Le vent soufflait doucement dans les feuilles, annonçant les prémices de l'automne et qui changeait grandement des paysages paradisiaques et idylliques océaniques de Blairwitch d'où beaucoup d'élèves revenaient.

Arborant un hâle bien travaillé, Berthold progressait dans le parc, en quête d'un banc où il pouvait s'asseoir et apprécier sa lecture. Ses semelles frottaient contre les graviers au sol et il avait fourré ses mains dans les poches de sa veste.

Il avait quitté en vitesse le camp de vacances de cette année suite à un incident étant survenu lors de la soirée d'au-revoir à l'île.
Jamais le Cervirald n'avait pensé se retrouver dans une telle situation. À dire vrai, il lui était naturel de se retrouver dans le rôle de celui qui se prendrait un râteau. C'est pour cela qu'il n'avait pas osé confier ses sentiments à celle pour laquelle il en pinçait depuis ses plus vertes années. Parce qu'il avait peur, qu'il était lâche, qu'il craignait de se trouver ridicule et humilié par un refus.
Alors il se contentait de l'observer de loin, espérant intérieurement qu'elle se porte bien parce que dès lors qu'il était venu à lui adresser la parole, son visage se paraissait de teintes sanguines sous l'embarras et la gêne et les mots lui venaient avec plus de difficulté qu'à l'accoutummée.

Il ne désirait qu'une chose depuis son enfance... Être à ses côtés.

Néanmoins, il ne faisait rien pour arranger la situation.
Au contraire, le jeune homme avait attiré, malgré lui, quelqu'un d'autre. Un de ses camarades qui avait insisté pour qu'ils soient amis...
Compte tenu de la confession survenue quelques jours auparavant, Berthold se posait des questions.
Avait-il agi à l'encontre de l'intéressé d'une manière correcte déjà ? Il lui semblait que oui, il n'avait pas modifié son comportement, étant comme avec d'autres personnes.
Ensuite... Et non des moindres, leur "amitié" était-elle honnête ? N'était-ce pas une relation intéressée pour se rapprocher de lui ?

Cela ne changeait rien en soi, le nouvel étudiant en éducation ne proférerait pas d'objections parce qu'il n'oserait pas. Si avec ses plus proches amis, il était capable d'énoncer des rappels à l'ordre, gentiment mais fermement, il faisait bien entendu preuve de davantage de réserve vis-à-vis des autres, qu'il connaissait peu. Il fallait se rendre à l'évidence, encore une fois, il était lâche et faible.

À cela s'ajoutaient les regards qu'il évitait au maximum d'habitude, et ce qui réussissait plutôt bien. Ce soir-là, il avait senti sur lui beaucoup trop de paire d'yeux curieux, comme tant de poids qui écrasaient ses épaules ou un mur qui s'approchait dangereusement de lui, comme dans les films d'aventure, ce qui avait rajouté à son malaise.


Alors il avait fui. Il s'était échappé, en espérant que cela règle les choses, comme si la situation n'était qu'un cauchemar.
De retour à son bungalow, il avait rassemblé toutes ses affaires pour partir le lendemain à la première heure.

Et voilà où il en était aujourd'hui.

L'Autrichien s'efforçait de ne pas y penser, il possédait bien d'autres soucis pour se rajouter cela et au final, il préférait se focaliser sur sa mission et ses études.
Néanmoins, comme il l'avait toujours fait, il lui fallait un moment pour se recentrer, pour s'échapper de ce quotidien éreintant et stressant...

Et quelle meilleur moyen que la lecture ?
Berthold avait toujours été un rat de bibliothèque. Le métier de libraire qu'occupait sa mère n'avait sans doute pas arrangé les choses. Depuis qu'il avait appris à tenir des objets dans ses mains, il avait été attiré par les livres, bien qu'il ne sache pas lire à l'époque.
Alors quand il put, il dévorait le moindre ouvrage à proximité, passant des nuits blanches à la lueur d'une lampe-torche en se disant que chaque chapitre était le dernier.

À travers les mots imprimés sur le papier, il partait en voyage, voguant vers des horizons inconnus, au fil de l'histoire.
Accompagnant les protagonistes comme un fantôme invisible qui suivait le moindre de leurs gestes sans qu'ils ne s'en rendent compte.
Sympathisant avec l'antagoniste quand ses desseins étaient dévoilés. Les actions et motivations de ce dernier, aussi violentes et noires pouvaient-elles être, étaient cathartiques au jeune homme sans volonté qu'était le lecteur.

S'il arrivait à Berthold de se défouler à travers le sport, c'était surtout par la lecture qu'il trouvait le moyen de se calmer, de reprendre pied et ses esprits.
Qu'importe à quel point son esprit était troublé, sentir entre ses longs doigts la douceur des pages, humer le papier imprimé, le rassurait, comme un doudou.

Il s'était posé sur le bois du banc dans le parc, trouvant son bonheur et se plongea à âme perdue dans sa lecture.
Comme à chaque fois, il se coupa du monde extérieur, ses iris sapin se concentrant sur le noir de l'encre.

Berthold était parti.

Dès les premières pages, l'ambiance était installée.
Contrairement à ce que l'on pouvait croire, l'Autrichien avait le coeur bien accroché quand il était question d'horreur, d'angoisses dans les livres, les films ou les séries. Il appréciait les atmosphères pesantes, sombres.
Contre toute attente, ses entrailles ne se nouaient pas de manière inextricable, sa gorge ne se serrait pas, l'empêchant de proférer la moindre parole. Encore une fois, cela était cathartique pour lui, comme si à travers des descriptions cauchemardesques, il relativisait sur sa propre part d'ombre, l'acceptait même, le temps de quelques pages avant de revenir dans la vie réel et de retrouver ses craintes et ses angoisses qui se matérialisaient chaque nuit, dans son sommeil et qui l'épuisaient au quotidien.

Il avait réfléchi à l'éventualité que sa consommation de telles oeuvres contribuaient aux sombres rêves et pensées qui le hantaient nuit et jour, mais il n'en était rien. D'aussi loin qu'il se souvienne, les cauchemars et les angoisses avaient commencé dans son enfance, quand il était encore loin - enfin que ses parents le préservaient - de ce genre de médias, alors que Berthold avait commencé à les dévorer à partir de l'adolescence.

Tant le jeune homme était plongé dans les pages de son ouvrage et son imagination, il ne remarqua le chat qui approchait que tardivement, lorsque sa vision périphérique perçut un mouvement.

Automatiquement, par réflexe, il se figea.
Aussi adorables les trouvait le Cervirald, il ne pouvait s'empêcher de les éviter. Là encore dans son enfance.
Trop rêveur, le nez déjà plongé dans un livre, il parcourait les mots et les mètres sans se rendre compte que la queue d'un félin obstruait son passage.
La réaction de l'animal ne se fit pas attendre quand le peton imprudent de l'enfant pesa un peu trop sur son membre et sous la surprise, le petit tomba et se retrouva griffé en beauté sur les bras et les jambes.

Il n'avait que trop retenu la leçon.
De peur que ça se réitère, d'autant qu'il était devenu très grand et relativement fort, il prenait soin de garder une distance de sécurité avec ces bestioles.

« H-hé... Tout doux... »

balbutia-t-il, d'un ton peu assuré.

Le manque de fermeté n'éloigna évidemment pas l'animal qu'il ne reconnut pas ; il faut dire que les propriétaires de félins étaient nombreux au sein d'Ilukaan et, évitant les chats, Berthold ignorait lequel appartenait à qui. Fort heureusement, sa maîtresse suivit peu après et le jeune homme reconnut Eülin, professeure d'Artisanat Magique avec laquelle il avait déjà eu l'occasion d'échanger.

« Bon... Bonjour Madame Ayam. Il... Il n'y a pas de problème... Je vais bien, je vous remercie... Et vous ? »

la salua-t-il avec politesse, quoiqu'à mi-voix, en essayant de se ressaisir.

Par politesse, il ferma son ouvrage, oubliant par la même de noter le numéro de page.

« Les portés disparus... De Rosemary Dime. Je viens à peine de commencer mais c'est intéressant... »

répondit-il, tendant l'ouvrage à son interlocutrice pour qu'elle puisse lire le résumé sur la quatrième de couverture si elle était intéressée.

Il avait découvert l'ouvrage sur le blog de Laurent De Vère, qu'il épluchait avec assiduîté pour suivre les sorties littéraires intéressantes et découvrir de nouveaux bouquins.
Celui-ci l'avait tenté non seulement pour son histoire (sombre), mais également par les notes données qui laissaient présager de sa qualité.
Venant de Dime, ce n'était pas étonnant remarque.

Fort heureusement, et comme il l'espérait pendant de longues secondes qui semblaient durer une éternité, son interlocutrice récupéra le félin qui l'avait immobilisé et crispé. Le jeune homme laissa alors s'échapper un faible soupir de soulagement. Le fait que le chat se retrouvait dans les bras de sa maîtresse l'avait quelque peu calmé et rassuré, ce qui l'encourageait à poursuivre la discussion dans des conditions qui lui étaient plus agréables que si l'animal avait quartier libre. Berthold baissa légèrement la tête en murmurant un "merci" à peine audible.

« Oh, j'ai lu les Chair de poule, il y a longtemps... Mon préféré était Les Vacances de l'angoisse. »

avoua-t-il, avec un petit sourire timide.

Il y a longtemps, c'était le cas de le dire. Cette série de livres avait été la révélation pour l'Autrichien quant à son goût pour ce genre littéraire. Quand et comment cela avait-il commencé ?
C'était entre l'incident de la porte et les victoires à ses compétitions. Berthold avait passé de nombreuses nuits à essayer de lire sous les draps, à la lumière d'une lampe-torche, fût-ce dans sa chambre à Liberio, dans le domicile familiale, ou dans le cabanon qui le réunissait le soir avec les autres membres des Guerriers, lors des colonies de cohésion qui étaient organisées chaque été.
Avec ces longues nuits de lecture, le garçonnet qu'il était émergeait avec beaucoup de difficultés le matin, au point où il devait être secoué par ses camarades avant que Magath ne rapplique et ne rende le réveil encore plus violent.

Berthold récupéra son bien, non sans tressaillir au contact du chat, alors qu'il tentait de garder contenance. C'était plus fort que lui.

« Oh... Vous savez, si vous manquez de quoi lire... Personnellement j'ai souscrit à un abonnement chez Mois Passants... Tous les mois, je reçois un livre surprise, il suffit juste de choisir entre trois genres le mois précédent... C'est une boîte européenne, c'est donc disponible en plusieurs langues et ils livrent à l'international. C'est très intéressant et j'ai pu découvrir pas mal de nouveaux ouvrages. Cela peut s'avérer utile en cas de panne de lecture... »

Cela faisait trois ans qu'il consacrait l'argent de ses anniversaires à ces abonnements et jusque-là, il en était plutôt satisfait. S'il recevait un livre qui ne lui plaisait pas au final, il finissait par trouver quelqu'un au sein du campus à qui ça plairait ou il le revendait en ligne.

Son visage rosit légèrement en entendant Eülin quant à sa surprise sur ses goûts littéraires.

« V-vraiment ? C'est que... heu... Je ne saurais pas expliquer, mais j'aime beaucoup... Voilà tout... »

balbutia-t-il.

C'était un mensonge. Il pourrait très bien expliquer pourquoi il avait davantage d'affinités avec les romans noirs, horrifiques.
Mais bien entendu, comme à son habitude dans la vie quotidienne, avec ses interlocuteurs, il s'édulcorait volontairement, passant pour un garçon normal, peut-être trop, limite fade. Le jeune homme passait volontiers inaperçu, il ne voulait absolument pas attirer le regard.
Il préférait qu'on l'ignore plutôt que se montrer sous son jour véritable, bien que cela n'était pas honnête de sa part...
Il en avait cure.

« Et vous ? Quel genre littéraire a votre préférence ? »

demanda-t-il, réellement curieux.