Il n’y a rien de bien remarquable dans la vie de Gorou. Les premiers chapitres de sa vie serait bien peu rempli, et Gorou serait entièrement d’accord pour dire que l’histoire est encore à écrire. Il n’aime pas spécialement parler de lui ou de son passé sans évènements, préférant poser des questions sur les autres, en apprendre plus sur ses camarades. Heureusement, les narrateurs sont là pour rattraper le coup. S’il ne veut pas en parler, je peux le faire.

Gorou est né dans la ville de Kanie le 18 Mai 2004. Petit dernier d’une grande famille de deux parents et cinq enfants, il grandit dans un foyer aimant quoi que bien agité. Quand Gorou a un an, sa grande soeur en a deux, son autre grande soeur en a quatre, son autre grand frère en a six et le plus grand en a huit : une phrase bien difficile à dire et qui est la raison pour laquelle il ne parle pas souvent de sa famille. Il est différent des autres aux tempéraments plus calmes, similaire uniquement au plus grand de ses frères, qu’il admire et respecte plus encore que ses propres parents. C’est l’idolâtrie qu’ont les plus jeunes parfois pour leurs pairs : un parent, c’est une figure d’autorité. Un grand frère, c’est une figure de sagesse qui comprend ce qu’on traverse et avec qui on peut entretenir une relation de camaraderie et de complicité.

Ses parents ne sont pas pour autant des personnes qu’il n’apprécie pas, bien au contraire. Madame est employée dans une agence de voyage où elle gère les moyens de déplacement, monsieur travaille dans une entreprise de gestion de stock à laquelle Gorou n’a jamais rien compris. Il sait simplement qu’il gère l’argent d’une boîte qui gère les revenus des personnes qui gèrent où vont certains produits dans certains magasins. Ses enfants ont appris à dire que leur père est un gestionnaire, et ils n’apportent jamais de précisions supplémentaires. Ce n’est pas comme si Gorou pouvait réellement en parler. Si quelqu’un ne sait pas comment fonctionne l’argent dans sa famille, c’est bien lui.

C’est une famille de sorcier qui vit tout à fait correctement, et dont les enfants partent petit à petit à Mahoukotoro. Ils rentrent tous les soirs pour manger et dormir, jusqu’à ce que les plus vieux décident de s’installer au dortoir de l’école pour se concentrer sur leurs études. Gorou, lui, est l’exception de la famille. On décide assez tôt de le placer à Ilukaan. Il n’y a pas de raison importante à cette décision. Ses grandes sœurs discutent un jour à table. « On est vraiment nulle en anglais. » « Carrément. Maman, tu devrais envoyer Gorou à l’étranger, au moins il reviendrait avec un bon niveau. » C’est une suggestion simple, et qui pourtant se grave dans l’esprit de la famille. C’est vrai que ce n’est pas bête, comme idée : et ils ont les moyens, surtout avec les bourses qu’ils trouvent sur internet.

Avant même d’obtenir ses pouvoirs, Gorou est donc déjà prêt à partir au Canada une fois l’école décidée. Ilukaan semble être un des meilleurs établissements possibles. On assure aux parents qu’il s’agit d’un bon milieu scolaire pour les Japonais, puisque de nombreux élèves d’origine nippone s’y retrouvent pour apprendre la langue ensemble. Une collègue de Madame Inuzaka confirme même y avoir envoyé sa fille : elle parle désormais un anglais parfait. Le nouveau directeur a fait un très bon travail en ouvrant l’école à toutes les cultures, et est apprécié par presque tous ceux qui mettent les pieds dans son institution. On voit déjà Gorou revenir bilingue et décrocher un emploi de traducteur ou d’interprète, de businessman ou autres rôles à l’international.

C’est que Gorou apprécie la compagnie : déjà jeune, c’est un garçon sociable qui aime communiquer et forger des liens. On s’attend à ce qu’il se tourne vers la communication. Lui ne pense à rien de tout ceci. C’est un enfant qui souhaite simplement s’amuser.

C’est à l’âge de sept ans, plutôt tôt par rapport au reste de la famille, que Gorou fait ses premières preuves de magie. C’est un mercredi pluvieux de septembre et il ne peut pas sortir jouer dehors. L’ennui est un ennemi mortel pour tout enfant enfermé, mais celui-ci a trouvé un petit jeu amusant. Par la force de sa pensée, il s’imagine pouvoir faire bouger les branches de l’arbre dégarni qui se trouve dans son jardin. C’est quand il finit par y arriver qu’il décide de ramasser les brindilles tombées sur le sol, avec la seule force de son regard. Elles volent, forment un nid qui reste vide durant tout l’hiver. Seulement après le passage des mois et la poussée des feuilles, Gorou constate que le nid est enfin habité. Il partage l’anecdote à ses parents. On lui organise une petite fête du Premier Sort, une tradition familiale que ses frères et sœurs avaient eux aussi eut lors de leur premier exploit magique.

À ses onze ans, on envoie enfin Gorou à Ilukaan. Le jeune enfant n’a aucunement envie de laisser sa famille, et pleure même le du jour de son départ. Il est persuadé que là-bas, il sera perdu, qu’on le forcera à directement parler anglais, qu’il n’aura plus d’ami. Un tel changement, ce n’est facile pour personne. Et pourtant : il ne faudra que trois jours à Gorou pour appeler ses parents avec un grand sourire. Il s’est déjà fait des amis, et a comprit comment demander « du gâteau, s’il vous plaît » à la cafétéria.

Gorou est placé dans la maison Lupy. On lui dit souvent que ce sont des agités, sportifs la plupart du temps, plein d'énergie. Plus jeune, Gorou correspond déjà à la description. Il a toujours été un enfant joueur, voire même bagarreur. Il sait qu'il se plaira bien chez les rouges.

À partir de ce jour, le mal du pays de Gorou se fait de plus en plus absent. Les années passent, et le Canada devient sa maison, les dortoirs deviennent sa chambre. Ces jours de découverte et de doute sont derrière lui. Ici, il peut se créer une petite vie où il peut prendre les décisions qu’il souhaite. À la poubelle, le futur emploi dans la communication ! Gorou développe son rêve de rejoindre l’armée magique du Japon, et peut être que sa capacité à parler l’anglais restera alors un avantage. Parler deux langues n’a rien de spécial, à Ilukaan, c’est presque la norme. Difficile d’entretenir un rêve linguiste quand ça n’a rien d’une spécialité. Gorou est bon pour d’autres choses : remonter le moral de ses "troupes", surnom qu’il donne à ses amis proches, prendre des initiatives, viser de loin et viser bien. Il adore les cours de Défense Contre les Forces du Mal, mais devenir Auror ne le tente guère. Il souhaite vivre quelque chose de plus périlleux, souhaite aider son pays à résoudre de graves problèmes.

Son rêve est en béton armé, résiste à tout ce qui peut lui arriver. Une blessure ? Il s’en remet, n’est aucunement effrayé. Une autre passion qui pointe le bout de son nez ? On peut être un militaire et avoir des hobbies ! Des envies de vie paisible et amoureuse ? Gorou n’est jamais sorti avec personne, et trouve qu’une bonne sieste après un bon entrainement est bien plus satisfaisante qu’une simple sieste, à ses yeux moins méritée.

Son rêve faiblit presque lorsqu’il atteint l’âge de quatorze ans. Presque. Il plie, résiste le poids de ses inquiétudes et en ressort plus fort. Mais Gorou n’oubliera pas ces moments de doutes qui l’ont hanté cette année-là. Il s’est fait une réputation : un ami fidèle sur qui on peut compter, toujours heureux de se dégourdir, à l’affût de tout problème mais aussi de tout bon moment. On lui dit qu’il a le sourire d’un animal excité.

On lui dit qu’il ressemble à un chien.

C’est toujours dit comme un compliment, mais c’est un mot qui ressort souvent. Un chien : le meilleur ami de l’homme, toujours prêt pour une promenade, qui garde le troupeau, aboie quand en colère, s’agite quand heureux. Gorou le prend toujours bien. Il se sent flatté de la comparaison. En plein adolescence, son identité encore en formation se cherche des symboles. Certains élèvent se trouvent une couleur préférée et se teignent les cheveux, en font -leur- couleur totem. Certains élèvent se trouvent un style particulier, jock, gothique, punk, pastel, et l’affichent fièrement à l’aide de vêtements ou de réseaux sociaux esthétiques. Gorou, lui, prend le chien comme son symbole, et pendant quelques mois, il s’associe à cette créature sociale et loyale. C’est à cette même période que se réveille un don qui dormait en lui jusque-là.

Gorou est métamorphomage. Et Gorou ne maîtrise absolument pas ce don.

C’est à ce moment que les oreilles et la queue commencent à apparaître. Peu, dans un premier temps : surement la matérialisation magique de cette recherche d’identité, mélangée à la culture manga de son pays. Gorou a grandi entouré de Kyoto Nyan Nyan et de Definitive Fantasy XIV au Japon, et son inconscient s’accroche à ce qu’il connait. Il est d’abord surpris, heureux de ce don qu’il possède. Il accueille l’apparition à bras ouverts. Mais plus ces attributs apparaissent, plus Gorou y pense, et plus Gorou y pense, plus ils apparaissent. Au bout d’un an, le jeune métamorphomage réalise qu’il a entièrement perdu le contrôle : son corps change sans son avis, presque une fois par jour, parfois même plus. Il finit par haïr ces apparitions au plus haut point. Quelle institution militaire voudrait d’un garçon qui ne se maîtrise pas ? Qui ressemble à un shiba inu ?

Il va voir la psychomage. Rien à prescrire, à part un entraînement pour maîtriser son don, mais aussi plusieurs séances pour que l’évènement ne l’amène pas à se détester. Des moments de réflexion et d’acceptance sont organisés l’année qui suit. Il est ainsi, ce n’est ni bon, ni mauvais. Il apprend à ne pas porter de jugement de valeur à sa situation et avec du temps, il arrive à l’accepter. Les commentaires des autres ne le dérangent plus, à moins qu’ils soient moqueurs bien sûr. Personne n’aime être la risée d’un groupe, et il a beaucoup de mal à supporter qu’on le charrie. Heureusement, sa réputation d’ami loyal l’aide à éviter la moquerie et beaucoup prennent sa défense.

On se tourne vers lui en cas de difficulté. Lui qui est passé par cette période de haine envers sa magie et sa personne, comment s’en est-il sorti ? Il ne s’improvise pas psychomage, mais répète les conseils qu’il a entendu lors de sa thérapie. Avec le temps, ces conseils changent, se façonnent à sa propre expérience. Ce qu’il répond vient de lui : ce sont des mots qu’il n’a jamais entendus ailleurs, des phrases qui rassurent, qui encouragent. Gorou réalise qu’il est de bon conseil et s’inscrit dans le journal de l’école. Une activité bien éloignée de sa future carrière militaire, mais qui le détend et rend ses années à Ilukaan plus paisibles et agréables.

Je pourrai dire que l’histoire de Gorou s’achève ici, mais il ne serait pas d’accord. Il existe encore un futur qui attend d’être écrit et affronté. Alors avec la force d’une armée bien dirigée, il fait de son mieux pour décrocher les meilleures notes et passer les meilleurs moments avec ceux qu’il aime.

(c) Ilukaan