Une virée sous les eaux.

La demoiselle entrava la trajectoire d'un faisceau solaire venu mettre en lumière sa figure. Sa paume ainsi érigée au-dessus de son front, elle eut toute l'occasion de discerner les ombres engendrées par son lever de dextre.

Le temps était lumineux - tout du moins, il semblait se prêter au bon déroulement d'une sortie dans les ruelles du petit bourg. Evalyn jeta un œil songeur à l'heure qui s'afficha sur son téléphone portable. Le cadran paraissait presque atteindre les quinze heures et, après avoir pris connaissance de l'avancée du temps, la deuxième année haussa le nez vers la place qui s'ouvrait devant elle dans l'espoir infime de discerner une crinière vulpine. Laquelle était d'ailleurs susceptible de surplomber de quelques centimètres la foule de passants sorciers.

Lorsque l'instinct lui souffla qu'elle était en avance, elle poursuivit son trajet jusqu'à l'aquarium - qu'elle ne mit pas une éternité à trouver, étant donné qu'elle avait déjà repéré sa devanture lors de ses dernières errances à Bloombury.

Son coup d’œil attentif s'attarda sur les environs de l'endroit, et une satisfaction inclémente lui prit d'assaut l'intérieur du buste. La destinée avait voulu qu'ils soient tous deux en avance. Le poing de la Cervirald s'accula contre sa hanche, tandis qu'elle ne se délesta aucunement de son port altier à mesure que la distance entre elle et l’Écossais s’amenuisait.

"Humpf !", avait-elle soufflé, contrainte de lever le menton pour saisir l'initiative de regarder son aîné dans les mirettes.

"Eh bien, salut. Avant d'entrer là-dedans, je tiens à mettre les choses au clair. Si j'ai sous-entendu auprès de toi qu'il serait intéressant de faire une virée à l'aquarium en duo, c'est simplement parce que j'veux prendre des notes pour mes futurs cours de soins aux créatures magiques ... ! Y aller seule aurait rendu la situation lamentable."

Pourquoi diable se justifiait-elle ?

Une attention fut accordée en douce au faciès de son accompagnateur. Non sans prendre le temps de discerner les traits abominablement las du Britannique, la seconde raison pour laquelle elle avait effectué l'effort ineffable de lui proposer cette promenade lui revint à l'esprit.

Elle ne le connaissait en réalité pas plus que cela; elle avait saisi chez lui un goût pour l'Art pareil au sien, et ses sens laissaient à Evalyn l'opportunité d'imaginer qu'il semblait apprécier les sucreries. Deux points communs en trouvaient un troisième; un sale caractère qu'ils semblaient enclins à arborer en compagnie de leurs semblables. Ils n'avaient jusqu'alors pas eu de véritable conversation profonde. Or Evalyn, dans sa bonne volonté bien tamisée, n'avait pas été aveugle au point d'ignorer l'humeur médiocre que prouvait Keith au monde ces derniers jours. Elle ignorait les raisons de cet état d'esprit, et ne comptait pas le soumettre à une litanie de questions pour satisfaire son sens personnel de la curiosité.

Les affaires du rouquin n'étaient pas les siennes, bien qu'au fond, un imperceptible désir de le voir apprécier leur visite la persuadait de faire un second effort. L'Australienne pivota le buste en direction de l'entrée de l'aquarium, sans chercher à quitter le regard de son collègue.

"... T'es prêt ? On peut y aller ?"

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Une virée sous les eaux.

Il avait fort bien fait de ne pas céder au verbiage superflu de sa cadette une once d'attention; force était de constater qu'elle s'attelait à installer une distance factice entre eux deux. Même si elle avait sous-entendu auprès de lui qu'elle l'avait convié jusqu'ici pour éviter d'inspirer la miséricorde à autrui - le registre pathétique étant celui auquel elle se refusait d'appartenir, elle ne serait de toute évidence pas la seule à participer à cette vadrouille subaquatique.

La demoiselle aurait pu se limiter à un discours concis, pareil à celui de Keith alors qu'il s'était mis à lui rétorquer avec tout le laconisme du monde. Son goût pour la causerie avait pris le dessus.

La retenue de Keith lui fit sans complication deviner qu'il n'était pas seulement assujetti à un quelconque manque de sommeil. Il était complexe d'imaginer une telle absence de réactivité chez un artiste à l'annonce d'une excursion sous une parcelle d'océan. Elle-même aurait très probablement rayonné si quelqu'un l'avait invitée jusqu'ici, et pour cause : emplir les recoins vides de son calepin de moults croquis des créatures aquatiques qu'ils s'apprêtaient à observer était une pensée suffisante pour stimuler son imagination ainsi que son coup de crayon.

Elle le suivit à l'intérieur de la bâtisse. L'éclairage tamisé dans lequel ils baignaient tous deux suffisait à inspirer aux visiteurs les mystères des profondeurs; désormais éloignés du beau temps au-dehors, tout portait à croire qu'ils venaient d'immerger dans les abysses.

A la suite de l'obtention de son ticket, la brune suivit le pas du jeune homme et n'attendit pas une seconde avant de prendre connaissance de l'attroupement d'ores et déjà présent sur les lieux. Le choix du jour et de l'heure n'aidaient pas; aussi, lorsque Keith lui suggéra d'entamer leur découverte par une section dédiée aux espèces moldues, elle s'empressa d'acquiescer et se dirigea avec lui jusqu'au bassin. Arrivée aux abords de la vitre, elle prit le soin de se soustraire à un accroupissement, et laissa à ses iris d'ambre la liberté de se plonger dans la contemplation de ce merveilleux tableau. Ces poissons ne faisaient aucunement partie du bestiaire magique, mais savaient susciter l'émoi par leurs écailles opalescentes et leur nage dansante prompte à scinder le courant.

Des reflets bleuâtres s'imposèrent à l'égard du visage d'Evalyn. La diversité chromatique que les deux jeunes gens pouvaient aviser à travers le verre ne manqua pas de l'époustoufler - si bien qu'elle mit un temps certain avant de libérer le moindre palabre.

Une curieuse harmonie picturale se dégageait de cette vasque; les teintes les plus charivariques affrontaient les plus pâles dans une extraordinaire palette mirifique.

"J'ai toujours pensé que c'était un peu triste de penser que seul le monde sorcier était capable d'être aussi éblouissant."

L'observatrice porta ses paumes à ses joues dans un élan songeur, laissant à son sens de la vue succomber à la splendeur colorée qui lui faisait face. Une escorte d'alevins aux teintes chatoyantes suscita sa concentration et, tandis qu'elle les suivait des yeux, une pensée lui vint.

"Alors ... Qu'est-ce que tu penses du projet de voyage organisé par l'école, pour les vacances d'été ?", s'enquit-elle en levant le regard vers son comparse. "J'trouve que c'est particulièrement ingénieux, comme initiative."

Elle se remémora l'espace d'un instant le rictus qui l'avait gagnée lorsqu'elle avait pris connaissance de l'ultime destination du périple, et poursuivit dans un timbre de voix se voulant le plus assuré possible.

"J'ai vu qu'ils nous emmenaient tout d'abord sur un site où des sacrifices humains ont été commis. Ils font pas les choses à moitié, les types de cette compagnie ferroviaire."

La benthique exploratrice redressa l'échine afin de se retrouver de nouveau debout. L'un de ses souliers prit la peine de se positionner devant l'extrémité de l'autre, lui faisant arborer une allure plus juvénile qu'elle ne l'aurait souhaité. La porteuse d'hibiscus extirpa de son sac son calepin qu'elle s'empressa d'ouvrir, feuilletant les pages jusqu'à en trouver une vierge; Keith, si l'un de ses regards s'égaraient sur les productions de l'Océanienne, pouvait sans complication considérer son goût apparent pour ces colorations évoquant l'exaltation de sa jeunesse. Les teintes allègres marquaient ses esquisses, et pouvaient sans aucun doute contraster avec les sentiments possiblement moroses de l'Édimbourgeois.

Sans réellement le réaliser, elle se prêta à l'ébauche pittoresque de cette scène mirobolante dont ils étaient les spectateurs.

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Une virée sous les eaux.

Son crayon parachevait avec une distraction palpable les nouveaux traits venus se coucher sur le papier. Un bon nombre de fines silhouettes marines envahissait les écoinçons de la page sur laquelle elle avait jeté son dévolu pour son début d'illustration.

Aussi manqua-t-elle de notifier derechef le carnet en possession de Keith, bien qu'elle offrit son sens de l'ouïe à la tirade de celui qui l'escortait si vaillamment parmi les bassins. Un imperceptible voile de lividité lui monta aux joues ainsi qu'au front lorsque son collègue de la maison à l'attribut vermeil la questionna à propos de son ressenti pour cette supposée première escale.

"J'pense comme toi, glauque mais intéressant ... j'imagine. Disons que même si on est confrontés à voir plein de bizarreries et de trucs sordides lorsqu'on vit à Ilukaan, on ne s'attend pas à être convié dans une nid à sacrifices humains ..."

Sans parvenir à se l'avouer, elle déglutit péniblement avant de reprendre ses tracés. Le garçon aux élans moroses ne semblait pas véritablement désireux à l'idée de rendre ses interventions orales foisonnantes sur l'instant; elle n'en tint pas rigueur, pleinement consciente de son mutisme à la durée hélas indéterminée. Un silence s'installa bien vite entre le duo, sans qu'elle ne cherche à le combler d'une quelconque manœuvre - de même que le possible malaise susceptible de croître entre nos deux protagonistes ne rendit pas Evalyn plus soucieuse. L'intérêt qu'elle prêtait à l'oeuvre dont elle était l'auteure parvenait sans mal aucun à dévier ses incertitudes quant à cette promenade à l'aquarium.  

Du moins, jusqu'à ce qu'il se prête à une question supposée soulever les loisirs de la Cervirald. Les gestes auxquels sont crayon de bois s'était soumis s'estompèrent progressivement jusqu'à cesser, tandis qu'elle rehaussa le nez pour mieux toiser son compère.

"... Mh. Non, pas vraiment. J'ai repéré cet endroit il n'y a pas si longtemps. Pour autant, j'trouve ça super de pouvoir observer les fonds marins à Bloombury. Ca me rappelle un peu l'endroit où j'ai grandi."

Un soupir prit la peine de quitter ses petites narines.

"Enfin ... Fallait y penser. Un aquarium avec des créatures magiques, c'est tout un projet, même pour des aquariophiles confirmés. Tu penses que des sirènes sont observables, ici ?"

L'ocre qui sévissait dans ses prunelles rompit le contact qu'elle entretenait avec le bassin devant lequel ils avaient fait leur halte. Son étude minutieuse des lieux facilita sa découverte prochaine; à proximité du district au sein duquel Keith et Evalyn s'étaient interrompus séjournait une escouade de méduses, accoutrées de ces reflets qu'avaient le nacre. Revêtues de leurs jupons vaporeux et de filaments diaphanes, leur allure on ne peut plus nobiliaire évoquaient l'étrangeté de leur charme. Les intermèdes dansantes auxquelles elles participaient en silence ne manquerait pas d'enchanter les œillades curieuses portées à leur égard.

Quelques un de ses pas la menèrent jusqu'au verre sphérique, seul élément capable de séparer les passants de cette représentation ô combien élégante. Evalyn entama le dessin de ces dames sur son calepin, admirative de la beauté poétique dont elle était le témoin. Elle ignora cependant qu'un réflexe l'avait incitée à se hisser sur la pointe de ses pieds et pour saisir un angle de vue plus favorable à sa contemplation de ses modèles. L’Écossais aurait pu remarquer cette petite précaution par le biais d'un regard simplement attentif. La modique taille de l'Australienne avait de quoi donner à la situation quelques échos humoristiques tant elle ne semblait pas en avoir conscience.

La délicatesse émanant de cette prestation aqueuse lui évoqua de nouveau sa récente question. A la pensée des attraits envoûteurs des séductrices des mers, elle s'exprima une nouvelle fois, non sans une certaine latence.

"... Si tant est que des sirènes ont accepté d'être exposées derrière une vitre. J'imagine que celle de leur bassin a subi quelques sortilèges de robustesse et d'insonorisation ... Enfin, j'espère."

La demoiselle détailla le faciès du jeune homme aux mèches rousses, avant de poursuivre  sur un ton plus léger.

"Ma mère m'avait appris qu'elles aiment bien la musique. Et il se dit dans les couloirs d'Ilukaan que tu sais jouer de la guitare. C'est vrai, ça ? Ou c'est juste une rumeur absolument pas fondée ?"

Les regards qu'elle partageait au ballet cnidaire connurent leur terme dès l'instant où elle pivota le buste vers lui. Plus encore, elle s'affaira à libérer le poste d'observation de sa propre présence, afin de laisser à Keith l'opportunité d'aviser ces ombrelles ondoyantes.

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Une virée sous les eaux.

Une expiration à la résonance presque arrogante lui échappa lorsque Keith la questionna sur ses origines. Aucun mécontentement ne lui parvint, malgré le fait qu'il demeurait incertain de la contrée du monde qui l'avait vue naître; il avait eu au moins la lucidité de soupçonner qu'elle était native d'Océanie.

"Tout à fait. J'suis née en Australie", affirma la jeune fille en laissant à l'air environnant l'occasion de faire gonfler son petit buste; poitrail ainsi redressé, Evalyn veilla à tendre l'oreille aux narrations de son comparse. La minutie qu'elle accordait à son sens de l'observation lui intima de jeter un œil aux modulations des traits de son acolyte dessinateur; ainsi le vit-elle secouer la tête sans qu'elle ne puisse en saisir la raison.

Ainsi donc, aucune nymphe des eaux ne serait susceptible d'habiter les corridors cristallins de ce lieu de visite. Les mots de son aîné eut pour effet immédiat d'inciter la partisane du Caribou à courber la nuque. Cet acte inconscient la poussa à baisser le chef vers l'avant dans une manœuvre on ne peut plus subtile que Keith pouvait néanmoins tout à fait surprendre. Et, sans qu'elle ne puisse y faire quoi que ce soit, un rictus marqué par la quiétude entraîna ses fines lippes à se mouvoir. Savoir que cette espèce magique n'avait pas été entraînée derrière ces fortifications translucides suffisait à la rassurer.

Le flot de ses pensées apaisées astreint la peintre à passer outre la considération que brodait Keith à l'égard de ses croquis dans un premier temps. Ses iris s'égarèrent au sein de l'étendue de cette faune pélagique qu'elle s'adonnait à admirer, tandis que son calepin suscitait les regards scrutateurs du Sang-Pur. Elle n'en prit connaissance que quelques instants plus tard, lorsqu'il prit soin de lui rétorquer à propos de son statut d'instrumentiste - aussi saisit-elle aussitôt qu'elle avait cessé de crayonner depuis ses ébauches délicates de méduses. Ses pommettes s'étaient sensiblement échauffées lorsque les yeux bleus de son interlocuteur avaient alors entrepris de détailler les galbes nées de la main de la plus jeune du duo. A nouveau, savoir que son travail attirait l’œil suffisait à lui imposer un émoi susceptible de lui conférer plus de sensibilité qu'elle ne voulait l'admettre. La benjamine de la fratrie des Wilson écarta un brin son recueil de dessins de sa poitrine, et s'avoua favorable à l'idée de l'approcher avec douceur du musicien sans toutefois le lui tendre véritablement.

Peut-être sa langueur l'empêchait-il de nécessiter l'envie d'accorder plus d'attention aux productions de la Cervirald - auquel cas elle ne lui en tiendrait pas rigueur. Les regards qu'il avait cédés plus tôt à ses travaux lui suffisaient.

"Comme l'option des Arts magiques est celle que j'veux avoir à la rentrée en priorité, j'essaye de me renseigner le plus possible. Il se trouve que ton nom a été évoqué une ou deux fois dans les discussions."

Quand bien même elle l'aurait davantage imaginé jouer de cet étrange instrument à vent au motif parfois tartan - pour une raison qui lui échappait. La chevelure de Keith et son accent pouvaient n'être que simulacres.

Un soubresaut léger la prit d'assaut lorsqu'il la soupçonna désireuse d'apprendre les rudiments de la guitare. Evalyn s'attela à réprimer l'essor d'une marque auto dérisoire et se contenta de secouer une paume, dans l'optique simple de dissuader un quelconque malentendu. Des sept arts, la musique faisait partie de ceux envers lesquels l'Australienne peinait à ressentir une forte proximité. La confusion s'installa sur ses joues à mesure qu'elle justifia son refus délicat. La bonne volonté du Lupy en fin de phrase eut l'effet pareil à celle d'une perche que la demoiselle ne manqua pas de saisir.

"J'suis pas sûre que la guitare est l'instrument que j'ai le plus envie de découvrir ... Même si ce serait sympa de ta part de me faire écouter tes prouesses musicales. Si t'es pris d'une envie de faire des petits concerts dans le dôme à l'avenir, t'auras qu'à me prévenir."

Ils quittèrent les méduses pour mieux rencontrer les axolotls. La découverte de ces salamandres au sourire bienheureux l'incita à esquisser un sourire aux nuances railleuses, avant qu'elle n'abaisse les yeux sur l'écriteau présent près de leur bassin. L'interrogation de Keith l'encouragea à l'aviser -  et ses traits, d'autre part, confièrent à Evalyn une expression des plus surprises.

"La gérante a un gecko ?! Tu rigoles !"

L'éclat intéressé qui traversa son regard ne tromperait aucunement Keith. Deviner qu'elle était elle-même une amatrice de reptiles plus que de cosmétiques n'était pas une épreuve particulièrement assidue. Son entrain momentané la convainquit de vouer son attention aux lignes explicatives du panneau des axolotls.

Le fait de lire que leur espèce était menacée dans le monde des moldus ne manqua pas de la turlupiner. Toujours est-il qu'elle n'en montra rien. Aussi prit-elle connaissance d'un renseignement pour le moins distrayant.

"Ils disent que cet animal est capable de régénérer des parties manquantes de son corps. Voire même de sa cervelle. Dommage que cette aptitude soit pas maîtrisée par certains élèves de l'école."

Dans une gestuelle dédaigneuse, elle haussa les bras avec désinvolture et prit le pas en direction de la salle avoisinante. La distinction qu'elle fit d'un poisson au corps sphérique et pourvu de deux pattes inférieures suffit à attirer son attention. Evalyn entreprit de partager à Keith un mouvement de main presque avenant, désireuse à l'idée de le voir approcher pour assister à la course effrénée d'un groupe de Boullus entre les algues du fond de leur bassin.

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Une virée sous les eaux.

Elle s'imagina un instant dans cette surprenante locomotive.

Jamais Evalyn n'avait été pourvue d'une âme vagabonde au point de trouver la perspective d'un tel voyage si attrayante. Si la chance d'être née dans une famille sang-mêlée lui avait maintes fois accordé l'occasion d'imaginer l'inimaginable grâce à l'existence de la magie, elle n'avait jusqu'alors pas songé à l'existence d'un train émergeant des écumes. Le Terramare était jusqu'à très récemment un nom qu'elle ignorait; aussi se remémora-t-elle la phrase d'accroche de leur campagne. Ses rêveries auraient pu se poursuivre encore un temps si Keith n'avait pas rebondi sur cette histoire de geckos. Son commentaire eut un certain pour pour inciter Evalyn à arborer une risette espiègle; celle-ci s'incurva davantage lorsqu'il exprima son grand accord au sujet des cerveaux d'Ilukaan.

"En effet. Entre une étendue de cosmétiques bidons et un gecko, mon choix est vite fait !"

L'interaction qu'ils entretenaient tous deux ne passa pas au-delà de l'attention de la porteuse d'émeraude. A contrario consciencieuse du comportement de Keith, elle ne manqua pas de notifier l'aisance qui le gagnait petit à petit lorsqu'il s'agissait de converser. Pipelette à ses heures, elle ne vit aucun inconvénient à l'idée d'entretenir la flamme de leur échange. Tout était bon pour que la bavasserie soit une distraction réconfortante - quand bien même elle n'assumerait jamais cette manifestation empathique dont elle était la cible.

Elle prêta une oreille attentive à vocalisation du rouquin, curieuse de ce que ces créatures avaient à leur apprendre. La mention des viles manies des sirènes à l'encontre des Boullus la rendit inquisitrice plus que soucieuse de ces persécutions; se faire un sang d'encre pour un poisson à l'aspect semblable à une balle en mousse rehaussé sur deux gambettes palmées était hélas la dernière de ses priorités ...

"J'en avais jamais entendu parler, de ce truc. Pour autant, je dois avouer que j'imaginais pas les sirènes si affreuses à leur égard. J'te remercie pour le résumé concis, ça me servira pour mes futures interrogations."

C'est en levant la tête vers son camarade qu'elle prit en note sa contemplation de ces spécimens magiques. Entrevoir l'Ecossais s'emparer de son livret ainsi que de son crayon l'avait rendue mutique; désireuse d'encourager silencieusement son homologue à esquisser les quelques espèces marines qu'ils avaient rencontrés jusqu'à présent, elle en vint à assouvir sa curiosité en reculant d'une infime démarche. Non sans s'éloigner légèrement du seuil du recoin des créatures rondouillardes devant lesquelles ils s'étaient arrêtés, elle gagna quelques précieux centimètres près du jeune homme à la chevelure vulpine.

Elle ne s'interrogea pas davantage de le voir ainsi jeter son dévolu sur de tels modèles; chaque artiste avait ses inspirations, et il fallait avouer que ces Boullus avaient quelque chose de loufoque dans la façon qu'ils avaient de se mouvoir. Ils étaient ludiques pour qui voulait bien apprendre à les voir autrement qu'en les portant en dérision et en pointant leur grotesque apparence. D'un tempérament sage, la brune prit soin de joindre ses mains derrière son dos, son calepin éternellement maintenu au sein de la paume de sa senestre. Ses yeux vaquèrent à accompagner les mouvements du Lupy sur la page, jadis immaculée, de son ouvrage prompt à accueillir les souvenirs de sa créativité.

Bien que consciente que les minutes passaient à mesure que Keith puisait dans son ingéniosité artistique, elle se refusa d'énoncer la moindre remarque. Captif de la bulle novatrice dont il s'était lui-même entouré, Evalyn ne lui suggéra pas le moindre déplacement supposé les conduire dans les quelques pièces annexes et restantes de l'aquarium; elle prit note de la focalisation profonde qu'il témoignait à ses ébauches en dépit du petit attroupement progressif venu ceinturer l'espace avoisinant.

Tiraillée entre l'envie de laisser à son accompagnateur l'occasion de dévouer son esprit à ses ébauches et celle de l'éloigner du brouhaha naissant, Evalyn balaya d'un regard fixe les alentours, potentiellement à la recherche d'une faille dans cette petite foule récemment construite. Non sans éviter habilement une bousculade engendrée par l'engouement d'un garçonnet venu se coller à la vitre, elle eut l'occasion de voir un certain nombre d'enfants venu voir les boullus de plus près. Un soupir excédé lui échappa. Quelle impolitesse, et quels enfantillages !

"J'crois qu'on va devoir passer à la salle suivante, Keith. J'avais oublié à quel point les gens des environs pouvaient être mal élevés, humpf !"

L'amertume audible dans la critique de la peintre étonna une mère de famille inactive. Plutôt que de laisser Keith se faire encercler par une telle fourmilière, elle entreprit de saisir l'extrémité de la manche de ce dernier dans un geste léger et chercha à l'embarquer avec délicatesse en sa compagnie. Lui faire rater une courbe n'était pas une possibilité envisageable, malgré l’apprêté étonnante que lui inspirait les petits curieux acculés contre le bassin et obstruant inlassablement l'angle de vue du guitariste malgré sa grandeur.

Ils quittèrent ce secteur pour mieux pénétrer celui des créatures au gabarit plus important. Une grande variété d'hublots aux dimensions hasardeuses - tantôt petites, tantôt larges se dévoilait aux deux promeneurs. Les Strangulots à l'épiderme épineux paraissaient tout à coup bien moins acrimonieux derrière cette barrière translucide qui rompaient leur moindre tentative de contact avec les touristes. Des tritons à double-queue élevaient les mirettes vers les poissons colorés nageant au gré de la mouvance du courant dans une parfaite synchronisation.

De hippocampes volants, petits êtres féeriques, escortaient avec tranquillité surprenante la baignade princière d'une créature hybride aux écailles céruléennes. Une tête équestre orné d'un aileron à la membrane diaphane, une paire d'avants-bras achevés de sabots et aux coudes garnis de nageoires; une allure princière qu'une large queue de poisson aux variations turquoises s'empressait d'embellir plus encore. Un écriteau se laissait lire sous la verrerie : "Hippocampus".

Jouissant de sa nature bifide, cet être mi-cheval et mi-poisson évoluait dans son environnement aquatique, où la présence simple de ses sujets suffisait à l'adouber souverain du bassin.

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Une virée sous les eaux.

La contemplation qu'elle faisait de cet équin des récifs lui était inspirante. Une diffusion presque astrale en vint à obstruer la résine qui lui faisait lieu d'iris. Ces mêmes yeux, devenus véritables nébuleuses béates à la découverte de cet être magique hybride, entreprirent d'envisager les moindres parcelles d'anatomie de l'Hippocampe avec la minutie qu'un peintre accorderait à la création du portrait de sa muse. 

Si Keith avait fait un court périple dans un Ailleurs qu'il avait été le seul à pouvoir visiter, les rôles s'étaient vraisemblablement intervertis. Les petits pas de l'Australienne à la créativité si vaste la guidèrent non-loin de cet édifice incolore sans qu'elle n'en tirent une réelle conscience. De sa paume libre, elle se risqua à offrir la pulpe de ses doigts à la surface de la verrière qui séparait le duo de dessinateurs des beautés du bestiaire sorcier. 

Ses rêveries admiratives la coupèrent du monde; aussi les exclamations optimistes des visiteurs qui occupaient les alentours de la pièce n'eurent pas le loisir de l'atteindre. A cet instant, rien n'aurait pu plus susciter son adulation que cette chimère ensorcelante. La jeune fille la considéra avec un air de ravissement si particulier que, lorsqu'elle eut la naïve impression que son regard avait croisé celui de la Bête sous la transparence de cet obstacle qui se plaisait à les disjoindre, son palpitant manqua une pulsation. 

Troublée dans l'admiration profonde qui lia son contact visuel à la figure animale de l'aquarium, il lui sembla ne pas sentir l'éveil d'une couleur rosée sur ses propres pommettes. Prise dans son engouement, une improvisation nouvelle lui vint à l'esprit. Elle prit alors son calepin, captura son crayon au creux de sa dextre, et débuta avec enthousiasme le début d'illustration de cette créature aux nageoires bleutées et dont le galop manœuvré par ses pattes avant brassait la marée. 

Le bref interrogatoire que lui soumit Keith mit un certain moment avant d'être assimilé. L'adepte du dortoir vermeil put ainsi se confronter à une légère latence sitôt que sa carapace - ou plutôt son condensé de concentration fut rompu par l'intervention du plus âgé. Elle redressa ainsi le menton dans un infime soubresaut et le tourbillon de boucles qui achevait sa chevelure connut une petite secousse, entraîné par le mouvement. La Cervirald échangea un regard avec le Britannique à ses côtés. Sa question, bien qu'anodine en apparence, lui fit rappeler la perturbation qu'elle avait cru sentir chez son comparse lorsque la foule les avait entourés. La demoiselle se refusa donc à le laisser se confronter au néant, et, en dépit de ses quelques secondes de retard, lui répondit. 

"J'ai toujours trouvé les dauphins agréables à regarder. J'saurais pas expliquer ça, mais j'ai l'impression qu'ils apportent un peu de positivité avec eux."

Elle fit s'égarer l'un de ses regards sur l'esquisse de l'Hippocampe qu'elle avait crayonné quelques instants auparavant; son modèle, hélas, poursuivait sa parade seigneuriale dans les tréfonds du bassin après avoir flatté le sens de la vue de quelques visiteurs proches du rouquin et de la petite brune. Nul besoin d'être clairvoyant pour sentir une insatisfaction boudeuse consommer le faciès juvénile d'Evalyn; elle garda pour elle-même une plainte, avant de fermer son calepin. L'aquarium était un lieu qu'elle serait ravie de visiter une seconde fois, seule ou accompagnée. A coup sûr, elle y rencontrerait de nouveau ce destrier marin. 

"... Et les crocodiles."

 Cela allait de soi, avec l'aveu précédent qu'elle avait confié à propos de son grand attrait pour les reptiles. Evoquer un élément antérieur à leur conversation du moment serait un bon moyen de détourner l'attention que Keith portait sur leurs homologues spectateurs, pensait-elle. Elle suivit ainsi le garçon à la crinière de feu à travers les diverses antichambres; son tempérament sage et observateur lui permit, entre autres, de se dévouer amplement aux études qu'ils faisaient ensemble des autres arpenteurs des fonds océaniques. Qu'ils fassent partie du monde moldu ou magique, contempler ces habitants aqueux avait été un moyen ingénieux de sensibiliser les cœurs artistiques de Keith et Evalyn.  

Leur périple prit fin, tandis qu'ils approchent de l'enceinte commerciale du bâtiment. A la suggestion de Keith, Evalyn acquiesça, non sans une pointe de réserve. Qu'il le sous-entende ou non, la formulation de son phrasé la laissa penser qu'il ne souhaitait qu'une chose; retrouver l'air frais de l'extérieur. Son regard se laissa accaparer par les myriades de jouets et autres objets prompts à extirper les mornilles hors des portefeuilles sorciers. 

"Oui. Hm. Attends-moi un peu, j'vais faire vite ..."

Elle délaissa son acolyte et se dirigea sans ambages vers un étalage à leur gauche. Tout en lui faisant dos, l'Australienne semblait peser le pour et le contre, son affection oscillant entre quelques babioles et autres bagatelles évoquant les diverses rencontres réalisées au gré de leur promenade. Non sans dissimuler ses trouvailles finales contre son buste, la voici qui se dirigeait d'ores et déjà vers les marchandes tenancières de l'échoppe afin de procéder à la transaction. Ses bibelots mémoriels désormais en son entière possession, Evalyn rebroussa chemin vers Keith. Ce dernier pouvait tout à fait prendre en note la présence d'un aquarium minuscule et purement factice au sein duquel gambadait l'illusion magique d'un Hippocampe miniature. Cette créature l'avait indéniablement fascinée - si bien qu'elle maintenait ce souvenir contre son buste avec une précaution singulière.

"Hé, Keith !"

A jamais contrainte de lever sensiblement le nez pour avoir l'occasion de le regarder dans les yeux, elle lui tendit sa seconde paume; laquelle maintenait entre ses fines phalanges une peluche rebondissante de Boullu. De quoi éperonner la quête de créativité de Keith, lui qui s'était plongé dans les dessins de cet animal au corps sphérique et à l'allure grotesque.

"Tiens."

L'embarras récent qui se lisait sur ses joues ne le tromperait pas; la générosité n'était pas une valeur chère au cœur d'Evalyn, mais la compagnie du Lupy lui avait été agréable - aussi ignorait-elle véritablement comment s'y prendre, peu accoutumée dans l'offrande de petits présents comme celui-ci. 

Ses sourcils se fronçaient alors qu'elle octroya un regard en biais à la sortie.

"J'sais pas toi, mais je compte bien me prendre une glace à l'eau en sortant. Il fait chaud, dans cette boutique ... humpf !"

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