est-ce qu'elle avait frotté contre ta peau. Ça sentait bon, tu avais presque envie de te lécher les doigts. Mais tu ne le fis pas, car Fricadelle avait dû sentir lui aussi sentir l'odeur de l'herbe vu qu'il vient instinctivement se coller contre toi, enfin surtout tes mains. Meulin était sûrement une grande magicienne très puissante pour réussir à apprivoiser les animaux comme ça. Tu la fixais avec des grands yeux brillants.

- Donne-moi l'herbe magique.

Tu fixais le chat, maintenant que tu connaissais son prénom. Fricadelle… C'est vrai qu'il avait une tête de grosse saucisse. Tu aimais tous les chats, c'est vrai. Mais lui, avec ses petits vêtements et sa face écrasée comme s'il s'était pris une vitre… Il n'avait pas l'air d'avoir inventé l'eau chaude. Mais ce n'est pas grave Firmin, c'était ton nouvel ami et tu allais l'aimer quand même. On ne discrimine pas les animaux même s'ils sont moches, ce n'est pas très gentil de faire ça. Et tu étais quelqu'un de gentil, Firmin. Ton grand-père te le disait souvent.

En tout cas, alors que tu papouillais Fricadelle le chat-saucisse, la dame chat te donna quelques brins d'herbe magique, que tu rangeas précieusement dans ta poche pour plus tard. C'était ton nouveau précieux trésor, tu allais devoir y faire très attention. Et tu allais devoir trouver quelque chose aussi, pour remercier la jeune fille. Une jolie fleur ou un beau caillou qui brille, par exemple. Ou peut-être quelque chose en tricot ou en crochet, elle avait l'air de bien aimer la dernière fois que tu lui avais montré. Un bonnet avec des oreilles de chat pour la dame chat, ça te semblait être le présent parfait. Il fallait que tu notes ça dans un coin de ta tête, pour ne pas oublier. Ou alors, tu pouvais lui donner le bonnet que tu portais actuellement et t'en retricoter un à toi plus tard. C'était possible aussi, mais tu risquais d'avoir froid aux oreilles. Tu n'aimais pas ça, avoir froid aux oreilles.

- Apprends-moi à faire pousser l'herbe magique.

Tu te relevas, avec Fricadelle dans les bras, pour la suivre jusqu'aux enclos, impatient. Qui dit enclos, dit aussi animaux et donc plein de nouveaux amis à te faire. Tu allais pouvoir tester l'herbe magique avec eux. Enfin, il fallait d'abord que tu te concentres sur comment la faire pousser. Mais c'était compliqué, car dès que tu arrivas près des enclos, tu essayas de "pspsps" tous les animaux que tu pouvais approcher. Hippogriffes, niffleurs, acromentules… Tu avais l'air de n'avoir aucune notion du danger, tu voulais juste te faire des amis. Tu avais d'ailleurs totalement perdu de vue ton objectif principal en arrivant ici. Tu avais Fricadelle dans tes bras, tu étais entouré de dizaines de nouveaux amis potentiels… Tu vivais ta meilleure vie, Firmin.

- L'herbe magique marche sur les autres animaux ?

Si la jeune fille te répondait qu'elle ne savait pas, tu irais escalader les barrières des enclos pour tester toi-même. Il fallait faire des expériences dans la vie. Laisser des questions sans réponse, tu n'aimais pas cela. Papy disait qu'il fallait être curieux pour devenir un petit sorcier intelligent. C'est en s'intéressant aux choses qu'on accumule des connaissances. Comme par exemple sur les botrucs, tes créatures préférées. Tu n'en avais jamais vu en vrai, vu qu'ils ne vivaient pas dans ta forêt en Alaska. Mais tu avais lu beaucoup de livres sur eux, vu des dessins et des photos. Tu connaissais tout d'eux, c'était des animaux formidables et…

- Botrucs !

Tu te précipitas vers leur vivarium, en courant. Tu ne savais pas qu'il y en avait à Ilukaan ! Tes yeux pétillaient de bonheur, c'était les meilleurs amis que tu pouvais avoir dans ce monde. Tu ouvris donc la porte qui te séparait d'eux, pour les "pspsps".

C’était fou Firmin, de voir qu’en quelques secondes à peine, l’herbe magique qui était devenue ton précieux trésor n’avait plus aucun intérêt à tes yeux. Il t’avait suffit d’apercevoir les botrucs pour oublier totalement la plante qui t’avait enchanté un instant plus tôt. Être ami avec les chats, c’était bien, mais être ami avec les botrucs, c’était encore mieux. Tu relâchas même Fricadelle quand tu vis les bâtons vivants, pour te précipiter vers leurs vivariums en entrant dans un enclos. Dire que tu voulais faire plein d’expériences pour voir si l’herbe à chat marchait sur les autres animaux… Cette idée fut totalement chassée de ta tête, pendant que tu ouvrais la porte qui te séparait de tes nouveaux amis.

Quelques-uns eurent le temps de sortir de leur vivarium, mais la dame chat fut assez rapide pour limiter les dégâts en refermant rapidement la porte. Tu la fixas de tes grands yeux marrons, Firmin, ne comprenant pas pourquoi elle faisait cela. Tu n’avais pas le droit de te faire de nouveaux amis ? Pourtant, tout le monde te disait que c’était ce qu’il fallait faire à l’école, que c’était d’ailleurs pour ça qu’on y envoyait les enfants. Ça leur permettait d’apprendre à sociabiliser correctement. Et toi, tu voulais sociabiliser avec les botrucs. Mais malgré ton air légèrement grincheux et un peu perdu sur le visage, tu ne protestas pas face aux ordres de la jeune fille. Elle avait l’air vraiment paniquée. Il y avait un problème ? Tu n’en voyais aucun, toi. Les botrucs en liberté se dispersaient autour du vivarium pour essayer de trouver un arbre à protéger. Certains grimpaient même sur toi, pour essayer de prendre de la hauteur et de se rapprocher des branches hors de leur portée. Tu étais aux anges, Firmin, alors que tu servais de perchoir à ces adorables créatures.

Mais même si tu vivais ta meilleure vie, tu obéis quand même à Meulin en essayant de rassembler les petites bêtes. Tu ne comprenais pas pourquoi elle était paniquée comme ça, mais tu n’aimais pas l’agitation, alors si lui obéir la rendait plus calme, il n’y avait pas de raison de ne pas suivre ses ordres. Tu ne remis pas tes nouveaux amis dans leur cage, par contre, tu les laissais grimper sur toi, s’agripper à tes vêtements et tes cheveux pour prendre de la hauteur. Heureusement, il n’y avait pas d’arbres à proximité qu’ils auraient pu définir comme leur nouvelle maison et se mettre à protéger. Tu savais que les botrucs pouvaient devenir violents, s’ils considéraient qu’on s’attaquait à leur arbre. Et tu les comprenais, à vrai dire.

Déjà, c’était leur maison. Personne n’aimait qu’on s’attaque à sa maison. Puis surtout, la nature était précieuse. Elle était le plus grand miracle de la vie. Plantes, insectes, animaux, champignons… Tous vivaient dans une harmonie complexe, un équilibre fragile qu’il ne fallait absolument pas perturber. La forêt était le plus bel écosystème du monde, mais chaque arbre individuellement était aussi un petit univers magnifique à son échelle. De ses racines à ses feuilles, on pouvait trouver tellement de formes de vie différentes. Certaines ne se voyaient jamais, d’autres se côtoyaient. Tu ne pourrais jamais te lasser de l’émerveillement que tu ressentais devant chacun des grands arbres. Ils avaient été plantés avant ta naissance et la plupart te survivraient. C’était des témoins de l’histoire du monde, en plus d’être les protecteurs de plus petits êtres. Alors tu comprenais sans problème pourquoi les botrucs dédiaient leurs vies à ces plantes. Tu aimerais même pouvoir faire la même chose.

En tout cas, c’était recouvert d’une demi-douzaine de botrucs que tu regardais Meulin se battre avec les niffleurs pour récupérer son argent. Tu ne comprenais pas vraiment pourquoi elle faisait cela, car pour toi leur bonheur était clairement plus important que quelques pièces. Mais c’était aussi une des raisons de pourquoi ton papy gérait d’une main de fer ton argent de poche. Il te donnait toujours juste ce dont tu avais besoin pour acheter les choses qui te manquaient, mais jamais plus pour que tu le dépenses inutilement. Enfin, toi tu ne trouvais pas ça inutile de donner quelques pièces à tes amis les niffleurs.

- J’ai les botrucs.

Tu ne savais pas pourquoi elle voulait que tu les récupères, mais tu les avais. Tu ne savais même pas si elle t’avait entendu. Tu avais compris que la jeune fille ne comprenait pas toujours quand on lui parlait, mais tu ne t’étais jamais demandé pourquoi. Tu avais juste intégré qu’il fallait lui parler en face. Tant qu’elle te comprenait, c’était le principal finalement. Tu ne vois pas pourquoi tu aurais dû te poser plus de questions.

- Je peux les garder ?

La jeune fille avait en une seule phrase anéanti toutes les infimes traces de joie sur ton visage. Tes yeux ne brillaient plus et ton air redevint très légèrement boudeur. Quelqu'un de peu attentif n’aurait sûrement même pas vu la différence en réalité, mais tu étais triste. C’était un comble, vraiment, tu étais malheureux alors que tes animaux préférés t’avaient élu comme perchoir. Tu aurais dû vivre ta meilleure vie, profiter de l’instant et rester toute la journée avec les petites créatures en forme de branche. Mais la dame chat avait détruit tes rêves d’un simple non, alors qu’elle venait un à un te prendre tes amis pour les remettre dans leur vivarium. Tu les sentais petit à petit être de moins en moins nombreux sur toi, et cette constatation te brisait le cœur.

- Mais madame Vega a déjà plein d’amis.

Tu avais bien vu tous les animaux qui se trouvaient dans les enclos autour de vous. Hippogriffes, acromentules, niffleurs, botrucs… Tu te doutais qu’elle avait même encore plus d’amis animaux car il y avait d’autres enclos plus loin que tu n’avais pas encore approché pour voir leur contenu. Serait-elle vraiment triste si elle te donnait juste une petite dizaine de ses amis botrucs ? S’en rendrait-elle même compte ? Puis si elle s’intéressait vraiment à ses amis animaux, pourquoi la professeure n’était pas actuellement dans les enclos ? Tu y passerais toute ta vie toi, si tu pouvais. Tu n’irais même plus en cours si tu avais des amis botrucs dont t’occuper. Papy ne serait peut-être pas très content, mais toi tu le serais. Et être heureux dans la vie, c’était le principal, non ?

- Et si j’achète un vivarium comme cela, je peux les garder ?

Tu n’aurais sûrement pas assez d’argent de poche sur toi actuellement pour aller acheter un tel équipement, mais ça valait le coup d’essayer. Tu pourrais tout tenter pour ne pas perdre tes amis créatures magiques. Mais Meulin te fit comprendre que c’était non, que même si tu pouvais avoir le bon environnement pour les botrucs, tu ne pouvais quand même pas voler ceux de la professeure. Franchement, tu ne voyais pas le problème toi. Personne ne pouvait être plus dévoué que toi à ces animaux. Mais rapidement, la dernière petite branche qui prenait place dans ta tignasse fut récupérée par les mains délicates de la dame chat, qui remit l’animal dans un vivarium. Elle t’avait repris tous tes amis et elle les avait enfermé de nouveau dans ces grandes boîtes transparentes. Tu étais sûr que les botrucs aussi étaient plus heureux dans tes cheveux que dans leur vivarium. Pourquoi Meulin voulait-elle autant tous vous rendre malheureux ?

Elle t’avait pourtant donné l’herbe magique plus tôt, elle appréciait tes passions comme le tricot et le crochet. Tu ne te sentais pas trop étrange quand tu parlais à la jeune fille, ce qui était plutôt rare à Ilukaan. Beaucoup d’autres élèves te regardaient comme si tu étais bête ou que tu venais d’une planète extraterrestre, mais pas elle. Alors tu avais du mal à comprendre pourquoi cette jeune fille si gentille brisait soudainement tes rêves en t’arrachant à tes amis botrucs. À vrai dire, tu te sentais comme avec ton grand-père, quand il t’empêchait de ramener à la maison les animaux de la réserve. Et tu n’aimais pas du tout cette émotion. Alors, même si elle te proposait d’aller voir les autres animaux présents dans les enclos, ce qui t’aurait habituellement enchanté, tu déclinas son offre d’un non ferme, en la regardant dans les yeux. Non, tu ne voulais pas d’autres amis animaux que les botrucs. Et non, tu ne voulais plus passer de temps avec elle, du moins pour l’instant. Tu étais triste et elle était responsable de cela. Une petite partie de toi, un peu vicieuse, voulait qu’elle comprenne qu’elle venait de te priver de tes nouveaux amis. Qu’elle ressente elle aussi quelque chose de négatif, comme toi tu le ressentais actuellement. Papy t’aurait dit que ce n’était pas bien de faire cela, mais il n’était pas là pour te raisonner actuellement.

- Merci pour l’herbe magique.

À peine cette phrase prononcée par pure politesse, alors que tu la fixais toujours dans les yeux auparavant, tu tournas les talons, sortant de l’enclos pour retourner vers ta maison. Tu n’avais même plus envie de te faire des amis parmi les animaux domestiques que tu allais rencontrer sur ton chemin. Ce n’était pas encore ça pour toi, Firmin, la gestion de la frustration.