Depuis combien d’année n’avait-il pas voyagé seulement pour le plaisir de le faire ? Depuis combien d’année avait-il perdu le goût de simplement découvrir de nouvelles personnes et lieux comme un simple touriste et non un exilé ? Il ne se souvenait plus, sûrement depuis son départ d’Angleterre. Pourtant il en avait rencontrés des gens : parfois horribles, parfois pauvres, riches, insupportables, joyeux, tristes, formidables. L’un de ces derniers était sur le bateau avec lui. Haurchefant Greystone, ou comment une rencontre plutôt hasardeuse et pour une fois chanceuse s’avère encore prégnante plus d’une douzaine d’années après.

Remus ne doutait pas que sans le grand albinos, il ne serait pas resté pour les vacances, il aurait filé à peine son contrat terminé. Possible qu’il ait même raté le rendez-vous avec Monsieur Leroy… qu’il aurait sûrement anticipé de manière négative. Il aurait préféré fuir… Alors qu’on lui proposait un poste durable dès la rentrée.

Donc pour la première fois depuis presque vingt ans, il était là, sur un pont de bateau, à profiter de la vue, de la joie d’être libéré d’un poids, et de se dire que peut-être, enfin, doucement, il a la possibilité de se reconstruire une vie stable. La présence de Harry aussi le contraint d’affronter des vieux fantômes qu’il fuit depuis longtemps. Il hésite encore beaucoup, il se laisse le temps… mais c’est peut-être l’occasion de rencontrer à nouveau son ancien amant, et ami… Et Peter peut-être avec. Il ne sait pas, il est très confus et incertain. Il a décidé de se laisser fléchir par les mois, et le confort.

Il va mettre quelques temps pour oublier la tension, et la crainte d’être rejeté, viré au moindre problème qu’il n’aurait pas forcément déclenché lui-même… Mais on lui a proposé un contrat sans durée, donc normalement, il devrait pouvoir se reposer sur ses deux oreilles. Il avait pleuré toute la nuit après son rendez-vous avec Leroy, en faisant attention de ne pas gêner son colloc de chambre : le fameux Greystone. Il le lui avait proposé pour épargner sa pudeur et son besoin d’être à l’aise, ce dont Lupin lui avait été grandement reconnaissant.

En un mois, le loup garou avait commencé à s’attacher à ses étudiants divers. Tellement plus qu’ils l’auraient été à Poudlard. Il aimait l’ambiance, le cadre général de ce lieu, il avait hâte d’en voir l’hiver, et l’automne, deux saisons qu’il appréciait particulièrement. Bien que la chaleur estivale ne le dérangeait pas, elle n’était pas vraiment le cadre qu’il préférait. En effet, pour la supporter, il fallait porter des vêtements qui ne lui permettait pas de cacher ses (trop) nombreuses cicatrices. Ainsi, il se sentait toujours un peu gêné dans son pantacourt et sa chemisette en coton brun… et des claquettes moches mais confortables. Il portait des lunettes de soleil et s’était adossé à la rambarde pour subir les embruns sans qu’ils l’empêchent de voir les gens déambuler autour de lui.

Autant dire que l’élève blonde et pâle à en faire jalouser les asiatiques fans de blancheur qui vint l’aborder le surpris à la fois beaucoup et peu. Il l’avait vue l’approcher, comme prise d’une impulsion, accompagnée d’un pot de terre copieusement décoré. Il pencha la tête avec un sourire bienveillant. « Bonjour, miss de la Roche. » Il répond doucement… avant de pâlir brusquement à sa question.

« Par… Pardon ? » Il inspire fortement et se reprend. « J’en sais ce qu’il faut en savoir, pourquoi cette question ma chère ? » Il avait manqué avoir une attaque, son coeur s’était sérieusement stoppé un instant avant de redémarré. Il ne fallait pas faire ça aux adulte Lucia ! Ce n’est pas très gentil ! Il essaie de se calmer, de cacher son trouble. « J’ignore pourquoi vous venez me voir moi plutôt qu’un professeur de Défense contre les Forces du Mal. Je pense qu’ils seraient les plus à même de vous aider ! » Noyer le poisson, détourner la conversation. « Pourquoi vous promenez-vous avec un pot de fleur ? C’est un projet pour vos cours de l’année prochaine ? »

Oups. Elle a remarqué sa réaction première. Visiblement, ça la gêne, vu comment elle esquive son regard et rosit doucement sur sa peau pâle. C’est un peu mignon, elle lui rappelle vaguement Marlène. Il sourit pour la rassurer, il ne veut pas non plus qu’elle se sente mal, c’est lui l’adulte, c’est lui qui doit adoucir les sentiments des élèves qui viennent requérir son aide… Même s’il gaffe comme une merde en lui demandant ce qu’est ce pot de fleur. Bless… Il faudrait qu’il apprenne à fermer sa grande bouche. Il est désolé pour elle mais il n’y connaît rien en botanique, il sait donc qu’il ne sera d’aucune aide pour la pousse de sa plante ou graine, ou… il ne sait pas.

Il l’écoute donc plutôt parler de son ressenti avec les professeurs de Défense contre les Forces du Mal… et il comprend. Lui-même, entre Geralt le chasseur de loup-garous, et Ardbert le cynique, il ne se sent pas forcément des plus à l’aise. Heureusement qu’il y a Haurchefant, il a une sorte de douceur qui apaise et rassure Lupin. Même si c’est un grand garçon qui sait se débrouiller quoi qu’il se passe. On est Gryffondor ou on ne l’est pas que diable ! Un peu de courage ! Il est d’ailleurs touché qu’elle ait cette impression venant de lui, il sourit donc encore plus.

« Je vois. Merci du compliment. Je t’écoute, De la Roche. » Il souffle paisiblement. Il a reprit un peu de galon, il se sent moins déstabilisé. Si elle veut lui poser des questions sur les loup-garous, ce n’est sûrement pas parce qu’il en est un, mais parce qu’elle en connaît un autre. Ce doit être ça.

D’un autre côté, ici, il sent qu’il pourrait révéler ce qu’il est aux élèves en plus de toute le corps professoral qui est au courant. Il ne pense pas qu’il serait autant rejeté qu’ailleurs. Mais la peur de l’expérience subsiste et ça reste une démarche compliquée. Au compte goutte peut-être ? Avec les élèves avec qui il arrivera à être en confiance ? Comme cette petite blonde ?

Ah. Alizée. Ils avaient bien discuté l’autre jour avec Goultard… Jusqu’à ce qu’il gaffe. Il avait appris ensuite que c’était très récent pour elle, et qu’elle était encore sous le choc. Quel idiot, il s’en était voulu. Alors quand Lucia en parle, il se montre très attentif. Il sent combien la petite vampire est déstabilisée, il hésite et pose une main rassurante sur son épaule pour l’inciter à aller au bout de sa pensée. Et il sent qu’effectivement, parler en tant que personne expérimentant cette malédiction sera sûrement le plus bénéfique que de prétendre connaître de loin. Il soupire, regarde les gens marcher sur le pont, courir, discuter, vivre. Puis il regarde la mer, cherchant ses mots, les tournant dans sa tête pour qu’ils ne soient pas trop durs, qu’ils l’aident.

« J’ai eu le plaisir de discuter avec Alizée et le professeur Barbaren l’autre jour. C’est une jeune femme étonnante, pleine de vie, bien qu’elle semble… marquée. J’ignorais que sa transformation était si récente. Vous n’êtes pas nulle. Être un loup-garou n’est et ne sera jamais une partie de plaisir… a moins qu’un génie un jour trouve comment guérir cette malédiction… mais sincèrement j’en doute. C’est une condition éprouvante pour les nerfs, les émotions. Quand on est une femme, il paraît que c’est pire d’une certaine manière parce que le cycle de la lune ne s’accorde pas forcément au cycle naturel féminin… et cela a des conséquences d’irritabilité et sautes d’humeur encore plus renforcées. Je ne pense pas que vous puissiez l’aider plus qu’en veillant sur elle et en la soutenant. »

Il observe le pot de fleur et a un petit sourire.

« Vous semblez douée avec les plantes, l’êtes-vous avec les potions ? C’est une potion très complexe que la Tue-loup mais je pense que vous seriez capable de la fabriquer. Cela… cela serait une manière aussi de lui montrer votre soutien, vos sentiments envers elle. » Il frotte son épaule doucement, pour la réconforter. « Je pense que votre sœur ne se rend pas compte aussi de combien devenir un loup est une perturbation profonde de notre être, et de combien ça peut traumatiser. Certains s’en sortent mieux que d’autres, mais soyons réaliste : ils sont rares. On apprend juste à vivre avec, je suppose, et cela déjà est une bonne chose. Le plus difficile reste cela : accepter. Accepter que notre vie précédente est finie, mais que notre vie suivante n’est pas détruite pour autant, juste, qu’elle sera différente. » Il pense avoir trouvé les mots… mais il se doute qu’il y a encore plus à dire.

Il prend une inspiration, se donne du courage. « Personnellement, j’ai cru que je ne pourrais jamais plus avoir d’amis, quand ça m’est arrivé. Et finalement, j’en ai trouvé des incroyables, à Poudlard, qui le sont resté après. J’ignore ce que traverse en détails Miss Moreau, mais vous avez le pouvoir de la rassurer en tant que meilleure amie. Vous êtes peut-être la seule à la comprendre, et vous pourrez ainsi lui rendre ce qu’elle a fait pour vous et votre père… » Il hésite. « … pour lequel je vous confie toutes mes condoléances. » Le mot « disparu » peut cacher beaucoup de choses mais de la compassion est toujours un solution correcte, de son point de vue.