Kanao appréciait ses vacances.

Elle appréciait les paysages.

Le dépaysement.

Elle comblait sa méconnaissance du monde.

Découvrait l’inconnu.

N’aurait-elle pas pu s’en contenter ?

Elle découvrait l’inconnu, et plus encore.

D’aucuns diront que l’instant nocturne était le plus libre, de par les âmes qui sommeillent une à une, laissant de bon gré le monde aux oiseaux de nuit. La fin de la journée accordait souplesse dans les actions, liberté du corps dégagé de ses obligations, et là était censé venir le sommeil. Censé.

Le calme ambiant ravivait aussi le goût de l’aventure et du risque pour les plus téméraires : l’absence de regards sur vous, et l’impression excitante que le monde vous appartenait. Kanao n’était pas de ces gens là. Kanao, elle, préférait dormir. Comment expliquer sa présence en pleine nuit dans le hall de Ling Guang, désert et plongé dans le silence ? Il fallait croire que le simple fait de grandir s’accompagnait d’une transgression occasionnelle de nos propres règles.

Ses pas la menaient là où son envie la guidait. Un coup d’œil vers les ornements décoratifs d’or d’un côté, un regard appuyé sur les tableaux de guerre d’un autre. Tout est si joli …

Puis, le froissement d’un tapis.
Un subtil coup de vent, furtif et discret.
Le silence devint étrangement palpitant.

La membre de la sororie Kochô n’avait jamais vu son instinct lui faire défaut. Elle était à peu près certaine de ne pas être seule en ces lieux, lui restait le choix de se laisser guider par cette présence ou non. Avec la résolution ferme qu’elle monterait dans sa chambre juste après avoir jeté un coup d’oeil à l’extérieur, Kanao s’avança, la curiosité animant légèrement ses pas.

La nuit claire, l’air agréable qui se faufilait dans ses cheveux.
Et le bruissement d’un feuillage. Le vent ? Il n’était pas si fort, et son instinct lui disait que non. Et elle savait faire confiance à ses sens, ils s’étaient toujours révélés particulièrement affûtés. Encore un peu, et je rentre ! se convainquit-elle, tandis qu’elle se laissait mener jusqu’aux arbustes bien entretenus. De là émanait une telle fraîcheur, que Kanao faillit se perdre dans leur senteur.

Oh ! Le frottement d’un poids contre l’escalier …

Sa résolution loin derrière elle, et sa curiosité candide s’étant entièrement emparée d’elle, Kanao continua ainsi, comme une enfant qui poursuivait un papillon sans jamais réussir à l’attraper.  



Ce ne fut qu’à l’orée de la forêt que Kanao s’aperçut du chemin parcouru. Elle avisa ses alentours, et si l’obscurité ne la dérangeait pas plus que cela, elle dut admettre que les lieux n’étaient pas des plus rassurants non plus. Désert, sans le moindre signe de vie, et accueillie par les bruissements des feuillages et les sons émis par les animaux nocturnes. Seule la lune dispensait sa lumière, étirant son ombre loin devant elle. Elle était toutefois persuadée que cette étrange présence perçue devant sa résidence était arrivée jusqu’ici, et finalement, elle ne s'attarda pas davantage sur le côté dangereux de son expédition. 

Son regard intercepta immédiatement l’éclair vivace et lumineux qui avait traversé la forêt en une fraction de seconde. Tiens … ? Elle n’eut cependant pas le temps de s’y attarder davantage, puisqu’une voix s’éleva dans les airs, appelant son nom — cette présence qu’elle s’était acharnée à poursuivre se manifestait-elle ? Elle se retourna avec calme, visiblement, il en fallait bien plus pour l'ébranler !

Dans ses yeux fut ravivé l’éclat de la surprise lorsqu’elle tomba nez à nez avec le détenteur de cette voix, tandis qu’elle clignait les paupières à de multiples reprises. Elle était si peu expressive à l'accoutumée qu'il ne fut pas bien difficile de s'apercevoir de son étonnement. 

Oh.

« Harry ? »

Un silence. Peut-être un peu embarrassant comme moment, peut-être ne s’attendait-il pas à être surpris ici.

« Qu’est-ce que tu fais ici ? Tu viens de la résidence ? » s’enquit-elle le ton naturellement laconique, avare en mots mais cherchant un moyen subtil de savoir s’il était bien cette présence invisible qu’elle avait suivie.

Devrait-elle rentrer ? Mais … la présence de son camarade ne lui était pas si désagréable. Et il n’était pas si tard … si ?

Ça sentait les bêtises …

Elle finit par laisser son regard s’aventurer vers la forêt obscure, mais rien qui ne l’effrayait plus que cela. Elle porta ses yeux vers celui qui fut - sera encore - son compagnon d’infortune, empreints d’intérêt et de curiosité.

« Dis, tu as vu cette lumière bizarre ? Tu crois qu’ils jouent encore à la chasse ? »

N’allaient-ils pas s’attirer des ennuis ?