Le jour où Elie Everdawn devint duchesse, elle n’hérita que d’un titre de noblesse et d’un château vide. La fortune familiale avait depuis longtemps était dilapidée par ses parents et le nom des Everdawn, qui jadis inspirait le respect dans toute la haute société magique anglaise, avait perdu de son splendide. A cette époque, un titre de noblesse ne menait plus à grand-chose, il ne représentait qu’une jolie décoration à mettre devant son nom qui flattait son égo lorsqu’on le prononçait et ne pouvait lui apporter ni richesse, ni pouvoir. Seule dans ces immenses corridors où plus aucun domestique, la jeune femme élabora un plan pour redorer le blason familiale. Sans aucune ressource à disposition, elle ne pouvait compter que sur elle-même et comptait mettre à profit son ingéniosité pour rebâtir de ses mains la gloire passée de sa famille.

Le jour où Elie Everdawn annonça ses fiançailles, tout le monde questionna le choix de son futur époux et les rumeurs allèrent de bon train. Elle comprenait aisément cette réaction, elle aussi aurait été la première à jaser si elle n’était pas la fiancée. Dans une autre vie, elle n’aurait pas épousé cet homme, elle se serait plutôt laissée courtiser par ce charmant duc qu’elle croisait régulièrement en soirées mondaines, mais cette option ne faisait pas partie de son plan.. Celui qui faisait battre son coeur était fauché qu’elle et ce n’était pas l’amour qui allait rapporter sa prestance d'antan à sa lignée, c’était l’argent. L’homme qu’elle allait épouser ne lui plaisait pas et n’était clairement pas le meilleur candidat, mais il était riche et se laissait facilement avoir par ses petits numéros de charme alors il conviendrait.

Le jour où Elie Everdawn emménagea avec son époux dans le manoir familiale, celui-ci avait retrouvé le faste de ses grandes heures et était aussi sublime que dans ses souvenirs d’enfance. Chaque pièce était à nouveau somptueusement décorée et les couloirs devenus si silencieux ces dernières années étaient désormais remplis par le bruit des pas pressés des domestiques s’attelant à leurs tâches. Est ce que cela avait suffit à rendre à la duchesse son bonheur? Bien sûr que non. Coincée dans un mariage sans amour avec un homme qu’elle trouvait chaque jour plus méprisable, elle prenait son mal en patience. Son plan était loin de toucher à sa fin après tout. Maintenant qu’elle avait le mari, il lui fallait un héritier. Un divorce était vite arrivé et s’il jouait bien ses cartes, il avait le pouvoir de lui voler la fortune qu’elle venait d'acquérir. Si elle réussissait à avoir un enfant de lui cependant, cela pouvait changer la donne, il ne pourrait jamais la quitter sans lui laisser une pension alimentaire assez énorme pour garantir la richesse de sa famille.

Le jour où Elie Everdawn tomba enceinte pour la première fois, elle fut plus heureuse qu’elle ne l’avait été depuis bien des années. La nouvelle fut vite partagée et elle ne se rappelait pas avoir été un jour aussi enthousiaste que le jour où elle avait décoré la chambre du futur bébé. Ne dit on pas que parler de sa grossesse avant le troisième mois porte malheur? C’est tout ce à quoi la duchesse arrivait à penser dans cette nurserie vide après sa fausse couche. Sa déprime ne dura pas bien longtemps, après tout elle n’était pas le genre de femme à baisser les bras, si ce bébé là n’avait pas été viable, alors elle en aurait un autre. Lors de sa deuxième grossesse, elle garda bien le secret jusqu’à la marque des trois mois mais cela ne changea pas le résultat. Lors de sa troisième grossesse elle essaya de ne pas trop planifier à l’avance l’arrivée de ce bébé et ce fut un peu moins douloureux lorsqu’il n’arriva pas. Lors de sa quatrième grossesse elle ne se fit pas d’espoir, prendre de la distance lui avait permis de ne pas beaucoup pleurer devant ce berceau restant désespérément vide. Lors de sa cinquième grossesse, elle fit comme si ce bébé n’existait pas jusqu’à ce qu’arrive l’accouchement.

Le jour où Elie Everdawn prit pour la première fois son fils dans ses bras, elle lui accorda à peine un regard. A quoi bon s’y attacher? L’enfant né prématuré était minuscule, sa santé n’était pas très bonne et il allait devoir passer plusieurs mois à l'hôpital. Elle n’avait pas envie de ressentir la moindre affection pour ce bébé qui allait mourir comme les quatre autres, ses fausses couches lui avaient appris qu’il valait mieux garder ses distances pour se protéger. Malgré sa faible constitution, Elijah ne mourut pas et pourtant sa mère ne s’attacha pas à lui pour autant Dès sa sortie de l'hôpital, elle le colla dans les bras d’une nourrice et limita leurs intéractions au minimum. Plusieurs fois par jour, elle venait s’assurer que son fils allait bien et retournait vaquer à ses occupations sans lui adresser ne serait-ce qu’un sourire.

Elijah passa les premières années de sa vie sans trop voir ses parents. Sa mère était toujours à la maison mais ne le calculait que quelques instants dans la journée et son père était souvent en déplacement et pouvait partir pendant des mois. Le petit ne s’en formalisait pas, il n’était pas livré à lui même, nourrices et domestiques étaient là pour combler le moindre de ses besoins et remplir ses journées de rires et de jeux. Trop jeune pour réaliser la négligence parentale, il profitait de cette douce insouciance. Peu après son deuxième anniversaire, son père partit en voyage et ne revint jamais. Il avait tellement peu l’habitude de le voir qu’il remarqua à peine son absence. Ce qu’il remarqua par contre, c’était l’arrivée peu après d’un nouvel homme dans la maison. Sa mère le lui présenta en personne, ce qui était rare et voulait dire qu’il s’agissait de quelqu’un d’important, un vieil ami à elle apparemment. Si dans les premiers temps la présence de cet homme ne le dérangea pas plus que ça, elle devint vite incommodante. Oh il ne faisait jamais rien contre lui, il agissait généralement comme si Elijah n’existait pas, mais il lui volait le peu d’attention que lui donnait sa mère! A chaque fois qu’il voyait la femme qui l’avait mis au monde, celle-ci n’avait d’yeux que pour l’homme qui l’accompagnait.

A leur mariage quelques mois plus tard, Elijah était le petit garçon le plus heureux du monde. Pas parce que cet homme qui ne faisait pas attention à lui rejoignait leur famille mais parce qu’il était garçon d’honneur! C’était même lui qui avait apporté les alliances pendant la cérémonie et à ce moment-là, sa mère lui avait fait le sourire le plus lumineux qu'il n’ait jamais vu. La lune de miel avait été beaucoup moins drôle que le mariage, on ne l’avait même pas emmené! Il avait passé deux semaines seul avec les nounous et les domestiques et il avait beaucoup boudé de ne pas avoir de visite de sa mère. A son retour, elle lui ramena une boule à neige magique et une nouvelle peluche et il oublia même qu'elle l'avait laissé. Ce que sa mère ne lui donnait pas en présence, elle le compensait avec des montagnes de cadeaux. Si son fils voulait quelque chose alors il l'aurait tout de suite, peu importe le prix, son ancien mari lui avait laissé bien assez d'argent pour qu'elle puisse à nouveau dépenser sans compter. Depuis leur mariage, Elijah ne voyait ses parents quasiment exclu lors des repas mais cette nouvelle dynamique familiale lui convenait très bien, jamais il ne réclamait sa mère, jamais il ne faisait de caprice pour qu'elle reste plus longtemps avec lui, cette distance entre eux était sa normalité.

L'année de ses 5 ans, Elijah est devenu grand frère. Il avait accueilli la nouvelle avec une grande joie, bien que sa mère lui ai particulièrement bien vendue l'idée, instant plusieurs fois sur le fait que c'était une grande chance de pouvoir accueillir un nouveau bébé dans la famille. Finalement ce n'est pas un mais deux nouveaux enfants qui étaient venus prolonger leur lignée. Les jumeaux dans les livres qu'on lui lisaient étaient toujours parfaitement identiques et il fut surpris de constater que ce n'était pas du tout le cas de ses adelphes quand il les rencontra à l'hôpital. Sa petite sœur, Eliane, avait les cheveux noirs de jais, comme son père, alors que son petit frère, Elias, avait hérité de la chevelure blonde de leur mère. Lui, on lui avait souvent dit qu'il ressemblait beaucoup à son père, dont il n'avait déjà plus de souvenirs, il s'était fait la réflexion que chacun d'entre eux avait beaucoup pris d'un de leur parent. Une fois les jumeaux arrivés à la maison, il réalisa avec déception qu'on lui avait un peu trop bien vendu le fait d'être grand frère. Les bébés c'était nul!! Ils ne faisaient rien d'autre que dormir et pleurer, ils pouvaient même pas jouer avec lui! Et le PIRE, c'était que leur mère s'occupait tout le temps d'eux! Ils devaient autant la voir en une journée que lui en une semaine! Sa nounou lui avait expliqué que les bébés avaient besoin qu'on s'occupe beaucoup d'eux, qu'il devenait un grand garçon qui n'avait plus besoin d'autant d'attention mais il ne fut pas convaincu. Lui n'avait jamais eu autant d'attention! Plus les mois passaient, plus il regrettait l'époque où il était fils unique. Les jumeaux grandissaient et leur mère s'en occupait toujours autant! Surtout d'Elias, c'était pas juste! Elle l'avait tout le temps dans les bras, elle le couvrait de câlins, pourquoi? Parce que c'était son portrait craché alors que lui devait lui rappeler son ancien mari dès qu'elle posait les yeux sur lui? Peu importait les raisons, Elijah était jaloux. Avant il se contentait de sa génitrice absente qui lui accordait le minimum syndical de l'attention parce qu'il ne connaissait pas mieux. Avec l'école à la maison, il ne voyait d'autres enfants que pendant les réceptions qu'organisaient ses parents et ne jouait pas souvent avec eux. Avec son asthme et sa santé fragile, on lui interdisait toute activité trop physique et ça incluait courir dans les couloirs avec la progéniture des invités. Il n'avait donc jamais vraiment vu comment les autres enfants se comportaient avec leurs parents. Pour lui, c'était normal, que sa mère le calcule à peine et il se faisait l'idée que c'était le cas dans toutes les familles. C'était facile à accepter quand il pensait que c'était la norme, ça l'était beaucoup moins quand il voyait qu'il pourrait recevoir le même traitement que son frère. Lui qui avait toujours été si jovial et sage commençait à devenir grognon et faire des caprices.

Trouver des stratagèmes pour s'accaparer l'attention maternelle était devenu sa nouvelle occupation. Demander gentiment n'avait pas marché, pleurer comme un bébé non plus. Un matin durant le petit déjeuner, sa mère avait complimenté de nombreuses fois le violoniste du concert qu'ils étaient allé voir la veille. Peut être que s'il se mettait au violon, lui aussi aurait le droit à tous ces compliments? Elle n'avait pas spécialement réagit quand il lui avait émis l'envie d'apprendre mais un professeur fut appelé et il commença les cours. Sa déception fut grande de voir qu'avant de commencer à jouer, il fallait apprendre le solfège. Il n'était pas prêt de pouvoir impressionner sa mère avec un concerto! Malgré tout, il ne se laissa pas décourager et révisa avec une grande assiduité. Plus vite il allait retenir ces fichus notes, plus vite il pourrait commencer à jouer! Ses professeurs avaient toujours dit de lui qu'il était très intelligent, ils avaient même utilisé le mot "précoce"! Apparemment il avait su lire et écrire plus vite que les autres enfants, si c'était vraiment le cas alors il pouvait apprendre le solfège plus vite également. Au bout de quelques mois son professeur l'autorisa à passer de la théorie à la pratique et le bruit strident que produit son premier coup d'archet lui fit comprendre que la route vers la reconnaissance maternelle serait longue. Il aurait pu se laisser décourager, abandonner le violon et passer à autre chose, mais si on lui avait bien répété une chose durant son enfance, c’était que les Everdawn n’étaient pas du genre à renoncer et ne pas accomplir leurs objectifs. Jour après jour, il persévéra dans ses leçons, s’appliquant à rendre sa musique plus harmonieuse.

Le travail acharné avait fini par payer. Les débuts avaient été difficiles mais après deux années de cours assidus, tout le monde s’accordait à dire que les mélodies qu’il jouait au violon étaient magnifiques. On lui répétait qu’il avait un don, on le qualifiait de prodige et sous ces avalanches de compliments, on le poussait à faire de son art une compétition. Les concours ne le dérangeaient pas, si c’était ce que sa mère voulait qu’il fasse. La scène, le publique, tout ça aurait pu faire peur aux enfants les plus timides ou exciter les plus frimeurs mais malgré son caractère réservé, Elijah n’en avait que faire des spectateurs. Dès les premières notes, tout autour de lui disparaissait, le laissant dans son petit monde où il n’existait plus que lui, sa musique et sa mère assise dans la salle. Parfois il lui arrivait de lever les yeux de son archet pour chercher son regard et la fierté qu’il y lisait lui procurait une joie incomparable. Les concours étaient devenus son activité préférée, ils étaient son moment de gloire où toute la famille faisait attention à lui, où il se sentait aimé et où il avait l’impression d’être important. Dès qu’ils rentraient à la maison et que trophées et médailles allaient rejoindre leurs congénères sur une étagère, les choses revenaient à la normale et tout le monde repartait dans la froideur et l'ignorance alors il profitait au maximum de chacun de ses petits instants où on le félicitait et le choyait.

Plus ils grandissaient, plus Elijah sentait le fossé qui le séparait de ses adelphes. Les jumeaux commençaient à ne plus vraiment être des bébés, ils n’avaient plus besoin d’autant d’attention, et pourtant on s’occupait toujours autant d’eux. Elias était toujours fourré dans les bras de leur mère et Eliane était au centre de toutes les préoccupations de leur père. Il pouvait pardonner à sa soeur cet affront, avoir l’attention de cet homme méprisant et stricte qu’il refusait de considérer comme son père ne devait vraiment pas être un cadeau, mais son frère? Son frère pouvait aller mourir, de quel droit était-il aussi choyé? Le voir autant couvert d’amour maternel lui donnait envie de vomir. Cette immense jalousie à l’égard de son cadet avait pour conséquence qu’il était très loin d’être le grand frère idéal qu’il avait promis d’être. Les rares fois où leur génitrice n'était pas là pour le surveiller, le petit devenait en quelque sorte son souffre douleur, en guise de vengeance pour tout l’amour qu’il recevait. Il n’était pas non plus tombé dans la maltraitance infantile mais il l’embêtait assez pour le faire régulièrement pleurer, ses larmes étant une maigre consolation pour la négligence qu’il continuait de recevoir. Des domestiques avaient dû surprendre son acharnement sur son petit frère et le répéter à leur mère car celle-ci était venue lui demander des comptes. Jamais elle ne l’avait grondé autant que ce jour-là. Jamais elle ne l’avait grondé tout court d’ailleurs, ayant toujours été un enfant très sage, il avait l’habitude d’être sermonné par les nourrices et les domestiques, ses petites bêtises ne valant pas la peine d’être rapportées à la matriarche. Elle l’avait longuement disputé, elle avait élevé la voix, elle lui avait montré toute sa déception et ses mots durs auraient dû le dévaster mais ils eurent l’effet inverse. Elijah avait adoré chaque seconde de ce sermons. Il ne se souvenait pas de la dernière fois où sa mère lui avait parlé aussi longtemps. Ce moment avait été pour lui une épiphanie, l’attention négative restait de l’attention et lui procurait le même bonheur. Le temps passé entre deux concours était bien trop long, ses petits moments de gloire ne lui suffisaient pas alors s’il n'était pas capable de se faire remarquer en bien, il se ferait remarquer en mal.

Il ne lui fallut pas longtemps pour devenir un parfait petit fauteur de troubles, au grand damne de son entourage. Faire des bêtises était bien plus amusant que ce qu’il avait pu imaginer, au point où il se demandait pourquoi il avait un jour été sage. Il pouvait faire tout ce qu’il voulait ET avoir la tant convoitée attention maternelle, que demander de plus? Trouver ce qui ferait réagir leur mère était devenu son nouveau petit jeu, chaque jour il testait un peu plus ses limites et notait ce qui la faisait le plus enrager. Il aurait peut être arrêté si les sanctions étaient plus strictes mais sa mère n’était pas la personne la plus autoritaire et se contenter de le gronder, ce qui était exactement ce qu'il recherchait, et son beau père intervenait rarement et se contentait d’une claque qui n‘était qu’un faible prix à payer pour sa liberté et de la compagnie. L’enfant terrible passait ainsi ses journées à casser des fenêtres, arracher les fleurs du jardin, brûler les tapisseries et victimiser son petit frère en attendant ses précieux sermons. Ce n’était sûrement pas étonnant que sa magie se soit manifestée pour la première fois pour une bêtise. Elijah, 8 ans, se baladait dans les couloirs à la recherche d’un nouveau méfait à commettre quand son regard se posa sur une domestique en train d'épousseter un vase. Si celui-ci était exposé ainsi, c’est qu’il devait avoir une quelconque valeur, ça serait si dommage que quelqu’un l’abîme…Fermant un oeil pour mieux viser, le petit monstre qu’était devenu le premier fils des Everdawn envoya une balle de tennis sur le vase, brisant celui-ci sous le cri de surprise de celle qui s’attellait auparavant à le nettoyer. Normalement, c’était le moment où les employés de la maison se dépêchait d’aller chercher Madame pour qu’elle gère la situation, mais cette fois-ci la demoiselle continua son ménage en ignorant l'incident. Elijah la questionna sur son comportement et celle-ci lui répondit que sa mère prenait le thé avec d’autres lady et ne devait être dérangée sous aucun prétexte. Ah non! A quoi ça servait de détruire le mobilier si on ne le grondait pas? Si cette incapable ne voulait pas faire son rapport alors il s’en chargerait pour elle et irait lui même rapporter sa bêtise. La domestique, déterminée à bien faire son travail, l’attrapa par le bras en haut des escaliers, l’empêchant d’avancer plus. Aussi terrible soit il, il n’était pas difficile de maîtriser un enfant asthmatique, il avait beau se débattre, la jeune femme ne le lâchait pas, enfin jusqu’à ce qu’elle soit projetée par magie loin de lui. La dégringolade des escaliers qui suivit causa à la demoiselle une fracture à la jambe et la matriarche fut dérangée pendant son thé pour gérer la situation. La domestique démissionna sur le champ et pousser les employés de la maison à quitter leur poste fut ajouté à sa liste d’activités.

Les années passant, la maison comprenait de moins en moins de domestiques et de plus en plus d’elfes de maison qui n’avaient pas d’autre choix que de continuer à travailler pour eux. Le temps d’Elijah était bien occupé entre ses cours de violon et sa quête de semer le chaos dans son passage. On pouvait croire que rien n’avait changé dans son quotidien mais les jumeaux biens grandis avaient changé la dynamique familiale. Eliane se trouvait être une vraie petite peste, sa digne successeuse, qui elle aussi ne ratait pas une occasion d’embêter leur petit frère. Est ce qu’elle aussi jalousait son traitement de faveur de la part de leur mère ou est ce qu’elle confirmait juste cette idée comme quoi un jumeau dominait toujours l’autre? Peu importait ses raisons, elle était devenue sa partenaire de crime qu’il entraînait dans chacun de ses méfaits. Elias était, étonnamment vu toutes les misères qu’ils lui faisaient subir, toujours très gentil et affectueux envers eux. Eliane disait de lui qu’il était trop bête pour réaliser qu’ils l’embêtaient mais Elijah pensait que, comme lui plus jeune, il ne réalisait pas que sa situation était anormale par manque de repère. Toujours était il que leur soeur avait raison sur un point, leur cadet n’était pas le couteau le plus aiguisé du tiroir et sortait quotidiennement de telles énormités que sa stupidité le rendait hilarant. Son aîné arrivait à mettre sa jalousie de côté tant il le faisait rire aux éclats. Parfois, il avait l’impression de l’aimer plus comme un animal de compagnie comme un petit frère mais l’important était qu’ils s’entendaient mieux.

Un matin, au petit déjeuner, sa mère lui tendit un flyer depuis le bout de la table. Celui-ci contenait tout un tas d'informations concernant une école de magie internationale réputée. Il était vrai que ses 11 ans étaient dépassés depuis quelques mois, à la rentrée prochaine il allait falloir prendre son envol et partir étudier la magie. Mais pourquoi le Canada? Il s'était toujours imaginé aller à Poudlard, comme le reste de sa famille. Quelle idée de l'envoyer à Ilukaan? Elijah tenta tant bien que mal de négocier pour ne pas quitter l'Angleterre mais ses parents avaient à chaque fois un bon argument pour faire cesser ses plaintes. C'était une école prestigieuse qui lui permettrait de se faire un carnet d'adresse plus large de par son ouverture sur l'international, de plus, ils avaient de la famille au Canada qu'il pourrait retrouver pendant les vacances. Tout paraissait parfait, à part le fait que lui n'avait aucune envie de quitter le pays, le décalage horaire et la distance lui paraissant être de bonnes excuses pour le mettre à nouveau de côté. Se faire à l'idée aurait pu être plus simple si sa fratrie venait avec lui mais les jumeaux n'étaient pas en âge de partir. Quel terrible sort d'être l'aîné, à choisir il aurait préféré l'inverse, voir sa fratrie quitter la maison en restant avec leur parents, plutôt que de laisser tout le monde derrière lui et se retrouver seul dans l'inconnu. C'est la mort dans l'âme qu'à la fin de l'été, il prit le portoloin vers le Canada avec sa valise en main et son étui à violon sur le dos.

Ilukaan n'était absolument pas comme il l'avait imaginé. Franchement, une école prestigieuse ne devrait pas avoir de tels clowns parmi ses élèves! Vivre en communauté était un enfer et les jours passés à faire l'école à la maison avec sa fratrie lui paraissaient aussi doux que lointains. Vraiment, qui avait décidé de réunir les étudiants quatre par quatre dans des chambres? Ça devrait être illégal de le forcer à partager son espace vital avec ces énergumènes. Ils ne les tiraient même pas par ascendance!! Sa chance dans son malheur était d'être dans la maison Strixyst, il aurait préféré se faire exécuter sur place que mettre un pied dans le dortoir de ces fous de Lupy. On aurait pu croire que leur chaos aurait pu l'attirer mais sa phase d'enfant terrible était terminée. Faire des bêtises était amusant uniquement quand sa mère était là pour le gronder, les sermons des professeurs et du directeur n'avaient rien de plaisant et ce qu'il se passait à l'école ne semblait pas préoccuper sa génitrice. Elijah était rapidement devenu un élève discret qui ne faisait pas de vagues. Oh il ne s'était pas totalement assagi pour autant, ne pas se faire punir ne voulait pas dire avoir un comportement exemplaire. S'il ne s’acharnait plus sur le mobilier, c'était les élèves qui étaient devenues ses victimes. Socialiser s'était avéré être une tâche particulièrement difficile, les autres élèves ne s'attirent que son mépris ou au mieux son indifférence sans qu'il ne se rapproche de quiconque. Ne pas avoir d'amis ne le dérangeait pas, du moins il voulait s'en convaincre, alors s'il ne pouvait pas avoir l'amour de ses camarades, il s'attirerait leur haine. Ces misérables ne méritaient même pas de l'apprécier après tout. Une grande étude du règlement intérieur avait été nécessaire afin de tomber pile dans cette zone d'ombre où il pouvait faire des vacheries sans pour autant se faire punir. Être assez méchant pour que sa présence provoque le plus grand des déplaisir mais pas assez méchant pour finir tous les matins chez le directeur, c'était tout un art. Certains diraient qu'il valait mieux mettre cette énergie dans quelque chose de plus utile comme les cours, par magie il arrivait à se concentrer sur les deux. L'école, ça avait toujours été simple pour le Strixyst et ça n'avait pas changé après son arrivée à Ilukaan, la magie lui venait beaucoup plus facilement que les relations humaines.

Après quelques années sans évènement particuliers, il était enfin temps pour les jumeaux de le rejoindre à l'école. Enfin quelque chose d'amusant! Eliane, tout comme lui, avait été contrainte et forcée de venir à Ilukaan. Elias, le petit chouchou, avait eu l'embarras du choix mais avait pris la décision de rester avec sa fratrie. Elijah avait fait de son mieux pour le cacher, pour éviter que ça monte trop à la tête de ses adelphes, mais il était ravi de les avoir à ses côtés toute l'année. Les autres élèves ne méritaient même pas un regard de sa part mais eux, ils relèveraient le niveau et lui offriraient une compagnie digne de lui! De toute façon, c'était difficile de s'intégrer à Ilukaan, il fallait s'adapter au Canada, aux coutumes de tout le monde, à la diversité tant dans l'ascendance que l'ethnie, les jumeaux allaient être perdus et n'auraient que leur grand frère à qui se raccrocher, n'est ce pas? La désillusion fut bien grande à la rentrée. Elias le sportif et Eliane la fille populaire avaient grand succès parmi leurs camarades. Comment? Comment est ce que l'idiot de service et la pire peste du monde pouvaient être appréciés de tous? Après avoir assisté à quelques intéractions, la réponse lui parut évidente: l'idiotie était quelque chose que même les simples d'esprit trouvaient attachants et sa soeur était la créature la plus fausse de l'univers. La garce faisait semblant d'être gentille! L'hypocrisie était quelque chose qui le rebutait, hors de question de faire l'effort de jouer la comédie pour satisfaire les autres. Son frère et sa soeur devenaient des élèves populaires et ça le dégoûtait. Pourquoi eux et pas lui? C'était injuste, purement et simplement injuste. Ca lui mettait la haine de les voir entourés de tout ce monde, ça le rendait tellement jaloux.

L'été de ses 17 ans, Elijah reçut un défi de la part de ses adelphes. Même si leurs relations s'étaient légèrement dégradées à l'école, quand ils se retrouvaient dans la demeure familiale pour les vacances, leur complicité repartait comme avant et ils se lançaient des challenges et jouaient des sales tours comme quand ils étaient plus jeunes. L'épreuve du jour était simple, rentrer discrètement dans le bureau de leur mère et lui voler des affaires pour lui pourrir la vie. Il avait profité qu'elle soit partie à une soirée pour entrer dans la pièce, fouillant les étagères et les tiroirs à la recherche des objets dont l'absence pourrait le plus lui nuire. Son attention s'arrêta sur une pile de lettres qu'elle n'avait pas encore ouverte. Hmmm, selon l'expéditeur ça pouvait être un bon plan. Il parcouru avec attention chaque enveloppe. La facture d'eau? Non, ça le mettrait dans l'embarras aussi. Des nouvelles de leur famille au Canada? Pourquoi pas, ça pourrait détériorer leur rapports de ne jamais recevoir de réponse. Son sang se figea en lisant le nom sur la lettre suivante. Non, ce n'était pas possible, ça devait être un vieux courrier qui s'était perdu dans cette pile. La tête lui tournait pendant qu'il ouvrait l'enveloppe, son coeur tambourinait tellement fort qu'il le sentait battre dans ses tempes. Il avait failli lâcher la feuille tant sa main tremblait en lisant la date d'envoi. Il tenait une lettre de son père, envoyée il y a une semaine. Il s'assit un instant par terre, prenant sa tête dans ses mains le temps de reprendre ses esprits. Son père était mort quand il avait 2 ans non? Apparemment non, sinon il n'écrirait pas des lettres. Il se concentra, fouillant au plus profond de sa mémoire ce que sa mère lui avait dit à l'époque. "Ton père est parti" ou quelque chose du genre, c'était pas comme ça qu'on annonçait la mort aux enfants? Ça voulait juste dire qu’il avait quitté la maison? Pourquoi est ce qu'il n'avait jamais eu de nouvelles de lui s'il était en vie? Pourquoi est ce qu'il n'avait cherché à le revoir? Pourquoi est ce que sa mère le laissait mettre des fleurs devant une photo de lui à chaque fête des morts sans le reprendre? Pourquoi est ce qu'on l'avait laissé croire à cette histoire aussi longtemps? Prenant quelques inspirations pour se calmer, il reprit sa lecture.

Durant la soirée, il retrouva de nombreuses lettres de son père cachées dans ce bureau et à chaque nouvelle page lue, son monde s'écroulait un peu plus. Toutes ces années il avait pris de ses nouvelles et versé une pension alimentaire sans que sa mère ne lui en dise rien. Jamais il n'avait cherché à le contacter personnellement, à le rencontrer et Elijah se sentait abandonné. Mais ce n'était pas ça le pire dans l'histoire, oh qu'est ce qu'il aurait aimé que ça soit le cas! Si on parlait tant en mal du premier mariage de sa génitrice, ce n'était pas juste parce qu'elle avait épousé un homme pour son argent, c'était surtout parce que l'homme en question était un moldu, faisant de lui un sang-mêlé. Cette simple pensée lui donnait la nausée. Tout se bousculait dans sa tête, tout était plus flou et en même temps plus net. Si sa mère le mettait à l'écart depuis sa plus tendre enfance, ce n'était pas parce qu'il ressemblait à son père ou parce qu'il lui rappelait le mariage sans amour dans lequel elle s'était elle même coincée, c'était parce que, comme on lui avait appris depuis toujours, tout le monde ici méprisait ce dont le sang n'était pas pur. Cette nuit, il pleura dans son oreiller jusqu'à tomber de sommeil tant la réalité de sa situation lui était insupportable.

Le lendemain, pour la première fois de sa vie, c'est lui qui cria sur sa mère. Toute sa colère qui avait macéré durant la soirée précédente lui explosa au visage et personne, pas même son beau père, n'y trouva quelque chose à redire. La matriarche accepta sans broncher ses reproches et tenta d'apaiser sa rage, de se justifier, mais chacun de ses mots ne faisait que jeter de l'huile sur le feu. "Je ne t'ai jamais menti Elijah, j'ai simplement omis de te dire certaines choses". C'est pareil! "Tu dois comprendre que tout ce que j'ai fait, je l'ai fait pour le bien de cette famille". Qu'est ce que ça pouvait lui faire? Le bien de la famille était censé être plus important que son bien à lui? Ça valait le coup de ruiner sa vie? "Je pensais que tu comprendrais tout seul en grandissant". Il n'était qu'un enfant qui a grandi dans un mensonge dans lequel tout le monde le regardait sans rien dire. Il était en colère, contre sa mère, contre son père, contre le monde entier pour lui faire vivre cet enfer. Il se sentait trahi, humilié, il avait envie de crier à en avoir mal à la gorge. Les seuls qui n'avaient pas participé à cette immense farce étaient ses adelphes et c'est vers eux qu'il se tourna quand les justifications de sa mère commencèrent à devenir intolérables. Il n'obtient de la part des jumeaux aucun réconfort, bien au contraire. Ils le traitèrent comme ils le faisaient avec n'importe quel autre sang mêlé, en le couvrant d'insultes et de moqueries. Très bien, il avait compris la leçon, il ne pouvait définitivement compter sur personne. Elijah qui était déjà froid et distant se referma totalement sur lui même, ruminant sa rage et sa tristesse, devenant plus acerbe et dur que jamais.

Quand fut venu le moment de choisir son cursus universitaire, il ne mit qu'un seul vœu sur sa liste: Art et musique magique. Il aurait pu prétendre à mieux vu ses excellents résultats mais c'était le seul parcours qui l'intéressait. Sa mère s'était indignée, elle qui avait toujours souhaité le voir entrer en Science sociale et internationale sorcière, tant pis pour elle, elle n'avait qu'à demander à son fils sang pur adoré de faire les études qu'elle voulait. Ces derniers temps, plus que jamais, la musique était devenue son seul refuge, ne comptant plus sur personne pour apaiser sa peine et sa colère, c'était dans les partitions et les notes qu'il trouvait la paix. Même après toutes ces années, chaque fois que son archet rencontrait les cordes, il disparaissait totalement dans son petit monde et comme à l'époque, peu importe à quel point elle l'avait déçue, peu importe à quel point il s'en voulait de le faire, à chaque représentation, à chaque concours, au milieu du néant qu'il créait dans sa bulle, il cherchait le regard de sa mère dans le public.

(c) Ilukaan