Le soleil n’allait pas tarder à jaillir de l’Océan Pacifique, ce qui signifiait aussi que Keith allait bientôt devoir retourner à Ilukaan, où un nouveau semestre de cours l’attendait. C’était déjà sa cinquième année à l’école de magie, et l’élève s’était déjà beaucoup attaché aux lieux et aux gens, même s’il était plus connu pour déclencher des conflits.

Il était assez habituel que l’enfant reste silencieux durant les repas, ses parents y étaient habitués. Mais il semblait troublé, ses baguettes faisaient danser les morceaux d’omelettes avec ses grains de riz plus qu’elles ne lui servaient à manger. Son regard ne quittait pas son bol au lieu de se perdre entre les discussions de ses parents, auxquelles ils portaient parfois attention distraitement. Son attitude n’échappa à Texas Kogane, assis à côté de lui. Celui-ci avait toujours été bienveillant et doux à l’égard du jeune, et ce même lorsqu’il était question des turbulences qu’il causait à l’école.

« Alors, tu es contente de retourner à Ilukaan bientôt, Chuuri ? »

Son père, souhaitant certainement engager une conversation paisible avec son enfant, provoqua l'effet inverse. Ses mots furent comme un coup de poing dans la cage thoracique de Keith, qui haussa les épaules en murmurant un timide “mhm” d’approbation. Il avait réussi à supporter toutes ces vacances de Noël en famille, ce n’était pas maintenant qu’il était sur le point de repartir qu’il allait craquer. Il se mordit l’intérieur des joues pour contenir les larmes qui lui montaient aux yeux, respirant profondément pour tenter de contenir ces traîtresses à l’intérieur de ses paupières, mais un étau douloureux enserrait déjà ses côtes.

Ça aussi, son père ne le manqua pas.

« Ça ne va pas ma puce ? » demanda-t-il au jeune, sa voix empreinte d’inquiétude tout à coup.

Nouveau coup de poing en plein cœur. Krolia, installée face aux deux autres, porta à son tour son regard sur Keith une attention particulière. La jambe droite de l’élève tremblait à présent, attirant l’attention de Kosmo, le chien loup avec lequel il avait grandi, qui glissa son museau entre les jambes de son maître pour l’apaiser. Le jeune lâcha définitivement ses baguettes pour venir le caresser derrière les oreilles, tentant toujours en vain de dissimuler l’accumulation de larmes qui troublait sa vision en baissant la tête.

Le silence autour de la table se fit vite très pesant, mais Keith ne parvenait pas à le briser. Sa gorge était nouée, et sa voix se briserait, trahissant sa douleur, à la moindre tentative. Il aurait aimé leur dire sans crainte, leur avouer aussi facilement qui il était, qu’il avait besoin de leur soutien, mais surtout, qu’il avait peur. Il avait peur d’être lui-même, il en souffrait énormément. Et c’était sûrement pour ça, au fond, qu’il se battait autant. Parce qu’il souffrait de ne pas être lui-même, ce qui l’empêchait de cohabiter sereinement avec ses camarades.

« Chuuri ? »

Et encore un coup de poing dans le torse. C’était sa mère qui avait pris la parole cette fois-ci. La fois de trop, décidément, car les chaudes gouttes salées commencèrent à former des sillons sur ses joues. Texas passa un bras par-dessus ses épaules tandis que Krolia fit le tour de la table pour s’agenouiller à ses côtés.

« Qu’est-ce qu’il se passe, mon cœur ? On se reverra aux prochaines vacances, ne t’en fais pas, commençait déjà sa mère pour tenter de le rassurer.
– C’est pas ça …, murmura le jeune entre deux reniflements.
– Alors qu’est-ce qu’il y a, Chuuri ?
– Arrêtez de m'appeler comme ça. »

Les deux adultes échangèrent un regard, mélange de surprise et de confusion. Mais ils restèrent silencieux afin de laisser le temps à leur enfant de s’exprimer.

« Ça fait un moment que j’avais envie de vous en parler, mais j’avais trop peur …,»
le garçon prit une profonde inspiration en fermant les yeux, ses mains posé sur la tête de Kosmo sur ses cuisses. « Je suis pas une fille. Je veux plus qu’on m’appelle Chuuri. »

La poigne de son père se resserra sur son bras, dans un geste qui se voulait rassurant, alors que Krolia posa ses mains sur les avant-bras du jeune homme.

« Et comment voudrais-tu qu’on t’appelle ? » demanda doucement sa mère en le caressant lentement de ses pouces.
« Keith.
– Ça fait pas très japonais, » répondit son père pour détendre l’atmosphère, parvenant à arracher un véritable aux deux autres.

La femme essuya les larmes de son enfant du bout de sa manche, affichant un sourire paisible. Ses mains restèrent quelques instants sur les joues de son fils après un regard rassuré vers son époux.

« Je suis contente que tu nous l’ai dit en vrai plutôt que par lettre, mon chéri. On va sûrement se tromper au début, mais sache qu’on t’aime et qu’on te soutient quoi qu’il arrive. »

Et après cela, ils tinrent leur parole. Bien que la transition de Keith fut pendant un moment un sujet épineux, lui souffrant de sa dysphorie et voulant absolument aller au plus vite, et ses parents ayant très peur pour lui et voulant qu’il prenne beaucoup de temps pour chaque étape. Mais ils lui donnèrent toujours du soutien et de l’aide.

Que ce soit pour sa transition et pour ses études de manière générale. Cette confiance que Keith leur accorda ce jour-là eut une influence positive sur la relation entre la mère et le fils. Krolia se rendit compte de la distance qui la séparait de son fils en discutant avec son mari, qui avait vu venir le coming out de Keith par rapport à elle qui ne se rendait absolument compte de rien. C’est avec cette réalisation qu’elle décida d’entretenir plus sérieusement le lien entre eux, allant jusqu’à rejoindre le staff d’Ilukaan.

Avec les années, Keith et Krolia se rapprochèrent beaucoup. Keith, par rapport à une grande partie de son enfance, peut maintenant compter sur sa mère.

(c) Ilukaan