Faut dire ce qui est, Jordan était loin d’être le plus gros metalleux de la planète. La preuve, son groupe de metal préféré, et il n’en écoutait pas énormément, c’était Metallica. Il y a metal dans le nom, ce n’était pas très difficile à sortir comme référence. Et en plus, sa chanson préférée de Metallica, celle qu’il fredonnait en ce moment-même sur le chemin du stade de Quidditch de l’académie, c’était probablement leur morceau le plus pop et connu du grand public. Après faut le comprendre, le jeune homme, il avait beau être un grand amateur de musique on ne pouvait pas tout connaître non plus, surtout à son âge. Depuis quelques années il se retrouvait bien plus dans la pop/rock. Green Day, Sum 41, The Police, Thin Lizy, et il remontait ainsi de décennies en décennies, s’extasiant depuis peu sur les célébrissimes Rolling Stones, mais qu’il n’avait jamais pris le temps d’écouter jusqu’à présent. Il refaisait vraiment son éducation, il le savait, mais cela ne l’empêchait pas de prendre une pause de temps en temps pour se plonger dans la mélancolie romantique de Nothing Else Matters.

Faut dire que l’ambiance s’y prêtait bien.  L’automne avait débarqué en fanfare, accompagné par toute la fraîcheur si coutumière au Canada et les températures étaient descendues en flèche. Et il faisait d’autant plus frais que l’après-midi s’achevait lentement, paisiblement, que l’air se chargeait de ce parfum de fin de journée, de nature mourante, de crépuscule total des fleurs et du monde. Avec un tel spectacle sous les yeux, et la fatigue ordinaire d’un éprouvant lundi de cours, comment résister à laisser flotter dans ses oreilles les notes voluptueuses de James Hetfield et son refrain entêtant ? C’est dans cet état d’esprit très particulier, à mi-chemin entre la paix de l’esprit et la nostalgie de l’enfance, que Jordan pénétra dans le stade un peu vide. Il n’y avait pas d’entraînement en cours, et les vestiaires étaient déserts du brouhaha des joueurs.

Mais que faisait ici le jeune commentateur de Quidditch, alors ? C’était assez compliqué à expliquer. Disons que dans l’hypothèse où il aurait accès à ce magnifique stade et aux vestiaires de par son job de commentateur ; dans l’hypothèse où cet accès soit arrivé aux oreilles d’un de ses amis avec qui il passait du bon temps dans la salle commune d’Ursirre l’autre soir ; dans l’hypothèse où cet ami ait quelque peu craqué pour l’un des joueurs de l’équipe de Lupy ; et dans l’hypothèse, encore une fois, que Jordan, dans sa grande générosité, puisse glisser une lettre écrite par cet ami dans le casier de son coup de cœur, cela pourrait expliquer la présence de Jordan dans le stade vide à cette heure de la journée.

Vide, il le pensait. C’est vrai, il n’y avait personne sur la pelouse, du moins on n’entendait rien de l’extérieur du stade et dans les couloirs, et puis le vestiaire était lui aussi complètement vide. D’ordinaire les bancs sont jonchés de cadavres de vêtements abandonnés là à leur sort ; des chaussures sont éparpillées au sol comme autant d’armes jetées à terre ; des sacs effondrés contre les murs, éventrés, leur contenu se déversant piteusement sur le carrelage se comptent par demi-douzaines ; et là rien, le grand silence. Un moment propice à s’infiltrer en toute quiétude pour y commettre un bien doux forfait, celui de permettre à deux êtres de se lier, d’entrer en contact, pour peut-être voir naître une idylle dans quelques mois, qui sait ?

Comme un cambrioleur tranquille, sûr de son coup, le jeune homme prit son temps pour dénicher le bon casier, celui où le nom du bienheureux courtisé était inscrit. Il entendait bien évidemment du bruit dans la douche, mais c’était probablement une serpillère magique qui faisait son travail de ménage pour lequel on l’avait ensorcelée. Rien de compromettant, sauf quand cette serpillère se mit à… à parler, même à crier.

- Hééééééé! Gamin! Tu fais quoi?

Le sursaut, la lettre qui tombe, les yeux de Jordan qui se posent d’abord sur le visage de cet homme qui venait d’interrompre son plan, puis sur son torse nu, la panique est complète, puis ils descendent encore vers ce sac, ce sac posé près des casiers, resté invisible aux yeux de l’adolescent qui se maudissait intérieurement. Quel aveugle aurait pu loupé ce sac ?! Il fallait lui répondre, vite, la lettre était toujours par terre, il avait dû le remarquer, il fallait lui expliquer.

- Euuuuh ! Désolé ! Désolé ! Jordan s’empressa de ramasser l’enveloppe. Je venais mettre ça dans le casier d’un joueur ! C’est un ami qui me l’a demandé !

Il était pas dans son assiette le pauvre, et encore il n’avait rien vu de tous les problèmes qui pouvaient s’annoncer si celui qu’il avait en face de lui mettait la main sur ce message. Parce que le destinataire sans visage à qui Jordan devait transmettre ce papier en toute discrétion, sans se faire voir, sans se faire surprendre, prendre sur le fait, c’était Gilbert Beilschmidt évidemment ! Comme la vie est bien faite ! Ah ça, on pouvait parler de mauvais karma...

Jordan ne savait plus où se mettre, et pour cause, que feriez-vous à sa place ? S'enfuir en courant n'était pas une excellente idée, ne serait-ce que parce que les joueurs de Quidditch ont des capacités athlétiques suffisantes pour rattraper un pauvre adolescent pas très porté sur le sport. Il pouvait aussi tenter de le baratiner, c'était le plus simple, même s'il y avait peu de fierté à retirer d'une telle méthode. Mais omettre certaines informations, était-ce forcément mentir ? Pour les besoins de son estime personnelle, Jordan jugea à l'instant que non, donc il avait tous les droits de guider nonchalamment son interlocuteur sur une fausse piste pour s'en tirer avec sa lettre encore intacte.

- C'est rien, c'est pour un des joueurs, pas important, t'en fais pas ! Balbutia Jordan.

Oui, alors, ce n'est pas parce que le jeune sorcier avait choisi comme solution de baratiner Gilbert qu'il était doué dans le domaine. On peut même dire que c'était tout le contraire. Il bégayait quelques stratagèmes pour s'en sortir, mais la plupart du temps cela ne menait à rien de concret. Mais ce jour était peut-être enfin celui de la consécration ! En effet, le Lupy que Jordan essayait d'embobiner, à l'écoute de ces explications parfaitement convaincantes, se retourna vers son sac et commença à se rhabiller plus convenablement. Etait-il sur le départ ? Avait-il écouté le commentateur, pour notre plus grand étonnement à tous ? Evidemment que non.

Gilbert feinta presque de partir avant de se saisir du papier sous le regard paniqué de l'Ursirre. Il tenta de raisonner son interlocuteur, implorant de ne pas regarder le contenu de cette lettre, agitant les bras, hésitant à se jeter sur cet homme bien plus imposant que lui pour récupérer son bien, mais rien n'y fit, les yeux du joueur se posèrent sur les lignes de la lettre alors que le désespoir envahit l'esprit du messager. Mais le destin était bon joueur, puisqu'il avait fait lesdits yeux de Gilbert complètement incapables de lire ce papier sans lunettes ! Une opportunité que Jordan n'hésiterait pas à saisir !

Hésitant un instant, se demandant si son action était répréhensible ou non, il se risqua à saisir sa baguette et alors que Gilbert se plaignait de ne rien y comprendre, Jordan en profita pour lancer un bon vieux « Accio ! » sur la lettre qui glissa des mains de notre Lupy préféré. Ouf ! Il l'avait récupéré ! Tant pis pour le baratin, ce gars ne devait pas lire la lettre ! Jordan s'empressa de la ranger bien à l'abri dans la poche arrière de son pantalon, tout comme sa baguette dans son étui, et se tourna de nouveau vers Gilbert, le visage toujours tendu.


- Désolé l'ami, mais mais ... cette lettre est privée, je dois pas la laisser à n'importe qui. Parvint-il à balbutier.

Il se doutait que cela ne suffirait pas à satisfaire le très probable appétit de curiosité de son interlocuteur, mais au moins la lettre était en sécurité et il aurait du mal à la récupérer ! Enfin, on espère... Dans tous les cas, il fallait réfléchir à la suite des opérations. Etait-il préférable de partir d'ici ? De revenir plus tard ? De dialoguer avec ce grand monsieur pour lui expliquer posément que cette lettre a un destinataire précis et que ce n'est pas lui ? (Bon, dans les faits si, c'est lui, mais personne ici n'est vraiment au courant!) Bref, Jordan était un peu perdu et tout ce qu'il espérait maintenant c'était que son usage de la magie n'allait pas trop froisser le Lupy et le pousser à se mettre en colère.

DÉSOLÉ DE L'ATTENTE! J'avais pas vu que t'avais rep RIP