Qui dit vacances dit aussi shopping !

C’est du moins ce que Mateus avait toujours pensé, depuis qu’il avait l’autorisation d’avoir son argent à lui ainsi que de sortir tout seul pour s’amuser. Enfin, “tout seul”. S’il y a bien quelque chose qu’il n’aimait pas, c’était précisément d’être seul. Alors il demandait toujours à Rafael et Thaïs (plus souvent à cette dernière, d’ailleurs) de l’accompagner lorsqu’il voulait s’acheter de nouveaux vêtements. Si son grand frère refusait souvent, sauf lorsqu’il avait besoin de faire un saut au centre commercial, sa jumelle en revanche ne lui avait quasiment jamais fait faux bond. Mieux, elle en profitait même pour le conseiller, l’aider à trouver ce qui lui allait le mieux, ce qui le mettait en valeur. Mateus aurait confié sa vie à Thaïs, et il lui avait longtemps confié son style également.

Mais il avait grandi, avait pris confiance en lui, avait fini par comprendre ce qu’il aimait. A force de tâtonner, d’essayer, il avait trouvé les motifs et les couleurs qui lui plaisaient. Son style était devenu radicalement différent de celui de Thaïs. Si leurs vêtements étaient tout aussi colorés, ceux de Thaïs restaient plus sportifs, casual, pratiques, alors que lui mettait le paquet sur l’apparence, préférant de loin ce qui était beau et attirait l'œil que ce qui était pratique. Oh bien sûr, il avait quand même ses limites, mais il était prêt à supporter beaucoup pour être celui que l’on regardait.

Seulement voilà : Thaïs avait fini par ne plus comprendre Mateus, par ne plus vraiment savoir pointer les choses qu’il aimait. Alors il avait dû trouver quelqu’un d’autre, quelqu’un qui comprendrait parfaitement ce qu’il cherchait, pour pouvoir aller faire du shopping avec cette personne. Et c’était à Ilukaan qu’il avait rencontré Bubbles. La première fois qu’il lui avait adressé la parole, il pensait qu’elle était elle aussi en première année, et qu’il allait pouvoir se faire une amie de son âge dans sa maison. Il n’avait pas tout à fait tort pour l’âge, puisqu’ils étaient nés la même année, mais le système de classes à Ilukaan faisait qu’il était dans l’année du dessous de celle de Bubbles. Cela ne dérangea ni l’un ni l’autre, et depuis ce jour, ils ne s’étaient plus vraiment quittés. Et tout naturellement, quand il tenta de prendre un peu de distance par rapport à Thaïs, il se tourna vers elle.

Comme cette fois-là, donc. Il avait tiré son téléphone pour envoyer un message à sa meilleure amie : “Tu te souviens quand je t’avais parlé d’aller faire les boutiques ? Ça te dit qu’on y aille maintenant ? Trop envie de voir ce qu’ils vendent au Mexique. Je t’offre la boisson et la glace ! On se retrouve d’ici… une demi-heure / trois quarts d’heure ?”. Ca lui laisserait le temps de se préparer. Ils allaient très certainement se perdre dans des attrape-touristes, acheter bien trop cher certains articles “locaux” fabriqués ailleurs, mais ça faisait aussi le charme des vacances. Il se demandait si sa tchatche habituelle, mêlée au fait que sa peau soit brune et son espagnol parfait, allait l’empêcher naturellement de tomber dans des pièges. Il se souvenait parfaitement de la façon dont sa mère évitait tous les traquenards à son père lorsqu’ils allaient au Brésil et qu’il voulait dépenser de l’argent.

Il hésita un instant devant les tenues qu’il avait apporté, et se décida finalement pour quelque chose d’assez léger, au vu du climat : un ensemble chemise / short en toile orange, décoré de fleurs et de feuilles, avec un petit crop top blanc sous la chemise ouverte. Il ajouta à ceci un chapeau de paille et des lunettes de soleil, des tennis blanches, et il était prêt. Ou presque. Car il ouvrit alors sa boîte à trésors : ses créoles adorées rejoignirent ses oreilles, des bracelets vinrent recouvrir ses poignets, et une chaîne dorée vint parer son cou. Il regarda son reflet dans son miroir de poche pour vérifier son maquillage, et satisfait, il se décida à rejoindre Bubbles devant son dortoir temporaire, près du sien étant donné qu’ils étaient tous les deux chez les Colibri.

Lorsque la jeune femme apparut dans son champ de vision, un grand sourire étira les lèvres du garçon, et il se lança vers elle pour l’enlacer.

- Coucou la plus belle ! J’ai pleiiiin de trucs à te raconter !

Il revenait tout juste de vacances dans sa famille, et s’il lui avait tenu un rapport plus ou moins détaillé des événements, ça n’allait certainement pas l’empêcher d’en reparler. Il arrivait mieux à s’exprimer avec elle lorsqu’ils pouvaient parler en face à face. Peut-être parce que sa sincérité rendait les choses plus vraies, réelles et impactantes. Elle était d’ailleurs bien l’une des seules qui pouvait se vanter de le voir parfois sincère.

- Mais je vais commencer en avançant, sinon on sera jamais en ville avant la nuit !

Il enlaça brièvement sa meilleure amie, avant de lui coller un bisou sur la joue. Il était parfois si tactile avec elle que bon nombres de leurs connaissances avaient parfois pensé qu’ils sortaient ensemble. Mais pour Mateus, ça aurait été impossible - il considérait Bubbles comme sa sœur. Assez littéralement, d’ailleurs ; il agissait avec elle comme il agissait avec Thaïs et Emilia. Mais les mots qu’elle lui adressa firent vite disparaître son sourire habituel - même s’il gardait une sorte de demi-sourire, à la fois plus doux et un peu gêné. Il n’était pas dupe, il savait bien que le sujet allait être mis sur le tapis, mais il aurait peut-être préféré que ça n’arrive pas. Ou pas aussi directement.

- Désolé, je ne voulais pas gâcher la fête mais… c’est Nathan, encore. Tu sais comment il est avec moi. Insupportable. Je voulais lui faire la gueule, mais il est venu me parler, donc on s’est disputés et…

Il se mordit un peu la lèvre. Il n’aimait pas faire ça, déjà parce que ça abîmait son maquillage, ensuite parce que ça abîmait aussi sa lèvre. C’était un geste qu’il faisait trop souvent, parfois si souvent quand il était stressé, qu’il finissait par l’ouvrir, même s’il essayait d’arrêter. Mais ce qu’il aimait encore moins, c’était raconter des événements qu’il trouvait embarrassants, avec du recul.

- On s’est disputés et je lui ai dit que je ne voulais plus rien avoir à faire avec lui. Il m’a dit “d’accord” et a enchaîné sur le fait que j’allais devoir me débrouiller seul, qu’il ne ferait plus rien pour moi et ça m’a fait peur. J’en ai eu tellement peur, de l’imaginer hors de ma vie, que j’en ai fait une crise d’angoisse, comme ça, sur place. Alors que c’est moi qui l’ai poussé à prendre cette décision. Mais du coup, il est resté avec moi pour me rassurer et finalement, on est retournés au dortoir ensemble.

Il n’osait pas regarder Bubbles. Il imaginait sans mal ce qu’il pourrait dire à quelqu’un dans sa situation : que ce n’était pas correct de s’accrocher autant à quelqu’un quand on avait quelqu’un d’autre dans sa vie. Bien sûr, sa meilleure amie n’était sans doute pas dupe, et devait bien savoir qu’il n’était pas amoureux de Genji, mais ça restait son petit ami du moment et il devait bien faire attention à ne pas l’oublier. Il soupira, sortit une ombrelle de son sac pour se protéger du soleil du Mexique, tout en l’invitant à se cacher dessous si elle le voulait aussi. Lui aurait pu survivre au soleil, avec sa peau qui était déjà devenue bien plus sombre depuis le début des vacances, mais elle, il en doutait, à moins qu’elle n’ait pris dans ses affaires une très, très bonne crème solaire.

- J’en ai vraiment marre de cette situation. J’aurais dû le laisser partir, je regrette un peu quand j’y pense. Mais si je pouvais contrôler mes crises, je le ferais sans hésitation.

Et s’il pouvait contrôler ses émotions et ses sentiments, ce serait encore mieux.

Il raconta tout ce qu’il s’était passé à Bubbles, essayant de n’omettre aucun détail. Il avait tendance à faire ça, “omettre des détails”, avec les autres. Mais il avait une confiance totale en sa meilleure amie. Il s’excusa ensuite aussitôt d’avoir gâché la fête des triplettes. Il portait la culpabilité en étendard, se sentant toujours coupable pour une raison ou une autre - ce n’était pas une facette de lui qu’il aimait montrer, mais il n’aurait pas pu tromper Bubbles. Elle était trop fine, elle le connaissait trop bien. Autant ne pas tourner autour du pot, autant ne pas essayer de lui cacher des choses. Parfois, il se demandait si Nathan et elle partageaient un super-pouvoir qui leur permettait de lire dans ses pensées. Il aurait aimé avoir le don de comprendre ce qui se passait dans sa propre tête.

Mais s’il se confiait si facilement à Bubbles, c’était peut-être parce qu’elle ne cherchait pas à le culpabiliser, mais plutôt à le rassurer. Bien sûr, elle savait aussi lui dire quand il faisait des bêtises, mais elle préférait l’aider à tout réparer plutôt qu’à lui reprocher sans cesse ce qu’il faisait de mal. C’était de gens comme elle qu’il devrait s’entourer ; mais il n’y arrivait pas. Il était irrésistiblement attiré par ceux qui avaient le pouvoir de lui faire du mal. Il n’y avait qu’à voir la façon dont Nathan le traitait. C’était peut-être le karma, après tout, puisqu’il ne valait pas mieux avec ceux qu’il choisissait comme copain ou copine - il finissait toujours par se lasser, la flamme finissait toujours par s’éteindre. Au moins avait-il une bonne personne à ses côtés, et ça comptait beaucoup pour lui. Il devrait prendre exemple sur elle.

- Je sais que tu en serais capable. Et je n’aimerais pas être du côté des gens que tu n’aimes pas ! acheva-t-il sur un sourire.

La main serrée de Bubbles sur la sienne le rassurait. C’était ce que faisaient aussi Thaïs et sa mère quand il se sentait mal. Il ne prit pas la peine de le préciser. Il sourit quand elle déclara qu’il n’avait pas le sens de la survie le plus développé du monde, mais ce sourire n’atteignit pas ses yeux. Il remonta ses lunettes de soleil sur son nez, et son amie changea de sujet. Le shopping, oui. Ils étaient là pour ça quand même, à la base !

- Alors ça, tu peux compter sur moi, tu me connais ! J’ai déjà fait un peu de repérage l’autre jour en me promenant.

Il ne répondit pas à son dernier commentaire. Il l’avait bien compris, et ne voyait pas l’intérêt de revenir dessus. Mais son sourire revint, plus doux et plus sincère, alors qu’il relevait ses lunettes de soleil en arrivant sur le marché. Il se tourna vers Bubbles.

- Deux questions : petit 1, est-ce que tu parles espagnol ? Petit 2, ma tenue fait pas trop… “gay” ?

Ça aurait pu sembler étrange. Mais Mateus passait régulièrement ses vacances au Brésil, et il savait comment ça se passait dans la plupart des autres pays d’Amérique Latine. Il aurait aimé penser que les mentalités évoluaient partout peu à peu, mais il savait que ce n’était pas toujours le cas - que parfois même, ça régressait. Peut-être que dans le monde sorcier, c’était quand même un peu mieux accepté, mais il ne pouvait pas en être sûr, et ne voulait rien risquer. Alors il avait le choix de s’assumer s’il pensait que ça ne craignait pas trop, ou de juste modifier un peu sa voix avec la magie pour aller avec une apparence assez féminine.

- En tout cas, c’est toujours mieux si on parle espagnol. Ça donnera moins envie aux marchands de nous arnaquer. Mais déjà tu as de la chance, je suis avec toi ! J’ai déjà vu ma mère négocier, je suis sûr que je peux faire la même chose.