Veritas, un beau corbeau bruyant comme on les aime, toque un jour avec son bec à la fenêtre de la chambre n°5 de la maison Ursirre. Devant lui, une lettre emballée dans une enveloppe élégante, au grain sensible sous les doigts, scellée par de la cire, mais sans aucun sceau. Le nom de Gen Asagiri orne l'enveloppe. Le papier à l'intérieur est simple, de qualité, l'écriture à la plume est précise et soignée.

Monsieur Asagiri,

Vous ne me connaissez pas, je m'en excuse, cette lettre pourra donc sonner des plus étranges, improbables, ringardes, inquiétantes, mais n'y voyez là aucun mystère malveillant, je vous en prie. En vérité, je ne suis qu'un humble admirateur qui, à chaque fois qu'il a la surprise de vous apercevoir, se rappelle d'un sentiment qui ne le quitte plus depuis des années maintenant et dont vous êtes la source. Ce sentiment porte un nom : l'émoi. Vous émouvez sans le savoir bien du monde, Monsieur, et je fais partie de ceux qui ne peuvent retenir un soupir lorsqu'ils croisent votre regard.

Cette lettre n'a aucun autre but que de vous apporter un peu de baume au cœur, sauf peut-être celui, que je n'avoue qu'à moitié, d'enfin vous livrer ce que je ressens pour vous depuis tout ce temps. J'espère que ça ne vous embarrassera pas outre mesure et je tiens à vous rassurer autant que possible : ceci n'est pas une demande d'amour, de reconnaissance, d'attention. Sinon, pensez bien que j'aurai donné mon nom. Ceci n'est qu'un merci, merci pour la beauté que vous infusez, par votre présence, au monde qui vous entoure, merci du temps que vous passez à entretenir cette beauté, ce cadeau que vous faites à toutes celles et ceux que vous croisez. Ce merci je me permets de le formuler avec un poème. Je m'excuse par avance, car il me sera impossible d'atteindre avec ma plume les firmaments de l'élégance où vous avez vos appartements depuis toujours, mais j'espère qu'au moins l'attention vous plaira.

Et si, dans un élan de générosité, vous souhaitiez transformer cet hommage solitaire de votre dévoué admirateur en échange de lettres, je suis dans la chambre n°1 de la maison des Strixysts. C'est un immense indice s'il vous venait à l'idée de me dénicher, mais, je vous en prie, permettez-moi, au moins un temps, de rester dans l'ombre confortable de votre méconnaissance. Je préfère l'idée que mes compliments soient sans visage car, soyez assuré, Monsieur, que l'univers entier pourrait vous livrer les mêmes louanges. Considérez-moi, pour l'instant, comme le représentant de ces voix anonymes qui sont pourtant si nombreuses à vouloir vous crier leur admiration. Ai-je eu plus de courage que les autres ? Peut-être. Mais j'espère que jamais vous ne douterez que, même dans les moments les plus sombres, vous enchantez la vie d'Ilukaan tout en entier.

Acceptez donc, Monsieur, ce modeste présent.

Ô jamais je ne fus face à votre visage,
Mais pour toujours j'aurai imprimée son image,
La joue malicieuse, le sourire fort joli,
N'auront pas l'audace de quitter mon esprit.

Ô jamais échangé tristesse ou grande joie,
Les remous de votre âme me sont invisibles,
Mais je serais content de ne jouir que du droit
De vous admirer loin, ma stupeur indicible.

Car c'est bien moi qui fut frappé avec grand'force
Lorsque cinq ans plus tôt, au zenith du printemps,
Je vis la pourpre soie soulignant votre torse
Que vous portez encore, votre charme indécent.

Car c'est bien pour cela que je compose ici
Quelques vers que je charge d'apporter la douceur
A celui que je ne pourrais nommer ami,
Mais à qui je veux offrir un instant de chaleur.


Votre dévoué admirateur.

Veritas livre la seconde lettre dans la soirée. Celle-ci est dans la même enveloppe élégante, mais cette fois-ci le papier est parfumé à la fleur d'oranger.

Monsieur Asagiri,

Votre lettre m'a tant réchauffé le cœur que j'ai cru qu'il se mettait à battre pour la première fois de ma vie. Je ne m'attendais pas à une réponse, pour être tout à fait honnête. Je me suis dit qu'un inconnu qui vous écrit des mots aussi forts, qui vous dédie un poème, ça avait toutes les chances de vous faire rire, de vous mettre mal-à-l'aise, voire de vous effrayer et je l'aurai tout à fait compris. Mais alors que me préparais à ne rien recevoir, voilà votre superbe et longue lettre rien que pour moi. La voir m'a procuré un tel soulagement, et une fois terminée sa lecture j'avais le sourire jusqu'aux oreilles. Sachez donc que oui, elle m'a bien trouvée et mes camarades de chambre sont, heureusement pour moi, loin d'être des farceurs et me l'ont remise sans même l'ouvrir ni trop me questionner. Ravi que mon corbeau vous ai plu, il est effectivement très serviable et gentil. Il s'appelle Veritas et si vous voulez lui faire plaisir il aime particulièrement les amandes ! Ne soyez pas désolé de ne pas avoir fait de poème, votre écriture transmet déjà bien assez de musique dans mon cœur, et je me suis imaginé votre charmante voix tout du long, ce qui ne faisait que rougir un peu plus mes joues.

J'ai effectivement eu votre discussion groupchat sous les yeux, et Dieu sait comme j'ai lutté pour ne réagir en rien ! Mon doigt aurait pu glisser pour ajouter une réaction et me trahir aussi sec. Ne vous en faites pas, comme je l'ai précisé je ne suis pas difficile à dénicher et votre amie n'aura aucun mal à le faire. (Et pour répondre à votre question, non je n'y ai pas goûté, mais je vais essayer dans les plus brefs délais, je vous dirais ce que j'en ai pensé !) J'ai beaucoup ris devant vos réactions en tout cas, et ça m'a flatté aussi. Si ma lettre vous a fait plaisir, je suis déjà comblé. Et ce n'est que justice que de faire savoir au monde qu'on vous admire au point de vous dédier des lettres entières. J'espère que celle-ci vous satisfera autant, je me suis mis à la rédaction dès que j'avais fini la lecture de votre réponse, l'idée de vous faire attendre me répugnait. En tout cas, merci de respecter mon souhait de rester anonyme pour l'instant. Je dois avouer que j'ai du mal à garder mon propre secret, mais j'espère que lorsque vous découvrirez enfin mon identité vous souhaiterez poursuivre nos échanges, même sans tout le mystère qui m'entoure. Encore merci de jouer le jeu, ça me fait plaisir d'avoir éveillé votre curiosité.

Je serais bien sûr ravi d'apprendre à mieux vous connaître. Je dois admettre que, vous avez raison, j'en sais déjà un peu sur vous, mais à mon grand malheur c'est plus par des on-dit qu'autre chose, et quelqu'un d'aussi populaire que vous est dépeint de tant de manières que j'aurai grande peine à démêler le vrai du faux. Je vais donc considérer que j'en sais peu sur vous et savourer tout ce que vous voudrez bien m'offrir, toujours conscient de la chance que j'ai de vous voir répondre à mes modestes lettres. En retour, je vous dirais tout ce que vous voulez savoir et comptez sur moi pour les détails, je pense que la longueur de la lettre que vous avez entre les mains peut vous rassurer à ce sujet. Je vais donc répondre à vos questions et poser les miennes. Je tiens toutefois, malheureusement, à faire une entorse à la règle que vous avez dicté, je m'en excuse. Mais je ne souffrirais pas de vous poser une question gênante sans le savoir et que vous vous sentiez obliger d'y répondre. Si jamais je suis indiscret d'une quelconque manière, n'hésitez pas à me le dire. Je serais heureux d'apprendre à vous connaître, mais je serais dévasté de le faire au dépend de votre confort. Vous pourriez faire ça pour moi ? De mon côté je ne pense pas que vous parviendrez à me mettre mal-à-l'aise avec vos questions, donc ne vous en souciez pas et demandez-moi ce que vous voulez !

Tout d'abord, mon plus grand rêve lorsque j'étais enfant. Malheureusement, ce n'est rien de palpitant. Je viens d'une famille plutôt stricte qui souhaitait que je reprenne le flambeau dans leur secteur d'activité. J'ai donc été façonné par mes parents et mon grand-père pour remplir cette mission, et ils ont été si efficaces que même mes rêves suivaient leurs commandements. Je souhaitais donc devenir un avocat réputé, comme mes aïeux avant moi, et rendre les miens fiers de moi. Peut-être qu'il m'est aussi passé par la tête de fonder une belle et grande famille, vivre près du lac où je suis né et couler des jours paisibles. Le genre de vie dont rêvent tous ceux qui ne l'auront jamais et que détestent tous ceux qui la vivent. Mais puisque c'est court et peu reluisant, et que je vous ai promis des détails, j'ajouterai qu'aujourd'hui mon rêve est de devenir un grand écrivain. Je veux bercer les cœurs de mes semblables avec de belles histoires et leur faire vivre des aventures dans le confort de leur sofa, juste avec mes mots. Je pense que vous l'avez remarqué, mais j'aime écrire, je trouve que les mots écrits ont un pouvoir très particulier. Je pense que jamais je n'aurai éveillé votre intérêt sans ma lettre, par exemple. Les mots permettent de mettre en forme des sentiments et idées complexes, les sublimer, et croyez bien que votre lettre m'a beaucoup ému, si jamais vous en doutiez.

Ensuite, si j'étais sur une île déserte, qu'est-ce que j'apporterais avec moi ? Je dirais un grand tas de papier avec de quoi écrire, justement. Je ne sais pas si vous connaissez le livre qui a donné l'histoire de Robinson Crusoé, « Vendredi ou la vie sauvage », avec cet aventurier échoué sur une île déserte. Je pense que s'il a pu tenir toutes les années de sa solitude et rester humain dans son cœur c'est parce qu'il pouvait écrire. Comme lui, c'est ce qui me permet de rester aussi humain que possible, puisqu'en écrivant on pose ses pensées, ses idées, on calme la tempête qui peut parfois gagner notre cerveau et tout rendre confus. Pour moi c'est important rien que pour cela. Après, j'aurai pu choisir mon violon, l'instrument que je pratique le plus depuis mon enfance. Je dois avouer que ces précisions me rendent d'autant plus identifiable, mais j'admets m'amuser à me rendre aussi évident que possible, pour voir si vous résisterez à l'idée de me débusquer. J'imagine déjà le moment où vous apprendrez mon identité, je pense que, si j'ai l'honneur de vous être déjà connu, vous ne tomberiez pas de très haut. J'ai répondu à vos questions, avec le plus grand plaisir d'ailleurs, je me permets donc de vous poser les miennes.

Quelle est l'activité qui vous plaît, vous réconforte, le plus ?

Si vous pouviez vivre n'importe où, quel serait l'endroit rêvé ou vous installer ? Ça peut être un pays, une ville précise ou simplement un paysage que vous adoreriez côtoyer tous les jours.

Voilà, croyez-moi bien que je résiste à l'envie de vous demander tout ce que vous préférez dans la vie, pour vous concocter le rendez-vous de vos rêves en guise de première rencontre, mais je préfère apprendre à vous connaître vous. Sachez que si ce qui m'a frappé en premier c'est votre beauté -dont je ne pourrais pas faire le tour même en noircissant mille feuilles de papier- le peu que j'ai entendu sur votre personnalité tend à me faire penser que vous avez le cœur aussi aimable et charmant que votre visage. Et avec une telle peau de porcelaine, votre fascinant tatouage, votre sourire à-même de briser la plus solide carapace d'abnégation, votre cœur a une très sérieuse concurrence.

Encore une fois, si l'une de mes questions vous gêne, n'y répondez pas, j'y tiens. Quant à moi je vous souhaite la plus douce nuit possible car vous avez indéniablement embellis la mienne par l'attention que vous me donnez. Moi qui suis sujet aux insomnies, j'en viens à les souhaiter avec force, ça me donnera une excuse pour me lever, relire votre lettre et sourire comme un bête adolescent à nouveau.

En attente de votre réponse,

Votre dévoué admirateur,

Veritas livre la troisième lettre en fin d'après-midi. Cette fois-ci, elle est parfumée avec une fine fragrance de lilas.

Monsieur,

Votre réponse m'a fait très chaud au cœur. Ne vous en faites pas pour le temps que vous avez mis, nous sommes tous occupés dans cette école et ne vous mettez aucune pression sur les épaules pour m'écrire au plus vite, nous avons tout le temps devant nous. Je suis même heureux d'apprendre que vous prenez soin de vous, c'est quelque chose auquel j'attache une grande importance, que ce soit pour être agréable à l'oeil de mes semblables ou simplement pour ma santé. Donc, pour les prochaines lettres, prenez vraiment le temps qu'il vous faut. Je ne peux pas promettre que je ne m’inquiéterai pas au bout d'un moment, c'est dire à quel point je chéri nos échanges, mais je sais aussi être patient. Après tout cela fait plusieurs années que je me suis contenté de vous admirer de loin avant de sauter le pas et d'envoyer ma première lettre, je serais bien indélicat de vous demander de vous presser !

Par contre, Véritas semble vraiment apprécier vous livrer le courrier, même sans avoir encore de récompenses. Dès lors que vous commencerez à lui donner des friandises, je n'aurai d'autres choix que de continuer de vous écrire, sinon il m'en voudra de le priver de ses amandes. Bien sûr, vous pourrez le caresser, mais soyez prudent, les corbeaux ne préviennent pas vraiment avant de piquer et parfois c'est juste par curiosité, mais ça fait mal. Si vous avez un gant pour les premières caresses ce serait le mieux. Je serais affolé si Veritas venait à vous blesser.

Je suis content si le parfum que j'ai mis sur la lettre vous a plu. C'est l'une de mes fragrances préférées, surtout avec l'été qui approche. Ça apporte un peu de Méditerranée, ce qui ne fait jamais de mal. Aimez-vous la plage, Monsieur ? Je sais que ce n'est pas la tasse de thé de tout le monde, mais je dois avouer que j'apprécie faire quelques baignades une fois que les beaux jours sont là, tout comme de de simples promenades. Bloombury est une île plutôt petite, mais le reste de la Nouvelle-Écosse est à portée de main et il y a des paysages magnifiques à découvrir.

J'accepte de vous le dire si une question me met mal-à-l'aise, Monsieur, et merci d'accepter d'en faire de même. Après, là de tête, aucune question ne me vient qui pourrait vous embarrasser de toute façon, peut-être que je ne m'autorise pas à les imaginer. Je suis un lointain admirateur, et pas de l'espèce qui brûle les étapes et rêvasse déjà tout un tas de choses avec l'objet de son adoration. Vous échangez avec moi et ça me comble déjà de bonheur.  Dans tous les cas, nous nous ressemblons sur ce point : on sera difficile à gêner l'un l'autre, c'est drôle.

Oh vous me voyez navré d'apprendre que votre environnement familial est si semblable au mien. J'aurai pu le deviner, quelque part. Quelqu'un d'aussi bien apprêté que vous, en toutes circonstances, est souvent le fruit du carcan rigide de nos strictes foyers. Au moins pouvons-nous nous réjouir de ça, ils nous ont inculqué un savoir-être qui rend plaisant de prendre soin de nous, ce qui n'est pas donné à tout le monde. Mais j'aurai aimé, pour moi comme pour vous, qu'ils s'en tiennent là et qu'ils ne continuent pas de nous tourmenter alors que notre majorité est passée depuis longtemps. Je ne sais pas dans quel état sont vos relations avec votre famille, à quel point vous dépendez d'eux, mais de mon côté j'ai définitivement coupé les ponts il y a plusieurs années maintenant. Je vis plus pauvrement, mais sans cette liberté nouvelle je pense que je serais bien plus mal en point aujourd'hui. Loin de moi l'idée de vous donner un conseil non sollicité, mais sachez simplement que... vous n'êtes pas seul, que nous partageons un certain vécu vous et moi.

Merci pour vos mots sur mon rêve actuel, bien sûr que s'il se réalise je vous dédierai un livre. Ce ne serait que justice car les sentiments que j'ai pour vous m'inspirent beaucoup. Ces lettres montrent bien vos talents de muse et vous avez d'ailleurs toute ma reconnaissance pour illuminer à ce point mon imagination. Au sujet de ce que vous appelez votre « inaccessibilité » que je surestimerai, rassurez-vous, je ne pense pas que nous n'aurions jamais pu nous parler en face à face, mais je suis certain que je n'aurai pas pu me livrer autant si ça n'avait été sur ma première lettre. Je ne suis pas timide, mais j'ai conscience de l'inconfort que cela aurait pu vous procurer. Au moins, avec cette méthode j'étais plus serein sur le fait de développer ce que je ressens et que vous pourriez apprendre tout ça avec plus de tranquillité, sans être au pied du mur, face à moi.

J'aime votre point de vue sur notre ami Robinson, il est vrai que la présence de Vendredi devait beaucoup l'aider aussi. Nous sommes des êtres sociaux, amenés à vivre les uns avec les autres et notre bien être souffre beaucoup de la solitude. D'ailleurs, je pense que celle-ci me ferait bel et bien autant de mal que l'incapacité d'écrire, si ce n'est plus. Je ne suis pas différent des autres, j'aime la compagnie de mes semblables. Je serais ravi de vous jouer un peu de violon. Je trouve cet instrument très doux, il ne joue pas trop fort comme beaucoup d'autres et il permet de transmettre beaucoup d'émotions à lui tout seul. Je fais aussi du piano, mais c'est plus difficile à transporter un peu partout, donc j'en pratique moins.

Ça m'a fait plaisir de lire vos réponses à mes questions et d'en apprendre plus sur vous. J'avoue que je n'y connais presque rien à la magie moldue, mais j'ai regardé un peu sur le Witchnet après avoir lu votre lettre et ça a l'air amusant. C'est un vrai spectacle ! Vous jouez quelque part de temps en temps ? Ou vos talents ne sont réservés qu'aux rares élus qui ont la chance de vous côtoyer dans la vie de tous les jours ? Quel bonheur d'apprendre votre goût pour la danse, c'est un hobby que nous partageons, même si je suis plus à l'aise en danse de salon que les formes plus modernes. L'idée de m'imaginer danser comme en boîte de nuit m’embarrasse rien que d'y penser. Je pense que je serais ridicule ! Je n'ai jamais fait d'origami non plus, mais je serais ravi d'apprendre, ça a l'air effectivement très relaxant.

Je comprends votre attachement à votre ville natale. J'ai regardé des photos et effectivement ça a l'air tout simplement magnifique. Je ne suis pas très original, mais comme beaucoup de gens de ma génération j'aimerai beaucoup aller au Japon. Je ferais sûrement partie de la marée de touristes qui envahit votre pauvre cité, mais vu l'amour que vous lui portez vous comprendrez sûrement que je veuille un jour la visiter ! Je note qu'il vaut mieux y aller en automne, donc, profiter de cette fête qui vous plaît tant. Je me permets d'envoyer, avec cette lettre, quelques photos de l'endroit près duquel je suis né. Il s'agit du lac Saint Jean, pas très loin d'ici finalement. Et vu que je suis très vieux jeu, j'ai fait développer les photos que j'ai prise la dernière fois que je m'y suis rendu, j'ai fait des albums comme nos parents et grands-parents, comme ça je peux vous en faire profiter.

Il est temps de répondre à vos questions ! Ne vous inquiétez pas, la première ne m'a pas parue ridicule. Ça me plairait d'avoir mon petit pouvoir sans que les autres soient au courant. Maintenant, vous devez savoir que j'aime faire des cachotteries et des mystères. Je pense que j'aimerai avoir, comme pouvoir, le fait de voler. Vous me direz que nous avons des balais, mais j'imaginais quelque chose de plus commode, pouvoir flotter au-dessus du sol à volonté. Comme moi, vous avez grandi dans un environnement avec pas mal de beaux paysages, vous ne vous êtes jamais dit en apercevant une colline haute et lointaine, un relief escarpé un peu inaccessible ou un bâtiment abandonné à l'horizon, « oh j'aimerai tellement y aller, là, tout de suite. » ? Nous pouvons le faire sans trop de problèmes, mais ce serait si confortable de juste flotter au-dessus du sol et pouvoir parcourir le monde à loisir. Oh, et j'aimerai aussi beaucoup traverser les murs ! Être un fantôme en fait, maintenant que j'y pense. Rien de malveillant là-dedans, mais pour avoir été une fois en Europe les vieilles villes regorgent de bâtiments extraordinaires, d'hôtels particuliers abritant des tas de secrets, des merveilles architecturales que nous ne pourrons jamais voir car ce sont des propriétés privées. Si je pouvais me faufiler n'importe où pour explorer comme bon me semble, j'avoue que je serais bien heureux.

Pour la deuxième question, je vais vraiment paraître fine et riche bouche que ça doit sembler ridicule, mais j'aime vraiment beaucoup le homard. C'est si doux, si délicat, si léger, je pourrais en manger des kilos et des kilos ! Et puis, vu que je suis désargenté désormais, parce que j'ai quitté le cercle familial, je n'en mange que très rarement ce qui me le fait aimer encore plus. Vous pouvez vous moquer de mes goûts de privilégié, je suis le premier à en rire, ne vous inquiétez pas pour ça, mais au moins je vous réponds honnêtement ! Dans les nourritures plus accessibles, je pense qu'une bonne soupe tom-kha se mange sans fin. J'aime la cuisine épicée. J'espère que mes réponses vous ont satisfait, je me permets de poser mes deux nouvelles questions.

Est-ce que vous appréciez la personne que vous êtes, aujourd'hui ? Sinon, qu'est-ce qui vous manquerait pour atteindre cet objectif ?

Est-ce qu'il y a une personne que vous respectez et admirez particulièrement ? Un modèle dans votre vie.

Encore une fois, si l'une de ces questions vous gêne, n'hésitez pas à me le faire savoir. Je respecterai toujours vos limites et si vous me trouvez trop intrusif je peux disparaître aussi vite que je suis apparu. Mon cauchemar serait de vous troubler l'esprit, de vous faire souffrir d'une quelconque façon. Mais sachez que nos échanges m'amusent et m'enthousiasment beaucoup. Savoir que ça vous plaît me ravi et j'entretiens avec soin le mystère qui vous plaît tant à mon sujet. Je serais honoré que l'on se rencontre enfin après quelques lettres, bien sûr, et je croise les doigts pour que la révélation ne vous déçoive pas.

En espérant que vous passerez une bonne soirée et en attente de votre réponse,

Votre dévoué admirateur.

PS : je l'ai goûté, oui, un délice même si la fleur de cerisier a un goût très subtil que je n'aurai pas deviné si on ne m'avait pas dit que c'en était ! Je n'en avais jamais goûté auparavant !

Veritas livre la quatrième lettre en fin d'après-midi aussi. Cette fois-ci, elle est parfumée avec un arôme entêtant, mais pas trop puissant non plus, de jasmin.

Monsieur,

Bien joué pour le parfum, vous avez un nez très affûté car ce n'est effectivement pas toujours simple à deviner. J'adore les lilas, on en croise pas tant que ça en balade alors quand j'en vois ça me fait toujours plaisir. C'est noté, je tâcherai de vous faire découvrir l'étendu de ma collection, mais en grand amoureux des parfums ça prendra quelques temps. Je vous remercie pour Veritas, vu son tempérament depuis qu'il est revenu de chez vous, je sais qu'il a été récompensé. Vous avez bien fait de demander le gant de votre ami, mais si vous avez vu qu'il réagissait bien à la première caresse, vous pouvez essayer de l'enlever la prochaine fois. Caresser un oiseau à main nue est une sensation spéciale je trouve, car c'est un animal que l'on n'associe pas à ça, on en approche peu, on l'imagine s'envoler avant de pouvoir le toucher et non, il se laisse faire. On a vraiment l'impression d'être privilégié, choisi, quand un bel oiseau se laisse caresser. Surtout que c'est gros, un corbeau, intimidant, ça rend le moment encore plus magique à mes yeux. Je suis sûr qu'il ne vous piquera pas, désormais. Il vous a déjà adopté ! Et, comme vous le dites, ça me condamne à continuer de vous écrire. Je ne sais pas quel mal j'ai fait pour mériter un châtiment pareil, mais j'aimerai qu'on m'en informe pour pouvoir recommencer et prolonger ma peine ad vitae eternam.

Je ne vais pas pousser ma chance en vous demandant si vous aimeriez m'accompagner sur la plage, je ne grillerai pas mes questions aussi facilement, mais ravi d'apprendre que vous aimez vous y rendre aussi. J'aime beaucoup lire sur la plage, même si je crains toujours un peu les coups de soleil donc je le fais sous un large parasol. J'apprécie aussi beaucoup l'ambiance de l'océan, c'est si inspirant... C'est comme regarder un feu de cheminée, on se met à détailler chaque vague comme chaque flammèche, chaque remous. Je conseillerai toujours, même si c'est peu commode, d'aller se balader sur la plage quand il fait mauvais temps, voire même en pleine tempête. C'est un spectacle fascinant, captivant. Le vent, l'averse, les éclairs, le tonnerre, les immenses vagues qui frappent le récif ou le sable, c'est une véritable merveille.

Vos mots sur mon prétendu courage me flattent, mais je pense que vous surestimez mes capacités et sous-estimez les vôtres. Je ne suis pas particulièrement brave, car j'ai mis longtemps à faire ce qui aurait dû être accompli depuis longtemps avec ma famille. Moi aussi, l'argent qu'ils me donnaient facilitait grandement la vie, mais j'en venais à tomber malade tellement la situation me rongeait. Je perdais mes cheveux, je ne mangeais plus, je ne dormais plus. Je pense que si, un jour, votre famille vous cause de tels tourments -et je souhaite tout sauf ça, bien entendu- vous trouverez en vous l'instinct de survie qui vous poussera à agir pour vous en détacher. Mais si, pour le moment, vous conservez la force de rester à leurs côtés alors, de nous deux, vous êtes le brave et je vous souhaite simplement de trouver le bonheur malgré cette situation délicate. Les choses finiront par changer dans le bon sens, j'en suis sûr. L'espérer ne fait pas de vous quelqu'un de stupide, ça fait de vous quelqu'un de sensé, car personne de sensé n'aurait approuvé ma décision de l'époque et, aujourd'hui encore, il m'arrive de me la reprocher.

Mais, comme vous le dites, évoquons des sujets plus joyeux car si je vous écris c'est aussi pour illuminer votre journée autant que vous illuminez la mienne. Je vous promets que vous serez le premier lecteur du livre que vous m'inspirerez à écrire. J'ai peut-être déjà une trame, mais cela fait si peu de temps que nous échangeons que je laisse simplement la chose mûrir dans ma tête à son rythme. Vous vous en sortez très bien en tant que muse, je vous l'assure. Quand je jouais du violon hier soir, je n'avais en tête que votre visage et comment y mettre un sourire avec mes modestes talents, quoi jouer pour attraper votre attention, vous mettre du baume au cœur et... En fait, j'ai une idée. Je vous la détaillerai à la fin de cette lettre, soyez patient, mais je pense que vous apprécierez.

Je pense que, comme vous l'avez supposé, les mêmes émotions nous traversent quand nous parvenons à maîtriser quelque-chose qui nous a demandé de l'entraînement et du travail. Je peux donc facilement imaginer votre joie quand vous accomplissez avec brio un numéro créé par vos soins et je dois avouer que ce serait un joli spectacle à voir, en plus de celui que vous ferez sur scène. Je me doutais que vous étiez une petite célébrité dans votre région natale, il ne pouvait en être autrement. Je serais le plus heureux du monde si je pouvais visiter votre si charmante ville à vos côtés. J'imagine déjà les restaurants, les spectacles à vous observer dans le public, applaudir avec force pour vous encourager, subjugué par les tours que vous avez montré. Je serais très sincèrement impressionné car, de ce que j'ai vu de la magie moldue, ils parviennent à des résultats épatants sans aucune magie. Nous, nous n'avons qu'un sortilège à maîtriser et à exécuter pour faire léviter un objet. Eux doivent détourner l'attention du public, élaborer la machinerie pour faire léviter l'objet, la mettre en route sans que personne ne s'en rende compte et prier pour que rien ne soit grippé ou cassé. Ça demande bien plus de ressources, je pense, alors croyez bien que je serais ravi de voir ce que vous pourrez accomplir en magie à la manière des moldus.

Ravi que le lac Saint Jean vous plaise, et merci pour vos compliments, ils me vont droit au cœur. J'aime, en effet, prendre des photos, surtout avec les appareils sorciers, même s'ils n'ont plus trop le vent en poupe avec le développement des téléphones portables. Mais, je ne sais pas, je ressens plus d'émotion face à une photo que je tiens dans mes mains et sur laquelle on voit une bande d'amis rire au bord du lac que d'avoir cette vidéo sur mon téléphone.

Je dois avouer que savoir qu'on a tant d'intérêts en commun me fait plaisir, et rougir aussi. Nous sommes sur la même longueur d'onde à propos de toutes les aventures que nous pourrions vivre si l'on n'avait pas besoin de nos balais pour voler. Je vous assure que si j'étais doté de ce merveilleux pouvoir, nous irions tous les deux où bon vous semble. Photographier des beaux paysages c'est une chose, vous avoir sur les photos en feraient les plus belles et précieuses de ma collection. Ne vous inquiétez pas, je ne compte pas partir tout de suite. Même si j'admets que, lorsque je croise les fantômes de notre campus, je me dis parfois que leur vie est bien tranquille, même s'ils passent leur temps à hurler le contraire.

Vous étiez spécial à mes yeux bien avant que nous commencions nos échanges, mais oui, je dois avouer que j'attends avec impatience chaque réponse ce qui, en période de révision, n'est pas des plus commode. Mais je préfère mille fois perdre quelques points aux prochains examens et laisser mon imagination peupler mes pensées avec vos mots si gentils, les tableaux de vie que nous nous figurons, et l'anticipation de notre première rencontre que j'attends avec impatience. Et je vous vois venir, n'imaginez pas que vous causerez mon échec scolaire, je suis un étudiant sérieux et vous n'avez aucune crainte à vous faire là-dessus. Et puis, c'est moi qui, au milieu de mes révisions, ai décidé de franchir le pas et commencer cette correspondance, je suis le seul fautif dans cette histoire.

Je suis navré d'apprendre que vous ne vous appréciez pas autant que peuvent le faire vos proches ou moi, mais ce serait mentir que de dire que je ne vous comprends pas. Et loin de moi aussi l'idée de vous reprocher vos mensonges. Nous agissons tous comme ça, à plus ou moins grande échelle. On a tous de quoi s'améliorer à ce propos, moi y compris. Donc sachez simplement que je vous souhaite d'un jour vous voir avec mes yeux, je peux vous assurer qu'ils ne me renvoient pas l'image d'une mauvaise personne, même en sachant votre propension au mensonge. J'aimerai seulement vous demander si, à l'avenir, vous pourriez ne pas me mentir sur votre plat préféré. Je me sentirais mal de vous cuisiner quelque-chose que vous n'aimez pas vraiment. ;)

Et pour les gens que vous admirez, je comprends également votre sentiment. Je fonctionne à peu près de la même façon. Je trouve chaque personne intéressante et source d'admiration car elles sont toutes source d'inspiration. Personne n'est trop ordinaire, tout le monde est complexe, presque compliqué et c'est ce qui fait la richesse des gens. Je pense qu'on peut me décrire comme passionné, il suffit de voir les mots qui me viennent lorsque je vous écris, mais ne soyez pas jaloux des gens comme moi car, tout comme l'intelligence, la passion peut s'exprimer de mille façons différentes. Vous n'avez peut-être pas encore trouvé la votre, c'est tout. Et en ce qui concerne les gens très intelligents, j'aime aussi les fréquenter, ils offrent toujours des discussions passionnantes. Un de mes camarades de chambre est particulièrement brillant et c'est toujours un plaisir de parler avec lui. Ne vous inquiétez pas, vos réponses m'ont pleinement satisfaites car vous ne vous êtes pas forcé d'aller plus loin que ce que vous vouliez et c'est tout ce que je demande. Vous vous décrivez comme menteur, mais je ferais de mon mieux pour que vous n'ayez pas à trop mentir avec moi, en n'étant pas trop curieux, car cela doit vous troubler de le faire. Après, sachez que je ne prendrai jamais ombrage si vous vous sentiez obligé de me mentir. Je ne suis pas là pour vous mettre face à vos démons, mais pour vous les faire oublier, même juste un peu, et que vous passiez un bon moment. Mais il est temps de répondre à vos questions.

C'est vraiment une question difficile que la première et pourtant elle est loin de me demander des détails que je ne veux pas livrer, mais déterminer ma fleur préférée est aussi difficile que de choisir ma musique favorite. Je sais ! Lorsque je finirais cette lettre, je choisirais le parfum à mettre dessus. Je le ferais avec soin pour trouver lequel je préfère car, je l'admets, c'est surtout le parfum des fleurs que j'adore, et je vous l'enverrai ensuite. Vous sentirez ma fleur préférée dès l'ouverture, bien avant de savoir que je souhaite que vous la deviniez. et vous la reconnaîtrez je pense, si vous avez reconnu le lilas. Puisque vous aimez le mystère, je me permets de vous en proposer un nouveau.

Ensuite, les personnes avec qui je préfère passer du temps. Je dois admettre que, en général, je plais aux personnes âgées parce que je suis vieille école même avec mes vêtements, donc ça donne toujours lieu à des moments amusants et sympathiques. Mais, en vérité, je pense que j'aime évoluer avec les gens qui ont peu ou prou mon âge car c'est, en général, ceux qui viennent le plus facilement vers moi. Les gens plus âgés me trouvent étrange, les plus jeunes intimidants ou louche et je ne veux causer de malaise ni pour les uns ni pour les autres. Les gens de mon année, ou celles très proches, savent qui je suis et aiment passer du temps avec moi. Et moi tant que je suis agréable pour les autres je passerais un bon moment aussi. J'espère que mes réponses vous ont satisfait. Je me permets donc de poser mes questions. Cette fois-ci, promis, elles vous évoqueront de moins tristes pensées, je le souhaite en tout cas.

Quel est le film, la série, le livre, la musique qui a le plus résonné avec vous ?

Et ensuite, est-ce que vous êtes libre, dans la soirée ?

Je vous le demande car, pour en revenir à l'idée que j'évoquais plus haut, je compte me balader dans le campus sur les coups de 20h30 ou 21h, histoire que nous ayons tous mangé, et je m'imaginais me poser sous un arbre non loin de votre fenêtre pour jouer un peu de violon. Bien évidemment, je mettrai de quoi préserver mon anonymat, mais si vous voulez mettre toutes les chances de vôtre côté pour le conserver à 100% il serait peut-être judicieux de ne même pas jeter un regard par la fenêtre lorsque vous m'entendrez. Oh et je me doute que vous ne pourrez pas répondre à cette lettre avant de m'entendre donc profitez plutôt de ma seconde question pour me dire ce que vous avez pensé de ma prestation. Je suis désolé, je fais une entorse à notre séance de questions/réponses, mais encore une fois je n'arrive pas à résister à la tentation de vous surprendre, c'est plus fort que moi. J'espère que ma petite surprise vous plaira, Monsieur. Et si vous souhaitez absolument guetter qui je suis, à votre fenêtre, sentez-vous libre de le faire. Je ne suis pas Eurydice et vous n'êtes pas Orphée, même si vous voyez un peu de mon visage avant qu'on officialise notre première rencontre, vous ne me verrez pas disparaître. Je resterais toujours désireux de vous parler enfin de vive voix.

Bonne soirée à vous,

Votre dévoué admirateur.

Veritas livre la cinquième lettre, plus longue que les autres et à la subtile odeur de dahlia. Autant dire un parfum qu'on ne saurait trop nommer.

Monsieur,

Voilà pour vous une nouvelle lettre afin de tester si Veritas vous accorde sa confiance, même si je n'ai aucun doute à ce propos. Vous le nourrissez, vous le caressez et je pense qu'il sait l'affection que je vous porte et la partage. C'est mon plus fidèle compagnon, nous partageons bien des choses dont l'amour des belles personnes. J'admets n'avoir jamais côtoyé de lapin, mais je peux sans peine imaginer que l'on se sent privilégié lorsque l'un d'eux accepte d'être caressé. Je ne sais pas si cela prend aussi longtemps de se rapprocher d'un corbeau. Ils doivent être moins craintifs que les lapins, je pense, et dès lors qu'ils comprennent que leur environnement est sans danger, qu'on les nourrit et qu'on prend soin d'eux ils deviennent rapidement affectueux. La principale difficulté est que l'on apprivoise peu d'oiseaux de nos jours et que les corbeaux ont un langage affectif bien à eux. Je vous montrerai avec Veritas, il lui arrive de m'attraper le doigt délicatement avec son bec, au début ça fait peur, mais quand on comprend qu'il ne pense pas à mal, et que ça ne fait pas mal, ça devient une marque d'affection adorable.

Vous me faites regretter de ne pas avoir gaspillé ma question. J'espère très fort qu'un jour j'aurai quand même droit à une réponse. Je rêverai de partager ce moment sur la plage avec vous. Peut-être en ai-je même effectivement rêvé ces dernières nuits, qui sait ? Si vous avez peur de l'orage alors je ne vous traînerai pas dehors par ce temps, je m'en voudrais à ne plus oser vous regarder dans les yeux. Mais, si ça peut vous rassurer, mes bras vous seront toujours ouverts pour que vous puissiez vous y réfugier. Je braverai la pluie et le vent pour que vous puissiez goûter au spectacle de l'océan furieux, en toute sérénité. Et pour le maquillage, je pense que vous sous-estimez votre beauté pour penser que s'il coule sur votre visage on ne souhaiterait plus vous embrasser. Oh, je m'emporte peut-être, veuillez m'excuser, mais j'espère que vous n'en voulez pas à votre admirateur d'avoir un jour imaginé ce moment. Nous devons être nombreux dans ce cas.

Vos mots quant à ma situation familiale me touchent, sincèrement, mais vous avez également tout mon soutien. Ne comparez pas nos situations pour déterminer que vous vous en sortez mieux, ce n'était pas du tout mon but et je ne pense pas que ce soit très vrai. Peu importe dans quelle prison nous nous trouvons, un homme qui en sort sera toujours mieux loti que celui qui y reste. Vous avez encore à subir je ne sais combien d'injustes reproches et la façon dont vous décrivez comment ils vous traitent me fend le cœur. Sachez que s'ils ne voient pas la personne merveilleuse que vous êtes, des tas de gens ici n'ont aucun doute là-dessus et nous vivons à vos côtés tous les jours, toute l'année, nous sommes bien plus au courant de ça qu'ils ne le seront jamais. Mais je pense aussi que, comme vous, j'aurai aimé avoir une famille à mes côtés aujourd'hui. Mais tant pis, ils ne verront pas celles et ceux qui partagent ma vie, ils ne me connaîtront pas marié, heureux, ou peu importe ce qui m'arrivera. C'est eux qui s'en mordront les doigts. J'espère que, vous aussi, vous trouverez le bonheur pour leur faire le plus beau pied de nez qu'ils méritent.

Je suis heureux que mes photos vous plaisent, j'en ai quelques albums remplis, mais je serais ravi d'en acheter un nouveau rien que pour y mettre celles où vous apparaîtrez. Rien que l'idée de pouvoir avoir, entre mes mains, un cliché magique de votre charmant sourire qui s'anime sur la photographie... Ça me remplit de joie. J'aurai toujours, près de moi, votre bonheur immortalisé, et quel plus beau souvenir je pourrais ramener de notre voyage ? Ne vous en faites pas, laissons un peu flâner notre esprit sur ce qu'on pourrait faire ensemble. Je ne vous considérerai jamais comme acquis, peu importe où va notre relation, comme vous dites, et je ne vous ferais rien promettre. Je souhaite juste qu'on profite l'un et l'autre. Et puis, nous nous apprécions. Peu importe comment nous nommerons le lien qui nous unit à l'avenir, je serais déjà honoré de vous compter comme un ami et je serais tout à fait heureux d'emmener un ami parcourir le monde. Alors rêvassez, préparez déjà une petite liste d'endroits que vous aimeriez visiter, je vous suivrai n'importe où, tant que vous m'acceptez à vos côtés.

Je suis content de savoir que vous partagez un peu de l'amour que l'on vous porte. Mais, s'il vous plaît, ne vous jugez pas trop durement. Des masques, on en porte tous. Ce monde est rude, très rude, les Hommes sont compliqués et passionnés, personne n'arrive à nos âges parfaitement indemne et plus on vieillira, plus on rencontrera des gens avec un passé complexe et nuancé. J'estime que c'est important de s'y préparer en ne cultivant aucune attente particulière sur les autres et, surtout, en les respectant. Je ferais mon possible pour que vous n'ayez jamais à devoir dégainer une facette de vous qui n'est pas sincère et que vous n'aimez même pas, mais ça arrivera peut-être et je ne vous en voudrais pas. On cherche à se protéger, toujours, et si je souhaite votre bonheur pourquoi aurai-je envie de vous forcer à vous dévoiler ? Ça vous rendrait malheureux de me montrer ce que vous ne voulez pas me montrer. Alors gardez votre masque, profitez de tout ce qu'on partagera, peu importe ce que ce sera, parce que ça vous atteindra quand même. Un masque ce n'est pas un mur. Je n'ai aucun doute que mes lettres vous aient fait vraiment plaisir au fond de vous, et j'en suis honoré chaque jour. A partir de là, pourquoi voudrai-je absolument voir derrière votre masque ? Agissez pour votre confort avant tout. Une fois, dans un film dont je n'ai absolument pas retenu le nom, un personnage a dit cette phrase que je trouve jolie : « Quand on est une bonne personne, faire ce que l'on veut et faire le bien c'est la même chose. » Je pense que vous êtes une bonne personne car notre correspondance est le fruit de votre volonté, est un endroit où vous vous sentez à l'aise sinon vous n'auriez pas continué de me répondre, et notre correspondance me rend très heureux. Vous faites ce que vous voulez et ça me procure de la joie, donc je vous pense bon et je ne pense pas avoir tort à ce sujet.

Quant à ce que je ne sais pas faire, oh ça couvre presque l'infini. Être créatif c'est bien, mais je ne suis vraiment ni sportif, ni très intelligent, ni très débrouillard et j'espère très fort que ça ne me fermera pas les portes de votre cœur, peu importe en quelle qualité j'y rentrerai.

Savoir que les gens passionnés vous attire ne me donne que plus envie de montrer combien je le suis, je l'admets. Regardez, on parlait de masque, croyez bien que je ferais mon possible pour vous présenter une version de moi-même qui vous serait le plus agréable aux yeux et à l'esprit. Ce ne sera pas autre chose que « moi-même », mais j'aurai sélectionné ce qui vous plaît le plus, parce que comme tous ceux dont le cœur bat fort en vous imaginant, je ne souhaite que vous plaire. Et je pense que ça répond à votre question sur ce qui me passionne le plus. L'écriture est une passion diffuse, de faible intensité, mais quand je pense à vous je ressens des émotions que jamais l'écriture ne m'offrira. Je pense que mes colocataires seraient d'accord avec moi, puisqu'ils rient allègrement en me voyant réagir à la lecture de vos lettres, mais vous êtes la passion qui enflamme le plus mon cœur en ce moment, de très loin.

Vos compliments me vont droit au cœur. Ravi que vous ayez reconnu l'odeur, mais vous avez raison, elle est forte. Je connais des gens que les parfums forts, comme celui-ci, rendent nauséeux et je suis content que ce ne soit pas votre cas. Je ne dis pas que j'aime embaumer chaque pièce que je traverse, mais je suis plus adepte des parfums expressifs, qu'ils soient doux ou musqués, que les subtils. Sachez, par exemple, qu'adorant les framboises c'est un de mes parfums préférés et j'en mets souvent. Rares sont les gens qui aiment sentir quelque chose d'aussi simple que les fruits, mais qu'est-ce que j'aime avoir sur moi l'odeur de quelque chose d’appétissant, comme le pain d'épice. Votre analyse me flatte, même si je ne suis pas d'accord. Mais qui est vraiment d'accord lorsqu'on lui donne de si belles qualités, hormis ceux qu'on ne peut appeler modestes ? Je ne suis pas très familier du langage des fleurs, mais après quelques recherches et quelques achats j'ai appliqué sur cette lettre le parfum discret d'une jolie plante : la Dahlia. Sa signification est le message que mon cœur veut vous transmettre sans que je ne parvienne à mettre ces mots sur le papier. Ne prenez pas peur, s'il vous plaît, comme vous je ne fais aucun plan sur la comète, je n'attends rien, mais puisque nous parlons d'être honnête je me permets de l'être avec vous par le biais de ce parfum.

Pour mon âge, rassurez-vous je vous le dis sans problème : j'ai vingt-et-un ans, je ne suis mineur dans aucun pays de la planète. Et ne vous en faites pas, vous avez l'âge des gens qui me plaisent, mais comparé à tout ce qui, chez vous, fait battre mon cœur, votre âge est tout à fait accessoire. Je ne sais pas pourquoi, mais lorsque vous vous dites égoïste parce que vous voulez que je vous écrive même si ça nuie à mes études, moi ça me fait plaisir, ça me fait très plaisir. Je redoublerai d'efforts pour vous écrire aussi souvent que possible tout en réussissant mon année. Rien n'assombrira le joli tableau que nous peignons tous les deux à chaque nouvelle lettre, je vous le promets. Et je suis tout aussi égoïste que vous, alors continuez de m'écrire, Monsieur, s'il vous plaît.

J'avoue humblement ne pas connaître l'anime que vous m'avez cité, mais je le regarderai dès que possible. Ou peut-être souhaiteriez-vous me le faire découvrir en personne ? J'imagine sans peine comment cela a pu résonner avec vous. Souvent ce qui nous a accompagné enfant a une influence conséquente sur notre vie, plus qu'on ne veut bien l'admettre desfois, mais si cet anime a participé à la personne que vous êtes aujourd'hui alors je ne pourrais qu'aimer le regarder.

Je suis tout ému que mon petit numéro vous ait plu. Je vous ai joué « Salut d'Amour » d'Edward Elgar, une véritable sérénade qui s'accompagne d'habitude d'un piano, mais j'avais le désir égoïste que vous n'écoutiez que moi, toutes mes excuses. Si mon violon fini par peupler vos rêves, prévenez-moi, j'en serais infiniment heureux. Mais une partie de moi, je l'avoue, espère que lorsque nous nous serons rencontré, le violoniste aura aussi droit à une place dans un coin de votre tête, en même temps que sa musique. Et j'espère aussi que, la prochaine fois, je pourrais voir votre visage pendant que je vous joue la sérénade. Je suis absolument certain qu'elle sera bien plus belle si j'ai, sous les yeux, la formidable personne qui me l'inspire.

Voir vos dernières questions me fait un peu de peine, je l'admets, car je m'étais aussi attaché à ce jeu même si je mettais du temps à trouver quoi vous demander. Pour mes livres préférés, ça peut paraître étonnant, mais j'adore la science-fiction. Pour le coup c'est du pur goût personnel, parce que je ne me risque pas à en écrire, donc d'une certaine manière c'est un genre que j'aime de plus en plus parce que c'est celui où je me repose quand je le lis, je ne travaille pas pour y chercher de l'inspiration pour mes propres écrits. Et puis il y a une variété vertigineuse d'histoires et d'univers à découvrir dans ce genre qui m'enthousiasme à chaque fois.

Et ma plus grande peur ? Je vais vous la confier, et rares sont ceux qui la connaissent parce que j'estime qu'elle me rend un peu pathétique : la solitude, tout simplement. Je suis souvent seul et j'apprécie cela, que ce soit dans ma chambre, dans le parc, en ville, j'aime passer du temps avec moi-même, mais ce que j'apprécie particulièrement à Ilukaan c'est qu'on peut être seul dans un environnement qui fourmille de vie. J'aime faire des activités, voyager, sortir, m'amuser, mais j'aime aussi énormément être en repos ou écrire tranquillement et savoir, et entendre, que dans la pièce à côté les gens vivent et s'amusent. Vous voyez ce que je veux dire ? J'aime sentir le monde autour de moi, ressentir le bonheur des autres, savoir qu'ils vivent de belles choses -et même des moins belles parce que ça fait partie de la vie-  tout en étant tranquille et seul. J'aime pouvoir, quand j'en ai envie, sortir dans la salle commune, m'asseoir sur un fauteuil et discuter avec quelqu'un que je connais, ou demander à la cantonade « Alors, qu'est-ce qui vous rend si joyeux ? » et voir leurs sourires avant qu'ils ne m'expliquent. J'aime être un meuble, parfois, mais un joli meuble.

Seulement, mon cauchemar ce serait d'être tout seul au milieu du silence. J'aimerai bien vivre à la campagne un jour, comme beaucoup, mais pas isolé des autres. Et je fais tout mon possible pour cultiver les amitiés que je me suis fait au cours de mes années à Ilukaan car je suis terrifié à l'idée de perdre qui que ce soit. C'est la raison pour laquelle je m'excuse souvent dans notre correspondance, je vous demande de ne pas prendre peur en évoquant la fleur qui parfume cette lettre, par exemple, car même si nous ne nous connaissons pas depuis longtemps -et seulement à distance- j'ai déjà peur de vous perdre. Et c'est encore pire lorsque j'écoute mon cœur qui nourrit pour vous bien plus que de l'amitié, Monsieur. Mais, je vous en prie, ne me prenez pas en pitié, je ne veux pas que cette peur que je vous ai révélé dicte votre conduite en quoique ce soit, j'y tiens vraiment. Encore une fois je souhaite que vous m'appréciez sincèrement. L'idée même que vous vous forciez à le faire par peur de me faire du mal en vous éloignant me terrifie bien plus que toute la solitude du monde. Donc, vraiment, si lors de notre première rencontre je vous lasse, vous ennuie, vous agace, vous incommode, allez-vous en, laissez-moi. Je veux pouvoir me dire que si vous restez après cette première rencontre, si vous me demandez d'autres lettres, d'autres rendez-vous, c'est parce que vous m'appréciez vraiment.

Maintenant que j'ai répondu à vos dernières questions, je pose les miennes. J'ai un petit pincement au cœur de coucher sur le papier celles qui s'avèrent les dernières, mais je nourris l'espoir que, face-à-face, nous continuerons de satisfaire notre curiosité l'un envers l'autre. Car ce n'est pas avec huit malheureuses questions que je serais lassé d'en apprendre plus sur vous. Je veux connaître toute votre personne, tout ce que vous aimez, tout ce qui vous rend heureux, tout ce qui vous effraie pour pouvoir vous en protéger. Je m'imagine un peu chevalier servant, bien sûr, mais j'assume sans souci que c'est un de mes souhaits.

Quel est votre rêve le plus fou, qu'il soit réalisable ou non ?

Quel est l'endroit où vous préférez sortir ? Faire la fête en boîte de nuit ? Un rendez-vous au restaurant ? Une balade en pleine nature ? Ou autre chose ?

Monsieur, ce fut un plaisir de jouer à ce jeu avec vous. Quand je pense à ma malheureuse première lettre, que j'imaginais solitaire, et maintenant nous en sommes à combien ? Quatre ou cinq chacun ? Vous ne pouvez pas imaginer comme je me sens honoré de partager ce moment avec vous. C'est quelque chose de très précieux pour moi, que je chérirai longtemps, peu importe où cela mènera. Et d'ailleurs, Monsieur, que diriez-vous que cela mène au moins à cette fameuse rencontre dont nous parlons depuis si longtemps ? Donnez-moi une heure et un lieu et vous m'y trouverez, enfin si vous souhaitez toujours découvrir qui je suis. Peut-être que le portrait que j'ai dressé de moi-même en répondant à vos questions du jour a fini par vous repousser. Si c'est le cas, je n'en suis que trop désolé. Mais sachez que si vous souhaitez autant que moi cette rencontre, je ferais mon possible pour être à la hauteur de l'image dépeinte par notre correspondance. Je me suis livré à vous avec toute la sincérité du monde, vous verrez.

A très bientôt, Monsieur.

Votre dévoué admirateur.