Tomorrow will be kinder
I will think of our song when the nights are too long
I’ll dream of you for that’s where I belong
Love can we meet again soon in the bluest of skies
Only in my dreams ..
Do we meet again
Voilà deux longues semaines que les
Hunger Games s’étaient achevés, et bien qu’il fut douloureux pour Jelila de poursuivre le visionnage d’une telle hécatombe, elle s’y était efforcée jusqu’au bout. Un semblant de révolte avait ensuite été initié, bien rapidement maîtrisé. Le soulèvement général n’avait pas laissé naitre chez elle la moindre once d’espoir, et l’idée qu’il puisse être entendu par les meneurs de Panem lui traversa à peine l’esprit. Elle n’avait eu que ce faible réflexe de saisir Yon par le bras, pour la tirer hors de la cohue enragée.
Le temps passait. Et les souvenirs demeuraient.
Les images cruellement imprimées derrière leurs paupières, Yon et Jelila vivaient avec sans jamais en exprimer le moindre mot.
Un mot prohibé : mort.L'air alourdi par un vide intense qui s'était pesamment abattu dans la maisonnée Wang. Une absence que ni le temps, ni l'effort ne saurait combler. Un trou béant qui se creusait dans sa poitrine, et qui la laissait croire que son âme quittait son corps à son tour sans même qu'elle ne cherche à la retenir. Son visage blême, il avait perdu de ses couleurs. La demoiselle parcourait le sol, à présent fangeux du fait de la dernière pluie, à l'entrée de leur habitation. Elle rentrait tout juste des mines, en témoignaient son visage couvert de suie et ses vêtements dans un état plus que déplorable. Elle accordait à peine un regard à sa propre figure, tant ses pensées pouvaient l’orienter ailleurs.
La pendule sonna cinq heures du soir.
Et son esprit lui offrit la plus impitoyable des tromperies.
Une fois de plus, elle crut discerner cette silhouette qui lui apparaissait tel un songe, dont les contours se dessinaient gracilement à l'horizon, annonçant sa présence avec ce geste de la main à travers lequel
il avait pour habitude de dire
"Je suis rentré". Les prunelles de Jelila s'écarquillèrent dans un élan d'espoir cruel, tandis que sa poitrine se soulevait dans une inspiration étouffée.
L'éclat de son sourire timide, sa démarche qu’il voulait voir assurée en dépit du lourd poids qui lui pesait, lui parurent si réels que la Maghrébine se risqua à entamer une marche fébrile en sa direction. Aussitôt, il disparut de son champ de vision, à la manière d'un rêve qui s'évapore peu à peu.
La désillusion passée
La douleur ravivée
De son regard terni, elle parcourut péniblement ce sol qui plus jamais ne serait marqué par les pas de cet homme qu’elle avait tant aimé. Cet homme qui était devenu sa raison de se lever chaque matin, comblant l’absence de sa propre famille biologique, et qu'elle accueillait chaleureusement à son retour, tandis que l'astre solaire s'en allait vers son déclin doré.
À chaque coucher de soleil, elle continuait de nourrir l'espoir de voir Colton rentrer à la maison.
Mais il lui semblait à présent que le temps n'avançait plus.
Il lui semblait que sa vie, à l'instar de celle de son tendre ami, s'était arrêtée.
Si la journée elle était, contre son gré, éloignée des murs de leur humble chez-eux où seul un écho silencieux lui répondait lorsqu’elle laissait échapper quelques mots, elle ne s’en plaignait pas. Yon ne quittait pas son lit, et bien que Jelila eut toujours entretenu avec elle une relation particulièrement étroite, elle s’était découvert une tendance malhabile lorsqu’il était question d’affronter le deuil d’un être cher commun. Que dire ? Quels mots employer ? Quels gestes initier ? Elle n’était pas si adroite que l’on pouvait l’imaginer. La seule chose dont elle pouvait être certaine, c’était qu’elle se refuserait de pleurer devant elle. Quoiqu’il puisse arriver.
Jelila l’avait déjà aperçue regarder du côté de la chambre de son frère aîné qui continuait d'abriter sa mémoire encore chaude. Et alors, un tremblement effrayé et involontaire faisait frissonner la plus jeune sans qu'elle ne parvienne à le réprimer, avant qu’elle ne rejoigne son lit aussitôt. Jelila entamait un mouvement en sa direction, avant de se raviser.
Quelle piètre figure protectrice elle faisait pour sa cadette. Colton la blâmerait certainement.
Elle glissa une œillade faible vers une balancelle qu’ils avaient construite ensemble, lui et elle, installée non loin de là, et parce qu’elle en avait émis le caprice. Décorée de fleurs, pour qu’elle ait les marques du botaniste en herbe. Yon avait fini par en être la réelle bénéficiaire, tant elle y passait ses journées assise autrefois. Jelila, elle, aimait en profiter quand le temps s'y prêtait. Quand l'air se faisait agréable.
Alors Jelila s'y installa. Laissa sa paume se poser doucement sur cette place à côté à présent inoccupée. Vide. Un peu trop froide.
Témoin de l'absence.
Elle crut sentir sa présence.
Et sa mémoire fut la cruelle instigatrice d'un ravivement de souvenirs soudains.
Elle se le figurait là, à ses côtés, serein tandis que face à elle se dessinait le vestige d’un passé lointain sous les reflets d’un soleil chatoyant : elle apercevait sa propre silhouette dansante à elle, s’agitant au gré des sons environnants, et elle se remémora ses propres paroles qu’elle avait naïvement prononcées il y a de cela bien des années, alors qu’ils n’étaient que des adolescents :
« J’aimerais danser pour toi jusqu’à ce qu’on ait cent ans ! »
Un faible sourire saisit les commissures de ses lèvres.
« Faisons-le ensemble. » lui répondait-il, en l'entrainant à son tour.
Ces moments qui ne seraient plus que des souvenirs.
Le temps passa.
Jelila laissa ses iris dont la lueur s'était désormais éteinte, errer vers le chemin sinueux guidant à la forêt. Elle était épuisée, mais n'osait plus se livrer au sommeil : en s'y essayant, elle se réveillait chaque matin avec l'ombre de ses cauchemars dans son esprit. Il fallût alors qu'elle laisse son corps décider pour elle.
Vide.
Absente.
« Tu me manques. »Un souffle quitta ses lèvres, au même rythme que ses dernières forces qui l’avaient jusqu’à maintenant miraculeusement maintenu debout.
Le souvenir de sa silhouette rampante la frappa sans crier gare.
L’image impitoyable de ses larmes parcourant le visage du Coréen sans jamais s’arrêter.
Le geste de ce malheureux tribut qui avait fini par mettre fin à ses souffrances.
L’énième son retentissant du canon, qu’elle n’associait plus qu’à lui désormais.
Le nœud qui obstruait sa gorge se défit aussitôt, elle appuya ses paumes contre ses paupières. Elles coulaient entre ses doigts, le long de ses mains avec lesquelles elle finit par agripper ses cheveux dans une détresse incurable.
« Tu me manques tellement. »La douleur acceptée, Jelila pleura sa mort toute la soirée.
Le hululement d’un hibou accueillit son réveil en plein milieu de la nuit. Elle s’était redressée, avait rejoint la maison sans plus attendre. Dans cet élan sororal qu’on lui connaissait bien, elle avait vérifié l’état de Yon, endormie, et avait fini par poser, doucement, une main consolatrice sur le haut de sa tête.
Elle s'y attarda un instant.
« Pardonne-moi, Colton. Il existe certaines de tes volontés que je ne pourrais honorer. »Elle veillerait sur Yon. Lui assurerait le confort et la santé, même si ce devait être au détriment de la sienne. Elle l’accueillerait avec ce même sourire sans ne plus jamais laisser paraitre sa souffrance. Elle serait pour elle cette seule et unique famille qu’il lui restait.
Mais Jelila ne vivrait pas heureuse. Ne laisserait pas au destin l’occasion de l’amener à son âme sœur non plus. Rien qui ne puisse la dévier de son objectif. Elle se fit d’ores et déjà la ferme résolution de se désigner à la place de Yon, si elle-même n’était pas choisie avant. Elle attendrait ce jour. Elle s’y préparerait corps et âme. Peut-être contribuerait-elle à la perpétuation d’une tuerie innommable, pour le plus grand plaisir de leurs détracteurs.
À moins qu’un élément, aussi infime soit-il, ne parvienne à briser la boucle.
Puisse Colton les couvrir de ces ailes protectrices dont il était à présent détenteur, dans l'espoir qu'un lendemain nouveau ne se lève.
« Oui. Puisse le sort nous être à jamais favorable. »