Leur rendez-vous est prévu pour vingt-deux heures, et la pleine lune est déjà bien visible dans le superbe ciel étoilé de l’Angleterre sorcière où se trouve l’un des manoirs de la famille Goetia. Bien qu’il se fait tard, l’endroit n’est pas entièrement vide : quelques employés accompagnés d’elfes de maison font les dernières préparations avant de repartir dormir chez eux, pour ceux n’étant pas logés dans l’aile gauche de l’immense demeure. Dans les longs couloirs décorés de papiers peints à motifs de constellation, on s’agite avec hâte de finir le travail, sans pour autant courir. La fatigue s’est installée chez presque tout le monde, mais pas chez le maître des lieux. Stolas a le cœur qui bat à la chamade, alors qu’il s’observe sous tous les angles dans le miroir de sa salle d’eau. La lumière de la pièce est tamisée, comme à chaque fois qu’il prend un bain et qu’il en sort. Pas question de rendre l’endroit plus lumineux, encore moins maintenant. Il doit vérifier que son maquillage se voit tout de même malgré l’obscurité de la pièce, puisque la chambre dans laquelle ils passeront la nuit sera plongée dans une ambiance similaire. Il veut être élégant, même durant la symbiose de leur deux corps.

C’est l’occasion parfaite pour l’ombre qui se glisse dans sa chambre. Avec un sac à dos vide sur les épaules, elle entre par le balcon après un peu d’escalade, ouvrant lentement la fenêtre de manière à rester silencieuse. Succès. Le riche trou du cul qui vit dans cette immense baraque chantonne encore dans la salle de bain reliée à la pièce d’une voix melliflue, derrière la porte à côté du lit double. Double ? Presque triple, vu la taille. L’intru se retient de soupirer de mécontentement. Et dire que lui dort sur un matelas gonflable à même le sol. Peu importe ce qu’il volera ce soir, le Goetia s’en sortira parfaitement sans.

L’ombre se glisse derrière l’une des nombreuses bibliothèques de la chambre lorsqu’il entend des bruits de pas. Une poignée se tourne. Depuis sa cachette, il observe le très grand homme sortir de sa salle de bain avec un sourire aux lèvres. Quel air niais et stupide il a, alors qu’il pose une paire de menottes sur le lit. Il doit se barrer d’ici, et vite, avant que des pétales de roses soient lancés sous des chants d’églogues tout sauf religieux. Il profite de son dos tourné pour passer à pas de velours derrière lui et se glisse hors de la pièce, disparaissant de cette dernière sans émettre le moindre son. Il pouvait désormais se promener librement dans le château sans croiser le maître des lieux, à moins que ce dernier n’ait le don d’ubiquité, ce dont il doutait fortement.

Un petit tour de quelques-unes des pièces environnantes, et le voici prêt à repartir d’ici par le même balcon lui ayant servit d’entrée. Il glisse la porte doucement après une courte observation dans le trou de la serrure. La voie est libre : le stupide sang-pur semble trop occupé à prendre un selfie dans un recoin de la chambre pour voir quoi que ce soit. Et ce manque de lumière… Peut-il tenter ce défi ?... La situation est trop tentante, l’appel du danger trop péremptoire. L’ombre s’avance, en marchant, sans même se pencher, sans même se cacher. Le voleur marche, sac rempli sur le dos, prend même une sorte de grosse montre ornée d’or qui repose sur une des commodes, et repasse par le balcon… Où il croise un deuxième inconnu, invité de marque, passant lui aussi par la fenêtre.

Stolas a enfin terminé ses préparations et ses auto-portraits photographiques. Avec un soupir de satisfaction s’échappant d’entre ses lèvres, il admire la scène en face de lui. Des couettes décorées et confortables, quelques jouets variés posés à côté de menottes en métal doré. Tout est prêt, mis à part pour le dernier élément : une petite bouteille de vaseline, qu’il garde dans une commode à peine visitée à son insu.

- Où te trouves-tu… ? Il me semble pourtant t’avoir placé-… Oh my.

L’anacoluthe est inévitable alors qu’il réalise qu’une de ses possessions manque à l’appel. Son astrolabe magique, posé là depuis quelques jours, est désormais introuvable, volatilisé sans qu’il ne sache comment. Sans lui disparaissent les moments qu’il passe avec sa fille, à lui apprendre l’utilisation de l’outil, patiemment, affectueusement. Vidé de toute excitation, il ne lui reste alors plus que l’ineffable panique d’avoir perdu un objet d’une si grande valeur sentimentale.

La voix de son nouvel invité se fait retentir. Tiens donc ? Mais que fait-il là ? Stolas ne l'a guère entendu sonner à la porte, et personne ne lui a annoncé sa venue. Et pourtant... Peut-être n'est pas plus mal. Il serait le sujet de conversation de tous ses employés de maison et de tous ses elfes si sa tromperie, déjà bien trop discutée en leur sein, devait recommencer à nouveau. La discrétion est de mise : surement Blitzo avait-il réfléchi à tout ceci et avait décidé de passer par la fenêtre pour lui éviter plus de problèmes. Quel homme attentionné, quel gentleman ! Il le lui aurait dit immédiatement, s'il n'était pas aussi paniqué de la disparition de son astrolabe. Ce n'est pas avec un grand sourire et des bras ouverts qu'il l'accueille, comme il l'avait pourtant prévu. Oubliés sont les longs moments de préparation pour être sûr de plaire. S'il y a bien quelque chose de plus important que sa vie amoureuse, c'est celle de sa fille.

Et Merlin sait pourtant à quel point sa vie amoureuse est déficiente.

- Oh, Blitz, c'est une catastrophe !... Je ne sais pas quoi faire, je suis pourtant certain...

Il regarde dans les tiroirs de la commode, pour vérifier. Peut-être qu'il a posé l'objet précieux dans l'un d'entre eux sans réfléchir, trop occupé à penser son rendez-vous ?... Mais non. Tous ouverts, un par un, aucun n'a la politesse de révéler le trésor qu'il recherche. Le voila qui se penche sans élégance pour finir à quatre pattes au sol, posant sa tête sur ce dernier pour observer le dessous du meuble. Rien non plus. Ce n'est pas comme si un objet si lourd pouvait glisser de la surface sur laquelle il était posé.

- Je l'avais posé sur ce meuble, j'en suis sûr... ! Je me souviens avoir pensé : "Stolas, retient bien que l'astrolabe est ici, Via en aura besoin demain". Oh, par Merlin, où a-t-il bien pu partir ?

Il se redresse, et recule pas à pas vers le lit, posant ses deux mains sur ses tempes. Il peut déjà imaginer le regard déçu de sa fille. Elle avait attendu sagement depuis des semaines, cochant chaque jour les cases de son calendrier jusqu'au lendemain où elle avait dessiné de nombreuses étoiles. Et il allait devoir lui annoncer que l'astrolabe familial qui lui était dû... S'était volatilisé ?

Et dire qu'il s'agissait de sa nuit avec Blitz ! Quel malheur... Allait-il devoir annuler ? Ou bien allait-il profiter de cette soirée unique en son genre et oublier Octavia ? Non, comment pouvait-il l'oublier ? Il ne pouvait plus être d'humeur à se faire prendre dans plusieurs position sur le lit, pas après cette perte.

Il fait le point, se tourne vers l'homme qu'il avait pourtant tant hâte de voir, un air dévasté au visage. Et dire qu'il avait fait tout le chemin jusqu'à ici... ! Quelle impolitesse de sa part. Sûrement pouvait-il au moins lui proposer de rester ici pour prendre un thé ou manger ? Mais seul le chèque et la séance de jambe en l'air semblait l'intéresser. N'était-ce pas presque arrogant de sa part, de penser que Blitz pourrait vouloir rester... Juste pour lui ? Il commence son excuse avec un soupire, la voix faible et déçue.

- Blitz, je... Je suis sincèrement désolé, mais je ne pense pas être d'humeur à faire ce que nous avions prévu ce soir. Je ne sais pas ce qu'il s'est passé, mais... L'astrolabe qui doit revenir à ma fille demain a disparu. Je vais sûrement passer ma soirée à le chercher... A moins que je n'arrive à le trouver rapidement, je ne souhaite pas te retenir plus que nécessaire.