Comme souvent lorsque le temps le permettait, Lukas était allé se perdre entre les hauts arbres des jardins. Sans doute était-ce son endroit préféré au monde, si l'on mettait de côté son village natal. Même les belles visions du dôme n'égalaient pas le charme du jardin.

Dés l'aube, son café à peine englouti, on l'y avait perdu, traînant derrière lui le tome de son Edda de Snorri. A croire que son livre ne s'achevait jamais, où qu'il le lisait sans cesse. Sans s'arrêter. Pour en mémoriser chaque mots. Peut-être était-ce vrai. Peut-être était-ce seulement un racontars.

Les racontars, il y était habitué. Grand comme il était, maigrichon, à toujours tire une tête aussi impassible qu'un croquemort, les rumeurs courraient bon train sur lui. Pourtant il était rarement seul. Il quittait rarement son amie la plus chère, une turque un peu exubérante et braillarde. C'était à se demander comment ils en étaient venu à être amis.

Mais ce matin là, déambulant lentement entre les herbes qui grimpaient, encore humides de rosée, il était seul. Toujours soigneusement vêtu, toujours son livre à la couverture écarlate entre les mains.

Il grimpa habilement à un arbre un peu plus épais que les autres, et alla s'étaler de tout son long sur l'une des premières branches. Seulement bercé par le chant d'un moineau plus haut dans l'arbre, il commença à lire, à tourner les pages. En silence. L'air toujours aussi impassible.

Et puis il ferma les yeux, et le livre retomba à moitié sur son torse, l'autre couvrant une partie de son visage. Il n'était pas bien haut, et n'importe qui aurait pu deviner la silhouette assoupie dans l'arbre, tanguant de droite à gauche au rythme de sa respiration calme.

Il était difficile d'expliquer l'état psychique dans lequel le blond se retrouvait lorsqu'il fermait les yeux dans la nature. C'était comme mourir et renaître à chaque fois que le vent balayait sa peau, à chaque croassement de corbeau. Comme si, une fois les paupières closes, il était de retour chez lui.

Sauf que les vents norvégiens avaient tendances à être moins froid que ceux d'Ilukaan. Et qu'il n'entendait jamais la même mélopée dans celui-ci.
Au fond, l'idée d'être à la maison finissait par le leurré, à chaque fois, et il ouvrait les yeux, frustré par le monde qui l'entourait.

Cette fois-ci, il n'eut pas le temps d'être frustré par les rayons trop chaud ou le bruissement trop violent des feuilles dans les arbres.

Il n'avait pas prit la peine de sentir son aura lorsqu'il était arrivé, trop préoccupé à s'enfoncer dans ses pensées pour ne serait-ce qu'imaginer qu'il puisse y avoir d'autres visiteurs à cette heure matinale. Ce n'était pas Sofia, ça, il en était sûr.
Pourtant elles partageaient une aura similaire. "Sans doute une de ses nombreuses fréquentations" pensa le norvégien.

Puis l'ombre se porta sur son visage. Il ne sentit plus les rayons du soleil. Il devina aisément ce qu'il se passerai ensuite. Sans doute la personne lui demanderai ce qu'il faisait ici, seul. Mais il n'avait pas envie de parler à qui que ce fût.

, avait-elle fait. Une toute jeune fille, devina t-il.

Dans les arbres, le moineau cessa de chanter. Et avant que la jeune Lupy n'ait pu réalisé, le petit oiseau s'était approché d'elle, sur la branche, un petit air sévère sur son visage minuscule. L'oisillon agita ses ailes, tâchant de se faire menaçant devant la jeune fille.

grogna Lukas d'une voix monotone mais suffisante pour qu'on l'entende. Le moineau cessa immédiatement.

Il attendit que le calme revienne dans le jardin avant d'ouvrir les yeux, dévoilant un regard étonnement perçant, qui se planta immédiatement dans les pupilles de Rue.

Demanda t-il calmement, son visage traduisant un désintérêt qui ne coïncidait pas avec le ton de sa voix. Comme s'il était condamné à demeurer impassible pour toujours.

Le moineau parut bien offensé de s'être fait alpaguer dans sa tâche. Après tout, l'animal n'avait-il pas faillit à assurer la sureté du lieu ? Pleins de remords, parce que ces créatures-ci sont trop petites pour ressentir trop de choses en même temps, l'oiseau alla se nicher dans le cou de son maître, y cachant son bec avec ses plumes en pagaille.


Lukas avait attendu que la jeune fille descende d'une branche pour reporter sur elle son regard pers, froid et vide. C'est ce qu'on aurait pu penser en le voyant, pourtant, bien nicher dans ses pupilles, on pouvait voir briller un éclat étrange. Une curiosité presque enfantine et naïve. Et elle posa sa question.

Quelque part, on ne l'avait toujours considéré que parce qu'il était l'ami de Sofia. Ce type étrange, si méprisant et froid, et auquel personne à part quelques autres hurluberlus ne semblait faire attention. Il soupira légèrement, se lamentant en silence, avant de répondre par un bref hochement de tête.



Il la regarda encore, comme s'il cherchait à fouiller dans la mémoire de la jeune Rue où il aurait pu l'apercevoir. Elle venait sans doute d'arriver à Ilukaan, vue son jeune âge. Peut-être même n'en était-elle qu'à sa première année. Puis il se souvint, comme un éclair dans sa mémoire.

Pour ce qu'il savait, Sofia lui avait effectivement dit qu'elle partageait sa chambre avec une jeune fille. Il n'avait pas alors jugé utile d'en savoir plus, mais avait écouté en silence, comme d'ordinaire, les occupations des deux jeunes femmes, bien loin de celles qui l'exaltait, lui.

Finalement, il la regarda s'installer en face de lui, son regard ne quittant presque jamais le sien, comme un loup prêt à bondir sur sa proie. Mais si Lukas était un loup, il était sans doute de ceux qui observe sans complaisance aucune le monde se dérouler sous leur yeux, sans y intervenir. Passif. Une jambe repliée sur la branche, l'autre se balançant dans le vide, il tenait toujours son lire dans son giron.

Il ne fit pas de commentaire sur Sofia, décidément peu décidé à évoquer la Lupy en son absence.

Quand Rue évoque Rosta, on aurait pu jurer qu'un sourire avait tendu ses lèvres. Puis il avait caressé avec une tendresse infinie le crâne de l'oiseau qui semblait toujours bouder dans le cou de son maître.



L'animal, pourtant, s'était jeté à coeur vaillant pour défendre son maître d'un assaillant qui faisait au moins dix fois son envergure. Courageux mais sans doute un peu sot et emplit à présent de honte et de regret. Sentiment qu'elle finirait par oublier bien vite.

La déranger n'était pas le terme adéquat. Rosta se noyait dans sa propre honte, et boudait les remarques et autres formes d'attention le temps que celle-ci se tasse dans son petit coeur de moineau. D'ailleurs, quand elle commença à se dissiper légèrement, elle délaissa le cou du blond pour à nouveau porter un regard curieux sur la jeune fille qui lui faisait face.

Entre Lukas et Rosta, il semblait exister un fossé tant leur caractère était différent. L'oiseau était vif, expressif, quand l'homme paraissait froid et apathique.

Le norvégien écouta silencieusement la jeune fille complimenter le moineau, et acquiesça lui aussi, d'un léger hochement de tête. Loyale et courageuse.


Il reporta finalement son attention sur elle, Rosta sur son épaule avait bondit sur son bras puis sa main et s'était à nouveau approchée de la jeune fille, l'air curieuse.


Il laissa faire. Rosta s'était avancée jusqu'à se retrouver devant Rue, et levait ses pupilles brillantes vers elle, comme si elle l'analysait.

Lukas observa le manège de l'animal en plissant légèrement les yeux, comme s'il soupçonnait quelque chose. Ou peut-être le regard de biais qu'il lui lançait servait d'avertissement au jeune oiseau pour l'inciter à ne pas faire de choses regrettables.

Quoiqu'il en soit, le norvégien répondit à sa question par un bref haussement d'épaule, un demi-sourire mystérieux étirant à nouveau ses lèvres.


C'était parfaitement faux.
Lukas n'était pas aussi insensible qu'il pouvait en avoir l'air, et en plus d'être un médicomage très doué, il était également un bon sorcier. Si le moineau piquait à nouveau une colère, il serait parfaitement en mesure de l'arrêter ou de l'apaiser immédiatement.

Mais il prenait un malin plaisir à taquiner la jeune fille, voir si elle oserait tendre la main vers le bec pourtant pas si acéré. L'oisillon perdit patience avant elle, et bien vite, ses petites pattes s'étaient posé en un bond sur la main de Rue. Chantonnant, Rosta semblait bien avoir laissé derrière elle son aversion et son ressentiment, ne laissant plus place qu'à un adorable moineau qui bondissait joyeusement sur sa main.

Le norvégien répondit par, à nouveau, un léger hochement de la tête. Rosta était un animal naïf, certes, mais qui avait suffisamment de bec pour savoir à qui se fier. Et de qui méfier.


Comme Rue continuait de caresser l'adorable tête de Rosta, qui piaillait toujours gaiement, Lukas poussa un léger soupir. Plus de la comédie qu'une lassitude réelle.


L'animal l'avait trouvé autant que lui. En l'entendant raconter son histoire, Rosta battit des ailes, laissa tomber une plume au creux de la main de Rue.