Une petite lampe torche de camping accompagnait tout le set up de Shinji quand il venait étudier les mouvement des astres pour ses cours. Chaque semaine, il devait dresser une carte du ciel aussi précise que possible, et il s’appliquait grandement pour ne pas se tromper, pour ne pas avoir de mauvaises notes. C’était essentiel pour lui.

Alors il était assis dans l’herbe, avec ses instruments de mesure et son télescope portatif en cuivre, son cahier de notes, son crayon de bois, sa gomme et surtout, surtout, beaucoup de motivation. Perdu dans ta contemplation, il ne voyait pas le temps passer. C’était un peu le souci de ces moments de boulot/loisir, c’était qu’il se laissait facilement détourner du travail à faire pour juste regarder… Parfois, se perdre dans l’immensité du cosmos, c’était un exercice relaxant, ça le sortait de son stress constant.

Aussi n’entendit-il pas du tout les pas qui s’approchaient jusqu’à ce qu’une voix retentisse à côté de lui. Il sursauta et jeta un regard affolé et surpris à la silhouette qui se dressait à côté de lui, à moitié reconnaissable dans la faible lumière de sa lampe torche.

« Oh ! Euh. Ouai. Salut. » Il marmonna d’une voix basse et traînante. Il rassembla un peu ses affaires pour ne pas que l’autre risque de les écraser en s’asseyant, ce qu’il faisait sans gêne. Il prit une petite inspiration et glissa un regard au gars avant de relever le nez et reprendre son calcul de distance entre les deux étoiles qu’il avait repérées plus tôt. « T’es venu voir quelque chose en particulier ? » Il glissa finalement, un peu hésitant, en reportant ses calculs sur son cahier.

Son travail scolaire était à la fois un plaisir et une responsabilité, aussi n’était-il pas totalement dérangé par la présence de l’autre, il ne savait juste pas comment réagir. C’était la première fois qu’on venait le rejoindre alors qu’il étudiait les étoiles.

Il hocha la tête quand il lui répondit. C’était quelque chose qu’il pouvait tout à fait comprendre. Il fut désarçonné par la question et prit son temps pour y répondre. Quand il faisait ça, il savait qu’il pouvait laisser planer des longs silences. Il ne s’en rendait pas compte, il était juste… lent parfois.

« Je profite et étudie. Je dirais ? » Il esquissa un sourire en coin. Il montra tout ses instruments et documents étalés sur l’herbe autour de lui. « Je suis en cosmologie et astronomie magique. C’est… mon travail scolaire, en fait. » Il haussa les épaules et retourna à ses observations, laissant le temps à l’autre de lui parler si ça lui plaisait. Tant qu’il n’attendait pas qu’il fasse le premier pas, il était nul pour lancer une conversation. Au moins était-il à peu près à l’aise, sous le couvert de la nuit et du ciel dégagé, pour que sa timidité ne soit pas trop envahissante.

Il sursauta quand la voix du gars retentit à nouveau à côté de lui, il vint le dévisager. Oh, c’était aussi un japonais. Surprenant. Mais bon, il discernait à peine son visage. « Shinji Hirako. Enchanté de te rencontrer Momota-san. » Il lança placidement. « Je suis en neuvième année, en cosmologie et astronomie, comme j’ai déjà dit. » Il esquissa un bref sourire avant de reporter un calcul sur sa feuille, lentement, mais sûrement.

Son télescope dans une main, il chercha une nouvelle étoile à placer sur sa carte du ciel qui commençait à prendre forme.

N’importe qui d’autre aurait sûrement demandé pour savoir pourquoi il n’était finalement pas dans son cursus. Mais Shinji n’en avait strictement rien à faire. Chacun faisait ses choix dans la vie, qui était-il pour juger quelqu’un qui s’était détourné d’un cursus au profit d’un autre ? Lui, il voulait étudier les étoiles, peut-être travailler avec la NASA, ou dans les laboratoires d’astronomie sorcière argentins… C’était un but qu’il comptait atteindre et il s’en donnait les moyens. L’autre était parti ailleurs ? Quelque part, ça arrangeait Shinji, ça faisait moins de monde dans sa classe et il y était plus à l’aise. Il n’allait pas non plus cracher sur les rêves des autres, surtout pas un illustre inconnu.

Enfin, il réussit à le surprendre quand, après sa présentation, il lui lança deux informations qui n’allaient pas ensemble. Comment ça la justice magique, et astronaute ? C’était complètement absurde ! On ne peut pas être juge ou avocat… et astronaute ! En tout cas, l’esprit de Shinji refusait de le concevoir. Il resta à fixer en silence Momota, l’air ahuri à peine visible malgré la petite l’ampe qu’il utilisait pour éclairer ses carnets.

Dans le calme qui s’installa, il finit par hausser les épaules et retourner à ses cartes du ciel. Après trois nouvelles étoiles sur le papier, il finit par poser la question qui trottait dans le fond de son esprit. « Mais… Tu étudies les étoiles et les techniques de voyages spaciaux sur ton temps libre, pour être astronaute ? Ca demande des connaissances variées et une bonne forme physique. Tu t’entraines ? Ou peut-être que tu suis déjà un programme de préparation ? Je sais que ça existe, j’avoue ne pas avoir trop approfondi ma recherche puisque ce n’est pas dans mes objectifs mais... » Il laissa planer un silence et finalement, décida qu’il n’allait pas continuer sa phrase. L’autre japonais allait comprendre sans qu’il ait besoin d’en rajouter.

Après tout, à sa connaissance, tout le monde ne pouvait pas devenir astronaute. Ceci dit, c’était un objectif honorable, et peut-être que les études de droit étaient juste une passerelle avant le grand projet du brun ? Il soupira et reporta une nouvelle étoile sur sa feuille avant de proposer son télescope magique à Momota. « Il est paramétré sur Venus, si tu veux. Elle est assez visible ce soir, c’est sympa. » Il donna un petit coup de baguette et l’instrument vient se glisser près de Momota sans changer d’orientation. Qu’est-ce que c’était pratique, la magie, pour ça. Il avait un télescope moldu chez ses parents, ça demandait tellement plus réglages et de finesse… Et ça se déréglait d’un rien. Sa hantise.

Ah, des complications, donc. Il était contraint de juste se renseigner de lui-même au maximum, sans pouvoir vraiment, pour l’instant, toucher son but ultime. Dur. Shinji compatissait, même si ça ne se voyait pas sur son visage blasé. Pas cool pas cool… Il aurait aimé en savoir plus, comprendre, mais… il y avait tellement de raisons qui peuvent pousser une personne à abandonner d’être astronaute, il n’avait pas forcément envie d’entendre une histoire larmoyante ce soir. Et puis au fond, chacun sa vie et ses emmerdes, il n’était pas trop du genre à fouiner Shinji. Heureusement pour Kaito. Il avait d’ailleurs bien vu que ce dernier n’avait pas vraiment envie de s’étendre sur le sujet.

Raison de plus pour se contenter de continuer son travail et de passer sur un autre sujet.

« Monsieur Goetia aime bien raconter des histoires sur Vénus. J’ai fait des recherches historiques sur sa signification tant scientifiques que folkloriques. Certaines disent qu’elle est souvent très visible au printemps, dans le ciel. Et que ces années là sont de bonnes années pour les paysans et les amoureux. Les uns parce que ça leur donne beaucoup de naissances dans les troupeaux, les autres parce que ça leur donne de la chance en amour. » Il haussa les épaules. « C’est assez amusant comme légendes. » Et une bonne anecdote à ressortir si besoin.

Il ratura une étoile qu’il avait mal placé et refit ses calculs avant de la remettre au bon endroit. Il finit de corriger sa constellation du dragon et se tourna vers Momota.

« Quelle est ta constellation favorite ? » Il hésita un instant avant de préciser. « Dans le ciel, ce soir, s’entend. Visible. »

La sienne, c’était celle de l’Hydre, toute allongée et semblant vouloir prendre toute la place dans le ciel, il adorait l’observer, voir les mouvements qu’elle semblait faire d’une carte à une autre selon l’inclinaison du globe terrestre. En plus, les sorciers lui associaient plein de caractéristiques magiques très intéressantes. Comme le fait qu’elle faisait partie des constellations qui pouvaient influer sur certaines potions, comme celles contre l’acné par exemple.

Spoiler:

Il hoche la tête.

« En effet, Aphrodite pour les grecs, et Vénus pour les romains. » Il n’avait jamais trop compris pourquoi les noms variaient autant entre les deux mythologie alors qu’elles étaient si proches en terme de symboliques. Après, ça restait de simples noms, quelque part, tant que ça ne le perdait pas trop quand il étudiait, il s’en fichait.

Il sourit. L’Aigle et le Lynx, hein ? Que des prédateurs, intéressant tout ça, ça en disait beaucoup sur l’homme qui venait de rejoindre sa nuit tranquille à observer les étoiles. Il écoute avec attention. Kaito avait visiblement un grand besoin de liberté, vu son interprétation, sa vision. Ça toucha Shinji un peu. Il secoua la tête et reprit le téléscope pour observer sa prochaine étoile.

« Non, tu n’exagères pas, chacun sa façon de voir les choses. Je n’y aurais jamais pensé comme ça, je t’avoue. » Il ajouta Alkaid à sa carte, refit ses calculs et vérifia que les coordonnées étaient les bonnes avant de continuer ce qu’il disait. « C’est très poétique de voir les choses comme ça. Je suis plus pragmatique. »

Il recommence son manège, n’oubliant pas que, malgré la conversation, il était là pour son travail scolaire avant tout. « Ma préférée, c’est l’hydre. On dirait qu’elle veut prendre toute la place dans le ciel en s’allongeant de tout son long. » Il a un petit rire grinçant et reporta une nouvelle étoile sur sa carte. « Elle est menaçante, comme dans la mythologie, c’est fascinant, je trouve. »

Il relève la tête et se tourne vaguement vers son camarade. « Elle est plus compréhensible en un coup d’oeil que des constellation comprenant seulement deux étoiles qui portent des noms comme ‘’petit chien’’, ce qui n’a aucun sens je trouve. »

Il sourit en coin, il voit que l’autre patauge un peu avec ses mots mais dans le fond, il tente vraiment d’expliquer le concept.

« Quand on ne connaît pas l’astronomie, ça n’a aucun sens. Mais ensuite, on capte le fonctionnement céleste et tout prend vie, et intelligence. C’est une question d’assemblage, de distance, de mouvement cohérent entre les étoiles. Je trouve ça fascinant. Même si effectivement, reconnaître à quoi ça correspond… Au moins la Grande Ourse a l’air d’une casserole et l’Hydre d’un long ruban d’étoiles qui se suivent. »

Il n’avait pas beaucoup de qualité qui le rendaient accessibles socialement, Shinji, mais parler de ses passions aidait souvent pas mal. Il s’ouvrait ainsi et se montrait sous un jour plus sympathique. Il sourit donc plus franchement au gars, même s’il ne devait pas voir grand-chose, avant de retourner à ses cours.

« Je dois finir ça pour demain, tu m’excuses, hein. » Il apprécie au final la présence tranquille à ses côtés, même s’ils ne parlent pas, ils sont là pour une raison commune qui les rassemble. C’est agréable de passer du temps avec des gens, en silence.

Il finit quand même par conclure sa carte du ciel, assez satisfait du résultat. Il la relit calmement et la tend à Kaito.

« Tu veux voir ? » Il propose d’une voix basse, adaptée à l’ambiance après le silence qui était longuement retombé entre eux. Il se doute que ça n’intéressera peut-être pas l’autre, parce que c’est plus scolaire que l’amour simple des étoiles et de leur évolution dans le ciel. Il se dit que c’est quand même un geste sympa, juste de partager, entre deux quasi inconnus assis dans l’herbe par une belle nuit de juin sous la voûte céleste dégagée de tout nuages.

L’enthousiasme de l’autre lui fait un peu plaisir, alors il est souriant pendant qu’il relit sa carte. Il n’est pas sûr que ça soit compréhensible pour lui, mais partager… C’était chouette, un peu. Il est flatté du compliment et range tout son matériel tranquillement, se ses gestes un peu lent qui lui sont parfois reprochés.

« Merci ! Tu voulais faire autre chose ce soir ou pas ? » Il demande, platement. Il n’est pas doué pour faire la conversation et la fatigue commençait à venir prendre son dû. « Parce que si ça n’est pas le cas, je suis désolé, mais je vais devoir te laisser. » Il lâche d’une voix calme.

En tout cas, il avait apprécié cette soirée imprévue avec ce gars. « Ravi de t’avoir rencontré, Kaito. » Il baille longuement, une main venant cacher sa bouche malgré la pénombre. « On pourra sûrement se revoir dans les parages, les soirs de ciel clair… »

Il déplie sa longue carcasse pour se relever et s’étirer. Il ne sait pas trop quoi ajouter, l’idiot associable qu’il est est bien embêté. « Euh… Bref. Euh… » Il hésite et se dit qu’il doit faire un effort et donc, il prend son courage à deux mains et déchire une page de son agenda pour écrire son numéro dessus. « Envoie-moi un message si tu veux. » Bon, il a fait son max. « Bonne soirée. » Il marche d’un pas lent vers son dortoir.