Tu ne t'attendais pas à recevoir un message de Finnegan maintenant, Lélio. À vrai dire, vu que vos rendez-vous du vendredi soir étaient habituels, vous ne vous contactiez même plus pour choisir un horaire et un lieu pour vous retrouver. À la place, tu préférais lui envoyer des sms au réveil pour savoir s'il avait bien dormi ou le soir pour lui souhaiter bonne nuit. Tu ne t'étais jamais su si niais, Lélio, avant d'être en couple avec eux. Tu te moquais de Percy car il était un vrai canard avec sa copine, mais au final, tu n'étais pas vraiment mieux avec Finnegan et Lovino. Tu te laissais peut-être un peu moins marcher sur les pieds que ton pote, mais tu cédais presque à toutes leurs envies.

Bref, toujours est-il que tu venais à peine de fermer ton livre de botanique, quand ton téléphone vibra dans ta poche. Oui, tu révisais dès que tu sortais de cours le vendredi soir. Certains préféraient ne rien glander de cette soirée pour bien profiter du weekend, mais toi tu ne pouvais pas te le permettre si tu voulais garder un minimum de vie sociale tout en améliorant tes notes. Tu avais clairement du pain sur la planche avec ça. Tu rangeas donc ton manuel de cours sur ta table de nuit, avant de checker ton smartphone pour savoir ce que Finnegan te voulait. À vrai dire, le contenu du message te fit un peu tomber des nues. Il voulait annuler votre soirée juste parce qu'il était de mauvaise humeur ? C'était quoi cette histoire ? Combien de fois, toi, tu l'avais retrouvé alors que tu étais en pleurs ou au fond du gouffre ? Alors pourquoi lui, quand il se sentait pas ouf, il te proposait d'annuler ? Hors de question. Tu lui répondis que tu voulais quand même le voir, et qu'il avait donc intérêt à pas te poser un lapin, avant de te lever de ton lit pour préparer votre rencard.

On aurait pu penser que ton premier réflexe aurait été de te pomponner et de te faire beau pour sortir avec ton bien aimé. Mais ça ne t'avait pas du tout traversé l'esprit. Tu troquas ton uniforme contre un jogging, des baskets et un t-shirt, le tout beaucoup trop coloré, puis tu jetas dans ton sac à dos plusieurs objets dont vous aurez besoin pour votre sortie. Parce que oui, tu avais décidé de bousculer la routine pour une fois. Pas de tente, pas de soirée devant une série ni rien. Tu allais changer les idées de Finnegan.

Tu fus le premier arrivé sur la plage, à votre lieu de rendez-vous habituel, mais le petit brun te rejoint vite pour t'embrasser sans même un bonjour. Houla, il se passait vraiment un truc là. C'était pas le genre de Finnegan de t'embrasser en plein air, il préférait les coins à l'abri des regards pour cela. Mais une fois la surprise passé, tu répondis quand même au bisou, en le serrant dans tes bras.

- On plante pas la tente aujourd'hui, je t'emmène quelque part ! Enfin, si ça te va, hein… Si tu préfères juste qu'on regarde une série dans la tente, on peut.

Cela serait moins fun et tu avais peur que ça ne change pas les idées de l'Ursirre mais certaines personnes n'aimaient pas être secouées, quand elles allaient mal. Finnegan faisait peut-être partie de cette team. Finalement, quand le brun te fit comprendre qu'il voulait bien te suivre vers ta surprise, tu sortis un de tes grands sweat à capuche bariolé de ton sac, le tendant au garçon.

- Faut qu'on passe par Bloombury pour y aller, par contre. Mais avec ça, si tu mets la capuche, personne ne te reconnaîtra, non ? J'ai des lunettes de soleil aussi, si tu veux ! Mais j'ai peur que ça fasse trop et que ça soit bizarre, du coup…

Une fois le sang-pur déguisé, tu lui pris la main pour le guider vers votre destination. Comme tu lui avais dit précédemment, vous passâtes dans les rues de la ville, avant de finalement tourner dans une ruelle clairement étroite et peu fréquentée. C'est là que le chemin devait devenir très étrange pour Finnegan, vu que tu lui fis prendre un escalier de secours pour monter sur le toit d'un premier bâtiment. Puis il fallait passer par-dessus un muret de plus d'un mètre pour arriver à un autre toit… Pour toi, c'était habituel tout ça, mais pour lui, c'était une autre paire de manches. Mais tu n'étais pas un sauvage, hein. Tu l'aidais à chaque obstacle pour qu'il le passe avec le moins de difficulté possible.

- On est presque arrivés !

- Tu es très beau, comme toujours. Tu devrais pas t'inquiéter pour ça.

Pour être sincèrement honnête, c'est ton pull qui rendrait n'importe qui moche, Lélio. Mais toi tu l'aimais bien, et tu aimais Finnegan, alors tu ne pouvais trouver que beau ce combo. C'était un peu comme les muffins myrtilles-bacon. Bon plus bon, ça fait forcément bon. C'était une règle de base des maths. Toujours est-il que, ce que tu aimais surtout quand tu voyais Finnegan avec ce pull bariolé, c'était de voir l'Ursirre avec un de tes vêtements. Même si le but de ce haut était de le camoufler, car personne ne reconnaîtrait son identité dans une telle tenue, tu le revendiquais comme tien au moins pour cette soirée. Les gens qui l'apercevraient se diraient qu'il porte le pull de son copain et que c'est mignon. C'était cette simple idée qui te faisait plaisir. En tout cas, le petit brun fut tactile tout le long du trajet, et ce n'était pas pour te déplaire. Tu éclatas même de rire à son commentaire quand il rentra dans la ruelle avec toi.

- Bah si, voyons. J'adore les petites rues dignes des pires films d'horreur, c'est si romantique de se dire qu'on peut se faire égorger et que personne ne risque de retrouver nos corps ici.

Tu levas les yeux au ciel, amusé, avant de lui montrer la suite du chemin. Pour toi, c'était une promenade de santé, mais pour Finnegan, ce fut un peu plus compliqué. Surtout qu'il trimballait son violon en plus. Tu l'aidas donc à passer les obstacles pour que son bagage et lui atteignent votre destination sans encombres, puis une fois arrivés tu lâchas sa main pour sortir un briquet de ta poche.

- Légalement ? Non. Mais on fait de mal à personne, ce bâtiment était déjà vide quand je suis arrivé à Ilukaan.

Tu longeas les murs, connaissant le lieu comme ta poche, pour trouver les quelques bougies que tu avais laissées dans ce bâtiment. Tu n'avais investi que le dernier étage, pour l'instant, et tu ne voyais pas l'intérêt de descendre pour l'instant vu qu'il restait encore des murs vides. Car oui, quand tu allumas les petites loupiotes, Finnegan put voir que certains murs étaient recouverts de fresques. La plupart de ces dernières étaient de toi, mais on pouvait voir qu'un autre peintre avec un trait différent était aussi venu ici. Un autre artiste que tu connaissais bien, vu que tu l'avais emmené toi-même ici. Bon, il est vrai qu'il serait bien plus simple d'illuminer la pièce avec de la magie, mais vu ta maîtrise de la baguette, les petites bougies te semblaient être un choix plus facile que de tenir un lumos pendant des heures.

- C'est mon atelier ! Enfin, le lieu n'est pas vraiment à moi, mais c'est moi qui ai graffé la plupart des œuvres. Je voulais te montrer un truc qui changeait mais… Peut-être que ça te plaît pas. Si c'est le cas, on peut faire demi-tour et retourner planter la tente à la plage, hein.

Tu étais toujours aussi sûr de toi, Lélio. Ce n'était pas vraiment de ton talent d'artiste que tu doutais, mais de toi tout court. Et si jamais Finnegan n'en avait rien à faire du graff ? Peut-être qu'il allait juste considérer cela comme des gribouillis sur un mur et être déçu de ta surprise. C'était un musicien, certes, mais ça ne voulait pas dire qu'il aimait les autres styles d'art comme la peinture. Puis il fallait garder en tête que pour un sang-pur ayant reçu une éducation très classique et élitiste, le graff n'était peut-être même pas une forme d'art, selon ses critères.

Toi qui redoutais la réaction de Finnegan, Lélio, tu fus à la fois surpris et soulagé quand il vint te prendre dans ses bras après avoir observé tes fresques. Il les qualifiait même d'œuvres d'art ! Ça te faisait presque rougir. Pour toi, c'était des émotions et des ressentis que tu étalais sur les murs, pour ne pas exploser. Tu ne voyais pas cela comme de l'art, mais comme un moyen d'expression. Mais Finnegan, comme Lovino, te voyait comme un artiste en herbe en regardant ton travail, alors tu ne pouvais que t'en sentir flatté.

- Tu trouves ? C'est juste de la peinture sur un mur, hein… Bon, je réfléchis un peu avant de peindre, pour pas faire de gros pâtés… Enfin, pas toujours. Des fois, paf, ça part comme ça ! Je le mets directement sur le mur et je suis mon instinct.

Tu l'observais regarder tes fresques, un peu celles de Lovino aussi, mais il s'en détourna vite. Comme s'il avait compris que vous aviez été deux à travailler ici. En même temps, tu trouvais le travail de l'italien beaucoup plus raffiné que le tien. Toi, c'était abstrait, plein de couleurs et d'émotions. Les silhouettes étaient souvent floues, les perspectives parfois inexactes… Alors que l'autre Lupy, lui, il était dans les détails et la finesse. Tu pensais d'ailleurs que Finnegan préférerait ses œuvres à lui, plutôt que les tiennes, mais l'irlandais avait peut-être compris que ce style était celui de Lovino et pas le tien.

- Ouais, c'est du graff ! Enfin moi, j'appelle ça comme ça. En vrai, je veux juste représenter ce qui m'inspire, je m'en fous un peu de comment on nomme ça.

En tout cas, tu le regardas un peu surpris, quand il parla de musique. Tu avais l'impression de voir un choc entre deux mondes. Dans ce vieux bâtiment en ruines et aux murs bariolés, il allait jouer du violon ? Pour toi, son instrument, c'était quelque chose que tu associais à la richesse et au raffinement. Finnegan et sa passion étaient un peu des intrus dans le décor. Dans ton décor. Tu trouvais cela beau, tu ne savais pas comment le décrire avec des mots.

- Tu vas jouer du violon ? Et… Ouais, pour ce graff, je… C'est compliqué. On peut dire que j'étais triste que les bons moments soient derrière moi.

Tu avais du mal à vraiment t'expliquer sur cette fresque. On y voyait une espèce de tente ou de drap, flottant au milieu d'un grand ciel étoilé. Pas de sol, ni rien qui indiquait dans quel sens il fallait regarder cette œuvre. Et sous la protection des tissus, on voyait deux silhouettes enfantines, dont la plus grande avait une lampe de poche et un livre. Il n'était pas compliqué de comprendre que c'était toi et ton frère, quand on connaissait ton histoire. Un regret de votre relation d'avant, avant que tes pouvoirs ne se réveillent et qu'ils l'effraient. Les paroles de Finnegan te ramenèrent un peu à la réalité, alors que les émotions te revenaient en regardant ton travail.

- Euh… Tu veux que j'utilise ma magie, vraiment ? Je sais déjà à peine faire changer la couleur de la peinture de ma bombe magiquement, c'est pas un peu risqué ?

Pourquoi tous tes mecs voulaient mélanger arts et magie, Lélio ? C'était déjà Lovino qui t'avait appris à faire changer la couleur de ta bombe en fonction des émotions que tu ressentais. Tu avais peut-être vraiment un type de mec, Lélio, finalement.

- Tu voudrais faire ça comment ?

Beaucoup de choses pouvaient mal se passer, vraiment. Finnegan sous-estimait l'envergure des catastrophes que tu pouvais créer. Ou alors, il surestimait ta capacité à contrôler ta magie, ce qui était clairement possible aussi. À moins que ce ne soit toi qui te sous-estimes tout court. Mais tu te connaissais mieux que lui te connaissait, non ? Donc c'était toi qui devais avoir raison. En tout cas, tu l'observas prendre en main son instrument. Le violon, ça lui allait vraiment bien. C'était distingué, classe, élégant… Comme lui. Mais comme lui, on pouvait faire ce que l'on voulait de cet instrument. Il pouvait autant jouer des symphonies que des morceaux de rock. C'était à son utilisateur de choisir la voie qu'il prendrait avec cet outil polyvalent. Et Finnegan déviait lui aussi de son chemin classique, en traînant avec toi.

- Tout pourrait mal se passer, mais je te fais confiance.

Tu l'écoutas sagement parler du conseil, de la signification de leur nom, sans comprendre au début où il voulait en venir. Tes sourcils se défroncèrent à mesure qu'il t'expliquait son cheminement de pensées. Heureusement qu'il t'expliquait le fil de ses réflexions, d'ailleurs, car tu n'aurais sûrement pas compris tout seul. Tu avais du mal à comprendre les gens qui faisaient milles détours pour expliquer un truc simple ou même les gens qui ne te donnaient pas toutes les pièces du puzzle et qui s'attendaient à ce que tu trouves comme par magie. Au fond de toi, tu étais persuadé que chaque cerveau fonctionnait d'une manière qui lui était propre et qu'elles n'étaient pas toutes intercompréhensibles. Et l'organe dans ta caboche avait décidé de n'être compréhensible avec personne.

- Euh… Bah je peux pas peindre collé à toi, même si ça serait cool. J'ai besoin de bouger face au mur pour mettre de la peinture partout. Et t'as besoin de bouger aussi pour jouer du violon.

De toute façon, le sang-pur fit son choix tout seul vu qu'il vient t'indiquer où te positionner pour l'enlacer sans risquer ta vie. En vrai, un coup de coude dans le nez n'a jamais tué personne, mais niveau romantisme on repassera. Il valait mieux éviter les accidents au maximum. Tu l'enlaças donc, passant tes bras autour de sa taille et posant ton menton sur son épaule. Tu attendais qu'il se passe un truc, ou même qu'il se mette à jouer. Tu ne savais pas trop quoi faire pour déclencher cette synesthésie que Finnegan voulait voir. Est-ce qu'il serait déçu, si vous n'y arriviez pas ? Est-ce que les magies pouvaient si facilement se mélanger ? Oui. Tu avais déjà essayé cela avec Lovino. Vous aviez insufflé à deux votre pouvoir et surtout vos émotions dans une bombe de peinture pour en faire changer la teinte au fil du dessin. Mais… Et si ta magie ne se mélangeait pas bien à celle de Finnegan ?

Tu avais assez souvent discuté avec l'italien sur le fonctionnement de votre magie pour que tu puisses en déduire qu'elles étaient similaires. Elles réagissaient à vos émotions, parfois de manière violente voire incontrôlable. Alors que l'Ursirre… Tu avais l'impression qu'il gérait tout sans problème, qu'elle ne débordait jamais. Sa magie était sage, domptée par une baguette parfaitement maîtrisée. Elle te semblait si opposée à la tienne. Puis là, c'était Finnegan qui contrôlait à lui tout seul l'outil pour catalyser vos magies. Heureusement d'ailleurs, car tu avais une fâcheuse tendance à faire exploser tes bombes de peinture, alors c'était moins risqué pour le violon. Mais ça éloignait encore plus ta magie capricieuse du processus… Enfin, c'était l'impression que tu en avais.

Toujours est-il que quand les premières notes du violon envahirent la pièce, tu vis  quelques volutes de couleur, douces, sortir de l'instrument. Un léger sourire fleurit sur tes lèvres, mais il était teinté d'une légère tristesse. C'était la magie de Finnegan, pas la tienne. Tu ne la sentais pas piquer au bout de tes doigts, ça t'avait l'air bien trop délicat pour venir de toi. Peut-être que c'était grâce à ton contact que le brun réussissait cet exploit artistique, mais tu n'avais pas l'impression de vraiment y participer.

- C'est joli. Autant la musique que les petites couleurs.

C'était fou. Comment Finnegan pouvait-il lire en toi si facilement ? Tu avais juste fait un commentaire sur les jolies couleurs qu'il créait grâce à sa magie et son violon, un commentaire positif en plus, et il avait tout de suite compris que quelque chose n'allait pas. Était-ce dans le ton de ta voix ou dans ton attitude que le brun avait capté le problème ? Ou peut-être dans ta magie, s'il en captait vraiment un peu pour colorer sa musique ?

- J'aimerais bien, ouais. Enfin, si c'est possible.

Tu t'en voulais un peu de l'arrêter dans son élan de créativité, dans sa performance artistique et magique. Est-ce que tu n'étais pas égoïste de vouloir que vous changiez de mode de fonctionnement car tu ne te sentais pas assez inclus ? Tu ramenais tout à toi et tes incertitudes, alors que Finnegan jouait une merveilleuse mélodie pour toi, vu que tu étais son seul spectateur. Heureusement que quand il baissa son violon et s'écarta de toi, ce fut pour mieux revenir te voler un baiser. Cela mit fin aux élucubrations de ta caboche, vu que tu ne pensas plus qu'à une chose. À Finnegan, à ses lèvres sur les tiennes. Ses baisers te vidaient toujours la tête, et Dieu sait que tu en avais vraiment besoin vu comme ton cerveau moulinait à longueur de journée.

- Y'a aucune raison que le dessin soit moche. Il faut juste réaliser une œuvre où les couleurs ne sont pas si importantes. Elles sont là, elles servent à montrer des émotions et des ressentis, mais elle définisse pas le dessin, tu vois ? Genre on peut pas dessiner une glace à la fraise, parce que si ça se trouve la boule de fraise sera pas rose. Enfin, je sais pas si je suis clair…

En tout cas, Finnegan coupa de nouveau d'un baiser tes pensées et tes doutes. Il était fort pour ça, le bougre. Autant pour les bisous que pour réussir à arrêter ton cerveau qui s'emballait. Tu viens passer tes mains dans ses cheveux bruns, autant pour le décoiffer que pour approfondir le baiser. Tu n'avais plus envie de le lâcher, même pour peindre. Mais bon, il fallait rester raisonnable. Quand finalement, le baiser prit fin, tu t'éloignas de lui à contre cœur pour prendre tes bombes de peinture et vous diriger vers un mur vide.

- Euh… Je crois que des fois je réfléchis avant ? Enfin ça dépend. Des fois, je fais un plan sur un carnet avant de m'y mettre, mais des fois pas du tout. Quand je fais un plan, c'est surtout pour exprimer un message. Genre quand quelque chose de précis me trotte dans la tête ou m'énerve. C'est plus facile d'avoir un plan pour pas oublier des éléments et savoir comment les agencer quand on fait des graffs complexes. Plus y'a de détails, plus je bosse en amont. Mais je te montrerai, quand tu testeras de peindre aussi. Je sais pas si on aura le temps de tout faire ce soir, par contre...

Alors que tu installais ton matériel, tout en expliquant ta manière de fonctionner au sang-pur, tu eus une brillante idée en voyant ton ombre sur le mur. Tu avais déjà utilisé cette technique une fois, certes. Mais elle était bien pour faire des dessins rapides et plutôt jolis. Tu vins déplacer les bougies, pour qu'elles soient toutes dans ton dos, quand tu étais face au mur. Puis, tu viens installer Finnegan devant les bougies, sans rien lui expliquer.

- Fais semblant de jouer un truc, pour voir ? Faut que je vois si ça ressemble à quelque chose. Ou peut-être qu'il faut que tu te mettes de travers, pour qu'on voit bien le violon.

Tu allais te servir de l'ombre de ton petit ami comme un pochoir. Tu allais colorier tout le mur autour de lui, pour faire ressortir sa silhouette jouant du violon. C'était beau, ça mélangeait musique et graff, et la silhouette vague de Finnegan laissera son empreinte dans ton lieu. Tu attendis qu'il trouve la bonne position avant d'agiter tes bombes et de te mettre à peindre. Tu essayais d'insuffler tes émotions dans tes couleurs, sentant dans le bout de tes doigts ta magie qui picotait, signe pour toi qu'elle était bien en train de travailler.

C'était un duo musical assez inattendu, le "pschiiit" des bombes de peinture avec le violon de Finnegan. Ce n'était sûrement pas le tube de l'année, ni un air digne des plus grands orchestres, mais c'était un mélange de son que tu aimais. Un peu de toi, et un peu de lui. Il était la myrtille et tu étais le bacon, ensemble vous faisiez un incroyable muffin musical. Tu détourais donc sa silhouette, recouvrant le mur de béton abîmé de couleurs vives et joyeuses. Rose, orange, bleu, vert… Tu étais sûr que le vert venait de Finnegan, peut-être même le bleu aussi. Tu comprenais le rose sur ton dessin, l'amour. Le orange aussi, que tu associais à la vitalité et l'énergie, voire aussi à l'excitation. Mais le vert pour toi, c'était la nature, genre même pas une émotion, alors tu ne comprenais pas ce que cette couleur faisait dans ton dessin. Et le bleu, ça pouvait dire tellement de choses. La tristesse, la quiétude, l'inspiration… Tu te demandais quelle était l'émotion que Finnegan insufflait dans votre œuvre, pour lui donner des couleurs comme ça. En tout cas, pour une fois, tu ne fis pas exploser ta bombe de peinture. Ça t'arrivait de moins en moins, quand tu restais concentré et au calme. Mais là, tu n'avais même pas l'impression de te concentrer. Tu te laissais juste porter, même si tu sentais ta magie s'agiter au bout de tes doigts, signe qu'elle travaillait.

Finalement, tu terminas ton œuvre, t'écartant du mur, ce qui fit cesser les "pschiiit". Tu étais un peu tristounet à l'idée de mettre fin à ce moment de communion avec Finnegan, mais tu n'allais pas te forcer à peindre alors que l'œuvre était terminée à tes yeux. L'air de violon prit fin aussi et tu tournas ton regard vert vers ton petit ami, pour savoir ce qu'il en pensait. Il se mit à rire en observant ton mur, mais tu compris bien vite que ce n'était pas de la moquerie. C'était un élan d'amour et de joie, qu'il n'arrivait pas à contrôler en observant ton dessin. Et tu adorais cela, tout simplement. C'était ton but, quand tu graffais, de faire ressortir les émotions de tes spectateurs. Tu avais juste envie d'agripper Finnegan par le col de son pull pour l'embrasser, mais il commença à parler, alors tu n'allais pas le couper dans son élan pour lui faire du sale.

- Heureux que ça te plaise ! Je t'avoue que j'aurais été un peu déçu, si tu m'avais dit que c'était dégueu.

Tu avais tellement peu confiance en tes capacités, Lélio, que ça ne t'aurait pas étonné qu'il dise cela.

- Comment j'y arrive avec la bombe, genre à faire un trait plutôt net ? Ou comment j'y arrive avec le côté flou de l'ombre de base ?

Tu expliquas vite fait au brun, les techniques pour peindre sur le mur en mettant la bombe de peinture plus ou moins proche pour avoir un effet plus net ou plus aérosol, avant que son troisième point te prenne au dépourvu.

- T'aime pas qu'on utilise le mur brut dans l'œuvre ?

Tu n'avais pas compris que pour Finnegan, il avait l'impression que lui, la silhouette, était vide. Pour toi, ce violoniste était le monde réel, entouré de toute sa créativité et son imaginaire colorés.

- On peut remplir ça avec des petites formes oui, si tu veux. Pose ton violon et approche-toi. On va juste graffer normalement, vu que c'est ta première fois. Je t'apprendrais à mettre de la magie dedans plus tard.

Tu appris à Finnegan à tenir une bombe, à l'utiliser, ta main sur la sienne pour guider ses gestes… Soleils, étoiles, fleurs, arabesques, cœurs et autres petits symboles abstraits vinrent remplir la silhouette, jusqu'à ce qu'un malheureux trait de peinture s'égare sur l'un d'entre vous. S'ensuivit une courte bataille, à laquelle certaines de vos fringues ne survivraient sûrement pas. Puis une fois aussi bariolés que le mur, la bataille continua autrement, alors que vos vêtements couverts de peinture finirent au sol. Ton esprit était bien trop occupé et concentré ailleurs pour penser au couvre-feu, Lélio. Tu allais te faire défoncer si tu croisais un préfet, ou pire, un prof.