La bibliothèque d'Ilukaan était grande, ça c'est certain. Arthur y avait perdu le plus gros de son temps libre (ainsi que d'études et de révisions) durant ses premières années. Aujourd'hui encore, mais un peu moins tout de même. Ça faisait quoi, deux ans que maintenant il révisait souvent dans le Dôme ? Pour quoi faire ? Le Dôme, c'était le lieu de communauté de l'établissement, là où se cognaient élèves et voix portées, bruits de télé et diverses autorisations aux élèves pour trimballer leurs affaires comme leurs animaux de compagnie... Le fait qu'Arthur ait prit l'habitude de réviser là-bas, aucune idée de comment c'est arrivé.

Puis, une réalité l'avait frappé : il sortait moins. Il aimait bien faire ça, pourtant, les premières années : découvrir la ville, ses magasins branchés, satisfaire sa curiosité de petit garçon. Au passage de l'adolescence, il était rapidement devenu quelque peu aigri, et ses dernières visites à Bloombury les plus nombreuses datent de l'époque où il aimait encore agrandir sa garde-robe de fringues punk. Le rebelle Arthur de treize à quinze ans respirait alors les rues à plein nez.

Bref. Il sortait moins en ville. À tel point que peut-être certains coins de celle-ci avaient sûrement trop changé pour qu'il les reconnaisse. Ou encore, que d'autres qu'il n'avait encore jamais vu étaient apparus entre-temps. Peut-être devait-il réfléchir à un emploi du temps pour sortir un peu plus souvent. Non, c'est pas le moment. Cette année, les ASPICs étaient son meilleur argument pour sortir encore moins. Il ne devait pas flancher, réduire à néant les efforts qu'il avait si bien cultivé jusque-là. Il fallait faire à tout prix ses preuves cette année.

Aujourd'hui, toutefois, Arthur était pris d'une envie singulière à retrouver Bloombury. Sans livre de révisions, sans petite plante carnivore dont il fallait s'occuper (elle était bien à l'abri dans sa chambre, de toutes façons. Heureusement que ses colocataires de cette année étaient majoritairement calmes) : rien qui ne puisse l'entraver à juste profiter d'un après-midi de libre.
Les passants fluctuaient à l'approche du centre-ville. La période des fêtes était passée, et pourtant, le monde allait et venait d'ici, là, et de là-bas. Arthur aurait pourtant juré que les gens préféraient encore rester plus longtemps chez eux à cause du froid. Peut-être le virus de l'envie de sortir avait-il touché tout le monde le même jour.

Le Britannique eut une sorte de flashback nostalgique en passant devant une vitrine : celle d'une bibliothèque. Une vraie bibliothèque de ville, une grande, une traditionnelle ; pas une de ces librairies qui faisait la taille d'un appartement seulement.

Le Lupy observa l'intérieur avec l'envie qui date de sa première année. La vitre donnait sur l'intérieur de la bibliothèque même, avec des étagères qui touchaient quasiment le plafond, des fauteuils en cuir dans certains angles de la pièce pour ceux qui souhaitaient la tranquillité, des décorations minimes et sobres qui n'étouffaient pas les lecteurs... Elle ressemblait quelque peu à celle d'Ilukaan, mais la différence avec une bibliothèque de ville, c'est qu'il n'y avait pas cette crainte d'entendre une classe de première année faire du boucan, ou encore, plus simplement, la fluctuation d'élèves qui passe et repasse, rappelant constamment qu'on était pas dans une bibliothèque, mais « la bibliothèque de l'école ».

C'était deux choses différentes pour Arthur. C'est ainsi qu'il entra.

L'entrée était petite, ressemblant à un vestibule médiocre et moderne, mais c'est en passant un encadrement qu'il retrouva la grande pièce qu'il avait aperçu plus tôt.

Il y avait plus de couleurs au niveau des étagères, plus précisément des livres rangés dedans. Parfois, Arthur croisait un petit tas qui traînait-là, qu'on avait pas encore rangé, mais c'était justement cette décontraction qui différenciait cette ambiance de celle de l'école. Pas qu'il préférait le désordre, mais ça... ça respirait autre chose, quoi. Et puis, même s'il aimait son école, ça faisait toujours quelque chose d'agréable de changer de coin au moins une fois après des années d'habitude.

Le Lupy parcourait ainsi les étagères, avec une lente démarche qui inspirait le profit. Il souriait presque, petit à petit enivré par cette impression qu'il avait ressenti la première fois en venant dans une bibliothèque publique comme celle-ci.

Publique, mais presque vide et calme. Ironique.

Arthur connaissait des gens qui lisaient, bien sûr. Qui aimaient lire, quoi. Mais, hm, quelque part, il se sentait un peu seul sur ce côté-là. Sans doute était-ce là un truc assez commun pour tous les dévoreurs de bouquins : se croire un peu solitaire au milieu des autres dévoreurs, avec ses goûts bien à soi que peu encore comprennent de la même manière. C'est justement cette forme de solitude qui permet le calme et une certaine sérénité durant la lecture.

Et puis, on va pas se mentir : il y a des activités qui rapprochent plus de manière communautaire que la lecture. On ne lisait pas en groupe le même livre, on ne réagissait pas à toutes les pages, on ne lisait pas au même rythme. Ce n'était pas comme regarder un film ou écouter un groupe. Ou jouer à un jeu-vidéo (c'était pas son truc, là encore). S'entourer de livres avec une personne ou deux, là encore, peut-être que ça pouvait donner quelque chose, mais une fois à nouveau : la lecture n'était pas généralement une activité de groupe...

Au final, les seuls livres qu'on pouvait vraiment lire en groupe, c'était ceux qui servaient à l'étude. Mais aujourd'hui, puisqu'il était au calme d'une lecture divertissante...

Le silence pouvait presque laisser croire qu'il n'y avait vraiment personne, passé l'entrée.
Il ne croisa qu'une jeune fille qu'il ne connaissait pas. Et elle aussi, le temps que le regard hasardeux d'Arthur s'aventure avant de fixer ailleurs, semblait se perdre dans la contemplation de la pièce. Étaient-ils finalement deux à apprécier l'instant ? La visite d'une bibliothèque encore traditionnelle au milieu de la grande ville était plus commune qu'il ne l'aurait crû ?

Il y avait ce silence qu'on osait presque pas briser, même par le simple bruit de sa propre respiration. Ou celui de tirer un livre de sa rangée. Ce genre de rangée qui a l'air factice, tant chaque bouquin s'y cale parfaitement à sa place sans laisser un seul espace. Ce genre de rangée qui fait que, si l'on tente d'en tirer un livre, le reste risque de l'accompagner et de tomber dans un bruit certainement pas sourd, mais qui viendrait troubler ce silence tranquille. Et justement, puisqu'il n'était pas là spécifiquement pour se promener comme dans un parc, Arthur tenta d'extirper de ses camarades de papier un ouvrage dont le titre imprimé sur la tranche l'avait interpellé...

Merde !

Mais voilà : la narration très prévisible avait, une fois de plus, raison : les livres voisins s'étaient écroulé sans qu'Arthur ne puisse même garder le bouquin choisi dans les mains ; la surprise, sans doute. Et bien sûr, tout ça s'était fait sous le regard sûrement interrompu de la demoiselle qu'il venait de remarquer.
Bien sûr, alors que la bibliothèque semblait pourtant presque vide. Étrangement, on pouvait toujours sentir un silence plus lourd que le précédent, lorsqu'un gros bruit avait perturbé celui-ci...

Arthur se baissa pour ramasser sa bêtise.

Arthur s'indigna lui-même : comment a-t-il pu faire s'écrouler autant de livres (genre, cinq) alors qu'il avait sans doute passé le plus gros de sa scolarité jusqu'ici dans une immense bibliothèque ? C'est parce qu'aujourd'hui il avait décidé d'aller dans une autre en ville, c'est ça ? Il aurait dû respecter son pattern ?!

Alors qu'il avait posé ses genoux au sol, une jeune fille dont il ne connaissait absolument pas le visage le rejoignit pour lui prêter main forte.

« ... j’ai un certain attrait pour l’organisation et le rangement des livres. » avait-elle même ajouté.

C'était un peu facile, de dire ça. Arthur n'eut même pas à répondre, un léger soupir à la fois moqueur et amusé lui échappa, mais il suivit des yeux la demoiselle pour se rendre compte qu'elle avait peut-être raison : elle n'avait pas hésité à trouver la place de ceux qu'elle tenait, comme si en fait elle connaissait déjà les lieux.
C'était possiblement le cas, en fait. En tout cas, elle était vraiment bavarde, cette fille. Si bien qu'elle s'en est rendu compte. Arthur se leva à son tour, avec seulement deux livres dans les mains. Tout ça est arrivé vite, il a été pris de court (autant par son « organisation » que par son débit de paroles soudain avec un inconnu).

- J'ai connu pire, annonça-t-il pour le bavardage plutôt que les livres.

Il n'eut même pas le temps d'en dire plus que déjà la jeune fille se reprit en s'inclinant – ça lui rappelait quelqu'un, ça :

« Au faîte, je ne me suis pas présenter, je suis Mitsuha Miyamizu, j’étudie à Ilukaan, je suis en 10ème année, ravis de faire ta connaissance à qui ais-je l’honneur ? »

Tiens donc.
Arthur prit plutôt son temps pour se tourner vers l'espace encore un peu vide de l'étagère et poser les deux derniers livres qu'il manquait. Il n'avait pas envie de se caler sur un rythme aussi rapide pour parler (surtout pour parler autant) et lui fit de nouveau face – tranquillement – avant de répondre :

- Arthur Kirkland, Lupy, 7ème année, il avait beau peut-être toujours faire un peu le fier à chaque fois qu'il se présentait de la sorte, cette fille-là était plus âgée que lui. On est tous les deux de la même école, apparemment.

Arthur n'était pas du genre à énormément sortir. Pas à rester complètement enfermé non plus, ça, ça viendra quand les périodes de révisions seront plus intensives. Dans tous les cas, il était assez rare pour lui de croiser par hasard des élèves de l'école au milieu de la ville. Et quand ça arrivait, les réactions pouvaient varier : ou bien ils se connaissaient, ou bien ils ne se connaissaient pas. Arthur ne connaissait pas Mitsuha, mais il n'avait pas envie d'utiliser le prétexte de partir alors qu'il venait d'arriver là où il souhaitait être.
À entendre comment cette jeune fille traitait les livres, elle les aimait sûrement autant que lui. En supposant.

- Tu viens souvent dans le coin, j'imagine. Pour connaître l'emplacement aussi bien.