Escape game
Les dictionnaires étaient ouverts autour de toi, tu avais tes fiches de cours à tes côtés. Toutes les conditions étaient réunies pour que tu réussisses à traduire les runes demandées. Tu t’étais installée à la bibliothèque à la fin du repas, étant certain d’y trouver du calme au contraire de ton dortoir. Pourtant, malgré toutes ses précautions et l’ambiance studieuse des lieux, tu bloquais depuis plusieurs soirs sur ton texte et quand bien même tu pouvais demander un coup de main à ta grande sœur, tu ne voulais pas lui demander de l’aide. Il était même hors de question que quelqu’un te donne un coup de main. Famille ou pas famille. Tu voulais y arriver par toi-même, quitte à négliger tes autres enseignements. Oh non, les runes ne t’intéressaient pas plus que ça et tu te demandais bien ce qu’il avait pris aux sorciers d’écrire de cette manière-là. Comme si l’anglais n’étaient pas déjà assez compliqué pour les élèves non-anglophones d’Ilukaan. Et puis, qui les utilisait de vos jours ? Hormis des historiens, personne. Peut-être deux trois personnes un peu étranges à tes yeux d’enfant et ça se limitaient à ceux-là.
Après une nouvelle phrase ayant encore moins de sens que la précédente, tu pousses un nouveau soupir. Est-ce que les enseignants voulaient votre mort ou vous dégoûtez de l’école ? Tu en étais sûr. Pourtant, tu avais bien pris les symboles un à un dans le texte et tu les avais assemblés comme on te l’avait appris en troisième année. Et pourtant, après plus d’un an de travail sur cette matière-là, tu te sentais toujours aussi nul. Il n’y avait pas d’autres mots. Tu trouvais tes progrès limités et plus tu avançais dans les années moins tu en comprenais l’intérêt. À toi seul, avec toutes tes affaires, tu occupais une majeure partie de la table en bois. Cela étant, ce n’est pas gênant puisque tu te trouvais dans un coin peu utilisé des autres élèves, car parfois un peu sombre et que le rayonnage de sciences sociales moldues n’est définitivement pas le plus attrayant.
T’accordant un petit temps de pause, tu te dis que tu as bien envie d’un chocolat chaud pour te remonter le moral et pour finir la soirée sur une note un peu plus agréable que ton interprétation sans fin. Tes yeux commencent à te piquer avec la fatigue et tes lentilles ne sont plus vraiment adaptées à ta vue de leur côté. Tu dois demander à tes parents de t’en renvoyer mais tu sais aussi qu’elles ont un certain coût et que tu es trop jeune pour une opération. De plus, tu as le souvenir que tes lunettes, elles, sont restées sur ta table de chevet. Il ne manque plus que tu prennes la pluie en voulant regagner ton dortoir et tu avais la pire soirée possible ou presque. Tu passeras par le Dôme avant de rentrer chez les Lupys pour en prendre un. C’est une bonne idée, ça t’aidera à t’endormir. Même si tu as encore un peu de temps devant toi pour terminer des devoirs ou avancer un peu ceux des jours suivants. À vu d’œil, il ne doit pas encore être très tard. Une chose dont tu es certains, il fait nuit dehors. Pas besoin de te retourner pour regarder à travers la fenêtre. Ta seule autre inconnue est la neige pour le coup. Il n’y aurait rien de surprenant que le paysage extérieur soit recouvert d’un manteau blanc. C’est l’hiver ici et le Canada n’est pas le pays le plus chaud qui existe. Surtout en plein mois de janvier.
Remotivé, au moins pour quelque temps, tu te replonges dans cette langue aussi étrange qu’incompréhensible. Petit à petit, à force de concentration, tu réussis à former des mots. Le corps du texte prend sens, les mots prennent vie. Et tu as sous les yeux une recette de gâteau au yaourt. Une recette de gâteau au yaourt. Tu savais que votre enseignant de rune aimait la cuisine mais il a osé vous demander de traduire une recette ? C’est une blague ?! Tu sens une pointe de colère poindre en toi Alexander. Des heures à t’abîmer les yeux à essayer de saisir les nuances des symboles pour un vulgaire gâteau, beaucoup trop sucré qui plus est ?
Puisque tu n’es plus focalisé sur ton travail d’étude des runes, tu remarques que la bibliothèque est vraiment silencieuse. Plus que tout à l’heure. Plus que d’habitude. Il n’y a pas les rires étouffés de certains élèves, la sonnerie d’un téléphone que l’on a oublié d’éteindre ou de mettre en silencieux. Non, il n’y a rien de tout ça. Tu es saisi d’un doute, elle n’est pas fermée ? Tu n’as pas souvenir d’avoir entendu la bibliothécaire vous dire qu’elle fermait bientôt ou bien même la cloche qui indiquait que les bâtiments allaient fermer sous peu. Voulant t’enlever cette hésitation du crâne, tu préfères prendre le risque de déranger ton voisin de table.
« La bibliothèque ferme bien à 21h non ? » demandes-tu au jeune lupy installé un peu plus loin.
L’alarme du couvre-feu sonne. Il est vingt-deux heures. Vous devriez être dans votre dortoir.
Oups.