Il faut qu'ils parlent. Du moins, qu'ils en parlent plus sérieusement.

A l'aube de son vingtième anniversaire, Colton s'était une nouvelle fois rappelé de l'épée de Damoclès qui pèse au dessus de sa délicate tête, comme à chaque fois depuis maintenant deux années. Deux ans, qui, à son goût, se sont écoulés très rapidement, mais surtout avec beaucoup d'amertume.

Le Coréen savait que de nombreux responsabilités et autres engagements l'attendaient au cours de sa vie, vie de sang-pur issu de famille conservatrice. Des sacrifices, il en aurait à faire jusqu'à qu'il soit six pieds sous terre. Pourquoi agir de la sorte ? Au nom de son sang et ce que cela doit inspirer. Depuis sa plus tendre enfance, telles étaient les raisons qui les étaient invoquées pour lui expliquer pourquoi il ne pouvait pas jouer avec les autres enfants de l'école du village, ou bien encore pourquoi il se devait d'exceller dans tous les domaines, même ceux qui ne l'intéressaient pas particulièrement. A l'époque, il ne trouvait pas que cela avait beaucoup de sens. Toutefois, il a toujours été très respectueux envers ses aînés et les traditions, leurs tradition. Aussi, n'avait-il jamais considéré l'idée de les remettre en question. Il s'était contenté d'obéir sans faire d'histoire, devenant l'enfant sage comme une image, parfaitement ce qu'il était attendu de lui.


Cependant, bien qu'il en ait conscience assez tôt, il ne s'attendait pas à ce que celui-ci arrive aussi vite. Certes, l'enfant avait grandi et était devenu un jeune homme admirable, mais était-il pour autant fin prêt ? De les engagements, celui-ci était le plus grand à prendre alors que le Coréen venait à peine de découvrir réellement ce domaine sentimentalement parlant.

L'amour, quel sentiment bien étrange, n'est-ce-pas ? Celui qui vous fait pousser des ailes. Qui vous amène à vous surpasser et à devenir meilleur. Celui qui change toute votre vie pour en devenir le centre. Si cela parut très soudain et puissant au Strixyst, il s'était cependant laissé porter par ce dernier pour avoir une histoire avec une charmante Cervirald, qui, si elle était très bruyante, possédait d'autres qualités bien plus grandes aux yeux du sang-pur.

Seulement, Colton Wang comprit à ses dépends que ce genre d'émotions n'avait pas sa place dans son parcours de vie, à moins que cela fasse parti du destin que ses ancêtres ont tracé pour lui. Au début, la pression était supportable. Néanmoins, bien vite, il ne peut plus supporter de voir sa relation se faire cracher dessus. Ainsi, il avait du prendre la décision lourde et douloureuse d'y mettre fin.

Cela fut la première fois que le sorcier fut réellement contrarié par leurs traditions, ou du moins que le choc fut suffisamment violent pour qu'il en prenne conscience. Il en avait versé des larmes, pour extérioriser,  et de la sueur, pour se défouler. Il aimait profondément Meulin et devoir lui faire tant de peine pour une raison de la sorte, cela ne lui avait jamais convenu. Néanmoins, seule la pression familiale et l'annonce d'un mariage arrangé justifiait une rupture. Du moins, aux yeux de sa famille, le Coréen trouva cela très lâche de sa part, même pour lui d'ordinaire si fuyard.

Ainsi était né de se rebeller contre les Wang, mais rien de concret n'a été mené. Il n'y arrivait pas. Il n'arrivait pas à leur faire face, à leur dire qu'il existe peut-être une alternative. Non, rien. Il était bien trop peureux et craintif pour oser les défier ni même de tenter de dialoguer. Après tout, ils étaient encore bien trop puissants à ses yeux, d'autant qu'il ne souhaite pas leur faire de la peine. Il avait déjà fait bien assez de peine à la Leijon, il ne voulait pas blesser plus de monde et étendre sa liste de regrets.

Qui plus est, la perspective d'un mariage avec Carmilla Strocker n'était pas la plus déplaisante qui soit. Après tout, l'anglaise est une jeune femme splendide. Si elle est tout aussi introvertie que lui, leurs conversations ne sont pourtant pas rares. Femme de culture et de lettres, tendre et délicate,  elle possède tous les charmes que l'on puisse espérer chez une épouse.

Colton connait la jeune femme depuis leurs plus tendres enfances, vu les soirées mondaines internationales auxquelles participaient régulièrement leurs familles. La sphère des pur-sang se réduisait de génération en génération et les familles de moins en moins nombreuses. C'est comme cela qu'il avait également fait la connaissance de Dimitri. Toutefois, dans le cas de Carmilla, tout était différent puisque leurs parents semblaient les pousser dans les bras l'un de l'autre. Evidemment, lorsqu'on est haut comme trois pommes, difficile de comprendre les projets à long terme de la famille. Pour Colton, ses parents essayaient seulement de faire en sorte qu'il ait une bonne amie avec entretenir de bonnes relations de pouvoir international sur le monde sorcier, rien de plus. Il n'aurait jamais pensé que cela s'étendrait jusqu'à un mariage, il était encore bien trop naif.

Dans l'idée absolue, un mariage entre la Strixyst et lui-même ne le dérangerait pas, si cela était imposé et qu'il était certain des sentiments qu'il possède envers la sorcière. S'il la connait depuis de nombreuses années désormais, il ne s'était alors jamais questionné sur la nature de ses sentiments envers elle. Certes, il l'appréciait beaucoup, mais y avait-il autre chose de delà d'une très bonne amitié ? Il n'en sait toujours rien. Ils ont tellement passé leurs vies côte à côte qu'il lui est impossible pour l'heure de poser des mots sur le lien indéfectible et unique qui les unit. Sauf que, du temps pour lui permettre de réfléchir à ce sujet, il est bien conscient qu'il ne lui en reste pas assez.

Voilà pourquoi il s'est rendu à la bibliothèque en cette fin d'après-midi, certain d'y trouver la demoiselle. Son regard s'arrête rapidement sur la brune, semblant lire paisiblement un roman. Il prend alors le soin de se placer dans son champ de vision pour ne pas l'effrayer, puis de la saluer tel le gentleman qu'il est.

"Bonjour, Carmilla. J'espère que tu vas bien et que ton week end est reposant."

Il se place en face d'elle, attendant du regard sa permission de s'asseoir sur la chaise du regard avant de s'exécuter rapidement. Il n'a pas de temps à perdre, autrement son embarrassement se dépêchera de s'emparer de ses joues déjà rosées.


"Nous savons tous les deux que je possède ma majorité internationale dans quelques mois. Je souhaitai savoir si tu avais réfléchi de ce fait à notre mariage."

Voilà, il a réussi à le dire sans trop bégayer et se permet de reprendre sa respiration.


En y réfléchissant bien, Colton ne se souvient pas de l'avis de la concernée vis-à-vis de leur mariage. Il faut dire qu'elle avait eu entre temps d'autres différents familiaux à régler, aussi n'avait-il pas pris la peine d'évoquer le sujet avec elle à l'époque. Mais désormais, suite à une discussion avec un autre Cervirald, il avait décidé de cesser d'avoir recours à sa lâcheté et de se montrer un peu plus actif, prenant enfin le courage qui lui a tant manqué par le passé devant ses anciens.

Il retient sa respiration, pendu à ses lèvres rouges comme le sang, atteint finalement que son jugement soit rendu quelques secondes plus tard. S'il est vrai que ce mariage lui avait été imposé, l'inverse était tout aussi véridique. L'un comme l'autre n'avait jamais émis une quelque conque demande à leurs parents. Cela leur était tout simplement tombé dessus, comme souvent finalement pour les héritiers de famille au haut lignage.

Pour autant, Colton reste persuadé que Carmilla a également sa propre opinion, malgré les codes tout aussi stricts qui lui sont imposés. Après tout, elle a beau ressembler à une princesse, le Coréen n'en pense pas moins que la Strocker est aussi une personne perspicace et réfléchie et non une jolie poupée de porcelaine qui aurait sa place dans une vitrine. S'il peut lui être interdit de s'exprimer, jamais il ne pourra lui être interdit de réfléchir et de penser par soi-même. Selon le sorcier, ce n'est pas parce que l'on s'exprime peu que l'on en pense moins; du moins, cela s'applique dans ce cas. Aussi est-il assez anxieux de la réaction de la demoiselle. Qui sait ce qui se cache derrière ses traits parfaits ?

Avec la légère tension palpable sur son visage, il est alors aisé de lire la surprise qui illumine ses yeux bruns du sang-pur face aux propos de la demoiselle.  Elle trouve cela donc dommage, mais seulement pour lui ? Quelle étrange pensée ... A dire vrai, même s'il passait des journées à y réfléchir, il ne verrai aucunement en quoi la présence de Carmilla à ses côtés en tant qu'épouse serait navrante. Peut-être est-ce parce qu'il avait commencé à se faire à l'idée de finir ses jours avec elle ? Non, même s'il se mariait à quelqu'un, il serait même très heureux qu'elle soit toujours une amie proche.

"... Je te prie de m'excuser mais ..."

Il cherche ses mots, décontenancé par les dires de la Violette.

"Tu trouves que cela est dommage pour moi, et moi uniquement ?"

Après tout, Colton se considère comme ce qu'il est, avec ses qualités et ses défauts, voyant d'ailleurs bien ces derniers que ce qui fait de lui un homme bon. Son manque de confiance en lui, sa timidité, sa rigidité d'esprit, sa lâcheté, son manque d'autorité et sa naïveté, lui ne voyait que cela. Il n'est pas encore assez bon pour qui ce soit, et ne sait s'il le saurait vraiment un jour...

"Je dois t'avouer que cela me surprend assez. Je ne vois pas en quoi tu ferais une mauvaise épouse. J'aurai même tendance à penser que je serai plus handicapant pour toi en tant que mari que l'inverse. Tu es une personne brillante qui mérite de vivre heureuse, Carmilla. Et d'avoir la liberté de te marier avec la personne qui parviendra à te combler."

Si le cadet est conscient de l'univers misogyne dans lequel il évolue, ce n'est pas pour autant l'idéal envers lequel il aspire, notamment quand le coréen se retrouve dans d'autres personnes venant de tous milieux et de tous sexes. Non, le monde n'est pas juste et ne le sera jamais, il en est bien conscient. Cependant, quitte à être aussi cru, est ce que le monde ne peut pas se régir par méritocratie que par des histoires de lignage sans queue ni tête ? Les temps modernes sont désormais finis, et pourtant, le cercle fermé de certaines familles sang-purs continue à y vivre comme s'il s'agissait d'une époque éternelle où seul le respect de leurs codes permet d'offrir le bonheur, un bonheur devenu bien superficiel aujourd'hui. Décidément, plus y réfléchit, moins il comprend ses ancêtres.

"Tu as raison sur un point toutefois. Il faut agir rapidement face à cette situation qui a déjà trop duré. Nous devons le faire, ensemble."

Les mots "nous" et "ensemble" semblent plus accentués que le reste. Est ce pour se donner du courage, par manque d'individualité ou bien par réelle conviction ? Probablement un mélange des trois. Colton considère Carmilla comme son égal, aussi a-t-elle également son mot à dire dans cette bataille face à leurs familles. Il est hors de question qu'il la laisse seule face à ces vautours qui leur ont déjà bien trop pris. Elle mérite bien mieux et se sent prêt à l'aider à sortir de cette cage de prison dorée, semblable à la sienne.

"Tu ne sais pas tout.", certes. Mais n'est ce pas une constante d'un être humain par rapport à un autre ? Il est difficile de tout savoir sur une personne, peu importe le nombre d'informations qu'il puisse être exister à son sujet. Le temps passé avec une autre personne n'a pas d'importance, ne pas tout savoir sur elle restera une vérité. Cette phrase parait de ce fait totalement dénuée de sens pour Colton.


Bien qu'au fond de lui, il a bien une petite idée de ce que sous-entend cette phrase, d'autant plus venant d'une jeune femme au sang-pur issue d'une famille conservationniste arriérée. Après tout, ne vient-il d'une famille très attachée aux traditions ? Même s'il reste peu familier aux coutumes de l'ouest, le Coréen ne doute nullement que leurs méthodes ne soient plus douces que celles employées par ses pairs. Il suffit de voir les derniers scandales dans le monde magique canadien pour avoir une idée des atrocités que la famille de la Violette a pu commettre ou cacher. Connaissant la nationalité de la famille Strocker, il en vient à penser qu'ils doivent avoir commis tant de siècles d'ignominies qu'ils doivent avoir une bonne partie de leur héritage sombre.  Carmilla doit donc bien ignorer ne serait-ce qu'une petite partie des actes de ses ancêtres.

"Et je ne le saurai jamais. La réciproque est tout aussi vraie : les secrets de ma famille sont bien gardés."

Après tout, la famille Wang fait partie de la même catégorie de famille que celle des Strocker, elle aussi sur bien des générations avant lui. Est ce qu'il se rappelle de tout ce qui peut être considéré comme un méfait ou mauvais aux yeux de la nature humaine ? Non, seulement ceux auxquels il a dû assisté. Il n'y a jamais participé en tant que tel ; il s'est contenté de fermer les yeux sur certains actes ou certains dires lorsque sa présence était requise. Requise par qui ou par quoi, finalement, si ce n'est pas la piété filiale ? Il n'a jamais approuvé ces pratiques. Au contraire, elles le répulsent encore au plus haut point. S'il affiche bonne figure lorsque cela est évoqué, il n'en reste pas point qu'il a besoin d'être seul, d'essayer de nettoyer toute la saleté qui ne semble jamais s'en aller ; mais au contraire, qui semble de plus en plus s'ancrer en lui à travers les pores de sa peau si parfaite en apparence.


Puis, qu'entends-elle réellement par destructrice pour lui ? Certes, aux premiers abords, il n'a pas l'air solide et se trouve facilement ébranlé par ce qui le touche. Toutefois, cela ne s'éternise jamais. Dans un premier temps, parce qu'il considère que ce qu'il a vu ou entendu l'a suffisamment renforcer.

Peut-être est-ce pour cela qu'il devient une épaule sûre sur laquelle se reposer, l'ami dont les paroles sont réconfortantes et vous touchent droit au coeur. Les ambitions de sa famille l'ont convaincu de ne pas avoir, du moins de les mettre de côté ;les mettre de côté afin de s'assurer que ces dernières ô jamais s'en prendre à d'autres personnes, parfois qui n'ont rien mérité. C'est comme cela que son altruisme s'est développé. Si ses parents pensent que sa bonté d'âme cache une arrière-pensée, notamment en termes de réseaux, son unique objectif est pourtant bel et bien de veiller au bien-être d'autrui, tout simplement. Peut-être est-ce par culpabilité pour ses ancêtres, et que Colton décide d'éponger la dette de ces derniers en termes de karma. Après tout, il suffit de voir à quel point il a pu faire du mal à Meulin à cause de ces derniers. Désormais, au delà d'être quelqu'un de bienveillant de manière passive, il souhaite le devenir également de manière active, et renoncer à ce mariage est un premier pas !

"J'admets que la question est délicate. C'est pour cela que je souhaite parler avec des différentes options qui s'offrent à nous, si on peut formuler ça comme ça."

Autant dire que des idées, il n'en a pas manqué ces derniers jours, cela le bouscule depuis quelques jours, voire quelques nuits plus courtes qu'à l'accoutumée. Certaines sont très farfelues, d'autres semblent trop raisonnables. Puis, même si le botaniste pèse toutes les variables qui lui sont connues, comme lui a rappelé Carmilla : il ne sait pas tout. Certains plans ne peuvent fonctionner que sous certaines conditions du côté anglais. Les deux Strixyst sont emmêlés dans une belle toile de problèmes. Toutefois, si le Coréen a pu trouver le courage de réfléchir à comment s'opposer à sa propre maison, il estime que le plus gros est fait et qu'ils parviendront à leur fin. Il devrait remercier Meulin pour cela. Enfin, faut-il encore qu'ils décident la fin qu'ils choisissent ensemble.

"Le plan le plus arrangeant semble celui de leur faire croire que le mariage va fonctionner, tout en menant chacun de notre côté la vie sentimentale que l'on souhaite en cachette. Puis, lorsque nous aurons chacun acquis assez de pouvoir pour s'émanciper de nos familles nous n'aurons alors qu'à divorcer et vivre chacun sa vie qui lui chante sans se cacher."

Le soulagement se fait ressentir devant l’approbation de la fiancée de Colton. Après tout, bien que le Coréen soit un habile orateur et un fin manieur des mots, il aurait bien pu ne pas sembler convaincant aux yeux bleutés de l’anglaise. Elle aussi, avait sûrement été à ces arts subtiles de la manipulation du langage et se sentir entourloupée par l’étudiant. Ce que le cadet ne fait absolument pas, ses intentions sont sincères. Le mensonge lui a toujours été quelque chose de difficile à formuler, persuadé que cela ne ferait qu’empirer le problème que l’on souhaite dissimuler tôt ou tard. Pourtant, ce procédé lui a paru plus d’une fois comme la solution la plus simple. Mais les solutions les plus simples sont rarement les plus efficaces dans la vie du sang-pur.

Aussi, Carmilla aurait pu bien penser que son plan n’est pas assez élaboré et ne possède aucune chance de succès, à cause de variables que le botaniste n’aurait pas pris en compte. S’il a grandi en côtoyant les soirées mondaines et les riches familles du monde sorcier, cela ne signifie pas pour autant qu’il a passé en revue tous les profils de sa présupposée belle-famille, bien que ce serait ce que les Wang attendent de lui, afin de tirer les meilleurs profits possibles de cette alliance. Toutefois, il considère qu’il n’y a pas plus informée que la britannique, à laquelle il fait entièrement confiance sur ce genre de sujets.  

Si elle estime que de son côté le plan est réalisable, alors il l’est pour les deux camps. Le Coréen s’en est assuré, aux vues des nuits qu’il a pu passer éveillé à analyser les propres membres de sa famille, directe comme indirecte et convenir d’une issue qui convaincrait la globalité de sa maison. Lui-même a été surpris plus d’une fois d’être arrivé à un tel niveau de réflexions envers les siens, ce qui lui fait prendre conscience à quel point son besoin d’émancipation grandit de jour en jour.

Il veut s’assurer que c’est bien ce même besoin, ou du moins ce désir, qui anime l’approbation de l’anglaise. S’il y a bien quelque chose que Colton a retenu sur les rapports homme/femme dans leurs familles, c’est bien que la femme se soumet très rapidement aux décisions de son mari, pour ne pas dire qu’elle les approuve sans même prendre la peine d’y réfléchir. Bien qu’ils ne soient encore que fiancés, le cadet souhaite avoir la confirmation que son aînée n’est pas déjà rentrée dans un tel schéma de pensées.

« Carmilla, ôte moi d’un doute. Assure-moi que tu es d’accord avec mon plan parce qu’il te convient aussi, et pas seulement parce que moi, Colton Wang, le trouve plus arrangeant pour tout le monde. »

Lui qui jusqu’à lors fuyait tout conflit, sait ce qui peut animer quelqu’un à approuver les dires de quelqu’un d’autre, peu importe le statut social. Il est un grand expert dans ce domaine qu’est celui de faire passer les besoins des autres avant les siens, pour maintenir la paix.

Il prend toutefois la remarque de sa fiancée en compte. Il a d’ores et déjà réfléchi à ce problème. Enfin, en est-ce vraiment un ? Tous deux ont vécu avec une surveillance accrue de leurs faits et gestes depuis leur plus tendre enfance. Au contraire, ils y sont habitués et le Coréen y voit là une opportunité d’exploiter cette supervision à leur avantage.

Il la regarde alors chaleureusement, cherchant à la rassurer du regard.

« Ce n’est pas un inconvénient, de mon point de vue.  Nous avons l’habitude de vivre avec ces espions qui nous surveillent, non ? Alors, autant s’en servir à notre avantage. Donnons-leur simplement tellement de faits à rapporter que nos conversations leur sembleront trop banales pour avoir le mérite d’être mentionné.  Puis, nous avons toujours bien communiqué entre nous, alors il n’y a pas de raisons que cela pose un problème. Tant que nous avons chacun pleinement confiance en l’autre, ce qui est mon cas envers toi. Je ne t’abandonnerai pas, peu importe les imprévus. Me fais-tu assez confiance pour mener ce plan jusqu’à termes ? »

Il hoche alors la tête en entendant confirmer l’approbation de son plan, non parce que lui souhaite le mettre en place, mais parce qu’elle aussi a ce désir. Il ne remet pas en doute ses propos. Il lui fait confiance. Après tout, tous deux se connaissent depuis leur tendre enfance et ne comptent plus les heures passées ensemble. Colton a donc appris à lui ouvrir la porte de son for intérieur et lui faire confiance au fil des années. Beaucoup trouveraient cela normal, mais pour les personnes connaissant le Coréen, toutes savent qu’il s’agit là d’un véritable exploit que d’avoir sa confiance.

Cela relève même d’une preuve d’affection à dire vrai. Le violet ressent réellement quelque chose envers sa fiancée, bien que ce ne soit pas de l’amour pur comme celui décrit dans les contes de fée non-maj. Non, il s’agit là plus d’une sympathique, une sympathie profonde et indéfectible. Quoiqu’il puisse arriver, le cadet prendra toujours la défense de l’anglaise, même si cela s’oppose à ses convictions ou que cela lui brise le cœur. C’est ainsi : ils sont liés à jamais, de plusieurs façons.
Qui plus est, Colton a beaucoup d’estime pour Carmilla. Il sait que, contrairement à ce qu’elle peut laisser paraître pour remplir les standards imposés par leurs statuts, elle a une cervelle bien remplie et qu’elle possède ses propres opinions. Après tout, ce n’est pas la première fois qu’il assure qu’elle pense par elle-même, leurs conversations portant sur des sujets techniques, parfois philosophiques, où ils ne peuvent se contenter de recracher ce qu’il leur a été implanté depuis leurs naissances. C’est là l’une des façons que le duo a trouvées pour s’émanciper de sa prison dorée : échanger leurs opinions personnelles. Finalement, quelque chose qui devrait être naturel pour tout être humain. L’une des façons pour eux de se rapprocher de cette normalité qui leur est interdite.

Son sourire se fait alors plus chaleureux, plus réconfortant. Le masque de l’héritier des Wang est alors tombé pour laisser place à Colton Wang, le jeune homme introverti, hypersensible et empathique. Il savait ce qu’elle allait lui répondre, mais l’entendre lui faisait toujours cet effet. Les soirées mondaines l’ont rendu si méfiant, aussi cela lui fait du bien de se faire rassurer par quelqu’un en qui il nourrit une grande confiance.

« Je te remercie encore une fois de ton honnêteté. Tu sais que je n’y suis pas insensible.»

Ses joues empruntent alors une teinte plus rosée alors qu’elle fait mention de leur amitié. Oui, il le savait, ça aussi. Ce qui ne le laisse pas pour autant insensible. A vrai dire, cela l’affecte encore plus que l’honnêteté de la jeune femme, dans le sens positif du terme. Savoir qu’elle aussi place sa confiance en lui, lui réchauffe son cœur d’artichaut. Pour elle, ce ne doit pas être évident d’accorder sa confiance à quelqu’un d’autre. Alors éprouver de l’affection pour une personne, ce doit être d’autant plus difficile. Du moins, le Strixyst fait le parallèle avec son propre vécu pour se dire qu’il devait en être de même pour Carmilla. Peut-être est-ce là la raison pour laquelle il se sent honoré de faire parti de ce cercle restreint de confiance que la Violette a choisi. Il ne cherche pas à se débarrasser de ces marques chaudes qui parcourent son visage. Elles sont sincères.


«Et tu es également mon ami. Cela ne changera jamais, quoiqu’il puisse arriver. Tu pourras toujours compter sur moi.»

La bibliothèque commence à se remplir, Colton le sent. Il jette alors un coup d’œil à son poignet gauche, sur lequel trône un petit bijou de technologie. Ils ont beaucoup échangé et l’heure semble avoir tourné.

«Si tout ceci te convient, je ne vais pas te retenir plus longtemps. Ta lecture devait être passionnante. Merci encore de m’avoir accordé de ton temps… Merci pour tout, tout compte fait.»

Il lui embrasse alors les mains avant de se lever pour se préparer à quitter les lieux.